Au cœur de notre paracha, la Thora va consacrer un très long chapitre à la préparation du premier mariage de l’histoire, celui qui unira Its’hak et Rivka. Mais un autre personnage occupe une place discrète mais essentielle pour cet évènement. C’est Eliézer, l’émissaire d’Avraham qui aura pour tâche de trouver une jeune fille digne du fils de son maître. Mais pourquoi, s’étonnent les commentateurs, fallait-il un émissaire pour faire ce mariage ? Il est vrai que pour la tradition juive, un mariage doit passer par un intermédiaire entre les deux futurs époux. Mais qu’en est-il du sens profond de cette situation ? A quelle idée déterminante, nous renvoie ici la Thora ?

C’est avec Its’hak et Rivka que l’idée de mariage prend forme pour la première fois dans la Thora. Le mariage est une alliance dont le but est d’unifier deux éléments contraires qui, de prime abord, s’opposent par nature. Mais ici, pour ce premier mariage, l’opposition est encore plus flagrante puisque Its’hak et Rivka sont issus de deux mondes différents : Avraham et Sara, les parents de Its’hak sont des Justes alors que la famille de Rivka est issue d’un milieu dont la moralité n’a qu’un lointain rapport avec celle d’Avraham. Plus profondément Its’hak et Rivka représentent le Haut (le monde spirituel) et le Bas (le monde matériel) et c’est la raison pour laquelle, notre paracha va consacrer une partie conséquente à ce mariage. Il ne s’agit pas ici d’une simple union matrimoniale. C’est le but du Juif sur terre qui transparaît à travers cette union.

Rapprocher les différences

Toute notre vie, en effet, consiste à sanctifier la matière. Quand un Juif mange, travaille ou agit dans le monde, il utilise la matérialité, non pour un usage strictement personnel mais pour son changer son affectation : il en fait un objet de mitzva. Il va manger pour servir D.ieu en bonne santé, il va travailler pour acheter des objets de culte etc, etc. C’est alors que se réalise un mariage entre le monde spirituel (le Juif) et le monde matériel (la matière). Mais lors du premier mariage, cette union était impossible car ces deux mondes étaient séparés. Il fallait un intermédiaire qui puisse les rapprocher et qui possédait en lui les qualités des deux mondes.
C’est ce qui explique que ce mariage fut arrangé par Eliézer, un émissaire, un homme qui unifiait deux concepts opposés : il était, d’une part, un être (physique) à part entière en pleine possession de ses facultés intellectuelles mais d’autres part, il devait annuler (sa personne et) sa volonté à celle de celui qui l’envoyait : il était complètement soumis à une autorité placée au dessus de lui (le Haut). Eliezer avait donc la capacité d’unifier (véritablement) Its’hak et Rivka.

Le dernier émissaire

Il en sera de même avec celui qui est désigné par Moché (Moïse) comme l’émissaire de D.ieu, le Machia’h (le Messie) qui lui aussi sera la réunion de deux situations extrêmes. C’est d’une part un homme qui souffre, « frappé de plaies » selon les mots du prophète Isaïe. C’est donc un homme du monde physique. Mais d’un autre côté, il est décrit (toujours par Isaïe) comme un homme élevé, sur qui sera posée la sagesse divine et dont l’âme atteindra un degré qui dépassera ceux que le monde aura connu.

Gérard Touaty