Parmi les règles d’interprétation du texte biblique, nous trouvons le principe directeur selon lequel le nom d’une paracha est lié avec tous les sujets qu’elle contient. Notre étude portera aujourd’hui sur ce lien et plus particulièrement sur le rapport existant entre Vayé’hi (il vécut), le nom de la paracha, et la venue du Machia’h (le Messie) un personnage qui n’est abordé que très allusivement…dans cette paracha.

Mais avant de comprendre ce lien, il nous faut revenir sur une question très simple : une partie de la paracha est consacrée aux bénédictions que le patriarche Yaakov accorda à chacun de ses enfants. A propos de Yéhouda, il affirme, entre autres, que la royauté sera issue de sa tribu jusqu’à la venue de Chilo. Qui est Chilo ? Rachi précise dans son commentaire qu’il s’agit du Machia’h. Or, pourquoi le texte ne dit-il pas explicitement « …jusqu’à la venue du Machia’h » au lieu du mot énigmatique de Chilo ? Mais il y a plus. La référence à Machia’h (Chilo) est rapportée ici, accessoirement. Ce n’est qu’une indication et non un sujet de réflexion à part entière. Comment dès lors comprendre cette place très secondaire attribuée au libérateur quand on sait, par ailleurs, que le Rambam (Maimonide) en fait l’un de ses treize articles de foi ! ?

Du Maharal de Prague au Admour Hazakène

Un premier élément de réponse se trouve dans le Talmud (1) qui déclare que le Machia’h est une des trois choses qui surviennent quand on ne s’y attend pas. Mais une approche plus précise du texte nous apportera un éclairage plus significatif. L’expression « quand on ne s’y attend pas » est la traduction des mots « issa’h hadaath » qui signifient plus précisément « quand on éloigne la connaissance logique ». A partir de là, il nous est possible de répondre à notre question initiale : le concept et le personnage de Machia’h sont abordés allusivement parce qu’ils sont éloignés de la connaissance (humaine) logique. Ils ne peuvent être appréhendés avec les normes traditionnelles de l’esprit. Le Maharal de Prague (2) dira que « la personnalité du Machia’h n’a rien à voir avec les critères du monde naturel ». Lorsque l’on demanda au Admour Hazakène (3), le premier Rabbi de Loubavitch, comment peut-on être surpris par la venue du Machia’h si nous avons l’obligation de l’attendre chaque jour, il répondit qu’il n’y avait pas de contradiction entre les deux textes, parce que le Machia’h qui viendra n’est pas celui que l’on attend ! Autrement dit, nous attendons un libérateur avec des normes humaines de perception alors qu’il sera un homme qui dépassera les normes humaines, tant il sera spirituellement très élevé.

Une rupture

On peut comprendre à présent le rapport entre le concept de vie (Vayé’hi- Il vécut) et le Machia’h. La vie dont il est question ici est une vie nouvelle accordée au Machia’h, une vie à comprendre dans le sens de niveau de spiritualité. A propos, en effet, d’un verset des Psaumes (4) qui proclame « …c’est Moi aujourd’hui qui t’ai enfanté », le Midrash explique que lorsque viendra le temps de la délivrance, D.ieu fera naître une créature nouvelle qui sera le Machia’h, une créature qui ne sera pas dans la continuité de ce monde mais qui sera radicalement nouvelle. Bien évidemment, le Machia’h ne sera pas une créature céleste issue d’une autre galaxie. Comme l’explique Rabbi ’Haïm Vital, le disciple du Ari zal (5) « …le roi Machia’h sera un Tsaddik né d’un homme et d’une femme… » qui est issu de ce monde mais la nouvelle vie dont il sera gratifié le placera très haut. En tenant compte de cette donnée, il nous sera possible de comprendre pourquoi, avant la délivrance, le monde connaîtra une dégradation morale, politique et spirituelle telle que le Talmud le rapporte (6). Il faut qu’il y ait une rupture, une coupure avec le monde précédent pour nous signifier que le monde de la délivrance sera un monde nouveau : celui d’un dévoilement de la Présence divine comme le monde ne l’a jamais connu.

 

Notes

  1. Traité Sanhédrine, p. 97a
  2. L’un des plus grands Maîtres de la tradition juive (1525-1609)
  3. 1745-1813)
  4. Chap. 2, v. 7
  5. (1534-1572). Il fut l’initiateur de la tradition ésotérique moderne
  6. Notamment à la fin du traité Sota et dans le onzième chap. du traité Sanhédrine