Le Rabbi, dans la seconde Si’ha du Likoutei Si’hot volume 6, aborde un concept fondamental dans la pensée hassidique et la philosophie juive : le sens profond des « voyages » (מסעות – massa’ot) du peuple juif, tant physiques que spirituels. À travers une analyse minutieuse du verset final du livre de l’Exode, le Rabbi dévoile des couches de signification qui offrent une perspective transformatrice sur l’histoire juive et notre rapport à l’exil et à la rédemption.
Pour comprendre pleinement cette Si’ha, commençons par son contexte biblique. Le livre de l’Exode (Chemot) se termine par ces mots :
« Car la nuée de l’Éternel était sur le Tabernacle pendant le jour, et un feu y apparaissait la nuit, aux yeux de toute la maison d’Israël, dans tous leurs voyages. »
C’est sur ces derniers mots – « בכל מסעיהם » (be’hol mass’eihem – « dans tous leurs voyages ») – que le Rabbi construit sa réflexion. À première vue, cette conclusion peut sembler anodine, mais selon le principe herméneutique que « tout suit la conclusion » (הכל הולך אחר החיתום – hakol hole’h ahar ha-hitum), ces mots contiennent l’essence même du livre de Chemot entier.
Les étapes deviennent des voyages : l’explication de Rachi
Le point de départ de cette analyse est le commentaire de Rachi sur l’expression « dans tous leurs voyages ». Rachi observe :
« Comme ils repartaient voyager depuis chaque lieu où ils avaient campé, tous leurs lieux de campement sont appelés ‘voyages’. »
Cette explication semble d’abord purement linguistique ou technique : les lieux où le peuple s’arrêtait (מחנות – mahanot, « campements ») sont appelés « voyages » (מסעות – massa’ot) simplement parce que de chaque arrêt, ils reprenaient ensuite leur route.
Mais le Rabbi perçoit ici quelque chose de beaucoup plus profond.
La transformation ontologique : de l’arrêt au mouvement
Dans la tradition hassidique, et particulièrement dans la philosophie de Habad, les concepts d' »arrêt » et de « mouvement » ont des significations métaphysiques profondes :
L' »arrêt » (חניה – hanaya) symbolise la limitation, la fixité, l’attachement à un niveau particulier d’existence ou de conscience.
Le « voyage » (מסע – massa) représente l’élévation, la transformation, le dépassement des limites existantes.
Lorsque Rachi nous dit que même les arrêts sont appelés « voyages », il nous invite à une compréhension révolutionnaire : ce qui apparaît extérieurement comme un arrêt, une pause, voire une régression, est en réalité, intérieurement, un mouvement vers l’avant.
Le peuple juif : fin ou moyen ?
Le Rabbi approfondit cette idée en introduisant un principe philosophique crucial :
« Le peuple juif n’est pas un moyen pour atteindre une autre fin, mais la finalité réside en eux-mêmes. »
Cette affirmation peut sembler abstraite, mais elle a des implications profondes. Dans de nombreuses philosophies, l’être humain est considéré comme un instrument pour réaliser un but extérieur à lui-même – servir Dieu, perfectionner le monde, etc. Le Rabbi affirme ici que, dans la perspective de la Torah, le peuple juif n’est pas simplement un « outil » pour accomplir la volonté divine, mais incarne en lui-même cette finalité.
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Cela implique que chaque étape de l’existence et de l’histoire juives a une valeur intrinsèque, et non pas seulement instrumentale. L’expérience de l’exil, par exemple, n’est pas simplement un « couloir » menant à la rédemption, mais possède sa propre signification et sa propre sainteté.
La rétroactivité spirituelle
De ce principe découle une idée révolutionnaire :
« Lorsque les Juifs s’élèvent à un niveau supérieur, leur niveau précédent s’élève également. »
Le Rabbi introduit ici un concept que l’on pourrait appeler « rétroactivité spirituelle ». Dans la vision conventionnelle du progrès spirituel, nous laissons simplement derrière nous les étapes antérieures comme des échelles qu’on abandonne après les avoir gravies. Mais le Rabbi suggère quelque chose de beaucoup plus profond : l’élévation future transforme rétroactivement le passé.
Ainsi, lorsque le peuple juif atteint un nouveau niveau d’élévation spirituelle, cette élévation ne laisse pas derrière elle les stades précédents, mais les élève avec elle. L’expérience de l’esclavage en Égypte n’est pas simplement « dépassée » par la libération, mais elle est elle-même transformée et élevée par cette libération.
De Mitsraïm à Metsarim : l’Égypte comme métaphore
Pour approfondir cette compréhension, le Rabbi cite l’Admour Hazaken (Rabbi Shneur Zalman de Liadi), qui offre une interprétation du verset « Voici les voyages des enfants d’Israël qui sont sortis du pays d’Égypte » (אלה מסעי בני ישראל אשר יצאו מארץ מצרים).
L’Admour Hazaken se demande pourquoi ce verset parle des « voyages » (au pluriel) par lesquels les Israélites « sont sortis d’Égypte », alors que la sortie d’Égypte proprement dite ne constituait qu’un seul voyage. Sa réponse est profonde :
« Tant qu’ils n’avaient pas atteint le Jourdain près de Jéricho, ils se trouvaient encore en ‘Égypte’ – dans des limitations et des frontières. »
Il y a ici un jeu de mots significatif entre « מצרים » (Mitsraïm – « Égypte ») et « מצרים » (Metsarim – « limitations, étroitesses »). L’Égypte n’est pas seulement un lieu géographique, mais une condition existentielle caractérisée par la limitation et la contrainte.
Dans cette perspective, la sortie d’Égypte n’est pas un événement ponctuel mais un processus continu de libération des diverses formes de limitations – physiques, psychologiques, spirituelles – qui entravent notre pleine expression. Chaque « voyage » des Israélites dans le désert représentait ainsi une nouvelle étape de libération de quelque forme de « Metsarim » (limitation).
La dialectique de l’exil et de la rédemption
Cette compréhension nous amène à une vision révolutionnaire de la relation entre l’exil (גלות – galout) et la rédemption (גאולה – geoula) :
« Intérieurement et de façon cachée, l’exil lui-même est une forme de rédemption. »
Il y a ici une profonde dialectique : l’exil n’est pas simplement l’opposé de la rédemption, mais contient en lui-même, de façon cachée, les semences de cette rédemption. Comme le notent souvent les maîtres hassidiques, les mots hébreux « גלות » (galout – « exil ») et « גאולה » (geoula – « rédemption ») sont composés des mêmes lettres, à l’exception du « א » (alef) présent uniquement dans « גאולה ». Le alef, qui représente l' »Un » divin (אלופו של עולם – Aloufo shel olam), est ce qui transforme l’exil en rédemption – non pas en le remplaçant, mais en révélant ce qui y était déjà contenu de façon latente.
La conclusion et son message profond
La Si’ha atteint son apogée avec l’interprétation du fait que le livre de l’Exode se termine par les mots « dans tous leurs voyages » :
« Après toutes les élévations du peuple juif – la libération d’Égypte, le don de la Torah, et la présence divine dans le Tabernacle – la Torah nous indique que, intérieurement, l’élévation avait déjà commencé lorsqu’ils étaient encore dans l’état de ‘ceux qui venaient en Égypte’. »
C’est ici que la boucle se referme : le livre de l’Exode commence par « Voici les noms des enfants d’Israël qui vinrent en Égypte » (ואלה שמות בני ישראל הבאים מצרימה) et se termine par « dans tous leurs voyages ». Le message est que même lorsque les enfants d’Israël « venaient en Égypte » – dans ce qui semblait être une descente dans l’obscurité de l’exil – cette descente elle-même était déjà, intérieurement, le début de leur élévation.
Applications à notre vie contemporaine
Cette compréhension a des implications profondes pour notre relation à notre propre histoire et à nos défis contemporains :
La valeur du présent : Chaque moment de notre vie, même ceux qui semblent être des « arrêts » ou des périodes de stagnation, ont une valeur intrinsèque et contribuent à notre voyage spirituel.
La réinterprétation des difficultés : Les moments difficiles de notre vie ne sont pas simplement des obstacles à surmonter, mais contiennent en eux-mêmes des étincelles de rédemption et de croissance.
L’unité de l’histoire juive : Toutes les périodes de l’histoire juive – même les plus sombres – sont des parties intégrales d’un seul « voyage » vers la rédemption finale.
L’espoir dans l’exil : Même dans les moments où nous nous sentons les plus éloignés de notre destination spirituelle, nous sommes déjà, d’une certaine façon, en train de voyager vers elle.
Conclusion : La transformation du regard
Cette Si’ha nous invite à une transformation radicale de notre regard sur notre propre existence et sur l’histoire juive. Elle nous enseigne à voir le mouvement dans l’immobilité apparente, la lumière dans l’obscurité, la rédemption dans l’exil.
En comprenant que même nos « arrêts » sont des « voyages », nous apprenons à reconnaître la valeur de chaque étape de notre parcours et à percevoir la présence divine même dans les lieux où elle semble la plus cachée.
Comme le Rabbi l’enseigne ailleurs, la véritable rédemption n’est pas seulement un événement futur, mais une façon de percevoir la réalité présente – en voyant comment, même dans l’exil, nous sommes déjà, d’une certaine manière, en train d’être rachetés.
Etude sur texte de la Si’ha
א. « בו יצאו ישראל מאפילה לאורה » A. « Où les enfants d’Israël sont sortis des ténèbres à la lumière »
סיומו וחותמו של ספר שמות הוא « בכל מסעיהם ». וכיון שתכנו של הספר הוא, כנאמר במדרש, « שבו יצאו ישראל מאפילה לאורה », מובן שענין זה מתבטא בעיקר במלים « בכל מסעיהם », כי « הכל הולך אחר החיתום ».
La conclusion et le sceau du livre de l’Exode est « dans tous leurs voyages ». Et puisque le contenu du livre est, comme le dit le Midrash, « où les enfants d’Israël sont sortis des ténèbres à la lumière », on comprend que ce sujet s’exprime principalement dans les mots « dans tous leurs voyages », car « tout suit la conclusion ».
יש להבין: מהו הקשר בין « בכל מסעיהם » לבין היציאה מאפילה לאורה?
Il convient de comprendre : quel est le lien entre « dans tous leurs voyages » et la sortie des ténèbres à la lumière ?
כן יש להבין את הנאמר במדרש שהוזכר לעיל: בתחילת הספר אין מסופר על יציאת בני ישראל מהגלות, אלא להיפך: « הבאים מצרימה », על ירידת בני ישראל לגלות. כיצד אפוא מגדיר המדרש את הספר כולו כספר שתכנו הוא « שבו יצאו ישראל מאפילה לאורה »?
De même, il faut comprendre ce qui est dit dans le Midrash mentionné précédemment : au début du livre, on ne raconte pas la sortie des enfants d’Israël de l’exil, mais au contraire : « Ceux qui viennent en Égypte », sur la descente des enfants d’Israël en exil. Comment donc le Midrash définit-il tout le livre comme un livre dont le contenu est « où les enfants d’Israël sont sortis des ténèbres à la lumière » ?
ב. « מסעיהם » – חניות עם כל המעלות B. « Leurs voyages » – des campements avec toutes les qualités
כדי להבין זאת יש להקדים ולהסביר את המשמעות הפשוטה של « בכל מסעיהם », כאשר כוונת המלה « מסעיהם » כאן אינה נסיעותיהם, אלא המקומות שבהם חנו, חניותיהם, והסבר הביטוי « מסעיהם » הוא כפירוש רש »י: « לפי שממקום החניה חזרו ונסעו, לכך נקראו כולן מסעות ».
Pour comprendre cela, il faut d’abord expliquer le sens simple de « dans tous leurs voyages », où le mot « leurs voyages » ici ne désigne pas leurs déplacements, mais les lieux où ils ont campé, leurs campements, et l’explication de l’expression « leurs voyages » est selon l’interprétation de Rachi : « parce que depuis le lieu du campement ils sont repartis et ont voyagé, c’est pourquoi tous sont appelés voyages ».
בכך אין מובן: על החניות שבמדבר אומרת הגמרא « כיון דכתיב ‘על פי ה’ יחנו ועל פי ה’ יסעו’, כמאן דקביע להו דמי » (=הן נחשבות כמקום של קבע). ואם כך, מדוע מכנה התורה את מקומות החניה בשם « מסעות », על שם ש »ממקום החניה חזרו ונסעו », כאשר חנייתם היתה באופן של « קבע »?
Cela n’est pas clair : concernant les campements dans le désert, la Guemara dit « puisqu’il est écrit ‘sur l’ordre de l’Éternel ils campent et sur l’ordre de l’Éternel ils partent’, c’est comme s’ils étaient fixés de manière permanente ». Si c’est le cas, pourquoi la Torah appelle-t-elle les lieux de campement du nom de « voyages », au motif que « depuis le lieu du campement ils sont repartis et ont voyagé », alors que leur campement était d’une nature « permanente » ?
הכרחי לומר, שהתורה מכנה את החניות בשם « מסעות », לא מפני שהיה חסרון כלשהו בחניות אלו, עקב היותן זמניות וכדומה, אלא להיפך, משום שכל חניה היוותה הכנה ל »מסע » שלאחריה, ולכן כללו החניות בתוכן גם את המעלה של ה »מסעות », בנוסף למעלה של חניה, שהיא באופן של « קבע ».
Il est nécessaire de dire que la Torah appelle les campements du nom de « voyages », non pas parce qu’il y avait un manque quelconque dans ces campements, du fait qu’ils étaient temporaires ou similaires, mais au contraire, parce que chaque campement constituait une préparation pour le « voyage » qui le suivait, et donc les campements incluaient en eux aussi la qualité des « voyages », en plus de la qualité du campement, qui est de nature « permanente ».
ג. כל דרגה היא המטרה C. Chaque niveau est l’objectif
ההסבר לכך הוא: כבר הוסבר פעמים רבות, שיהודים אינם אמצעי להשגת מטרה אחרת, אלא התכלית היא בהם עצמם, בשונה מהבריאה כולה, אשר היא עצמה אינה המטרה, אלא היא נוצרה « בשביל ישראל ובשביל התורה ».
L’explication à cela est : Il a déjà été expliqué plusieurs fois que les Juifs ne sont pas un moyen pour atteindre un autre objectif, mais que la finalité est en eux-mêmes, contrairement à toute la création, qui n’est pas elle-même l’objectif, mais a été créée « pour Israël et pour la Torah ».
מובן, שכך הוא גם לגבי העליות שבני ישראל עולים, כנאמר « ילכו מחיל אל חיל », כלומר: אמנם, כל דרגה היא הכנה לדרגה נעלית יותר, שיהודי יגיע אליה אחר כך, אך זאת, לא באופן שהדרגה הנמוכה יותר רק משרתת מטרה אחרת, אלא זוהי תכלית שלה:
On comprend que c’est aussi le cas concernant les élévations que les enfants d’Israël accomplissent, comme il est dit « ils vont de force en force », c’est-à-dire : certes, chaque niveau est une préparation pour un niveau plus élevé, auquel le Juif parviendra ensuite, mais cela, non pas de façon que le niveau inférieur serve uniquement un autre but, mais c’est sa propre finalité :
הבירור והזיכוך שפועלים ישראל בעולם, על ידי ניצול עניני העולם « לשם שמים », ואף על ידי הפיכת הדברים הגשמיים עצמם למצווה, הוא רק מכאן ולהבא. העולם כולו אכן נברא מלכתחילה רק כדי שישראל יהפכוהו לדירה לה’ יתברך, אך כיון שהעולם הוא רק אמצעי, כדלעיל, יוצא מכך, שהמצב והתקופה שבהם היה הדבר הגשמי לפני הבירור, מהווה הכנה בלבד לבירור, הכנה לדבר אחר.
La purification et le raffinement que les enfants d’Israël accomplissent dans le monde, en utilisant les aspects du monde « pour le nom du Ciel », et même en transformant les choses matérielles elles-mêmes en Mitsvot, ne se réalisent que désormais et à l’avenir. Le monde entier a effectivement été créé dès le début uniquement pour qu’Israël le transforme en une demeure pour l’Éternel, mais puisque le monde n’est qu’un moyen, comme mentionné précédemment, il en résulte que l’état et la période où l’objet matériel existait avant sa purification ne constituent qu’une préparation à la purification, une préparation à autre chose.
לעומת זאת בני ישראל, כיון שהם עצמם המטרה, הרי על ידי עלייתם « מחיל אל חיל », כאשר הדרגה הנמוכה מובילה לגבוהה יותר, מתממשת התכלית שלהם עצמם, כלומר, שהמצב הקודם עצמו מתעלה לדרגה הגבוהה יותר.
En revanche, les enfants d’Israël, puisqu’ils sont eux-mêmes l’objectif, par leur élévation « de force en force », lorsque le niveau inférieur conduit au niveau supérieur, leur propre finalité se réalise, c’est-à-dire que l’état précédent lui-même s’élève au niveau supérieur.
ד. החניות הן המסעות D. Les campements sont les voyages
זהו ההסבר לכך, שמקומות החניה של ישראל אינם כוללים רק את מעלתם העצמית, אלא גם את המעלה של ה »מסעות », כי על ידי כך ש »ממקום החניה חזרו ונסעו », הן עצמן התעלו לדרגת ה »מסעות ».
C’est l’explication au fait que les lieux de campement d’Israël ne comprennent pas seulement leur propre valeur, mais aussi la valeur des « voyages », car par le fait que « du lieu du campement ils sont repartis et ont voyagé », ils se sont eux-mêmes élevés au niveau des « voyages ».
ה. כל מסע – יציאה ממצרים E. Chaque voyage – une sortie d’Égypte
על הפסוק « אלה מסעי בני ישראל אשר יצאו מארץ מצרים », מבאר אדמו »ר הזקן, שהמלה « מסעי » היא בלשון רבים, שמשמעותה, שבכל אחד מ־מ »ב המסעות הם « יצאו מארץ מצרים », למרות שבגשמיות הם יצאו ממצרים מיד במסע הראשון, מרעמסס לסוכות – מפני שכל עוד לא הגיעו לירדן יריחו, עדיין היו בני ישראל בדרגה של « מצרים », מלשון מיצר וגבול, ובכל אחד מהמסעות היתה « יציאת מצרים ».
Sur le verset « Voici les voyages des enfants d’Israël qui sont sortis du pays d’Égypte », l’Admour Hazaken explique que le mot « voyages » est au pluriel, ce qui signifie que dans chacun des 42 voyages, ils « sont sortis du pays d’Égypte », bien que matériellement ils soient sortis d’Égypte immédiatement lors du premier voyage, de Ramsès à Souccot – parce que tant qu’ils n’étaient pas arrivés au Jourdain de Jéricho, les enfants d’Israël étaient encore au niveau de « l’Égypte », terme qui évoque l’étroitesse et la limitation, et dans chacun des voyages il y avait une « sortie d’Égypte ».
מכך מובן שההבדל בין « מסעות » לבין « חניות » דומה להבדל שבין גלות מצרים לבין יציאת מצרים:
De cela, on comprend que la différence entre « voyages » et « campements » est similaire à la différence entre l’exil d’Égypte et la sortie d’Égypte :
בזמן הנסיעות, שקירבו אותם, גם מבחינת המקום, לירדן יריחו, הם היו בתהליך של יציאה מ »מצרים » – גאולה. ובזמן החניות, כאשר התעכבו במקום אחד, ולא הלכו לכיוון ירדן יריחו, היה מצב של (זמנית) התמנעות מהיציאה ממצרים – ולכן מראה הדבר על גלות.
Pendant les déplacements, qui les rapprochaient, également du point de vue géographique, du Jourdain de Jéricho, ils étaient dans un processus de sortie de « l’Égypte » – la rédemption. Et pendant les campements, lorsqu’ils s’attardaient en un seul endroit et n’allaient pas en direction du Jourdain de Jéricho, c’était un état de suspension (temporaire) de la sortie d’Égypte – et donc cela indique un état d’exil.
ו. ענין הגאולה קיים בגלות עצמה F. L’aspect de la rédemption existe dans l’exil lui-même
מכך מובן, שכאשר התורה מגדירה את ה »חניות » בשם « מסעיהם », היא רומזת לכך, שהגאולה הקיימת גם בזמן החניה – אינה רק בכך שבכל רגע מתקרבים יותר לירדן יריחו, לגאולה וליציאה מן המדבר, אלא מצד החניה – הגלות – עצמה.
De cela, on comprend que lorsque la Torah définit les « campements » par le nom de « leurs voyages », elle fait allusion au fait que la rédemption qui existe aussi au temps du campement – n’est pas seulement dans le fait qu’à chaque instant on se rapproche davantage du Jourdain de Jéricho, de la rédemption et de la sortie du désert, mais du point de vue du campement – l’exil – lui-même.
מכיון שהתכלית של « גלינו מארצנו » היא למען הגילויים הנעלים שיתגלו בגאולה העתידה, שאי אפשר להשיגם באופן אחר, הרי למרות שלגבי הגלות עצמה ברור שזוהי רק הכנה לגאולה, כדבר המהווה הכנה לענין אחר, הרי – לגבי ישראל הרי ה »גלינו » עצמה היא בפנימיות ובהעלם ענין של גאולה, כדלעיל בסעיף ד’.
Puisque la finalité de « nous avons été exilés de notre terre » est pour les révélations sublimes qui se dévoileront dans la rédemption future, qu’il est impossible d’obtenir d’une autre manière, bien que concernant l’exil lui-même il soit clair que ce n’est qu’une préparation à la rédemption, comme une chose qui constitue une préparation pour autre chose, en ce qui concerne Israël, le « nous avons été exilés » lui-même est intérieurement et potentiellement un aspect de rédemption, comme expliqué précédemment dans la section D.
ז. ההתעלות כבר התחילה בזמן הירידה למצרים G. L’élévation a déjà commencé au moment de la descente en Égypte
לפי האמור לעיל יובן מדוע המלים « בכל מסעיהם » הן החותם והסיכום של ספר « ואלה שמות בני ישראל » – המופיע לאחר ספר בראשית, שבו מסופר על האבות:
Selon ce qui a été dit précédemment, on comprendra pourquoi les mots « dans tous leurs voyages » sont le sceau et la conclusion du livre « Et voici les noms des enfants d’Israël » – qui apparaît après le livre de la Genèse, où l’on raconte au sujet des patriarches :
האבות היו מעל לעולם (מלשון העלם), וכיון שהתכלית היא דירה לה’ בתחתונים, לכן « מעשה אבות » הוא רק « ריחות » ו »סימן » לבנים, שדווקא הם, הבנים, מימשו תכלית זו.
Les patriarches étaient au-dessus du monde (terme qui évoque le voilement), et puisque l’objectif est une demeure pour Dieu dans les mondes inférieurs, « les actions des patriarches » ne sont que des « parfums » et un « signe » pour les enfants, qui sont précisément ceux qui ont réalisé cet objectif.
וזהו המשך המאורעות המסופרים בספר שמות:
Et c’est la suite des événements racontés dans le livre de l’Exode :
בתחילת הספר מסופר על ירידה למטה: על בואם של « בני ישראל » למצרים ועל חושך הגלות. ולאחר מכן מסופר על המשכת אלקות למטה על ידי יציאת מצרים, ואחר כך – על ידי מתן תורה, ואחר כך – על ידי הקמת המשכן.
Au début du livre, on raconte une descente vers le bas : sur la venue des « enfants d’Israël » en Égypte et sur les ténèbres de l’exil. Et ensuite on raconte l’extension de la divinité vers le bas par la sortie d’Égypte, puis – par le don de la Torah, puis – par la construction du Tabernacle.
ולאחר שהתורה מספרת על המעלה הנעלית ביותר – « וכבוד ה’ מלא את המשכן », היא מדגישה מיד במלים « בכל מסעיהם », שגם « מקום חנייתם » נקרא « מסע », שהתעלות זו כבר התחילה בפנימיותה בתקופה של « הבאים מצרימה », כי גם התוכן שלהם הוא « שבו יצאו מאפילה לאורה ».
Et après que la Torah raconte sur la qualité la plus élevée – « et la gloire de Dieu remplit le Tabernacle », elle souligne immédiatement dans les mots « dans tous leurs voyages », que même « leur lieu de campement » est appelé « voyage », que cette élévation a déjà commencé dans son intériorité pendant la période des « venus en Égypte », car leur contenu aussi est « où ils sont sortis des ténèbres à la lumière ».
(משיחת ש »פ פקודי תש »ל. ועוד.)
(D’après une Si’ha du Chabbat Pekoudei 5730 [1970]. Et autres.)
À l’occasion de l’anniversaire de la Rebbetzin Haya Mouchka, Esther Sternberg, directrice de la Shabbos Candle Campaign et résidente de Crown Heights, partage ses souvenirs précieux sur cette femme d’exception. Ayant grandi dans l’entourage du Rabbi et de la Rebbetzin, elle nous offre un regard unique sur la Rebbetzin que si peu ont eu la chance de rencontrer. Un témoignage rare qui lève le voile sur l’héritage spirituel d’une femme qui a transformé des vies dans la discrétion.
Esther Sternberg a eu la grande chance de naître et de grandir à Crown Heights. Son père, le Rav Shneur Zalman Gourary, était proche du cinquième Rabbi de Loubavitch, Rabbi Chalom Dovber, ainsi que du Rabbi précédent, Rabbi Yossef Itshak Schneersohn, dès le moment où il est devenu Rabbi en 1920. Il entretenait également des liens étroits avec le Rabbi Menahem Mendel Schneerson dès son accession à cette fonction en 1951.
De la timidité au leadership
Fille d’une famille hassidique de septième génération, Esther Sternberg se décrit comme une enfant extrêmement timide et insécure. « C’est difficile de m’imaginer ainsi maintenant, » confie-t-elle, « mais je veux montrer à quel point le Rabbi a complètement transformé ma vie. »
Issue d’une lignée de fidèles Chabad remontant au premier Rabbi de Loubavitch, Esther grandissait dans un foyer où tout tournait autour des enseignements et des souhaits du Rabbi. Pourtant, malgré cet environnement stimulant, elle souffrait d’un manque de confiance en elle, se sentant toujours dans l’ombre de son frère aîné qu’elle considérait comme brillant.
À 16 ans et demi, après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires plus tôt que prévu, son père organisa pour elle un voyage d’études en Israël. Avant son départ, lors d’une audience avec le Rabbi pour recevoir sa bénédiction, celui-ci lui demanda de modifier son itinéraire pour passer par la France. « Je veux que vous soyez mon émissaire à l’école de Brunoy, près de Paris, » lui dit-il, la chargeant de partager l’expérience de la communauté new-yorkaise avec les filles là-bas.
Cette demande semblait insurmontable pour la jeune fille timide. Comment pourrait-elle, avec son hébreu limité, communiquer avec des filles qui parlaient français et hébreu avec l’accent israélien ? Comment pourrait-elle représenter le Rabbi et parler devant des groupes, elle qui était si réservée ? Pourtant, le fait que le Rabbi l’ait choisie personnellement lui donna le courage d’accepter cette mission.
À son arrivée en France, elle fut accueillie par plus de 200 filles avec tant d’enthousiasme qu’elle fut submergée. « Je devais parler en hébreu, une langue que je maîtrisais à peine, » se souvient-elle. « Je me suis cassé les dents pour le parler, mais elles me comprenaient malgré toutes mes erreurs. » Les nuits entières passées à discuter avec ces jeunes filles avides d’en savoir plus sur la communauté du Rabbi améliorèrent rapidement son hébreu et, plus important encore, transformèrent sa personnalité.
« En étant l’émissaire du Rabbi et en passant du temps avec ces filles qui me voyaient comme quelqu’un d’important, j’ai perdu ma peur et mon insécurité. » Cette première mission fut le catalyseur d’une métamorphose profonde. La jeune fille timide commençait à se muer en une femme confiante, capable d’inspirer et de diriger les autres.
À son retour, le Rabbi continua de lui témoigner une confiance particulière, l’invitant personnellement à des événements généralement réservés aux hommes. Lors d’une distribution de gâteau au miel avant Yom Kippour, traditionnellement réservée aux chefs de famille masculins, le Rabbi insista pour qu’Esther vienne elle-même recevoir sa part. « J’ai dit que vous devriez venir vous-même, » lui dit-il avec un sourire chaleureux.
Ce geste de reconnaissance l’éleva à un statut différent et la motiva profondément. Elle commença à prendre l’initiative, organisant des groupes pour réaliser les missions suggérées par le Rabbi lors de ses discours publics. Si le Rabbi mentionnait l’importance d’aider les autres à allumer les bougies de Hanoukka, Esther mobilisait immédiatement des volontaires, insistant : « Nous devons le faire, le Rabbi le souhaite. »
Après son mariage, elle assuma immédiatement un rôle de leadership dans l’organisation des femmes, malgré son jeune âge. Le groupe était très diversifié, mais Esther, désormais animée par une confiance inébranlable, le dirigeait avec une vision claire, toujours guidée par les enseignements du Rabbi. Cette transformation radicale – de la timidité extrême au leadership affirmé – témoigne de l’influence profonde que le Rabbi pouvait avoir sur ceux qui l’entouraient, reconnaissant et cultivant des potentiels que les individus eux-mêmes ne soupçonnaient pas.
Une relation privilégiée avec la Rebbetzin
La famille d’Esther entretenait des liens étroits avec celle du Rabbi depuis des générations. « La Rebbetzin connaissait mon père depuis son enfance en Russie, » explique-t-elle. Cette proximité historique remontait à l’époque où le cinquième Rabbi vivait à Rostov, en Russie, où le père d’Esther avait grandi. Par ailleurs, la mère de son père était une amie proche de l’épouse du cinquième Rabbi, créant ainsi des liens familiaux qui transcendaient les simples relations communautaires.
Un cousin au premier degré du père d’Esther était même marié à la sœur aînée de la Rebbetzin, renforçant encore ces connections. À l’époque en Russie, de tels liens matrimoniaux créaient une sorte de cousinage étendu, rapprochant les familles comme si elles partageaient effectivement du sang.
Grâce à ces relations historiques, la Rebbetzin s’intéressait toujours vivement à la famille d’Esther, demandant régulièrement des nouvelles des enfants et de leurs activités. Elle portait une attention particulière à Esther, fille unique avec deux frères, sachant à quel point son père était fier d’elle.
Un épisode particulièrement marquant fut lorsque la Rebbetzin la choisit pour perpétuer certaines traditions matrimoniales de la famille du Rabbi. Alors qu’Esther se préparait à se marier, la Rebbetzin contacta ses parents, exprimant son souhait de lui transmettre certaines coutumes qu’elle avait elle-même observées et qui venaient des foyers des Rebbes précédents.
« Elle nous a convoqués, mes parents et moi, pour une réunion où elle m’a expliqué ces traditions, » raconte Esther. Le lendemain, dans un geste d’une intimité rare, la Rebbetzin invita la jeune fille seule chez elle pour lui montrer son album de mariage. « Je me souviens d’avoir été seule avec elle dans sa maison. J’étais tellement impressionnée d’être dans la maison du Rabbi sans mes parents. Mais elle était si gracieuse et si douce. »
La Rebbetzin lui montra ses trois robes de mariage différentes qu’elle avait portées lors de différentes parties de son mariage en Pologne : une robe en dentelle bleu clair pour la réception initiale, une en dentelle argentée pour la réception après la cérémonie, et une troisième en dentelle beige profond pour le repas qui commençait à minuit dans un grand hôtel du centre-ville. Elle expliqua également que son père ne lui avait pas permis de porter une robe blanche, car à cette époque, c’était une couleur portée par les non-juifs pour les mariages.
Puis, regardant Esther avec attention, la Rebbetzin fit une suggestion qui allait devenir une tradition familiale : « Je pense que vous seriez magnifique en rose glacé. » C’est ainsi qu’Esther se maria en rose, une couleur inhabituelle pour une mariée, mais qui créa une tradition que ses quatre filles poursuivirent également.
Lorsqu’on lui demande pourquoi elle pense avoir été choisie pour cet honneur parmi toutes les jeunes filles de Crown Heights, Esther répond humblement : « Je n’ai pas de réponse. Peut-être cherchait-elle une famille qui voudrait maintenir ces traditions, et elle savait que mon père le ferait. Si elle demandait quelque chose, nous le ferions. Nous l’avons fait, et nous continuons à le faire, et nos enfants suivent, et nos petits-enfants suivent. »
Cette transmission des traditions, ce lien spécial entre la Rebbetzin et Esther illustre comment, dans un monde en constante évolution, certaines coutumes et valeurs peuvent être préservées grâce à des relations personnelles significatives et à un choix délibéré de perpétuer un héritage culturel et spirituel.
Leçons de discrétion et d’humilité
La Rebbetzin était connue pour son extraordinaire humilité. « Elle était une femme qui ne voulait pas d’attention, » souligne Esther. « Elle était très simple dans sa propre vie et ne voulait pas d’adulation. C’est pourquoi si peu de gens l’ont jamais rencontrée. »
Bien qu’elle fût consciente de l’immense respect dont elle faisait l’objet en tant qu’épouse du Rabbi, figure centrale de la communauté Chabad mondiale, la Rebbetzin Haya Mouchka fuyait délibérément les projecteurs. Elle préférait rester chez elle ou se tenir dans les coulisses lors des événements, évitant d’être vue pour ne pas attirer l’attention et les hommages qu’elle savait qu’on lui rendrait.
« Elle savait que nous aurions fait n’importe quoi pour elle, nous nous serions agenouillés pour cirer ses chaussures, et pourtant elle n’aurait jamais voulu rien de tout cela, » explique Esther. Cette humilité authentique n’était pas feinte ou calculée, mais reflétait une profonde conviction que le service aux autres et le soutien à la mission de son mari étaient bien plus importants que toute reconnaissance personnelle.
Une anecdote révélatrice concerne un médecin de Floride, le Dr Schuster, qui apporta un panier de fruits exotiques en cadeau. Ce chirurgien plasticien, passionné par son jardin de fruits rares, était connu du Rabbi qui lui donnait toujours un dollar supplémentaire pour son jardin lors des distributions dominicales. Souhaitant exprimer sa gratitude, il décida d’apporter des fruits de son jardin au couple.
Lorsqu’il sonna à la porte, la Rebbetzin lui ouvrit et se présenta simplement comme « la femme de ménage. » Loin d’être offensée qu’il puisse la confondre avec le personnel de maison, elle saisit cette opportunité pour le mettre à l’aise. Elle l’invita à entrer et passa un long moment à discuter avec lui, lui posant des questions sur sa famille et écoutant attentivement sa suggestion d’inviter le couple en Floride, où ils pourraient profiter de la tranquillité de sa propriété entourée d’arbres.
Ce n’est qu’après son départ, lorsqu’il demanda à un voisin où ils avaient trouvé « une femme de ménage si charmante, » qu’il apprit la véritable identité de son hôtesse. Le hassid lui expliqua alors avec un sourire : « Oui, elle entretient la maison du Rabbi, elle est la femme de ménage. » La Rebbetzin avait délibérément choisi de ne pas révéler qui elle était, sachant que cela aurait intimidé son visiteur et l’aurait empêché de s’exprimer librement.
Cette approche réfléchie caractérisait également sa façon de rencontrer les futurs gendres d’Esther. Avant de recevoir chacun d’eux pour une bénédiction de mariage, la Rebbetzin demandait toujours un délai de deux semaines. Esther ne comprenait pas pourquoi jusqu’à ce qu’elle réalise que ce temps permettait à la Rebbetzin de se renseigner sur le jeune homme et sa famille.
« Elle s’adressait d’abord au marié parce qu’elle voulait le mettre à l’aise, » explique Esther. « Pour mon premier gendre, elle a immédiatement commencé à parler de son grand-père, disant ‘Je connaissais le père de votre grand-père.’ Elle avait fait des recherches pour pouvoir entamer une conversation qui le mettrait en confiance. » Une fois le jeune homme détendu, la Rebbetzin pouvait alors les inclure tous dans la conversation, partageant thé, gâteaux et fruits dans une atmosphère conviviale.
Cette capacité à anticiper l’inconfort des autres et à prendre des mesures discrètes pour les mettre à l’aise révèle une intelligence émotionnelle et une considération pour autrui qui dépassent largement les simples conventions sociales. La Rebbetzin ne se contentait pas d’être humble ; elle utilisait activement sa position pour faciliter les interactions, préférant toujours l’authenticité des relations à la reconnaissance de son statut.
L’appel inattendu
Un dimanche matin, environ 20 minutes après 8 heures, la Rebbetzin appela Esther Sternberg avec une requête inhabituelle : « Je suis vraiment désolée de vous déranger. Je dois faire quelque chose qui va complètement à l’encontre de ma nature, mais je n’ai pas le choix. » L’infirmière qui devait venir s’occuper d’elle ne s’était pas présentée, et bien qu’elle puisse se débrouiller seule avec son déambulateur, son mari, le Rabbi, refusait de la laisser pour aller à son bureau. « Je ne peux pas accepter qu’il reste ici à cause de moi. Sa place est dans son bureau, il a des responsabilités envers les autres, » expliqua-t-elle, révélant ainsi la profondeur de leur dévouement mutuel.
Cette situation, en apparence anodine, illustre parfaitement la dynamique du couple : d’un côté, le Rabbi, leader spirituel de milliers de personnes, prêt à mettre de côté ses responsabilités communautaires pour prendre soin de son épouse ; de l’autre, la Rebbetzin, si consciente de l’importance de la mission de son mari qu’elle préférait solliciter de l’aide extérieure plutôt que de le « retenir » à la maison. Cette anecdote révèle la considération profonde qu’ils avaient l’un pour l’autre, chacun plaçant le bien-être et les responsabilités de l’autre avant les siennes.
Face à ce dilemme, Esther parvint à trouver une infirmière en lui envoyant une limousine, permettant ainsi au Rabbi de rejoindre son bureau au 770 Eastern Parkway, siège mondial du mouvement Chabad-Loubavitch, où tant de personnes attendaient ses conseils et sa direction spirituelle.
L’abnégation dans la maladie
Lorsqu’elle développa un grave problème à l’œil nécessitant une intervention médicale, la Rebbetzin confia au père d’Esther, qui était chargé de s’occuper de ses besoins médicaux, une exigence inattendue : « Je ne veux pas que mon mari sache que je souffre. »
Cette demande plaçait le père d’Esther dans une position impossible. D’un côté, la Rebbetzin refusait catégoriquement d’inquiéter son mari avec ses problèmes de santé, préférant souffrir en silence plutôt que de lui causer du souci. De l’autre, il se trouvait face à une décision médicale cruciale – choisir entre deux procédures chirurgicales pour l’œil, chacune comportant ses propres risques.
« Mais Rebbetzin, » plaida-t-il, « tout le monde dans le monde vient demander à votre mari les meilleurs conseils sur ce qu’ils devraient faire, et ils écoutent ses conseils. Ne pensez-vous pas que nous devrions obtenir les meilleurs conseils ? » La Rebbetzin resta inflexible : « Je ne veux pas qu’il sache que je souffre. »
Face à cette impasse – incapable de prendre une telle décision sans consulter le Rabbi, mais ne pouvant trahir la confiance de la Rebbetzin – le père d’Esther rentra chez lui profondément troublé. Après une longue réflexion, il prit une décision. Se vêtant formellement comme le ferait un hassid pour écrire au Rabbi, il rédigea une lettre expliquant son dilemme : « Rabbi, j’ai un problème que je ne sais pas comment résoudre. Votre femme a un problème avec son œil et elle ne veut pas que vous le sachiez. Elle veut que je décide quel traitement faire, et je ne peux rien faire sans votre conseil. S’il vous plaît, dites-moi quoi faire. »
La réponse du Rabbi fut aussi rapide que discrète : elle n’avait pas besoin de savoir que le Rabbi était impliqué. Le père d’Esther devait simplement décrire les deux procédures, et le Rabbi indiquerait laquelle choisir. C’est ainsi que fut prise la décision médicale, sans que la Rebbetzin ne sache jamais que son mari avait été consulté. Par une heureuse coïncidence, la procédure choisie ne nécessitait même pas de bandage, permettant à la Rebbetzin de rentrer chez elle sans aucun signe visible de son intervention.
Cette histoire extraordinaire de double protection – chacun des époux cherchant à épargner à l’autre tout souci ou souffrance – illustre une dimension de l’amour conjugal rarement mise en lumière : non pas seulement le dévouement l’un envers l’autre, mais la volonté d’assumer seul sa propre souffrance pour préserver l’autre.
Un autre épisode révélateur survint lorsque la Rebbetzin se cassa la hanche en 1983. En raison d’autres conditions médicales, elle ne pouvait subir de remplacement de la hanche et devait endurer une guérison naturelle qui prendrait environ deux ans. Pendant son hospitalisation, elle fit une demande qui stupéfia son infirmière.
Alors que le Rabbi devait lui rendre visite tard dans la soirée, la Rebbetzin, malgré d’intenses douleurs, demanda : « Pourriez-vous trouver quelqu’un qui a du maquillage ? Je pense que je suis très pâle et je ne veux pas que mon mari voie à quel point je suis pâle. Pourriez-vous me maquiller et me mettre du rouge à lèvres pour que j’aie l’air mieux ? Je ne veux pas que mon mari me voie souffrir. »
L’infirmière, émue aux larmes, confia à Esther : « Je n’ai jamais rien vu de pareil. Habituellement, quand un visiteur arrive, le patient se met à pleurer : ‘Oh, j’ai tellement mal, c’est si difficile’, et cette femme veut faire semblant d’être dans un spa. » Cette abnégation totale – se préoccuper de l’apparence qu’elle offrirait à son mari alors qu’elle souffrait intensément – témoigne d’une force de caractère et d’un amour transcendant les considérations personnelles.
Ces histoires illustrent comment, dans l’intimité de la maladie, la Rebbetzin maintenait les mêmes valeurs d’abnégation et de considération pour les autres qui caractérisaient sa vie publique. Sa souffrance personnelle n’était jamais une excuse pour relâcher ses standards élevés de comportement ou pour solliciter l’attention. Au contraire, c’était dans ces moments de vulnérabilité que sa grandeur d’âme se manifestait le plus clairement.
Des actes de charité dans l’ombre
« Elle avait cette petite organisation secrète, » raconte Esther. « Quand elle entendait qu’une famille avait perdu son emploi ou un appartement, elle appelait des personnes proches pour trouver de l’aide, sans jamais révéler son implication. »
La charité de la Rebbetzin n’était pas seulement anonyme – elle était délibérément dissimulée, y compris aux bénéficiaires eux-mêmes. Elle ne voulait pas que les personnes recevant de l’aide sachent que l’initiative venait d’elle. Cette forme de charité, que la tradition juive considère comme particulièrement méritoire, reflète une préoccupation authentique pour le bien-être d’autrui sans aucune attente de reconnaissance ou de gratitude.
Son réseau informel d’entraide fonctionnait grâce à des intermédiaires de confiance qui pouvaient identifier des besoins spécifiques et y répondre discrètement. Si elle apprenait qu’un homme avait perdu son emploi de comptable, elle contactait ses connaissances pour voir si quelqu’un pouvait lui offrir un poste, tout en veillant à ce que sa participation reste invisible. Cette approche préservait la dignité des bénéficiaires tout en répondant efficacement à leurs besoins concrets.
Le père d’Esther lui raconta également un épisode remontant à la jeunesse de la Rebbetzin, illustrant que cette disposition à aider discrètement était profondément ancrée dans sa personnalité. Lorsqu’elle était une jeune fille vivant à Rostov pendant une période de famine après la Révolution russe, elle avait appris qu’une yeshiva voisine manquait cruellement de nourriture. Bien que ce ne fût pas une institution Chabad, elle commença à y apporter secrètement de la nourriture.
« Ils ne savaient jamais qui apportait cette nourriture, » explique Esther, « mais elle se sentait mal qu’ils n’aient pas assez à manger. » Cet acte de générosité interconfessionnelle, à une époque où les tensions et les privations auraient pu justifier de se concentrer uniquement sur sa propre communauté, témoigne d’une compassion universelle qui dépassait les clivages habituels.
La discrétion avec laquelle la Rebbetzin pratiquait la charité n’était pas simplement une préférence personnelle pour l’anonymat, mais reflétait une compréhension profonde de la dignité humaine. Elle savait que recevoir de l’aide peut être humiliant, et que cette humiliation est amplifiée lorsque le donateur est une personnalité éminente. En effaçant sa participation, elle permettait aux bénéficiaires de recevoir l’aide nécessaire sans le poids psychologique d’une dette envers « la femme du Rabbi. »
Cette approche de la charité, motivée par une authentique préoccupation pour le bien-être matériel et émotionnel des autres, représente un modèle de générosité qui transcende la simple philanthropie. Il ne s’agit pas seulement de donner, mais de donner d’une manière qui préserve et renforce l’intégrité du bénéficiaire – un principe que la Rebbetzin mettait en pratique dans chacune de ses interactions.
L’héritage spirituel
Après le décès de la Rebbetzin le 22 Shevat 5748 (10 février 1988), le Rabbi parla souvent de sa grandeur et demanda aux fidèles de l’imiter. « Si nous ne l’avions pas déjà su, le Rabbi nous a dit à quel point elle était grande, » note Esther. « Il nous a demandé que nous fassions des choses en son mérite et nous a dit que les vivants devraient prendre à cœur, que nous devrions penser à elle et essayer de l’imiter. »
Trois jours seulement après son décès, le Rabbi demanda publiquement la création d’institutions, d’écoles et de fonds en mémoire de son épouse. La communauté répondit avec un élan remarquable, la première initiative étant une association de prêt sans intérêt nommée « Keren ChaMeSh » (Fonds ChaMeSh), acronyme formé des initiales de son nom complet – Haya Mouchka Schneerson.
Commentant ce nom, le Rabbi fit une observation significative : habituellement, lorsqu’on nomme quelque chose en mémoire d’une personne décédée, on utilise uniquement le prénom, car c’est ce qui résonne véritablement avec l’âme. Le nom de famille change souvent, particulièrement pour une femme qui adopte celui de son mari. Pourtant, dans ce cas, le Rabbi insista pour inclure la lettre « Shin » de Schneerson dans l’acronyme, expliquant : « Dans son cas, son nom est Schneerson parce qu’elle est la descendante directe du premier Rabbi de Loubavitch, qui s’appelait Schneur Zalman. »
Cette reconnaissance de l’héritage familial de la Rebbetzin souligne l’importance de la continuité dynastique dans le mouvement Chabad, tout en reconnaissant sa place unique dans cette lignée – non pas simplement comme épouse du septième Rabbi, mais comme descendante directe du fondateur.
Trente-trois jours après son décès, à l’occasion de ce qui aurait été son 87e anniversaire, le Rabbi lança une initiative particulièrement significative : une campagne pour célébrer les anniversaires juifs selon la tradition. Il expliqua que « c’est comme un Rosh Hashanah pour chacun individuellement » – tout comme le Nouvel An juif est un moment d’introspection et de résolutions pour la communauté entière, l’anniversaire personnel est une opportunité de réflexion et de renouvellement individuel.
Le Rabbi détailla plusieurs coutumes à observer lors des anniversaires : organiser un rassemblement joyeux avec amis et famille, recevoir leurs bénédictions et en donner à son tour. « Car on nous dit que le jour de l’anniversaire, notre chance, notre mazal, est rehaussé ce jour-là, et nous avons le pouvoir de demander à Dieu de bons vœux, et nous avons le pouvoir de bénir d’autres personnes. »
Cette initiative illustre comment le Rabbi transformait son deuil personnel en une occasion d’enrichissement spirituel pour la communauté entière. Au lieu de garder le souvenir de son épouse dans la sphère privée, il créa des mécanismes permettant à chacun de s’inspirer de son exemple et de commémorer sa mémoire à travers des pratiques significatives.
L’impact de la Rebbetzin sur la communauté se manifesta également dans la popularité de son nom. Après son décès, de nombreux parents nommèrent leurs filles Haya Mouchka, ou adoptèrent des dérivés comme Chaya ou Mushka, souvent combinés avec d’autres prénoms (Esther Mushka, Rivka Mushka, etc.) lorsque les conventions familiales empêchaient l’utilisation du nom complet. « Tout le monde voulait ce nom parce qu’elle était si spéciale, » observe Esther.
Ce phénomène de commémoration nominative, courant dans la tradition juive ashkénaze qui nomme les enfants d’après des proches décédés, prit une dimension communautaire exceptionnelle, transformant la Rebbetzin en une sorte de matriarche spirituelle dont le nom était un héritage précieux à transmettre aux générations futures.
Une sensibilité extraordinaire
Une autre histoire touchante survint lorsqu’Esther eut son premier fils. Son père, qui était extrêmement proche d’elle, devait se rendre en Israël en mission pour le Rabbi justement à ce moment critique. Il avait été chargé d’apporter une couronne en or qu’il avait fait confectionner pour un rouleau de la Torah spécial dédié aux enfants.
Le père d’Esther était profondément partagé, ne voulant pas laisser sa fille seule pour sa première césarienne, mais sachant qu’il ne pouvait refuser la mission confiée par le Rabbi. Il dut avoir partagé ce dilemme avec la Rebbetzin lors d’une de leurs conversations quotidiennes.
Dès qu’Esther eut accouché, la Rebbetzin fut informée et prit immédiatement les choses en main. Elle appela au domicile d’Esther pour s’assurer que les autres enfants étaient bien pris en charge, donnant à sa fille aînée des conseils pratiques pour s’occuper des plus jeunes. Puis elle appela Esther à l’hôpital, non pas une fois mais deux fois par jour, pour prendre de ses nouvelles, s’enquérir du comportement des infirmières et de son bien-être général.
« Elle me traitait comme si elle était ma mère, » se souvient Esther avec émotion. « J’ai compris qu’elle se sentait responsable parce que mon père n’était pas là, ma mère n’était pas là, et elle se sentait concernée. »
Mais le geste le plus extraordinaire survint le troisième jour après la naissance. Ce jour-là correspondait au 20 Av, anniversaire de la mort du père du Rabbi, date à laquelle celui-ci donnait traditionnellement un long discours (farbrengen) à la communauté. Ces allocutions, qui duraient plusieurs heures, étaient retransmises par téléphone pour ceux qui ne pouvaient être présents.
La Rebbetzin appela Esther pour s’assurer qu’elle pourrait écouter le discours. Apprenant qu’Esther avait accès à cette retransmission téléphonique, elle fit une suggestion inattendue : « Je veux vous suggérer de prendre votre bébé dans votre lit et de mettre le téléphone entre votre oreille et l’oreille du bébé. »
Esther fut stupéfaite. L’idée qu’un nourrisson de trois jours puisse bénéficier d’un discours en yiddish parsemé d’hébreu, traitant de concepts religieux profonds que même les adultes peinaient à comprendre, semblait complètement irréaliste. Pourtant, la Rebbetzin insista : « Oui, c’est très important. Même un nouveau-né devrait entendre le Rabbi, même un nouveau-né devrait apprendre ces leçons. »
Cette conviction que même les plus jeunes enfants peuvent et doivent être exposés aux enseignements spirituels les plus élevés – bien avant qu’ils ne puissent les comprendre intellectuellement – témoigne d’une vision profonde du développement humain et de l’éducation spirituelle. La Rebbetzin semblait croire que certaines vérités peuvent être absorbées à un niveau qui transcende la compréhension rationnelle, particulièrement dans les premiers stades de la vie.
« Je dois vous dire que j’étais sous le choc à ce moment-là, mais je l’ai fait, » confie Esther. « Dieu merci, ma fille, qui était le bébé à l’époque, est devenue une femme merveilleuse et est l’une des émissaires en Europe. » Sans établir explicitement une causalité, Esther suggère qu’il pourrait y avoir un lien entre cette exposition précoce aux enseignements du Rabbi et le parcours spirituel ultérieur de sa fille.
Ces histoires illustrent comment la sensibilité de la Rebbetzin s’étendait bien au-delà des simples convenances sociales. Elle était profondément attentive aux états émotionnels des autres – qu’il s’agisse de l’embarras d’une adolescente, de l’anxiété d’une jeune mère, ou même des besoins spirituels d’un nouveau-né. Cette capacité à percevoir les besoins non exprimés et à y répondre avec délicatesse caractérise une intelligence émotionnelle et une empathie exceptionnelles.
L’héritage d’une vie exemplaire
En conclusion, Esther Sternberg partage ce qu’elle espère que les gens retiendront de ces histoires : « Nous pouvons apprendre d’elle à être moins ostentatoires dans nos vies, à donner discrètement, et à être dévoués aux bonnes valeurs. Dans un monde où être juif est plus important que jamais, nous devrions mettre toute notre force à soutenir les institutions qui préservent notre héritage. »
L’exemple de la Rebbetzin offre un modèle particulièrement pertinent pour notre époque dominée par les médias sociaux et la mise en scène permanente de soi. À contre-courant de cette tendance, elle incarnait l’idéal d’une vie de service discret et d’accomplissement silencieux. Son influence s’exerçait non pas à travers des déclarations publiques ou des postures médiatiques, mais à travers des interactions personnelles authentiques et des actes de bonté souvent invisibles pour tous sauf leurs bénéficiaires directs.
La Rebbetzin vivait selon le principe talmudique qui valorise « celui qui fait le bien en secret », considérant que la vraie vertu réside dans les actions accomplies sans recherche de reconnaissance. Cette discrétion n’était pas motivée par la timidité ou l’insécurité, mais par une humilité authentique et une compréhension profonde que la valeur d’une action réside dans l’acte lui-même, et non dans l’approbation qu’il suscite.
Son dévouement envers les « bonnes valeurs » se manifestait dans sa loyauté indéfectible envers la mission de son mari, son soutien aux émissaires Chabad partant dans des contrées lointaines pour répandre le judaïsme, et sa préoccupation constante pour le bien-être matériel et spirituel de la communauté. Elle incarnait l’idéal hassidique d’un service divin joyeux mais profond, où chaque interaction humaine est vue comme une opportunité de sanctification.
Dans un monde de plus en plus polarisé et fragmenté, la Rebbetzin représente un exemple de cohérence intérieure et d’intégrité. Ses valeurs et principes ne vacillaient pas selon les circonstances ou les audiences – qu’elle interagisse avec un médecin éminent, une jeune mariée anxieuse, ou les émissaires partant établir des centres Chabad dans des endroits reculés, elle manifestait la même considération authentique et le même souci du bien-être d’autrui.
Son héritage perdure non seulement dans les institutions formelles portant son nom, mais aussi dans les innombrables vies qu’elle a touchées directement et indirectement. Des femmes comme Esther Sternberg, transformées par son exemple, ont à leur tour influencé d’autres personnes, créant un effet d’ondulation qui continue de se propager longtemps après son départ physique.
Comme l’a souligné le Rabbi lui-même dans ses enseignements après son décès, la Rebbetzin n’est pas simplement un souvenir à honorer, mais un modèle vivant à étudier et à imiter. Les qualités qu’elle incarnait – humilité, discrétion, sensibilité aux autres, dévouement aux valeurs et principes – restent des vertus intemporelles qui peuvent enrichir toute vie, indépendamment de l’affiliation religieuse ou culturelle.
L’invitation d’Esther Sternberg à s’inspirer de la Rebbetzin résonne avec une urgence particulière à notre époque où l’authenticité devient de plus en plus rare. Dans un monde obsédé par l’image et la perception, l’exemple d’une vie consacrée à l’être plutôt qu’au paraître offre un correctif puissant et nécessaire. L’héritage de la Rebbetzin Haya Mouchka n’est pas figé dans le passé, mais demeure une source d’inspiration dynamique pour quiconque aspire à vivre avec intégrité, compassion et véritable grandeur d’âme.
Le samedi soir de la Paracha Ki-Tisa, qui coïncidait cette année avec Pourim Meshoulash, s’est tenue pour la vingt-quatrième fois la grande Melave Malka au profit de Keren Haya Mouchka.
Le dîner marque l’expansion significative du Gma’h qui sert les rabbins, les Chlou’him et les membres de leurs communautés dans tous les pays de l’ex-URSS. Avec un mot gentil, un sourire ou quelques conseils, les bénévoles du Gma’h sont présents chaque jour de l’année pour les autres.
Cette année, l’événement s’est déroulé au tout nouveau Centre communautaire juif récemment ouvert dans la banlieue moscovite de Mitischi. Les invités ont été impressionnés par ce bâtiment à la pointe de la technologie, conçu de manière unique en forme de Tefiline, et qui comprend tout le nécessaire pour la vie communautaire juive. Tous ont été chaleureusement accueillis à l’entrée par le président de la communauté, M. Barouh Benzion Gurovich et le Rav Reuven Kuravsky.
La soirée a débuté par la Havdala récitée par le Rav Yaakov HaLevi Klein, Chalia’h du quartier Arbat de Moscou. Le dîner a été habilement animé par M. Igor Odintsov, personnalité culturelle juive reconnue qui a offert son expertise pour cet important événement.
Selon la tradition annuelle, le discours principal a été prononcé par le Grand Rabbin de Russie, Rav Berel Lazar, qui a évoqué les différences halakhiques entre la tsedaka et les prêts sans intérêts. Il a également mentionné que cette année marque le 28ème yortseit de sa fille aînée Haya Mouchka o.b.m, en mémoire pure de laquelle le Gma’h a été fondé il y a vingt-quatre ans, et qui depuis lors s’est considérablement développé et étendu.
Les invités ont assisté à une présentation émouvante basée sur ce que le Talmud décrit comme trois qualités fondamentales présentes chez chaque Juif : rahmanim (miséricordieux), bayshanim (modestes) et gomlei hassadim (pratiquant la bonté).
L’intermède musical a été présenté par la chorale « Hashira Haasirit » du Heder Menahem, dirigée par l’éducateur Rav Menahem Mendel Markowitz, avec les élèves Chlou’him Itzik Lifshitz au clavier et Hillel Tzadik à la batterie.
D’élégants cadeaux ont été offerts aux généreux donateurs et bienfaiteurs qui se sont engagés à poursuivre leur soutien pour l’année à venir, et un certificat spécial de reconnaissance a été présenté à M. Barouh Benzion Gurevitch qui a accueilli l’événement.
À la fin de la Melave malka, l’estimé Rav Itshak HaKohen Kogan de la synagogue Bolshaya Bronnaya a eu l’honneur de réciter le birkat hamazon.
Des remerciements particuliers ont été adressés au Centre de bienfaisance juif Shaarei Tzedek, dans le bâtiment duquel le Gma’h opère, aux côtés d’une multitude d’autres projets d’aide et d’assistance pour les personnes âgées, les malades, les indigents et les familles nombreuses. Ce centre, fondé par le Grand Rabbin de Russie, est aujourd’hui le plus important du genre dans ce vaste pays.
Lois relatives à la bénédiction des Cohanim : Chapitre Quatorze
Moments de la bénédiction – La bénédiction des Cohanim est récitée à la prière du matin, de Moussaf et de Néila, mais non à la prière de l’après-midi, car les Cohanim pourraient avoir consommé du vin. Ce décret s’applique même aux jours de jeûne où l’ivresse n’est pas à craindre.
Exceptions pour certains jeûnes – Pour les jeûnes sans prière de Néila comme le 9 Av et le 17 Tamouz, la bénédiction est récitée à Min’ha car cette prière a lieu près du coucher du soleil et ressemble à Néila. Si un Cohen transgresse et monte à l’estrade à Min’ha de Kippour, on ne le fait pas descendre pour éviter tout soupçon.
Déroulement de la bénédiction – À la bénédiction d’Avoda, les Cohanim montent sur l’estrade, face à l’arche, doigts repliés. Après la bénédiction de reconnaissance, ils se tournent vers l’assemblée, étendent leurs doigts à hauteur des épaules et commencent la bénédiction. L’officiant leur dicte chaque mot et l’assemblée répond « Amen » après chaque verset.
Conclusion de la bénédiction – Après les trois versets, l’officiant commence la bénédiction « Donne la paix ». Les Cohanim se tournent alors vers l’arche, replient leurs doigts et restent sur l’estrade jusqu’à la fin de cette bénédiction avant de regagner leur place.
Synchronisation – L’officiant n’appelle « Cohanim » qu’après la réponse « Amen » à la bénédiction de reconnaissance. Les Cohanim ne commencent qu’après l’appel complet. L’assemblée répond « Amen » après chaque verset, et les Cohanim attendent cette réponse avant de poursuivre. L’officiant ne répond pas « Amen » pour ne pas se troubler.
Règles de posture et de mouvement – Les Cohanim ne tournent pas le dos à l’assemblée avant « Donne la paix », ne quittent pas l’estrade avant la fin de cette bénédiction, et ne replient leurs doigts qu’après s’être détournés de l’assemblée. Ils doivent monter pieds nus selon l’institution de Rabban Yohanan ben Zakaï.
Concentration et regard – Pendant la bénédiction, les Cohanim fixent le sol sans se laisser distraire, comme pendant la prière. L’assemblée ne doit pas regarder les Cohanim mais écouter attentivement la bénédiction, visage tourné vers eux sans les fixer.
Nombre de Cohanim – Un Cohen seul commence la bénédiction sans être appelé. Deux Cohanim ou plus attendent l’appel de l’officiant qui dit « Cohanim » avant qu’ils ne commencent.
Bénédiction au Temple – Au Temple, les Cohanim montaient sur l’estrade après le sacrifice quotidien du matin, mains levées au-dessus de la tête, doigts étendus. Le grand prêtre ne levait pas les mains au-dessus de sa plaque frontale. L’assemblée ne répondait « Amen » qu’à la fin des trois versets.
Prononciation du Nom divin – Au Temple, le Nom divin était prononcé tel qu’écrit (YHVH). Ailleurs, on utilise le nom Ado-naï. Depuis la mort de Simon le Juste, même au Temple, on a cessé d’utiliser le Nom explicite pour éviter qu’il ne soit appris par des personnes inadéquates.
Conditions requises – La bénédiction des Cohanim n’est récitée qu’en hébreu et debout, mains levées, face à l’assemblée, à voix haute, utilisant le Nom explicite uniquement au Temple, selon la tradition reçue depuis Moïse.
Prières supplémentaires – Les Cohanim ne peuvent ajouter aucune bénédiction aux trois versets prescrits. Avant de monter à l’estrade, chaque Cohen récite une prière demandant que la bénédiction soit parfaite. Avant de se tourner vers l’assemblée, il récite une bénédiction sur le commandement de bénir Israël avec amour.
Direction du mouvement – En se tournant vers l’assemblée et en lui faisant face, les Cohanim doivent tourner uniquement vers leur droite, comme pour tout mouvement circulaire.
Fréquence des bénédictions – Au Temple, la bénédiction était récitée une fois par jour après le sacrifice matinal. Ailleurs, elle est récitée après chaque prière sauf Min’ha. L’officiant devrait être un israélite ordinaire et non un Cohen.
Lois relatives à la bénédiction des Cohanim : Chapitre Quinze
Facteurs d’empêchement – Six facteurs empêchent un Cohen de bénir le peuple: le langage, les défauts physiques, la faute, l’âge, le vin et l’impureté des mains. Concernant le langage, ceux qui articulent mal ou qui ne sont pas compris par tous ne doivent pas réciter la bénédiction.
Défauts physiques – Un Cohen avec des défauts visibles sur le visage, les mains ou les pieds, comme des doigts courbés ou des taches blanches, ne doit pas bénir car il attirerait l’attention. Si ces défauts sont familiers à tous les habitants de la ville, il peut bénir car on ne le regardera pas.
Fautes interdisant la bénédiction – Un Cohen qui a tué, même involontairement, ou qui a servi des idoles, même contraint, ne peut jamais réciter la bénédiction, même après repentance. Les autres fautes n’empêchent pas la bénédiction.
Restrictions d’âge et de vin – Un jeune Cohen sans barbe complète ne peut réciter seul la bénédiction. Celui qui a bu un réviit de vin d’un trait ne peut bénir jusqu’à ce que l’effet se dissipe, mais s’il l’a bu en deux fois ou mélangé avec de l’eau, il peut bénir.
Pureté des mains – Un Cohen doit se laver les mains jusqu’aux poignets avant de bénir, comme pour le service du Temple. Un ‘halal (Cohen profané) ne peut réciter la bénédiction car il n’a plus le statut de Cohen.
Obligation malgré l’indignité – Un Cohen qui n’est concerné par aucun facteur d’empêchement doit réciter la bénédiction, même s’il n’est pas pieux ou si sa conduite est critiquable. On ne dit pas à un homme mauvais d’augmenter sa perversité en s’abstenant des commandements.
Efficacité de la bénédiction – L’efficacité de la bénédiction ne dépend pas de la piété des Cohanim mais de Dieu Lui-même. Les Cohanim accomplissent leur devoir, et Dieu, dans Sa miséricorde, bénit Son peuple comme Il le désire.
Position de l’assemblée – Ceux qui se trouvent derrière les Cohanim ne sont pas inclus dans la bénédiction, contrairement à ceux qui sont sur les côtés. Même s’il y a une séparation entre les Cohanim et l’assemblée, si celle-ci leur fait face, elle est incluse dans la bénédiction.
Quorum minimal – La bénédiction nécessite un minimum de dix personnes, Cohanim inclus. Dans une synagogue ne comptant que des Cohanim, ils bénissent leurs frères absents, et les femmes et enfants répondent « Amen ».
Officiant Cohen – Si l’officiant est le seul Cohen présent, il ne doit pas monter à l’estrade, sauf s’il est sûr de pouvoir reprendre sa prière sans erreur. S’il n’y a aucun Cohen, l’officiant récite une formule spéciale incluant les trois versets.
Récitations multiples – Un Cohen qui a déjà béni dans une synagogue peut le faire à nouveau dans une autre, même plusieurs fois par jour. Celui qui n’a pas quitté sa place à l’appel ne peut plus monter pour cette prière.
Importance du commandement – Tout Cohen qui ne monte pas à l’estrade néglige trois commandements positifs. Celui qui ne bénit pas n’est pas béni, tandis que celui qui bénit est béni lui-même.
Lois des Tefilines, de la Mezouza, et du rouleau de la Thora : Chapitre Premier
Constitution des Tefilines – Les quatre passages bibliques: « Consacre-Moi », « Lorsque l’Éternel t’aura introduit », « Écoute Israël » et « Or, si vous écoutez » sont écrits séparément, recouverts de peau, et constituent les Tefilines, posés sur la tête et attachés au bras. L’omission même d’une pointe de lettre les invalide.
Exigence de perfection – De même, les deux passages de la Mezouza et tout le texte du rouleau de la Torah doivent être parfaitement écrits, sans qu’il manque la moindre lettre.
Dix exigences des Tefilines – Dix conditions essentielles, toutes lois sinaïtiques, doivent être respectées pour les Tefilines: deux concernent l’écriture et huit la boîte et les lanières. Pour l’écriture, elles doivent être écrites avec de l’encre sur un klaf (parchemin).
Préparation de l’encre – L’encre est fabriquée à partir de suie d’huiles ou de cire, pétrie avec de la sève d’arbre et du miel, séchée puis trempée dans du jus de noix de galle pour l’écriture. Cette encre est effaçable, mais une encre indélébile est également valide.
Couleur de l’encre – Seule l’encre noire est valide. L’écriture en rouge, vert ou or, même pour une seule lettre, invalide le texte.
Types de parchemins – Il existe trois types de parchemins : gvil, klaf et doukhsostos.
– Le gvil est une peau entière traitée après avoir été débarrassée de ses poils.
– Le klaf
– les doukhsostos sont obtenus en divisant l’épaisseur de la peau en deux parties.
Distinction entre klaf et doukhsostos – La partie fine, du côté des poils, est appelée klaf, tandis que la partie épaisse, du côté de la chair, est appelée doukhsostos. Chaque type a sa propre utilisation.
Règles d’utilisation des parchemins – Selon la tradition sinaïtique, le rouleau de la Torah doit être écrit sur un gvil du côté des poils, les Tefilines sur un klaf du côté de la chair, et la Mezouza sur un doukhsostos du côté des poils. Toute autre combinaison les invalide.
Flexibilité pour certains cas – Un rouleau de la Torah écrit sur un klaf reste valide, mais pas sur un doukhsostos. Une Mezouza écrite sur un klaf ou un gvil est valide, bien que le doukhsostos soit préférable.
Pureté des matériaux – Les textes sacrés ne peuvent être écrits sur la peau d’animaux impurs, mais peuvent l’être sur celle d’animaux purs, même s’ils sont morts sans abattage rituel. La peau de poisson, même pur, est inadaptée à cause de son odeur.
Intention dans la préparation – Le parchemin pour le rouleau de la Torah et les Tefilines doit être travaillé expressément à cette fin. S’il est préparé par un non-juif, il est invalide, car celui-ci agit selon sa propre intention. La Mezouza est dispensée de cette exigence.
Règles de lignage – Le rouleau de la Torah et la Mezouza doivent être écrits sur des parchemins lignés. Les Tefilines en sont dispensés car les parchemins sont recouverts. Les Tefilines et la Mezouza peuvent être écrits de mémoire, mais pas le rouleau de la Torah.
Personnes qualifiées pour l’écriture – Les textes sacrés écrits par un hérétique doivent être brûlés. Ceux écrits par un non-juif, un renégat, un esclave, une femme ou un mineur sont invalides et doivent être enterrés. Seuls ceux qui sont tenus d’accomplir le commandement peuvent les écrire.
Causes d’invalidité – Sont invalides les textes sacrés écrits sur une peau d’animal impur ou sur un parchemin non préparé spécifiquement pour cet usage (pour la Torah et les Tefilines).
Intention pour les noms divins – L’écriture des noms divins requiert une concentration particulière. Même si un roi salue le scribe pendant qu’il écrit le Nom, il ne doit pas répondre. Entre deux noms, il peut répondre.
Précautions d’écriture – Pour écrire le Nom divin, on ne doit pas commencer par une lettre du Nom mais par la lettre précédente. Si l’on oublie d’écrire le Nom, on peut l’ajouter entre les lignes pour un rouleau de la Torah, mais pas pour les Tefilines ou la Mezouza.
Protection du parchemin – Les scribes ne doivent pas retourner le parchemin face contre la surface pour éviter la poussière, mais le couvrir d’un tissu ou le plier.
Témoignage du scribe – Si un scribe déclare n’avoir pas écrit les noms divins avec l’intention requise, il n’est pas cru pour invalider le texte, mais seulement pour perdre son salaire. S’il déclare que le parchemin n’a pas été correctement préparé, il est cru.
Type d’écriture – Les Tefilines et la Mezouza ne peuvent être écrits qu’en écriture achourit (caractères carrés). Les rouleaux de la Torah pouvaient autrefois être écrits aussi en grec, mais aujourd’hui uniquement en achourit. Les lettres doivent être soigneusement formées et distinctes.
Précautions concernant les trous – On ne doit pas écrire sur un trou du parchemin. Un trou sur lequel l’encre passe sans s’infiltrer est acceptable. Si un trou se forme dans une lettre déjà écrite, elle reste valide si la forme de la lettre est préservée.
Le mois de Nissan révèle une vision du monde où la Divinité est l’évidence fondamentale, transcendant les limitations matérielles. Cette conception, enracinée dans l’âme juive, offre une voie vers une existence où même les défis naturels se plient à la volonté divine.
‘La Divinité est une évidence’ dans le mois de Nissan
En préparation de la fête de Pessah (Pâque), on lit dans la Torah, le dernier Chabbat du mois d’Adar, ou le Chabbat de Roch Hodesh Nissan, la paracha « Ce mois-ci sera pour vous le premier des mois », qui se réfère au mois de Nissan qui est le premier mois de l’année pour les mois, et dans laquelle les enfants d’Israël ont reçu le commandement de l’offrande pascale. Ce Chabbat est appelé « Chabbat HaHodech » (le Chabbat du mois).
Sur ce verset, il est dit dans le Midrach : « Lorsque le Saint, béni soit-Il, a choisi Son monde, Il y a fixé des mois et des années, et lorsqu’Il a choisi Jacob et ses fils, Il y a fixé un nouveau mois de rédemption. »
Voici les deux Roch Hachana :
a. Le mois de Tichri est le nouvel an concernant le monde matériel, ‘Quand le Saint, béni soit-Il, a choisi Son monde’, et de là découle la conduite naturelle du monde durant l’année.
b. Le mois de Nissan est le premier mois pour les mois, lié à Jacob et ses fils, et il est la racine de la conduite miraculeuse qui transcende le monde matériel. C’est pourquoi l’Exode d’Égypte – la sortie d’Égypte et des limitations du monde matériel – y a eu lieu.
Deux perspectives dans la Torah
Les deux conceptions de Roch Hachana découlent effectivement de deux perspectives existantes dans la Torah, comme l’illustre le premier commentaire de Rachi sur le verset « Au commencement, D.ieu créa ».
Dans ce commentaire, Rachi cite Rabbi Yitshak qui affirme: « La Torah n’aurait dû commencer qu’à partir de ‘Ce mois-ci’, qui est le premier commandement que les Israélites ont reçu. » Puis il explique que si la Torah commence néanmoins par la Création, c’est pour répondre aux nations qui pourraient accuser Israël d’avoir volé la terre des sept peuples.
Le langage de Rachi montre clairement qu’il s’agit d’une affirmation logique et non d’une simple question: la Torah aurait dû commencer par la Parachat Ha’hodech, mais commence par Bereshit pour une raison précise.
On peut donc identifier deux commencements dans la Torah:
1 – « Au commencement, D.ieu créa » – Ce commencement correspond à une perspective de la Torah destinée à agir dans le monde. Elle tient compte de l’existence des nations et de la nécessité de leur répondre. Cette perspective vient après les mondes, car elle vise à corriger et résoudre les problèmes du monde. Elle est la racine de la conduite des lois de la nature associée au mois de Tichri.
2 – « Ce mois-ci sera pour vous » – Ce commencement reflète une perspective qui transcende les mondes. Elle représente la Volonté et la Sagesse divine qui ne sont pas limitées par les contraintes du monde. Cette perspective est associée au mois de Nissan et à la sortie d’Égypte, symbolisant le dépassement des limitations naturelles.
Ces deux commencements correspondent précisément aux deux conceptions de Roch Hachana évoquées précédemment: l’une où la Divinité est l’évidence fondamentale, et l’autre où l’existence physique est le point de départ.
Les deux conceptions de l’existence: Elokout Bepchitout vs Metsiout Bepchitout
Les deux perspectives dans la Torah correspondent en effet à deux conceptions fondamentales:
1 – « Elokout Bepchitout, la Divinité est une évidence » – Selon cette conception, D.ieu est l’existence simple et fondamentale, tandis que le monde est une innovation, une création secondaire.
2 – « Metsiout Bepchitout, l’Existence (matérielle) est une évidence » – Dans cette perspective, la conduite naturelle détermine qu’il y a un monde et une existence physique. L’homme existe et a besoin de ses besoins matériels pour servir D.ieu, et l’existence divine doit être renouvelée et renforcée.
Le Rabbi précédent souligne alors la différence fondamentale entre leurs deux approches. Un jour, qu’il discutait de questions d’étude chez un éminent rabbin, une femme est entrée dans la maison du rabbin avec un poulet à la main et une question concernant la cacherout du poulet. Le rabbin a réfléchi, puis après un moment a répondu à la femme : « Selon le Taz, le Psak est ainsi, et selon le Chakh, le Psak est ainsi. » Le rabbin a continué à réfléchir faisant signe à la femme d’attendre, et après un moment, il s’est à nouveau tourné vers la femme et lui a dit : « Mais selon une troisième opinion, le Psak est différent des deux autres. »
La femme, qui avait attendu longtemps, a perdu patience et a demandé : « Rav, comment trancher la loi ? Puis-je mettre le poulet dans ma marmite ou non ? »
Pour cett femme, le poulet est l’existence principale (Metsiout Bepchitout), et le Choulhan Aroukh est un outil pour résoudre son problème pratique (Elokout Behit’hadchout).
Pour le rabbin, les paroles de la Torah sont l’existence véritable (Elokout Bepchitout), et le poulet devient simplement une occasion d’approfondir sa compréhension des lois de cacherout (Metsiout Behithadchout).
Cette dualité se retrouve dans les deux commencements de la Torah:
1 – « Au commencement, D.ieu créa » (Berechit) – Cette perspective voit la Torah comme venant agir dans un monde déjà existant, à l’image de la femme qui voit l’existence physique comme évidente et la Torah comme un moyen de naviguer dans cette réalité. Cette conception est liée au mois de Tichri et à la conduite naturelle.
2 – « Ce mois-ci sera pour vous » (HaHodech) – Cette perspective représente la Torah qui transcende les mondes, qui est la Volonté et la Sagesse divine indépendantes des limitations mondaines. Elle correspond au mois de Nissan et à la sortie d’Égypte, symbolisant le dépassement des contraintes naturelles.
Ces deux conceptions fondamentales révèlent la richesse et la profondeur de la Torah, qui intègre à la fois une dimension immanente, s’adressant aux réalités du monde, et une dimension transcendante, élevant l’homme au-delà des limitations de l’existence physique.
L’âme d’Israël et la perspective de « Elokout Bepchitout »
Tout comme il existe une double perspective dans la Torah et dans les mondes, il existe également cette dualité au niveau des âmes d’Israël. Contrairement aux autres créatures qui ont été formées par la parole divine (relevant de l’extériorité des mondes – « Metsiout Bepchitout »), « Les Israélites sont montés dans la pensée » divine, correspondant à l’intériorité des mondes – « Elokout Bepchitout ».
Comme l’explique le Rabbi, l’âme avant sa descente sur terre est intrinsèquement liée à la conception « Elokout Bepchitout ». Dans cet état:
Elle perçoit la divinité comme la seule réalité véritable et bonne
Elle est remplie d’un sentiment d’attachement et d’adhésion à D.ieu
Elle est incapable de comprendre les préoccupations mondaines
Elle n’a aucune notion de l’argent, de l’honneur ou des autres affaires matérielles
Avant la descente de l’âme dans ce monde, D.ieu lui enseigne l’existence d’un monde matériel qui se perçoit comme séparé de Lui. Bien que l’âme entende et comprenne intellectuellement ces paroles, elle ne peut véritablement en saisir le sens profond. Pour elle, l’existence du monde est une « innovation » (Metsiout Behit’hadchout) – quelque chose de nouveau et d’incompréhensible.
C’est seulement en descendant dans ce monde et en se vêtant dans un corps physique que l’âme commence à percevoir l’existence du monde comme naturelle et compréhensible – « Metsiout Bepchitout ». Ainsi:
Le nouveau-né ne connaît rien de l’existence divine
Ses désirs se limitent à manger et dormir
C’est seulement en grandissant, grâce à l’éducation parentale, qu’il s’initie à la foi
Il découvre progressivement l’existence et la grandeur de D.ieu, qui sont pour l’âme incarnée une nouveauté (Elokout Behit’hadchout) et non une évidence
La vérité fondamentale de l’âme elle-même reste donc « Elokout Bepchitout ». Ce n’est que lorsqu’elle est recouverte par le corps et l’âme animale qu’elle adopte temporairement la perspective de « Metsiout Bepchitout ». C’est pourquoi, lorsque l’âme se dépouille des vêtements corporels dans le Gan Éden, sa vérité essentielle – « Elokout Bepchitout » – brille à nouveau pleinement.
Ainsi, on observe cette triple correspondance:
Dans la Torah : « Elokout Bepchitout » (la Paracha de « HaHodesh »)
Dans le monde : « Elokout Bepchitout » (le 25 Adar, l’intériorité des mondes)
Dans les âmes d’Israël: « Elokout Bepchitout » (leur essence véritable)
« La Divinité est une évidence » dans le service de D.ieu
Et voici l’explication de la déclaration des Sages : « Lorsque le Saint, béni soit-Il, a choisi Son monde, Il y a fixé des nouveaux mois et des années, et lorsque le Saint, béni soit-Il, a choisi Jacob et ses fils, Il a fixé pour eux un nouveau mois de rédemption ».
« Lorsque le Saint, béni soit-Il, a choisi Son monde » – un monde qui cache la divinité, où « l’Existence est une évidence », cela correspond à la création du monde par l’action au mois de Tichri. C’est alors le nouvel an pour la conduite naturelle qui donne place à l’existence des mondes et qui cache la divinité.
Mais en « choisissant Jacob et ses fils », qui sont les âmes d’Israël émanant de la perspective où « la Divinité est une évidence », Il a fixé le nouvel an au mois de Nissan, mois de la rédemption, où a eu lieu la sortie d’Égypte – sortie des limitations du monde et de la conduite où « l’Existence est une évidence » pour reconnaître que « la Divinité est une évidence ».
Ainsi, chaque année, la période du 25 Adar, la paracha de « HaHodesh », le mois de la rédemption et la sortie d’Égypte, donne à un Juif la force de sortir de l’esclavage égyptien, de transcender le corps et l’âme animale qui cachent son âme divine, de sortir de la limitation où « l’Existence est une évidence », qui établit que la Torah et les commandements sont soumis et servent à maintenir le monde, et d’atteindre la racine de l’âme qui reconnaît que « la Divinité est une évidence », ce qui détermine que le monde est subordonné à la Torah et aux commandements.
Et quand un Juif vivra avec la reconnaissance que « la Divinité est une évidence », le monde et la nature se plieront également à la volonté de D.ieu, et tous les problèmes dans les domaines des « enfants, vie et subsistance » qui n’ont pas de solution naturelle seront soumis à la volonté de D.ieu, et leur conduite sera miraculeuse comme au mois de Nissan.
Ceci explique également la célèbre déclaration que le Tsema’h Tsedek a adressée au hassid Reb Michael de Blinitzer, lorsque celui-ci est venu demander sa bénédiction pour la guérison de son fils qui était très malade et en danger de mort : « Tracht gut vet zein gut » – « Pense bien – ce sera bien ».
On pourrait se demander comment la simple bonne pensée peut être bénéfique. C’est parce que la racine et l’unité du Juif résident dans la pensée, car c’est là que se trouve « la Divinité est une évidence ». Donc quand il s’élève au-dessus de la conduite naturelle qui découle de « l’Existence est une évidence », et ne fait que « penser bien » – d’une manière qui transcende la nature, il éveille sa véritable racine où « la Divinité est une évidence », et alors il mérite que la conduite surnaturelle lui apporte le bien et la miséricorde véritables.
La conduite surnaturelle et l’intégrité du monde
Quelqu’un pourrait légitimement s’interroger : la conduite surnaturelle découlant de la perspective « Divinité est une évidence » ne risque-t-elle pas de briser l’ordre du monde ? Et pourtant, la Hassidout ne tolère pas de rupture. Cette question trouve son illustration dans une histoire significative.
On raconte qu’un hassid a offert au vieux Rabbi une boîte en pur argent. Le vieux Rabbi fit alors cette remarque : « Il y a un sens chez l’homme qui, par sa nature, n’est pas avide et n’attire pas l’homme – faut-il aussi le purifier ? »
Son intention était de faire observer que tous les sens humains – la vue, l’ouïe, le goût – sont naturellement entraînés par leurs désirs : les yeux cherchent à voir de belles choses, le goût aspire aux aliments savoureux, etc. Seul l’odorat échappe à cette règle, car personne n’a un désir naturel de sentir de bonnes odeurs, ce qui rend superflu le raffinement et la purification de ce désir.
Aussitôt après cette réflexion, le vieux Rabbi ouvrit la boîte à tabac à priser et l’utilisa comme miroir pour ajuster ses phylactères qui se trouvaient entre ses yeux.
Le Tsema’h Tsedek souligna que l’histoire ne mentionne pas que le vieux Rabbi ait « brisé » la boîte, car pour lui, la notion de rupture suivie de correction n’existait pas. Il l’a simplement « ouverte », car ouvrir un objet en ses parties constitue l’accomplissement parfait de sa fonction et de son objectif dans le monde.
On pourrait alors se demander : comment est-il possible de se comporter dans le monde selon la perspective « Divinité est une évidence », qui soumet et semble briser la nature du monde, sans contredire la doctrine hassidique ?
En vérité, il n’y a pas de rupture. Comme mentionné précédemment, c’est l’intériorité et la vérité profonde du monde qui a été créé par la pensée divine, unifiée avec le Créateur et annulée en Lui. Ainsi, lorsqu’un Juif agit selon la perspective « Divinité est une évidence », il ne brise pas le monde, mais révèle plutôt son intériorité qui est absolument unifiée avec D.ieu.
L’anniversaire de la Rabbanit et sa signification
Il convient de noter que le 25 Adar marque l’anniversaire de la Rabbanit Haya Mouchka, épouse du Rabbi, que sa mémoire soit une bénédiction. Il est évident que cet anniversaire personnel est lié à l’anniversaire général du monde. Ce jour doit certainement être utilisé pour approfondir le service de D.ieu dans la Torah et les commandements, avec un authentique sentiment que « la Divinité est une évidence ».
En ce jour de l’année 5748 (un mois après le décès de la Rabbanit), le Rabbi a institué une « campagne d’anniversaire ». Il a déclaré publiquement qu’il est approprié et juste d’encourager chacun, au jour de son anniversaire, à intensifier sa pratique de la Torah, de la prière et de la charité. Le Rabbi a souligné qu’en plus des coutumes habituelles, la personne dont c’est l’anniversaire devrait organiser une réunion joyeuse avec sa famille, ses amis ou ses connaissances. Durant cette réunion, elle devrait prendre une bonne résolution pour renforcer son observance des commandements et souhaiter à tous les participants du succès dans toutes leurs entreprises.
Le Rav Chnéor Zalman Menahem Avraham Goopin, connu sous le nom de Rav Zalman Gopin (né en 5705 – 1945), est le Machpia principal de la Yéchiva Tom’hei Temimim de Kfar Habad. Il est également Machpia de la synagogue Beit Na’houm Its’hak à Kfar Habad, président du comité spirituel du réseau de camps d’été Gan Israël en Israël et de l’organisation Pnassaïm, ainsi que Machpia principal de Maayané Israël. Il est membre de la direction de « Torat Habad Lebné HaYéchivot », conférencier et Farbrengueniste très recherché dans le monde orthodoxe.
Né à Samarcande en 1945 après la Seconde Guerre mondiale, il immigre en Israël en 1949 avec sa famille et s’installe à Kfar Habad. Il étudie dans les Yéchivot Tom’hei Temimim de Lod et de Kfar Habad sous la direction du Rav Chlomo ‘Haïm Kesselman, puis part étudier à New York auprès du Rabbi en 5726 (1966). Il y contribue aux « Hano’hot Hatémimim » en retranscrivant les discours du Rabbi.
Après son retour en Israël, il épouse Rivka Bergman, effectue un service militaire écourté et poursuit quatre années d’études dans un Kollel. En 5736 (1976), il est nommé Machpia à la Yéchiva Tom’hei Temimim de Kfar Habad, aux côtés du Rav Menahem Mendel Futerfas. Il entretient une correspondance régulière avec le Rabbi et reçoit des directives pour son travail d’enseignement.
Le Rav Gopin est reconnu pour sa connaissance approfondie et ses talents pédagogiques dans l’étude de la Hassidout, et il a rapproché de nombreuses personnes à la Hassidout Habad.
Aujourd’hui, 25 Adar, marque le Yortzeit du Rav André Messod Touboul a’h, directeur de l’établissement Haya Mouchka (Paris 19e) et, auparavant, directeur de l’école Beth Hanna (rue de Flandre/Riquet), où j’ai eu l’honneur de faire ma scolarité depuis son ouverture, du CE2 jusqu’à la 3ᵉ. Nous n’étions alors que 25 élèves… une véritable aventure pionnière !
Monsieur Touboul n’était pas seulement un directeur ; il était le cœur battant de notre école, un repère essentiel pour chacun d’entre nous. Son bureau n’était pas un simple lieu administratif, mais un espace de réconfort, où l’on savait que l’on serait toujours écouté, compris et soutenu. Sa stature imposait un certain respect, mais derrière cette apparence se cachait une bienveillance infinie. Il savait nous encourager à dépasser nos peurs et à donner le meilleur de nous-mêmes.
Bien plus qu’un éducateur, il était un mentor, un homme de principes profondément ancré dans la Torah et les Mitsvot. Il ne se contentait pas de les enseigner ; il les incarnait au quotidien. Il nous a transmis un amour inébranlable pour Hachem et un attachement indéfectible aux valeurs de la Yiddishkeit.
Le Rav Touboul prônait l’unité (Ah’dout) et l’amour du prochain. Il nous rappelait sans cesse que, face aux réussites comme aux épreuves, nous devions nous soutenir les uns les autres. Il nous a appris le respect – envers nos enseignants, mais aussi entre élèves – dans un esprit d’harmonie et de fraternité.
Je me souviens encore de ces Mivtsaïm auxquels j’ai participé, toute jeune, accompagnée de nos Morot. Nous arpentions les quartiers des Eiders, frappant aux portes pour encourager les femmes juives à allumer les bougies de Chabbat. Une expérience marquante, qui m’accompagne encore aujourd’hui, plus de 40 ans après…
Et puis, il y a cette anecdote inoubliable… À la fin de ma 3ᵉ, je revois le Rav Touboul implorer ma mère : « Madame Sarfati, confiez-moi encore votre fille… Acceptez de l’envoyer au séminaire de Beth Rivka, et je vous promets que nous nous occuperons bien d’elle. » Mais rien n’y fit. Ma mère lui répondit, inébranlable : « Non… Chez nous, une fille de bonne famille ne quitte la maison qu’avec une bague au doigt ! »
Aujourd’hui, je réalise combien ces enseignements ont façonné la personne que je suis devenue. J’ai appris à voir la beauté en chaque juif, à apprécier chaque opinion et à comprendre que l’amour du prochain est la clé de notre épanouissement collectif.
Le départ du Rav Touboul a laissé un vide immense. Mais son héritage, lui, continue de briller à travers chacun de nous. Son impact est indélébile.
Merci, Rav Touboul, pour votre dévouement, votre chaleur humaine et vos précieuses leçons de vie. Vous resterez à jamais un modèle pour moi et pour tous ceux qui ont eu la chance de vous connaître.
Simha Sarfati Ancienne élève (et fière pionnière 😉) de l’école Beth Hanna
La Rabbanit ‘Haya Mouchka (1901-1988) fut l’épouse du septième Rabbi de Loubavitch. Ce texte retrace les premières années de sa vie et met en lumière sa relation privilégiée avec son grand-père, le Rabbi Rachab, et son père, Rabbi Yossef Yits’hak. À travers des anecdotes familiales et des correspondances intimes, se dessine le portrait d’une femme dotée d’une mémoire exceptionnelle et d’une grande finesse d’esprit, élevée dans la tradition des valeurs ‘hassidiques qu’elle portera tout au long de sa vie.
Le Chabbat Vayakhel Pekoudé, le 25 Adar 1901, naquit la fille de Rabbi Yossef Yits’hak Schneersohn, fils unique du Rabbi Chalom Dov Ber, dans la ville de Babinovitch, proche du village de Loubavitch. Elle fut appelée ‘Haya Mouchka.
Dès son plus jeune âge, il était évident que son grand-père ne considérait pas sa naissance comme un événement banal. À cette époque, le Rabbi Chalom Dov Ber résidait à Varissafane. Il envoya une lettre précisant entre autres : « Du plus profond de mon cœur, je remercie le Tout-Puissant pour tout le bien qu’Il nous a prodigué et qui, dans Sa grande bonté, nous a fait vivre, nous a fait subsister et nous a fait parvenir à cette époque ! Qu’Il nous fasse également parvenir à d’autres nombreuses joies et de bonnes occasions ! »
Ce fut lui qui préconisa de lui donner le prénom ‘Haya Mouchka dans un télégramme spécial qu’il envoya à son fils : « Si on ne lui a pas encore donné de prénom, qu’elle soit appelée ‘Haya Mouchka, ce qui est correct à mes yeux. Certainement tu me feras savoir comment elle a été nommée pour le Mazal Tov ». Le prénom fut donné d’après la Rabbanit ‘Haya Mouchka, l’épouse du Rabbi Tséma’h Tsédek.
Dans d’autres lettres envoyées après qu’elle eut été nommée, on peut trouver d’autres allusions sur l’avenir de l’enfant : « Que Dieu fasse qu’elle vive longtemps et en bonne santé, matériellement et spirituellement, qu’elle soit une femme vertueuse, avec une véritable crainte de Dieu, que nous puissions tous avoir beaucoup de satisfactions d’elle spirituellement et matériellement ». « Qu’elle ait une véritable crainte de Dieu et qu’elle soit en tous points comparable à son arrière-grand-mère, la Rabbanit dont elle porte le prénom ».
Une éducation vers le dévouement total
Lorsque le professeur particulier engagé pour enseigner la Torah à la Rabbanit refusa de raconter des histoires de dévouement total qui brisent le cœur, Rabbi Yossef Yits’hak, son père, lui ordonna de le faire. Selon lui, cela lui inculquerait le dévouement dès son plus jeune âge.
Souvenirs d’enfance
La Rabbanit se souvenait avec précision de son enfance passée dans la maison de son grand-père et racontait plusieurs épisodes, notamment les prières émouvantes et profondes de son grand-père qui résonnaient en elle. Elle mentionna également qu’elle était capable de répéter avec précision tout ce qui avait été dit dans la maison de son grand-père.
Des remarques pertinentes
Grâce à sa mémoire phénoménale, la Rabbanit se rappelait l’aspect de son grand-père et affirma que le portrait du Rabbi Rachab n’était pas conforme, car l’aspect majestueux du Rabbi en était absent. Même lorsque Rav Na’houm Yits’hak Kaplan dessina un portrait du Rabbi Rachab et lui demanda son avis, elle répondit que les yeux étaient bien plus pénétrants en réalité et que la couleur de la barbe était bien plus claire. Une fois les retouches apportées, la Rabbanit exprima sa satisfaction et garda le portrait toute une nuit dans sa maison.
La Rabbanit et la Fête de Pessa’h
La Rabbanit passa ses premières années dans la maison de son père et de son grand-père, où elle reçut une véritable éducation ‘hassidique. Son grand-père, le Rabbi Rachab, lui témoignait une affection particulière. Une fois, alors qu’elle courait et se blessa, le Rabbi Rachab la ramassa et l’embrassa sur le front. Une autre fois, alors qu’elle avait seulement cinq ans, le Rabbi Rachab fut particulièrement attentif à ce qu’elle disait. C’était le dernier jour de Pessa’h en 1906 et elle jouait avec sa sœur dans la salle à manger. Préoccupée par une grave question, elle demanda ce que représentait le dernier jour de Pessa’h. Sa sœur essaya de lui expliquer que c’était une fête comme les autres, mais elle n’accepta pas cette réponse, car elle avait remarqué que la bénédiction de Chéhé’héyanou n’était pas prononcée lorsque l’on allume les bougies de la fête. Le Rabbi Rachab écoutait leur conversation.
Cette question avait déjà été posée quarante ans plus tôt par le Rabbi Rachab lui-même. Quand il l’entendit, il décida de révéler lors du repas de la fête ce qui lui était arrivé quand il était enfant, en 1865, lors du repas de fête chez son père, le Rabbi Maharach. Il avait demandé à son père pourquoi le dernier jour de Pessa’h était un jour de fête. Son père s’était tourné vers son frère et lui avait demandé de répondre, mais ce dernier ne sut pas quoi dire. Sa sœur, Dvora Léa, qui était assise à côté de leur mère, déclara qu’elle savait répondre. Son père lui demanda d’expliquer que lorsque les Juifs respectent les sept jours de Pessa’h en s’abstenant de manger du ‘Hametz, ils peuvent alors célébrer le dernier jour de Pessa’h comme un véritable jour de fête. Elle expliqua que tous les Juifs se réjouissent d’avoir réussi à éviter cette grande faute de manger du ‘Hametz à Pessa’h.
Rabbi Zalman Aharone, qui était présent lors de ce repas de Pessa’h 1906, poursuivit l’histoire en déclarant que leur père était très heureux de cette réponse et s’exclama : « Dvora Léa ! Tu as une bonne tête ! ». Après cela, ils allèrent rendre visite à leur grand-père, le Rabbi Tséma’h Tsédek, et leur père lui raconta toute l’histoire. Le Tséma’h Tsédek approuva l’explication de Dvora Léa en disant que c’était une bonne explication, puis il donna une interprétation plus approfondie sur le sens du dernier jour de Pessa’h. Tout ceci fut raconté par le Rabbi Yossef Yits’hak lors du repas du dernier jour de Pessa’h en 1940.
Des lettres rares du Rabbi précédent, père de la Rabbanit
La Rabbanit était aussi très liée à son père, Rabbi Yossef Yits’hak, comme on le verra encore de nombreuses fois par la suite. Nous en avons la preuve par ces lettres vraiment très spéciales. Quand la Rabbanit atteignit l’âge de douze ans en 1913, le Rabbi et son épouse étaient en voyage à l’étranger. La Rabbanit lui avait envoyé une lettre de salutations et le Rabbi lui répondit avec une lettre spéciale dans laquelle il lui demandait de raconter en détails sa situation :
Mardi 2ème jour de Mena’hem Av 1913 À ma chère fille, Moussia qu’elle vive longtemps !
C’est avec plaisir que j’ai reçu ta lettre de salutation.
Écris en détails ce que tu apprends et tout. Sois en bonne santé et heureuse tout au long d’une bonne existence.
C’est ce que te souhaite ton père qui s’occupe de toi.
Dans un télégramme qu’il lui envoya depuis Pétrograd (Saint-Pétersbourg) pour son quinzième anniversaire, Rabbi Yossef Yits’hak lui écrivit (traduction libre du russe) :
Pétrograd, 25 Adar 1916 Ma fille chérie et précieuse, Moussia, qu’elle vive longtemps,
Ma fille chérie, à l’occasion de ton anniversaire où tu atteins l’âge de quinze ans, je suis heureux d’exprimer la bénédiction paternelle de D.ieu et les souhaits de tes parents. Que D.ieu t’accorde une longue vie, de la chance et une réussite extraordinaire dans ce que tu entreprends et dans tes études. Sois toujours heureuse, sois en bonne santé, ma chérie.
Figure légendaire du mouvement Loubavitch, la Rebbetzin ‘Haya Mouchka Schneerson (1901-1988) incarna l’abnégation et la dévotion silencieuse qui soutiennent les grandes œuvres. Épouse du Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson et fille du Rabbi précédent, elle consacra sa vie au service du peuple juif tout en restant dans l’ombre. À travers son humilité exemplaire et sa force intérieure, elle illustra parfaitement la maxime « La véritable grandeur réside dans l’effacement de soi ». Découvrez le parcours extraordinaire d’une femme dont l’influence se fait encore sentir aujourd’hui dans le monde entier.
Enfance et jeunesse
La Rabbanit ‘Haya Mouchka Schneerson est née à Babinovitch, à côté de la ville russe « Loubavitch », un Chabbat, le 25 du mois de Adar en 1901. Elle était la seconde des trois filles du sixième Rabbi de Loubavitch, le Rabbi Yossef Yts’hak et de son épouse la Rebbetztin Ne’hama Dina Schneerson.
Quand elle est née, son grand-père, le cinquième Rabbi de Loubavitch, le Rabbi Chalom Dov Ber, qui était à l’étranger, télégraphia au Rayats et lui demanda de nommer sa fille « ‘Haya Mouchka », sur le nom de la épouse du Tséma’h Tsedek.
Durant la première guerre mondiale, en automne 1915, la Rebbetztin et sa famille voyagèrent à Loubavitch et s’installèrent à Rostov.
Lorsqu’ils étaient à Rostov, le Rabbi Rachab tomba malade et, la Rebbetztin ‘Haya Mouchka, alors âgée de 19 ans, s’occupa de lui affectueusement et passa ses nuits à ses côtés. Avant sa Histalkout en 1920, le Rabbi Rachab la bénit.
Aux côtés de son père pendant la période soviétique
Durant les dures années du communisme, où son père le Rabbi Yossef Yts’hak menait une lutte héroïque, elle était toujours à ses côtés. D’ailleurs son père l’impliquait énormément dans son travail.
Jusqu’à Kastroma où il a été envoyé en exil, elle le suivi. Avant de quitter la Russie en 1927, elle s’engagea à épouser Rabbi Mena’hem Mendel Scheerson.
Missions périlleuses pour la communauté
L’épouse du Rabbi, la Rabbanit ‘Haya Mouchka eut plusieurs fois l’occasion d’accomplir de dangereuses missions.
Avant son mariage, son père, le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak l’envoya plusieurs fois à la Yechiva Novardok qui fonctionnait clandestinement à Rostov, afin d’y apporter de la nourriture cachère et des bougies. C’était juste après la Révolution d’Octobre, quand de féroces combats déchiraient la population civile et que les gens étaient abattus dans les rues sans autre forme de procès. Confiante dans la nécessité absolue de ravitailler des jeunes gens désireux d’étudier la Torah, la Rabbanit ‘Haya Mouchka n’hésita pas à mettre sa vie en danger et à acheminer la nourriture et les bougies à cette Yechiva.
Mariage et fuite de l’Europe
Elle se maria un an plus tard, le 14 Kislev 1928, à Varsovie. A propos de ce jour bénit le Rabbi dira 25 ans plus tard : « C’est ce jour que je me suis lié à vous (les hassidim) et vous à moi ».
Après leur mariage, ils vécurent à Berlin jusqu’en 1933, puis à Paris. En mai 1940, ils quittèrent Nice. Au cours d’un bombardement, elle poussa un juif à terre, lui sauvant ainsi la vie. Plus tard, en racontant cette histoire, elle dit : « C’est vrai que je lui ai sauvé la vie mais, pousser un autre juif nécessite une Téchouva ».
Après son mariage (en 1927), la Rabbanit s’installa avec le Rabbi à Berlin où il poursuivait ses études. Avec l’ascension des Nazis au pouvoir, tous deux s’enfuirent en France. Le frère du Rabbi, Rabbi Israël Arié Leib vivait également en France à cette époque et désirait s’établir en Terre Sainte, en Erets Israël qu’on appelait la Palestine. Pour cela, il avait besoin de certificats que seul le gouvernement allemand pouvait lui procurer. Le Rabbi voulut d’abord se rendre en Allemagne pour son frère mais sachant que les Nazis emprisonnaient à tour de bras tous les rabbins et notables juifs importants, la Rabbanit proposa de s’y rendre elle-même. Cela signifiait se jeter dans la gueule du lion mais elle n’hésita pas.
Quand elle arriva en Allemagne, les officiers nazis lui demandèrent de décliner son identité et celle des membres de sa famille. Quelle ne fut pas leur surprise quand elle déclara s’appeler Schneersohn, que son père aussi s’appelait Schneersohn (de fait, elle était une lointaine cousine de son mari) et même le nom de jeune fille de sa mère était Schneersohn. On la soupçonna de mentir (or, bien plus tard, la Rabbanit remarquait qu’elle n’avait jamais dit quelque chose qui ne soit pas vrai…). Les officiers nazis enregistrèrent sa déposition dans leurs dossiers tout en promettant que, dès qu’ils prendraient Paris (!), ils se mettraient à sa recherche ! Mais malgré leurs soupçons, elle réussit à obtenir les précieux documents…
Son rôle dans la succession de son père le Rabbi précédent
En 1950, à la mort du précédent Rabbi de Loubavitch, les ‘Hassidim supplièrent Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, son gendre, de lui succéder. Mais il refusa de prendre la tête du mouvement. Ce fut son épouse, la Rabbanit ‘Haya Mouchka qui le persuada d’accepter cette charge écrasante quand elle déclara : « Je ne peux permettre au sacrifice personnel de mon père durant trente ans de s’arrêter ainsi ! » Elle savait mieux que quiconque ce que cela signifiait pour sa vie privée mais elle fit don de son mari et de sa propre vie au peuple juif.
Après la Histalkout (le décès) de son père, Rabbi Yossef Its’hak, ce fut elle qui persuada le Rabbi son époux de prendre sa succession, sachant fort bien ce que cela impliquerait pour elle. Elle restait éveillée jusqu’à ce que le Rabbi rentre, le soir, tard, à la maison. Et elle se levait tôt le matin pour prendre avec lui une tasse de café. Par tous les moyens possibles, elle assurait au Rabbi un maximum de sérénité, en évitant de lui causer souci et peine.
Humilité et discrétion exemplaires
Quand elle faisait des courses, elle demandait à son secrétaire de l’emmener dans un centre commercial où personne ne la reconnaîtrait. C’est ainsi qu’un jour, elle se rendit dans un certain magasin pour acheter un manteau : or la Rabbanit de Satmar s’y trouvait justement elle aussi ! La dame accompagnant la Rabbanit de Satmar reconnut la Rabbanit ‘Haya Mouchka et en informa à voix basse la Rabbanit de Satmar. Aussitôt, celle-ci se précipita à la rencontre de l’illustre cliente, lui serra chaleureusement la main et entama avec elle une conversation animée et cordiale.
En quittant le magasin, la Rabbanit ‘Haya Mouchka déclara qu’elle ne se rendrait plus dans ce magasin où elle était maintenant reconnue. Une autre fois elle affirma : « Je ne peux pas faire mes courses dans des magasins où on me connaît parce que les gens se croiraient obligés de m’accorder une attention particulière, ce que je ne souhaite absolument pas ! »
De fait, nombreux étaient les gens qui habitaient durant des années dans son quartier et qui ne l’avaient jamais vue. Nombreux sont ceux qui n’ont connu son visage qu’après son départ de ce monde, quand on publia de rares photos d’elle.
Telle était la Rabbanit ‘Haya Mouchka : l’exemple même de la dignité, de l’humilité et de la royauté véritable.
Nous ne connaissons pas grand-chose de la Rabbanit ‘Haya Mouchka Schneerson. Elle tenait par dessus tout à ne pas se faire remarquer : quand elle allait au 770 Eastern Parkway, le quartier général du mouvement Loubavitch à Brooklyn, pour rendre visite à sa mère et sa sœur, elle veillait à ce que ce soit un moment où nul ne se trouvait alentour.
Pour elle, la discrétion était innée. C’est le propre de la fondation d’une maison : peu importe les apparences (d’ailleurs on ne les voit pas) mais sur elle repose tout le bâtiment…
Anecdotes illustrant son caractère
Le docteur de Floride
Un jour, un docteur arriva de Floride et sonna à la porte de la maison du Rabbi. Il apportait une corbeille de fruits et de fleurs pour le Rabbi, de son propre jardin.
Une femme lui ouvrit. Il lui tendit le panier en précisant : « C’est un panier pour le Rabbi en l’honneur de la fête de Pourim de la part de Docteur P. ». La femme le remercia et, pensant que c’était un livreur, partit chercher un billet de cinq dollars pour lui donner un pourboire.
– Non ! Je suis moi-même le Docteur P. et je n’ai pas besoin de pourboire ! s’écria-t-il. – Alors venez ! Entrez ! – Qui êtes-vous ? demanda-t-il, curieux. – Je suis la personne qui s’occupe de la maison, répondit-elle ; par ailleurs, je suis aussi la cousine du Rabbi.
Le Docteur se dit que c’était vraiment une très bonne idée que le Rabbi et la Rabbanit disposent d’une aide aussi agréable et d’aussi noble caractère, sans doute une femme d’origine russe à en juger par son accent…
Il lui raconta qu’il possédait un très beau jardin derrière sa maison et qu’il aurait tant voulu inviter le Rabbi et la Rabbanit chez lui. Ils jouiraient de tout le confort et d’une discrétion parfaite puisque le jardin était entouré d’arbres très serrés. De plus, en Floride, il fait chaud même en hiver etc… « Pourriez-vous transmettre cette proposition au Rabbi et à la Rabbanit ? »
Elle répondit avec beaucoup de naturel : « Je transmettrai vos paroles exactement. »
Ce docteur sortit, émerveillé : « Quelle femme remarquable. Quelle bénédiction que le Rabbi et la Rabbanit aient à leur disposition une femme aussi distinguée ! »
Il en parla à ses amis, les ‘Hassidim. Ceux-ci, suspicieux, l’écoutèrent et lui demandèrent plus de détails. Finalement l’un d’eux remarqua : « Ce devait être la Rabbanit elle-même ! »
– Pourquoi ne me l’a-t-elle pas dit ? protesta le Docteur P. Puis il réfléchit : « Elle m’a dit qu’elle s’occupe de la maison, et c’est vrai ; qu’elle était la cousine du Rabbi et c’est vrai aussi… »
La bibliothécaire
La Rabbanit se rendait souvent dans une bibliothèque à Manhattan. Un jour, alors qu’elle présentait sa carte de membre, l’employée remarqua son nom et lui demanda :
– Êtes-vous de la famille du célèbre Rabbi, à Brooklyn ? » – Oui. – De quelle façon ? insista la jeune femme. – C’est mon mari, avoua la Rabbanit.
L’employée se mit alors à se plaindre du Rabbi. Elle expliqua que, mariée depuis plusieurs années, elle n’avait pas d’enfant : « Sur le conseil de mes amis, j’ai fait l’effort d’aller voir le Rabbi ; il m’a bénie et m’a conseillé de m’engager à accomplir une Mitsva supplémentaire. En effet, me dit-il, la bénédiction agit comme la pluie qui peut rendre fertile un champ préparé et labouré. Je m’engageai à allumer les bougies de Chabbat le vendredi soir. Cela fait deux ans et nous n’avons toujours pas d’enfant ! »
La Rabbanit tenta de la calmer : « Moi non plus… »
Mais la bibliothécaire éclata en sanglots : « Je suis désolée pour vous mais moi, je suis une rescapée de la Shoa. J’ai survécu aux camps d’extermination et je suis la seule survivante de toute ma famille. C’est pourquoi il est si important pour moi d’avoir des enfants, afin que notre famille ne soit pas effacée ! »
La Rabbanit demanda : « Qu’est-ce que mon mari vous a dit, exactement ? » – Il m’a dit d’allumer les bougies de Chabbat ! – C’est bien ce que vous faites ? – Mais oui ! – Et comment le faites-vous ? continua la Rabbanit. – Chaque vendredi, quand mon mari revient du travail, j’allume les bougies vers 19h ou 20h.
Patiemment, la Rabbanit expliqua qu’il fallait allumer les bougies avant le coucher du soleil, en accord avec les horaires imprimés sur les calendriers hébraïques.
La bibliothécaire avait écouté attentivement : elle s’engagea à allumer les bougies à l’heure voulue. Dix mois plus tard, elle serrait son fils dans ses bras… Elle garda contact avec la Rabbanit et lui rendit même visite plusieurs fois.
Sa bénédiction aux jeunes mariés
Un jeune couple de Chlou’him (émissaires du Rabbi) eut le privilège de rendre visite à la Rabbanit avant son mariage.
Elle demanda au fiancé : « Êtes-vous le petit-fils du ‘Hassid, Reb… ? »
Il répondit par l’affirmative. Elle hocha la tête, joyeusement : « Dans ce cas, je suis sûre que vos enfants parleront le yiddish ! »
De nombreuses années passèrent. Le jeune couple n’avait toujours pas d’enfants mais ne désespérait pas : « Nous n’étions pas inquiets puisque la Rabbanit nous avait dit de parler yiddish à nos enfants : pour cela, il fallait bien que nous ayons des enfants ! Et nous étions sûrs que nous aurions plus qu’un enfant puisqu’elle avait parlé au pluriel : « Vos enfants ». Pas un instant nous n’avons perdu espoir puisque nous avions la bénédiction de la Rabbanit ! »
Après 14 ans de mariage, ce couple de Chlou’him mit au monde des jumeaux, un garçon et une fille. Ils les nommèrent Mena’hem Mendel et ‘Haya Mouchka.
Le pouvoir de ses bénédictions
Le premier mot de la bénédiction des Cohanim, « koh » (« ainsi », vous bénirez les enfants d’Israël1) s’écrit en hébreu avec les lettres kaf, hé, כ »ה, qui est aussi une manière de désigner le vingt-cinquième jour du mois.
Le 25 Adar 5736 (au printemps 1976), précisément le jour de son anniversaire, la Rebbetsin ‘Haya Moussia dînait avec le Rabbi dans leur appartement de Président Street, à New York, lorsqu’on sonna à l’entrée. Leur intendant, le Rav ‘Hessed Halberstam ouvrit la porte et réceptionna un beau bouquet offert à la Rebbetsin par l’organisation féminine « Néchei H’abad » ; ce bouquet était accompagné d’une lettre contenant des demandes de bénédictions.
Le Rav Halberstam donna les fleurs à la Rebbetsin et la lettre au Rabbi. Le Rabbi refusa de prendre la lettre en affirmant qu’elle était destinée à sa femme. Le Rav Halberstam insista alors en soulignant : « Cette lettre est pourtant bien pour le Rabbi, car elle contient des demandes de bénédictions » mais le Rabbi lui répondit : « Elle aussi peut bénir. »
Le Rav Halberstam remit donc la lettre dans les saintes mains de la Rebbetsin, pensant dans son for intérieur que, de toute façon, c’est par le zékhout du Rabbi, par son mérite, que la Rebbetsin peut donner des bénédictions. Le Rabbi, lisant dans ses pensées, lui rétorqua: « Mon épouse est capable de bénir par son propre mérite ».
Le Rav Halberstam se demanda : « Quelle est donc la différence entre la brakha du Rabbi et celle de la Rebbetsin ? ». Dès lors, s’engagea un dialogue :
Le Rabbi : « As-tu étudié Dérekh Mitsvotekha ? » Le Rav Halberstam : « Oui ». Le Rabbi : « Quel chapitre? » Le Rav Halberstam : « Celui concernant la Mitsva de la Téfilla ». Le Rabbi : « Tu dois sûrement savoir la différence qui existe entre le niveau immanent de D-ieu, « mémalei kol almine » et le niveau transcendant de « sovev kol almine ». Les bénédictions que je donne tirent leur origine du premier niveau « mémalei kol almine », ce qui signifie que la personne doit aussi agir par elle-même afin que la brakha se réalise. En revanche, lorsque la Rebbetsin gratifie un être de sa brakha, la brakha se réalise automatiquement, même s’il ne fait rien pour cela, car elle procède du second niveau « sovev kol almine ». »
Cette capacité de la Rebbetsin à prodiguer des bénédictions ne fut révélée qu’à une poignée de gens. Lors du dernier discours que nous avons eu le mérite d’entendre du Rabbi le jour du yahrzeit de la Rebbetsin, il associa sa disparition au verset : Par ton intermédiaire, Israël sera béni, une allusion directe au fait que la Rebbetsin Haya Moushka était elle-même une source de bénédictions.
Quelques jours plus tard, le Rabbi ajouta : « Le 25 du mois est relié à l’octroi de toutes formes de bénédictions pour les juifs. »
Sa dévotion et son abnégation lors de la maladie
Un jour, la Rabbanit tomba et se brisa une côte. Elle aurait dû être opérée immédiatement mais cela n’était pas possible, à cause d’un autre problème de santé. Hospitalisée, elle souffrait énormément et était très pâle. J’organisais pour elle un roulement de trois infirmières privées qui s’occupaient uniquement d’elle, huit heures par jour.
A la fin du jeûne du 9 Av, nous avons appris que le Rabbi allait se rendre à l’hôpital. Je dois préciser que, durant toutes ses hospitalisations, je n’ai jamais pénétré dans la chambre de la Rabbanit afin de respecter son besoin d’intimité. Je restais dans le couloir afin d’être disponible pour les infirmières.
Après avoir entendu que le Rabbi allait arriver, je vis l’infirmière sortir bouleversée de la chambre. Des larmes coulaient même sur ses joues tandis qu’elle m’expliqua : « Jamais je n’ai vu une femme aussi extraordinaire. Quand elle a appris que son mari – le Rabbi – allait arriver, elle m’a demandé de l’aider à mieux s’habiller et à se maquiller afin de masquer sa pâleur et ne pas lui causer de peine ! »
Même après qu’elle eut quitté l’hôpital, nous avons continué avec des infirmières privées qui se succédaient à son chevet toutes les huit heures. Ceci dura environ un an. C’est moi qui m’occupais de tout et je demandai à la présidente de cet organisme privé de ne proposer que des infirmières particulièrement courtoises et discrètes.
Je dois préciser que jamais la Rabbanit ne m’avait demandé quoi que ce soit. Elle ne supportait pas d’importuner les autres bien que tous se seraient fait une joie et un honneur de lui rendre service.
Cependant un dimanche particulièrement froid et pluvieux, elle me téléphona : « J’ai un très grand service à te demander, s’excusa-t-elle, mais il m’est pénible de te déranger ! »
– Rabbanit, m’empressais-je d’affirmer, c’est avec joie que je ferai pour vous tout mon possible ! C’est un grand privilège !
– Voilà ! Je me sens beaucoup mieux mais il est déjà huit heures vingt et l’infirmière suivante n’est pas encore arrivée. En ce qui me concerne, cela ne me dérange pas mais mon mari refuse de quitter la maison pour se rendre au « 770 » tant que je serai seule. Pourrais-tu téléphoner au bureau des infirmières pour t’informer de la raison de ce retard ?
Tout en l’écoutant, je me disais qu’à l’étage, le Rabbi disposait d’une pièce dans laquelle il pouvait travailler, avec des dizaines, des centaines de livres à sa disposition. Mais la Rabbanit savait que du travail important l’attendait au « 770 », qu’il avait peut-être besoin de ses secrétaires, que des gens cherchaient probablement à lui parler… Pour éviter de faire perdre son temps au Rabbi, la Rabbanit avait fait une entorse à ses principes et, contrairement à son habitude, elle m’avait demandé un service…
Bien sûr, j’ai immédiatement téléphoné à la compagnie afin d’obtenir qu’une infirmière se déplace dans les plus brefs délais : nous lui avons payé le taxi et l’avons généreusement rémunérée afin de rassurer le Rabbi et la Rabbanit.