Dans cet enseignement profond, le Rav Michael Taieb nous rappelle que chaque acte concret compte plus que les intentions. Reprenant les paroles du Rabbi de Loubavitch, il nous montre comment chacun peut contribuer à la rédemption finale à travers ses actions quotidiennes, telle une « compagnie d’électricité spirituelle » illuminant le monde un geste à la fois.
À l’époque du Temple, le système des offrandes était parfaitement adapté aux moyens de chacun. Cette sagesse divine se manifestait dans une échelle graduée d’offrandes : celui qui avait les moyens apportait une vache, celui qui avait des ressources plus modestes pouvait offrir une colombe, et celui qui avait peu de moyens pouvait apporter une simple offrande de farine.
Cette structure reflétait une profonde compréhension de la réalité humaine : le service divin devait être accessible à tous, sans distinction de fortune. L’essentiel n’était pas la valeur matérielle de l’offrande, mais la sincérité du cœur qui l’offrait.
Aujourd’hui, en l’absence du Temple, nos prières remplacent les offrandes d’autrefois. Dans nos prières du matin, nous demandons à D.ieu d’accepter nos paroles comme substitut des offrandes que nous aurions apportées si le Temple était encore debout.
Mais une question se pose alors : il est facile de déclarer dans nos prières que nous aurions offert des taureaux – l’offrande la plus coûteuse – si le Temple existait. Mais soyons honnêtes : en considérant le coût réel des offrandes à l’époque, beaucoup d’entre nous n’auraient probablement eu les moyens que d’apporter une offrande plus modeste.
La réponse de Rav Yoel Kahn, qui transmettait les enseignements du Rabbi, est à la fois simple et profonde. Il explique : « dans le domaine de la parole, il n’y a pas de contraintes économiques. Quand nous prions, nous pouvons « offrir » sans limite – un taureau, deux taureaux, trois taureaux, même dix taureaux, car les mots sont gratuits ».
Cette réponse brillante nous dévoile toute la force unique de la prière. Si dans le monde physique, nos ressources matérielles limitent ce que nous pouvons accomplir, dans la sphère spirituelle de la parole, ces barrières s’effacent complètement. Par nos lèvres, nous pouvons donner voix à nos plus hautes aspirations, sans aucune restriction.
Le Rabbi nous transmet une pensée quotidienne qui, si nous la vivons pleinement, transforme cette journée. Il cite une parole profonde du Tsema’h Tsedek, le troisième Rabbi dans la dynastie Habad, qui nous livre une métaphore puissante : « Nous sommes les ouvriers de D.ieu. »
Cette image est développée de manière saisissante : nous sommes comparés à une « compagnie d’électricité spirituelle ». Notre mission ? Apporter la lumière divine dans le monde. Mais cette lumière ne reste pas dans le domaine de la théorie – elle doit se manifester concrètement par l’action.
Le Talmud nous révèle un principe fascinant : même le simple mouvement des lèvres est considéré comme une action. Appliquons cela à notre quotidien : lors d’un trajet en train ou d’une marche dans la rue, plutôt que de laisser notre esprit vagabonder ou nos yeux errer – ce qui est déjà problématique en soi – nous pouvons mettre ce temps à profit en récitant des Psaumes, des passages de la Michna ou du Tanya.
Cette activité apparemment simple cache une profonde réalité spirituelle : chaque mot prononcé se compose de lettres, et chaque lettre crée un ange. Ces anges, nés de nos bonnes actions, sont éternels et leur mission est extraordinaire : ils transforment le monde. Rabbi Shlomo Chaim Keselman, le Mashpia de Habad, rapportait au nom du Ralbag une idée remarquable : chaque ange issu de nos bonnes actions, lorsqu’il rencontre un Juif, inspire en lui des pensées de repentir et de sainteté.
Voilà ce que signifie véritablement agir plutôt que rester passif. Notre rôle d’ouvriers de D.ieu nous place, comme nous l’avons vu, dans la « compagnie d’électricité spirituelle ». Mais attention : la Rédemption finale ne se réalisera pas uniquement par des paroles.
Certes, dans le domaine de la parole, tout est possible sans contrainte : nous pouvons parler d’offrir des sacrifices car cela ne coûte rien. En paroles, nous pouvons facilement imaginer achever l’étude de tout le Talmud, transformer notre ville entière en mettant des Téfilines à chaque habitant, distribuer des bougies de Shabbat à tous, fixer des Mezouzot sur chaque porte, inscrire tous les enfants dans des écoles de Torah.
Mais il y a ici une leçon cruciale : si la parole nous permet d’exprimer nos plus hautes aspirations, elle ne peut se substituer à l’action concrète. Ces bonnes intentions, aussi nobles soient-elles, doivent se traduire en actes réels pour avoir un véritable impact sur le monde.
Dans un discours poignant prononcé en Nissan 5751 (1991), le Rabbi dévoile une vérité dérangeante sur notre rapport à la Rédemption. Oui, nous pouvons exprimer en paroles nos bonnes intentions, mais les paroles seules ne suffisent pas à concrétiser nos aspirations.
Le Rabbi va plus loin en faisant une observation saisissante : personne ne désire véritablement, profondément, la venue du Machia’h. Même lorsque nous crions « jusqu’à quand ? » – cette supplication pour la fin de l’exil – ce n’est souvent qu’une réponse à sa directive de le faire. Ces cris manquent de la sincérité profonde, de l’authenticité qui viendrait du cœur. Le Rabbi affirme que si nos cris étaient vraiment sincères, si notre désir de Rédemption était réel et pas simplement déclaratif, le Machia’h serait déjà parmi nous depuis longtemps.
Le Rabbi prononça alors des paroles bouleversantes qui résonnent encore aujourd’hui. « J’ai fait ma part », déclara-t-il, « et à partir de maintenant… » – et notez bien la suite – « Faites tout ce qui est en votre pouvoir. »
Je me souviens d’avoir assisté à un Farbrenguen (réunion hassidique) d’urgence, spécifiquement convoqué le 28 Nissan. L’assemblée était pleine de Hassidim quand l’un d’entre nous se leva et lança un appel poignant : « Mes amis, comment ne pas avoir honte ? Nous organisons des réunions alors que le Rabbi ne nous a pas demandé de ‘parler’ tout ce que nous pouvons, mais de ‘faire’ ! »
Cette intervention percutante souligne la différence cruciale entre parler et agir. Le Rabbi ne demandait pas plus de discussions ou de résolutions, mais des actions concrètes. Cette distinction fondamentale entre la parole et l’action représente le véritable défi que le Rabbi nous lance.
Les dix campagnes du Rabbi nous donnent un cadre d’action concret. Et regardez autour de vous : les rues sont pleines de Juifs, même à l’étranger où nous connaissons leurs lieux de résidence. La question qui se pose alors est simple : vous souhaitez vraiment la venue du Machia’h ?
La réponse n’est pas dans plus de discussions ou de théories – elle est dans l’action concrète : allez frapper aux portes ! Cette directive directe nous rappelle notre véritable mission. Pourquoi devons-nous agir ainsi ? Parce que nous sommes les employés de la compagnie d’électricité spirituelle.
Laissez-moi partager avec vous une histoire significative. Il s’agit d’un Juif remarquable qui nous a quittés il y a moins d’un an – le Rav Moshe Kotlarsky, que la paix soit sur lui. Bien que le Rabbi fût le véritable directeur général, c’est le Rav Kotlarsky qui gérait concrètement tout le réseau mondial des émissaires du Rabbi. Il nous a malheureusement quittés après avoir enduré une terrible maladie.
J’ai eu le privilège, dans ses dernières années, de développer une certaine proximité avec lui. Lors de mes visites chez le Rabbi pendant les fêtes, je participais régulièrement aux minyans (offices) qui se tenaient chez lui, suivis de Farbrenguen (réunions hassidiques) auxquels j’assistais fréquemment.
Je me souviens particulièrement de ma dernière rencontre avec lui, lors de Simhat Torah. Ce jour-là, après avoir prié dans la synagogue du Rabbi – qui était en fait sa chambre – un ami et moi sommes allés prendre de ses nouvelles. Notre inquiétude venait du fait que la nuit précédente, il n’avait pas participé aux Hakafot dans la chambre du Rabbi, alors qu’il était censé y être présent.
Inquiets de son état de santé, nous sommes allés lui présenter nos vœux de fête avant de rejoindre la famille de mon ami pour le repas. À notre arrivée, on nous informa d’abord qu’il se reposait, mais peu après, il fit l’effort de descendre trois marches de sa maison pour nous accueillir.
Sa maison était comparable à la tente d’Abraham notre père – une véritable souccah géante ouverte à tous. C’était un lieu d’hospitalité extraordinaire : les gens entraient librement, mangeaient et buvaient sans avoir besoin d’invitation. L’abondance de nourriture et le service attentionné dépassaient tout ce qu’on pouvait imaginer.
Nous nous sommes assis près de lui, mon ami, moi-même et une autre personne. Pendant près d’une heure, il nous a offert un véritable Farbrenguen hassidique. Rav Moshe excellait dans l’art du Farbrenguen, mais ce qui le caractérisait surtout, c’était son sens pratique et son expérience concrète de la vie.
Il nous a raconté que lorsque le Rabbi a prononcé ce même discours dont nous avons parlé plus tôt, le 28 Nissan, sa place habituelle quand le Rabbi parlait un jour de semaine – le Rabbi parlait sur son estrade, on lui apportait un pupitre, il y avait un microphone et le Rabbi parlait – était généralement près de l’Arche Sainte, très proche.
Mais ce jour-là, le secrétaire personnel du Rabbi, le Rav Hodakov, que la paix soit sur lui, pour une raison quelconque, avait décidé de se tenir à la place du Rav Moshe Kotlarsky. Le Rav Moshe Kotlarsky a donc du chercher une autre place.
La seule place qu’il a trouvée pour se tenir était sous les pieds du Rabbi. C’est-à-dire que le pupitre était en haut sur l’estrade surélevée, et lui se tenait en dessous. Alors que lui est-il arrivé ? Il ne voyait pas le Rabbi, il voyait les pieds du Rabbi.
C’est bien aussi, comme il est écrit « six cent mille pas du peuple parmi lequel je suis », que le Rabbi est la tête et nous sommes les pieds. Alors il se voyait lui-même, il voyait les pieds. Il dit que quand le Rabbi est arrivé à ce passage où il disait que plusieurs dizaines de Juifs se rassemblent, et pourtant ils ne parviennent pas à faire venir la Rédemption, et qu’en réalité personne ne se soucie si le Machia’h ne vient pas, ni aujourd’hui, ni demain, ni après-demain ! ». Et même quand ils crient « jusqu’à quand », c’est parce que je l’ai ordonné, et s’ils criaient et demandaient vraiment, Machia’h serait déjà venu depuis longtemps. Le Rabbi a dit : « Tout ce que nous avons fait jusqu’à maintenant est en vain, nous sommes toujours en exil, en exil intérieur dans le service divin. La seule chose que je pouvais faire, c’était de vous transmettre la responsabilité. J’ai fait ma part. » « Puisse-t-il être Sa volonté que dix Juifs s’obstinent et qu’on trouve un, ou deux, ou trois qui sont prêts à s’obstiner. »
Rav Kotrarsky il dit que quand le Rabbi prononçait ce discours, ses jambes tremblaient. Il me dit : « Lles jambes du Rabbi tremblaient, je pensais que le Rabbi allait tomber d’un moment à l’autre. »
Le Rabbi dit : Vous comptez trop sur moi. Et nous en avons parlé la semaine dernière, que c’était le premier problème que le Rabbi a mentionné après avoir accepté la direction du mouvement. Il dit : « Je vais aider et je ne me déroberai pas à l’aide, mais n’attendez pas que je sorte des oiseaux de mes poches. Le Rabbi n’est pas un magicien. Chacun doit travailler par ses propres forces. Je ne ferai pas votre travail à votre place. Je ne ferai pas pour vous le travail qui est le mien en tant que Rabbi, je ferai le travail qui m’incombe, vous ferez le vôtre. »
Le Rav Moshe Kotlarsky nous dit : Lorsque le Rabbi a terminé son discours, je voulais lever la tête et dire au Rabbi : Que voulez-vous dire par ‘tout ce que nous avons fait jusqu’à maintenant’ ? Tous les Tanyas que nous avons imprimés, tous les Téfilines, toutes les institutions, tous les rouleaux de la Torah, tous les livres que le Rabbi a imprimés, tous les étudiants… tout cela est en vain ? » Le Rabbi dit : « Si le Machia’h n’est pas venu, alors nous n’avons pas atteint notre objectif. »
Et alors le Rav Moshe Kotlarsky m’a dit : Le Rabbi a sa méthode, la méthode du Rabbi est « tous méritants ». Au début de la Nessiout du Rabbi, l’un des grands rabbins d’Israël qui vivait en Amérique est venu voir le Rabbi et lui a dit qu’il pensait que ce que le Rabbi commençait à faire maintenant – réveiller le peuple juif aux commandements et à la Torah et aux bonnes actions – était peut-être une erreur. Car il est écrit que le Machia’h viendra de deux manières : soit quand la génération sera entièrement coupable, soit quand elle sera entièrement méritante.
C’était vraiment au début, quand le Rabbi avait pris la direction, c’était après la Shoah, le peuple juif était à genoux. Alors il dit au Rabbi : « Si nous laissons le peuple juif se dégrader encore un peu, ils atteindront l’état d’être entièrement coupables et le Machia’h viendra. Le processus que vous entreprenez prendra énormément de temps. »
Le Rabbi lui répondit : « Je sais ce que vous dites, mais je veux que le peuple juif reçoive le Machia’h la tête haute. » C’est la méthode du Rabbi.
Alors j’ai demandé au Rav Moshe Kotlarsky : « Alors que fait-on ? Comment traduit-on cela en actes concrets ? » Il répondit : « Écoute, nous devons nous assurer qu’il ne reste pas un seul Juif dans le monde qui n’accomplisse pas au moins un commandement, et si possible plusieurs fois. C’est-à-dire que chaque fois que nous sortons dans la rue distribuer des bougies de Chabbat aux femmes juives, que nous fixons une nouvelle mezouza dans une maison, que nous influençons une famille à vivre selon la pureté familiale, que nous agissons pour qu’un enfant mange casher, qu’une famille mange casher, qu’un Juif mette les Téfilines, alors nous faisons pencher le monde du côté du mérite ».
« Nous œuvrons pour que le monde devienne entièrement méritant et nous hâtons la venue du Machia’h. Mais cela ne se fait que par des actions concrètes. Les taureaux, en paroles, on peut les apporter, cela ne coûte rien, mais nous sommes des ouvriers de l’action ».
Certes, l’intention est importante, mais comme on dit, vous connaissez l’histoire de ce Juif qui avait une auberge et qui était riche, et tous les pauvres venaient manger chez lui, dormaient chez lui, et avant de quitter la maison, il leur donnait un peu d’argent et des provisions pour la route. Un jour, l’Admour Hazaken était dans cet endroit et séjourna chez lui.
Le propriétaire remarqua qu’il s’agissait de quelqu’un de spécial – c’était encore avant que l’Admour Hazaken ne devienne célèbre, avant qu’il ne devienne le premier Admour de la lignée Habad. Et ce propriétaire remarqua qu’il s’agissait d’une personnalité exceptionnelle, alors il insista auprès de l’Admour Hazaken pour qu’il reste encore un jour, et encore un jour, et encore un jour.
Mais finalement, l’Admour Hazaken devait partir. Avant son départ, ce Juif lui dit : « Maître, je voudrais vous consulter. Vous voyez mon entreprise, je le fais vraiment de tout cœur, mais vous savez combien d’orgueil j’en tire ? J’en tire beaucoup d’orgueil, tellement de satisfaction personnelle. Peut-être devrais-je arrêter ? Qu’en pensez-vous ? »
Alors l’Admour Hazaken lui répondit : « Peut-être que tes intentions ne sont pas vraiment pures, mais l’acte est vraiment accompli. » Que signifie cela ?
Certainement, il faut partir en campagne, distribuer des bougies de Chabbat ou allumer une âme juive par un quelconque commandement. Il faut le faire pour l’amour du Ciel, pour une intention supérieure, et non pas pour développer son ego, pour que je sois considéré comme quelqu’un de grand ou une personne de haut niveau, pour qu’on dise de moi que j’ai fait revenir tant de juifs au Judaïsme. Il ne faut pas chercher à devenir un grand « faiseur de Baal Téchouva ».
Il faut le faire vraiment pour l’amour du Ciel, pour l’unification du Saint, béni soit-Il, et de Sa présence divine. Mais peu importe ton intention, ce que tu penses, car quand tu relèves une manche et que tu mets les Téfilines sur le bras d’un Juif, peu importe quelle était ton intention – ce juif a concrètement mis les Téfilines. Cette femme a concrètement allumé les bougies. C’est cela le point essentiel.
Et c’est pourquoi il faut se rappeler que l’action est l’essentiel. Et à tel point que – maintenant je vais étudier un peu de Tanya – mais nous savons que le Tanya est basé sur le verset « Car la chose est très proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur pour la faire. »
Nous savons que jusqu’au chapitre 17 inclus, l’Admour Hazaken explique les mots « Car la chose est proche de toi », du chapitre 18 au chapitre 25 le mot « très », et du chapitre 30 au 38, il explique le mot « pour la faire« . Pourquoi l’action est-elle si importante ?
L’Admour Hazaken dit que l’action est la seule chose qui puisse faire résider la Présence divine dans l’homme. Et pourquoi ? Parce que pour que la Présence divine réside dans l’homme, il faut que l’homme soit dans l’annulation de soi, et l‘expression la plus forte de l’annulation de soi est l’action. Le Saint, béni soit-Il, a ordonné et j’obéis. Le Saint, béni soit-Il, a dit et je fais.
Certes, comme il est expliqué dans la Hassidout, la quantité d’annulation est petite, car je peux faire une action parfois sans être connecté à l’action de manière intellectuelle ou émotionnelle. Donc il en résulte que dans cette action, une grande partie de ma personnalité n’est pas présente, ne participe pas à l’action. C’est seulement mon action qui agit.
Donc en quantité, la part de moi qui participe au commandement est très petite, mais le Rabbi dit qu’en qualité, elle est très grande. Pourquoi ?
Parce que lorsque tu agis en fonction de ce que tu ressens et de ce que tu comprends, ton ego reste au centre de l’action. En revanche, quand tu accomplis une bonne action simplement parce que le Saint, béni soit-Il, l’a demandée, même si ton intellect et tes émotions restent en retrait, cette action pure devient une véritable expression d’humilité – car elle transcende complètement ton existence personnelle.
Ensuite, au chapitre 36, il explique que le but de la création du monde est d’avoir une demeure dans les mondes inférieurs, et au chapitre 37, il explique qui fera cette demeure dans les mondes inférieurs ? Les mondes inférieurs eux-mêmes, c’est-à-dire nous.
Le projet divin comporte deux aspects essentiels : d’abord, établir une demeure pour la divinité dans les mondes inférieurs, et surtout, que ce soient les habitants de ces mondes inférieurs eux-mêmes qui la construisent. Comment réaliser cela concrètement ? Le Rabbi nous enseigne notre double mission : la première, fondamentale, est de prendre chaque élément du monde matériel qui est « klipat noga » (les éléments neutres qui peuvent être élevés vers le bien ou abaissés vers le mal) et de le transformer en sainteté.
Prenons un exemple concret : une simple tomate prend sa source dans « klipat noga », une Klipa neutre. Quand tu la consommes avec l’intention de servir D.ieu, elle est élevée vers la sainteté. De même pour ton travail : lorsque tu gagnes de l’argent honnêtement, que tu prélèves la dîme et que tu utilises tes revenus pour des causes saintes, tu transformes l’ensemble de cette activité matérielle en acte spirituel. Cette élévation s’étend même au temps que tu y consacres – chaque heure de ta journée, qui fait partie de ce monde matériel, peut ainsi être sanctifiée.
Voici un exemple qui illustre l’ampleur de cette élévation spirituelle : imaginons que tu importes des marchandises de Chine. Lorsque tu prélèves la dîme ou le cinquième de tes bénéfices pour des causes saintes, tu n’élèves pas seulement l’argent donné – tu sanctifies toute la chaîne de valeur. Cela inclut ton salaire, toutes les heures de travail investies, ton commerce entier, le transport maritime qui a acheminé les produits, et même l’usine en Chine qui les a fabriqués. Ainsi, un simple acte de Tsédaka a le pouvoir de transformer et d’élever spirituellement toute une chaîne d’activités matérielles.
C’est ainsi qu’étape par étape, une personne élève chaque parcelle de « klipat noga » qu’elle rencontre. La dispersion des âmes juives à travers le monde n’est pas un hasard : D.ieu a confié à chacune une mission unique, avec sa part spécifique de « klipat noga » à élever et à purifier. Notre dispersion à travers le monde prend alors tout son sens : nous sommes les émissaires du Saint, béni soit-Il, chargés d’une mission sacrée – celle d’élever le monde matériel vers la sainteté.
Voici ce qui arrivera lorsque nous aurons accompli notre mission d’élever toute la « klipat noga » vers la sainteté : les forces de l’impureté, qui ne peuvent se nourrir de la sainteté que par l’intermédiaire de la « klipat noga », se retrouveront privées de leur source vitale. En effet, si toute la « klipat noga » est transformée en sainteté, les trois écorces impures n’auront plus aucun moyen de puiser leur énergie, et sans cette « nourriture » spirituelle, elles disparaîtront d’elles-mêmes.
Cette transformation cosmique représente l’accomplissement du projet divin, où le mal perd naturellement son emprise en étant privé de sa source d’existence.
Voici un autre aspect crucial : nous devons éviter les transgressions, car chaque transgression alimente les trois écorces impures en leur donnant de la vitalité. En revanche, chaque fois que nous résistons à la tentation de transgresser, cette retenue elle-même devient un acte positif. En nous maîtrisant, nous ne faisons pas que nous abstenir passivement – nous accomplissons activement l’acte d’interrompre le flux d’énergie qui aurait alimenté les forces de l’impureté.
Cette perspective transforme notre compréhension de la lutte contre le mal : notre retenue devient elle-même une action positive dans le processus de purification du monde.
Voici pourquoi la Tsédaka occupe une place si centrale : elle est considérée comme le commandement le plus important de la Torah. Mais pourquoi ? Parce que le but ultime de tous les commandements est d’élever la « klipat noga » vers la sainteté. C’est la raison pour laquelle nous devons sanctifier même nos actes permis et agir constamment pour l’amour du Ciel – tout cela vise à élever la « klipat noga ». Or, parmi tous les commandements, aucun n’a le pouvoir d’élever autant de « klipat noga » vers la sainteté que l’acte de Tsédaka.
Cette primauté de la Tsédaka s’explique par sa capacité unique à transformer et élever la matérialité vers le spirituel, faisant d’elle l’outil le plus puissant dans notre mission de sanctification du monde.
Prenons l’exemple des Téfilines pour comprendre cette différence d’impact : lorsque nous accomplissons cette mitsva, seules certaines parties du corps sont directement impliquées et donc élevées vers la sainteté – la main sur laquelle nous posons les Téfilines, le crâne où nous plaçons le boîtier, et la main qui manipule les lanières. De même au niveau de l’âme, seules les forces spécifiques qui contrôlent ces mouvements – la partie de l’âme animale qui active ces membres – sont élevées vers la sainteté.
Cette explication met en lumière la portée relativement limitée de cette mitsva en termes d’élévation de la matière, même si elle reste bien sûr d’une importance capitale dans le service divin.
En revanche, considérons la portée exceptionnelle de la Tsédaka : l’argent que nous donnons provient de notre travail. Et qui a participé à ce travail ? Le corps tout entier. Ainsi, lorsque nous donnons la Tsédaka, c’est l’ensemble de notre corps qui s’élève vers la sainteté. Plus encore : cet argent que nous avons gagné aurait pu être utilisé pour maintenir notre existence physique. Par conséquent, quand nous choisissons de le donner en Tsédaka, nous élevons d’un seul coup une quantité immense de « klipat noga » vers la sainteté.
Cette élévation s’étend bien au-delà de l’argent donné : elle englobe toutes les heures de travail investies, l’ensemble de notre activité commerciale, la totalité de nos revenus. C’est toute une chaîne d’activités matérielles qui se trouve ainsi sanctifiée par un seul acte de Tsédaka.
Nous comprenons maintenant le lien profond entre la Tsédaka et la rédemption finale : la venue du Machia’h et la rédemption complète dépendent de notre capacité à élever la « klipat noga » vers la sainteté. Or, la Tsédaka est l’outil le plus puissant dont nous disposons pour accomplir cette élévation. C’est pourquoi nos Sages ont enseigné : « Grande est la Tsédaka qui rapproche la rédemption ».
Cette affirmation n’est pas une simple formule : elle révèle le mécanisme spirituel par lequel chaque acte de Tsédaka contribue concrètement à transformer le monde et à le préparer pour la rédemption finale.
À ce stade, le Talmud soulève une question fondamentale qui semble remettre en cause tout ce qui vient d’être expliqué. Face à cette répétition insistante sur l’importance de la Tsédaka, il nous rappelle l’enseignement de la Mishna : « L’étude de la Torah équivaut à tous les autres commandements ». Cette apparente contradiction nous place face à une question cruciale : qu’est-ce qui prime réellement entre la Tsédaka et l’étude de la Torah ?
Cette interrogation n’est pas une simple question académique – elle touche à la hiérarchie même des valeurs dans le judaïsme et à notre compréhension des priorités dans le service divin. La réponse apportée va nous révéler une vision profonde de la complémentarité entre ces deux piliers du judaïsme.
Le Rabbi résout cette apparente contradiction en introduisant une distinction fondamentale : tout dépend de l’objectif que nous considérons. Pour ce qui est de la connexion de l’âme avec D.ieu, rien ne surpasse la Torah. En effet, le rôle premier de la Torah est de créer ce lien direct entre l’âme et le Divin. Si elle contribue aussi à purifier la « klipat noga » – sans entrer ici dans les détails – sa fonction essentielle est de connecter l’âme au Saint, béni soit-Il, en agissant sur les dimensions les plus intérieures de l’âme : la pensée et la parole.
Ainsi, lorsqu’il s’agit d’établir cette connexion spirituelle profonde, la Torah occupe une place unique et irremplaçable dans le service divin.
En revanche, quand nous considérons l’autre aspect fondamental – la purification du monde pour en faire une demeure pour D.ieu dans les mondes inférieurs – la perspective change. Si la Torah reste suprême pour la connexion de l’âme avec le Divin, c’est la Tsédaka qui prend la première place quand il s’agit de purifier le monde matériel. En effet, pour la purification des éléments inférieurs – que ce soit le monde physique ou l’âme animale – aucun commandement n’égale la puissance transformatrice de la Tsédaka.
Cette distinction nous révèle la beauté complémentaire de ces deux piliers : la Torah qui élève l’âme vers D.ieu, et la Tsédaka qui élève le monde matériel vers la sainteté.
L’Admour Hazaken nous donne une directive pratique claire : imaginons que tu sois plongé dans l’étude de la Torah et qu’une occasion d’accomplir un commandement se présente – par exemple, quelqu’un frappe à ta porte pour demander la Tsédaka. Si ton fils est à proximité et peut donner les 10 shekels ou le montant que tu souhaites à ta place, alors ne t’interromps surtout pas dans ton étude.
Dans ce cas précis, l’Admour Hazaken nous enseigne qu’il ne faut pas abandonner l’étude car tu te trouves à ce moment-là au sommet de ta connexion avec le Saint, béni soit-Il, et puisque quelqu’un d’autre peut accomplir le commandement, cette connexion spirituelle ne doit pas être interrompue.
Cette instruction pratique nous montre l’importance de préserver les moments intenses de connexion spirituelle quand les circonstances le permettent.
En revanche, si personne d’autre ne peut accomplir ce commandement à ta place, alors tu dois interrompre ton étude. Et voici la profondeur de cet enseignement – remarquez bien ces mots : quelle est la valeur de la plus haute connexion spirituelle si elle ne contribue pas à réaliser l’objectif ultime de faire de ce monde une demeure pour D.ieu ?
C’est une révolution dans notre compréhension : même l’étude de la Torah, aussi élevée soit-elle, doit parfois céder la place à l’action concrète qui transforme le monde. Car la plus sublime des connexions spirituelles manque son but si elle ne participe pas à la réalisation du projet divin : faire de ce monde matériel une demeure pour D.ieu.
Cette directive nous rappelle que la finalité de toute spiritualité n’est pas l’élévation personnelle, mais la transformation concrète du monde.
Le Rabbi utilise ici une analogie saisissante pour illustrer l’insuffisance de l’étude qui ne mène pas à l’action. Une personne qui consacre tout son temps à l’étude en yeshiva mais qui ne met jamais ses connaissances au service des autres est comparée à un scénario absurde : imaginez un mariage où tout est parfaitement préparé – la date est fixée, le dais nuptial est dressé, les invités sont tous présents – mais où le marié lui-même ne se présente pas.
Cette image puissante nous enseigne que l’étude, aussi importante soit-elle, n’est pas une fin en soi. Elle doit nous préparer à notre véritable rôle : agir dans le monde pour le transformer. Tout comme un mariage n’a aucun sens sans la présence du marié, l’étude perd son but ultime si elle ne conduit pas à l’action et au partage avec autrui.
Certains pourraient se sentir diminués en pensant qu’ils ne sont pas des « émissaires officiels ». Mais cette vision est immédiatement corrigée : être un émissaire de D.ieu ne se réduit pas à un titre officiel ou à un badge qu’on arbore lors d’une conférence annuelle.
Être un émissaire, c’est avant tout un état d’âme, une disposition intérieure qui se manifeste dans notre vie quotidienne. C’est ressentir une responsabilité vivante envers les Juifs que nous côtoyons, que ce soit dans notre immeuble ou notre quartier. C’est saisir chaque opportunité, même dans notre environnement professionnel, pour partager une parole de Torah ou un enseignement hassidique, pour avoir une influence positive sur ceux qui nous entourent.
Cette conception élargie de la mission transforme chaque Juif en émissaire potentiel, faisant de chaque interaction quotidienne une occasion de sanctifier le monde.
Cette explication révèle une dimension profonde de notre responsabilité quotidienne : la mission divine ne nécessite pas toujours des actions extraordinaires. Même notre simple apparence peut avoir un impact spirituel significatif. Quand une personne marche dans la rue en portant les signes distinctifs du judaïsme – Kippa, barbe, Tsitsit – elle devient un rappel vivant de la présence divine dans le monde.
Cette présence visible a un effet, qu’il soit accueilli positivement ou non. Car elle rappelle une vérité fondamentale : il existe des personnes qui vivent leur foi en D.ieu de manière assumée. Et ce rappel résonne particulièrement puisque la majorité des gens portent en eux une forme de croyance. Ainsi, notre simple présence leur rappelle l’existence de D.ieu, de la Torah et des commandements.
Cette perspective transforme notre apparence elle-même en mission divine : nous devenons des témoins vivants de la dimension spirituelle de l’existence, même sans prononcer un mot.
Voici une expression profonde du dévouement requis : le Rabbi nous enseigne une forme particulière de sacrifice de soi dans l’étude de la Torah. Il ne s’agit pas d’un sacrifice physique, mais d’accepter d’étudier à un niveau plus simple que nos capacités pour pouvoir partager avec d’autres Juifs. Il faut être prêt à consacrer du temps à enseigner à un niveau plus accessible, même si personnellement nous pourrions étudier des sujets plus avancés.
Pourquoi ce sacrifice est-il nécessaire ? Parce que nous sommes des « ouvriers de l’action », des employés de la « compagnie d’électricité spirituelle ». Notre mission n’est pas seulement notre croissance personnelle, mais l’illumination des âmes autour de nous. Face à l’opportunité d’allumer une autre âme juive, comment pourrions-nous hésiter ?
Je partage avec vous une expérience personnelle qui illustre ce sacrifice de soi : presque chaque semaine, je dois aller donner un cours à un certain endroit. Et chaque fois, cela me demande un nouvel effort car c’est durant le seul moment de qualité dont je dispose dans la semaine. Certes, j’ai d’autres moments de qualité – et je me demande d’ailleurs si j’en profite vraiment assez – mais dans ces moments de doute, je me tourne vers D.ieu et je Lui dis : « Maître du monde, c’est la mission que Tu m’as confiée dans ce monde. » Alors j’y vais.
Mais toute ma fatigue s’évanouit quand je vois les visages rayonnants de joie des participants au cours. Quand je les observe s’illuminer en découvrant un nouveau commentaire sur la section hebdomadaire ou une parole hassidique du Rabbi, quand je constate à quel point ces enseignements les élèvent et enrichissent leur vie, mon cœur se remplit de gratitude. Je me dis alors avec émotion : « Voilà, ce matin, j’ai vraiment accompli ma mission – j’ai travaillé une demi-heure dans la compagnie d’électricité du Saint, béni soit-Il, dans la compagnie d’électricité du Rabbi. »
Ces moments de joie partagée me confirment que chaque effort en valait la peine, que chaque sacrifice de temps personnel s’est transformé en lumière pour d’autres âmes juives.
Notre mission est claire : nous sommes des ouvriers de l’action. La vision du Rabbi est que chaque Juif devienne méritant, et pour réaliser cet objectif, une seule solution : retrousser nos manches et nous mettre au travail. Pas dans la tristesse ou la contrainte, mais avec joie.
Et voici un point crucial : même si nos intentions ne sont pas toujours parfaites, l’essentiel est que l’autre personne accomplisse réellement le commandement. Car en fin de compte, c’est l’action concrète qui prime sur tout le reste.
Bien sûr, ne nous méprenons pas sur le message précédent. L’intention, l’étude et la prière restent fondamentales. Prenons une analogie moderne : tout comme un téléphone a besoin d’être rechargé pour fonctionner, tout comme une voiture (même électrique !) nécessite d’être alimentée pour rouler, notre âme a besoin d’être « rechargée » spirituellement.
Si nous n’étudions pas la Torah quotidiennement pour nous-mêmes, si nous ne prions pas avec la concentration nécessaire, nous ne pourrons pas accomplir notre mission de rapprocher les autres de la spiritualité. Nous serions comme une voiture à sec ou un téléphone déchargé – incapables de remplir notre fonction.
Cette vérité est essentielle : nous devons recharger notre âme. Mais voici un point crucial : quand tu étudies, ne le fais pas dans une perspective utilitaire, en pensant à ce que tu pourras transmettre aux autres. Étudie véritablement pour toi-même, pour nourrir ton âme.
Le Tanya au chapitre 37 nous rapporte les paroles inspirantes de Rav Sheshet. À chaque fois qu’il commençait à étudier, il s’adressait à son âme : « Réjouis-toi mon âme, réjouis-toi ! C’est pour toi que j’étudie, c’est pour toi que je lis. » Quelle belle leçon ! L’étude doit d’abord être une nourriture pure pour notre âme.
Et c’est seulement une fois que notre âme est ainsi remplie, « chargée » comme une voiture pleine d’essence, que nous sommes véritablement prêts à partir en mission et à partager avec les autres.
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