La question est fréquente dans la bouche du Juif de la rue : pourquoi les disciples du Rabbi de Loubavitch vénèrent-ils leur Maître d’une manière si excessive, donnant parfois à ce respect une dimension presque idolâtrique ? Vue de loin, la question paraît légitime, mais elle perd de sa consistance devant les textes de la Tradition juive.
On peut donner une réponse en deux temps. Tout d’abord, la vénération du Maître est une donnée essentielle du judaïsme parce que le Maître n’est pas seulement celui qui explique la loi mais c’est aussi celui qui, dans son comportement quotidien, l’incarne à la perfection. L’homme simple verra donc chez lui le modèle auquel ressembler pour s’attacher à D.ieu (1) et pour comprendre les voies du Créateur. «Qui est le visage de D.ieu?» demande le Zohar. «C’est Rabbi Chimone bar Yo’haï», répond-il (2). Affirmation péremptoire qui ne laisse aucune équivoque quant au rôle du Maître : donner aux hommes la possibilité de connaitre D.ieu.
Sanctifier le monde
Indépendamment de ce cadre traditionnel, le Rabbi de Loubavitch, ou plus exactement la fonction que D.ieu lui a confiée, s’inscrit dans une seconde dimension. Le Talmud (3) mentionne l’existence de nombreuses catégories de Tsaddikim (des Justes), chacune se différenciant de l’autre par sa capacité à voir le divin. Toutefois, poursuit le Talmud, à un autre endroit (4) « D.ieu vit que les Justes étaient peu nombreux et, de ce fait, les repartit comme sur une plantation, dans toutes les générations ». Et Rabbi ’Hiya fils de Abba de rajouter : « Même pour un seul Juste, le monde devrait être maintenu, comme il est dit « Le juste est le fondement du monde » (5).
C’est par ce Juste qu’à chaque génération, le monde est dirigé (6). Bien évidemment, comme nous le rapportons plus haut, il n’est pas le seul, mais la tâche qu’il assume dans le monde, est différente des autres Tsaddikim. Les Tsaddikim de chaque génération travaillent plus particulièrement dans le sens d’une amélioration personnelle de leur spiritualité alors que le Juste de la génération œuvre pour affiner le monde et le sanctifier. La qualité lui permettant d’assumer ce rôle, c’est sa totale soumission à D.ieu. Comme on le voit pour Moché rabbénou que la, Thora désigne par le terme de « serviteur de D.ieu ».
On peut dès lors, donner un élément de réponse à notre question initiale. Les disciples du Rabbi de Loubavitch n’aliènent pas leur personnalité ou leur liberté comme le feraient des hommes soumis à un pouvoir humain quelconque. Ils se soumettent à un Tsaddik qui ne possède aucune velléité de contrainte ou d’autorité puisque lui-même reste complètement soumis à la volonté de D.ieu
Acheminer la parole de D.ieu
Mais c’est dans sa qualité de jonction entre D.ieu et le peuple juif que le Juste, fondement du monde, trouve sa pleine expression spirituelle.
Un verset (7) nous dit que Moché, lors du don de la Thora, se trouvait entre D.ieu et les Enfants d’Israël. Cette position d’intermédiaire était nécessaire pour, d’une part, acheminer la parole de D.ieu vers les hommes mais aussi pour leur permettre de s’élever vers Lui. Or, cette fonction n’était possible que chez un homme ayant effacé de lui toute trace de conscience de soi et d’amour propre pouvant faire obstacle à la création du lien entre le divin et l’humain.
Rajoutons ce point : acheminer D.ieu dans le monde n’est pas une fonction strictement spirituelle. Elle touche aussi à l’aspect matériel de la relation avec D.ieu. Le Juste peut bénir les hommes matériellement parce qu’il est le véhicule par lequel D.ieu dispense la vie, véhicule sans lequel l’unité entre D.ieu et Son peuple serait impossible.
Durant les générations précédentes, ces fonctions n’étaient pas perceptibles par l’ensemble du peuple. Aujourd’hui, elles le sont, même chez le Juif le plus simple. Pour que chacun puisse se préparer à la délivrance messianique qui sera mise en œuvre par le Machia’h, le Juste sur lequel le monde repose.
Notes
- Cf. Dévarim, chap.10, verset 20, commenté par le Talmud au traité Pessa’him, p. 22b sur l’équivalence entre l’attachement à D.ieu et l’attachement aux Maîtres
- Zohar, seconde partie, p.38a
- Traité Soucca, p. 45b
- Traité Yoma, p. 38b
- Proverbes du roi Shlomo, chap. 10 verset 25
- Rachi dira plus simplement « Un chef par génération et pas deux », Dévarim, chap. 31 sur verset 7
- Dévarim, chap.5, verset 5