L’obscurité et la lumière peuvent-ils faire bon ménage ? Depuis la création du monde, on sait que cette conciliation est impossible mais le début de notre paracha semble nous dire le contraire, avec le mot Miketz qui signifie « A la fin ». Dans cette expression, on retrouve un temps de la vie de Yossef qui s’articule entre deux moments forts : il y a la fin de l’emprisonnement pour passer aussitôt à la délivrance. Comme si la Thora voulait nous dire que la fin pouvait cumuler deux temps opposés. C’est effectivement ce qui se passera à la fin des temps (Ketz hayamim) lors de la délivrance messianique.
Lorsque Yossef quitta sa prison pour venir expliquer les rêves du Pharaon, il y eut deux temps : la sortie de l’obscurité puis les premiers instants de la liberté. Pour la délivrance, ces deux instants ne seront pas différenciés. Ils seront enchevêtrés l’un dans l’autre. Pour comprendre le sens de cette confusion, il nous faut rappeler un grand principe du judaïsme, qui révèlera toute sa force avant la venue du Machia’h.
Le fruit interdit
Quand le Bien veut imposer sa présence, les forces du Mal se dressent contre lui pour le contrer. Pour illustrer ce principe, nos Maîtres font remarquer qu’au moment où Moché commença à parler au Pharaon, dans le but de faire libérer d’Egypte les Enfants d’Israël, l’esclavage s’intensifia et la rigueur de l’exil devint plus pesante. Il en est de même aujourd’hui.
Nous nous trouvons à l’aube de la délivrance, selon tous les signes donnés par le Talmud (1) et nous pouvons constater avec effroi la tension qui règne entre le Bien et le Mal. Cette tension débuta avec la faute du premier homme. Avant qu’il ne consomme le fruit interdit, le Mal existait, mais il était totalement différencié du Bien.
Quand la première faute fut commise, le désordre s’installa et l’on ne put trouver de Bien sans Mal et de Mal sans Bien. Cette confusion nous permet d’ailleurs de comprendre comment le mensonge peut exister dans le monde. Normalement, il n’a aucune valeur mais son existence est possible, précisément grâce au Bien qui s’est infiltré en lui.
Dès lors, on comprend que la trame de l’histoire du monde consiste dans ce rapport de force entre ces deux éléments. Mais à la fin de l’histoire, cette tension prend une nouvelle tournure parce que le Mal sent que le Bien va triompher, avec l’émergence de la délivrance. Pour empêcher cette victoire, il va déployer des forces ultimes et nouvelles.
Une abondance positive ?
Parmi les nombreux exemples que l’on pourrait donner pour montrer combien notre époque annonce l’atmosphère qui animera la création lors de la délivrance messianique, nous prendrons un fait dont l’évidence s’imposera à chacun : depuis à peu près une dizaine d’années, on constate, dans le monde, l’émergence de nombreuses associations caritatives qui mettent tout en œuvre pour réduire les inégalités ou favoriser l’insertion sociale de personnes en difficultés économiques ou psychologiques.
Ainsi les conditions de vie de la femme, de l’étranger ou de l’handicapé se sont considérablement améliorées. Pourquoi est-ce maintenant et pas il y a 30 ou 40 ans que ces mouvements se développent ? Parce que nous approchons de l’ère messianique durant laquelle l’amour et la fraternité règneront entre les hommes. Il est donc, dans l’ordre des choses, qu’avant la venue du Machia’h, le Mal se dresse de toutes ses forces pour empêcher ce mouvement.
Par quel moyen le fait-il ? Par l’importance que prend la matérialité dans notre vie. Le confort qu’elle apporte réduit notre sensibilité au spirituel dans le but d’affaiblir notre implication dans le Bien. Cette abondance est, quelque part, positive parce qu’elle apporte à l’humanité un bienfait qu’elle n’a jamais connu. Mais d’un autre côté, elle anesthésie notre vitalité dans l’action. Pour lutter contre cette froideur ambiante, il ne sert à rien de lutter contre cette forme de Mal.
En apportant de la lumière, le Bien triomphera, comme les lumières de ’Hanoucca face à l’obscurité de la sagesse grecque. Alors de lui-même, le Mal disparaîtra.
Note (1) Fin du traité Sotta et chapitre 11 du traité Sanhédrine