Notre paracha décrit l’évènement qui devait donner naissance à l’identité juive  : le don de la Thora. A ce propos, le texte nous rapporte un fait étonnant. Il est rapporté que  «  le peuple vit les voix…  » (1). Le Midrach commente  : les enfants d’Israël virent ce qui s’entend et entendirent ce qui se voit. Un miracle de cette dimension à de quoi déstabiliser l’esprit le plus cartésien. Mais pour quelle raison, s’étonne le Rabbi, se produisit un tel miracle  ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire, au préalable de définir, au moins sommairement, les implications de la vue et de l’ouïe. L’une des différences notables entre ces deux sens est l’impact qu’ils produisent chez un individu. Quand on a vu un fait, la scène observée laisse chez nous une trace indélébile. Personne ne pourra nous convaincre que cet évènement n’a jamais eu lieu. Le Talmud le confirme quand il avance le principe selon lequel «  un témoin oculaire ne pourra jamais être juge  ». Du fait qu’il a vu, il ne peut plus juger avec pitié l’auteur d’un délit. Ce qui ne sera pas le cas de celui qui a entendu. On pourra le convaincre, d’une manière ou d’une autre, que ce que son oreille a entendu a été mal perçu ou qu’il a peut être mal compris. En d’autres termes, la vue renvoie à un concept matériel, à une réalité plus palpable du monde alors que l’ouïe s’applique à une perception plus spirituelle de notre environnement.

Une réalité tangible

A partir de là, il nous sera possible de comprendre la spécificité exceptionnelle du don de la Thora. Quand le texte nous apprend que le peuple vit des voix, cela signifie qu’il vit la dimension spirituelle du monde (allusion de l’ouïe) comme quelque chose de tangible. La spiritualité devint pour chaque Juif une réalité évidente comme la vue qui renvoie à une réalité incontestable. Quant à l’autre miracle qui consistait à entendre ce que l’on voit, il est à comprendre dans le sens contraire  : ils entendirent, c’est-à-dire ils eurent une perception distante (uniquement théorique) de la réalité matérielle (voir). Le monde, dans sa matérialité, s’était éloigné de leur personne.

Pour mieux prier

On peut comprendre, à présent, que cette inversion des sens n’était pas un miracle à proprement parler. C’était plutôt la conséquence «naturelle» de la révélation divine lors du don de la Thora. Quand D.ieu se révéla sur le mont Sinaï, la matérialité du monde perdit sa consistance. La spiritualité devint alors, la seule référence de l’homme. L’objet garda sa dimension physique mais il fut en quelque sorte dévitalisé et intégré à la spiritualité. Lorsqu’un aliment est consommé pour assouvir un appétit strictement animal, c’est la dimension matérielle qui est valorisé mais quand il n’est consommé que pour étudier la Thora ou prier avec plus de force, il est perd sa réalité physique et n’est alors perçu que comme un élément d’un projet spirituel. C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre la prophétie de Isaïe qui proclame que « Toute chair verra que c’est la bouche de D.ieu qui parle… », lors de la venue de Machia’h. Ce n’est pas un rejet de la matérialité qui s’imposera. La conscience de D.ieu chez toute créature (toute chair) sera tellement évidente que l’attrait pour le monde matériel disparaîtra de lui-même sans que l’on ne contraigne l’homme à s’en éloigner.

 

Note

(1) Chap. 20, verset 15. Voir Rachi sur ce verset. Les voix dont il est question ici sont la parole de D.ieu qui se manifestait des quatre points cardinaux