Dans son commentaire sur la Paracha de Choftim (Likoutei Si’hot volume 24, 3e Siha), le Rabbi de Loubavitch propose une analyse approfondie du verset « Car l’homme est l’arbre des champs » (Devarim 20:19). À travers une exégèse minutieuse, il dévoile les multiples niveaux de signification de cette comparaison entre l’homme et l’arbre, offrant ainsi des enseignements riches sur la nature humaine, le service divin et le développement spirituel.
« Si tu es arrêté longtemps lors du siège d’une ville que tu attaques pour t’en rendre maître, tu ne dois cependant pas en détruire les arbres en portant sur eux la cognée : ce sont eux qui te nourrissent, tu ne dois pas les abattre. Oui, l’arbre des champs c’est l’homme même, tu l’épargneras dans les travaux du siège. Seulement, l’arbre que tu sauras ne pas être un arbre fruitier, celui-là tu peux l’abattre ». (Choftim 20, 19)
La question fondamentale : l’homme est-il vraiment un arbre ?
Le Rabbi commence par soulever la question évidente qui se pose à la lecture de ce verset : comment peut-on affirmer que « l’homme est l’arbre des champs » ? N’est-ce pas là une comparaison inappropriée, voire absurde ? L’homme n’est-il pas fondamentalement différent d’un arbre, doté de facultés bien supérieures comme l’intelligence et le libre arbitre ?
Pour répondre à cette interrogation, le Rabbi s’appuie sur l’interprétation talmudique de ce verset (Taanit 7a). Le Talmud explique que cette comparaison ne doit pas être comprise littéralement, mais plutôt comme une analogie porteuse d’enseignements profonds sur la nature humaine et le développement spirituel.
L’interprétation talmudique : l’homme comme source de sagesse
Le Talmud interprète ce verset de la manière suivante : « Si l’étudiant en Torah est méritant, on peut ‘s’en nourrir’ (c’est-à-dire apprendre de lui) et on ne doit pas le ‘couper’ (c’est-à-dire s’en éloigner). Mais s’il n’est pas méritant, on doit le ‘détruire et le couper’. »
Cette interprétation établit un parallèle entre l’arbre fruitier, qui produit des fruits dont on peut se nourrir, et l’étudiant en Torah, qui peut être une source de sagesse et d’enseignements pour les autres. De même qu’on préserve un arbre fruitier pour ses fruits, on doit rester proche d’un sage pour bénéficier de sa sagesse. À l’inverse, de même qu’on coupe un arbre stérile, on doit s’éloigner d’un étudiant qui n’a pas intégré les valeurs de la Torah dans sa conduite.
Au-delà de la simple analogie : l’essence de l’homme
Le Rabbi pousse l’analyse plus loin en soulignant que le verset ne dit pas simplement que l’homme est « comme » un arbre, mais qu’il « est » l’arbre des champs. Cette formulation suggère une identité plus profonde entre l’homme et l’arbre, au-delà d’une simple analogie superficielle.
Cette identification révèle une vérité essentielle sur la nature humaine : tout comme l’arbre est caractérisé par sa croissance et son enracinement, l’essence de l’homme réside dans sa capacité à croître spirituellement et à rester enraciné dans sa source divine.
Les qualités de l’arbre appliquées à l’homme
Le Rabbi développe ensuite plusieurs aspects de cette comparaison, montrant comment les caractéristiques de l’arbre peuvent s’appliquer à l’être humain dans sa quête spirituelle :
a) L’enracinement constant : L’arbre est constamment enraciné dans le sol, sa source de vie. De même, l’homme doit rester constamment connecté à sa source spirituelle, la Torah et les mitzvot. Cette connexion permanente est essentielle pour maintenir une vie spirituelle vibrante et significative.
b) La croissance continue : L’arbre est dans un état de croissance perpétuelle, produisant de nouvelles branches et de nouveaux fruits chaque année. De même, l’homme doit constamment chercher à grandir et à se développer spirituellement, en approfondissant sa compréhension de la Torah et en améliorant l’accomplissement des mitzvot.
c) La production de fruits : L’arbre produit des fruits qui nourrissent les autres. De même, l’homme doit s’efforcer de produire des « fruits spirituels » en partageant sa sagesse et en ayant une influence positive sur son entourage.
d) La résistance aux changements extérieurs : L’arbre reste enraciné et continue de croître malgré les changements de saisons et les intempéries. De même, l’homme doit rester ferme dans ses convictions et sa pratique religieuse, quelles que soient les circonstances extérieures et les défis de la vie.
Les différentes dimensions de l’être humain
Le Rabbi approfondit encore l’analyse en établissant un parallèle entre les différentes parties de l’arbre et les différentes dimensions de l’être humain :
a) Les racines : l’âme et la foi – Les racines de l’arbre, cachées dans le sol mais essentielles à sa survie, représentent l’âme divine de l’homme et sa foi innée. Bien qu’invisibles, elles sont la source de toute la vitalité spirituelle de l’individu.
b) Le tronc : l’intellect – Le tronc de l’arbre, qui soutient toute sa structure, représente l’intellect de l’homme. C’est à travers l’étude et la compréhension que l’homme peut développer une structure solide pour sa vie spirituelle.
c) Les branches : les émotions – Les branches de l’arbre, qui s’étendent dans différentes directions, symbolisent les émotions de l’homme. Tout comme les branches doivent être guidées et taillées, les émotions doivent être cultivées et dirigées de manière positive.
d) Les feuilles : les actions – Les feuilles de l’arbre, qui absorbent la lumière et l’air, représentent les actions de l’homme. Chaque acte, aussi petit soit-il, a le potentiel d’absorber la lumière divine et de contribuer à la croissance spirituelle.
e) Les fruits : l’influence sur les autres – Enfin, les fruits de l’arbre symbolisent l’influence positive que l’homme peut avoir sur son entourage, en partageant sa sagesse et en inspirant les autres par son exemple.
L’importance des émotions dans le service divin
Un aspect particulièrement intéressant du commentaire du Rabbi est l’accent mis sur l’importance des émotions dans le service divin. Tout comme l’arbre est caractérisé par sa croissance végétative, l’essence de l’homme, selon le Rabbi, réside dans sa dimension émotionnelle.
Le Rabbi explique que bien que l’intellect soit une faculté supérieure, ce sont les émotions qui sont le plus étroitement liées à l’essence de l’âme. Les émotions, comme l’amour et la crainte de Dieu, ont le pouvoir de transformer l’individu et de l’ancrer dans sa spiritualité d’une manière que l’intellect seul ne peut accomplir.
Cette perspective met en lumière l’importance de cultiver non seulement une compréhension intellectuelle de la Torah, mais aussi un engagement émotionnel profond dans le service divin. Le véritable accomplissement spirituel, selon le Rabbi, vient de l’intégration harmonieuse de l’intellect et des émotions.
L’héritage des Patriarches
Le Rabbi étend ensuite cette idée à une dimension collective, en parlant de l’héritage spirituel que les Patriarches ont transmis au peuple juif. Il explique que les trois Patriarches – Abraham, Isaac et Jacob – correspondent aux trois émotions fondamentales : l’amour, la crainte et la compassion.
Cet héritage émotionnel, transmis de génération en génération, est ce qui permet au peuple juif de maintenir une connexion constante avec sa source divine, même dans les périodes les plus difficiles. C’est cet ancrage émotionnel, plus que la compréhension intellectuelle, qui assure la continuité et la vitalité du judaïsme à travers les âges.
Applications pratiques
Le Rabbi conclut son commentaire en tirant des leçons pratiques de cette comparaison entre l’homme et l’arbre :
a) Pour les « habitants de la tente » (ceux qui se consacrent à l’étude de la Torah à plein temps) : Il ne suffit pas d’étudier la Torah intellectuellement. Il est crucial d’intégrer cet apprentissage émotionnellement, de le faire « descendre dans le cœur ». C’est cette intégration qui permettra de rester connecté à la Torah même lorsqu’on sera confronté aux défis du monde extérieur.
b) Pour ceux qui travaillent dans le monde : Même lorsqu’on est engagé dans des activités mondaines, il est essentiel de rester « enraciné » dans sa source spirituelle. Cela implique de maintenir une connexion constante avec la Torah et les mitzvot, en les considérant non pas comme un souvenir du passé, mais comme une source de vitalité présente et continue.
Conclusion
Le commentaire du Rabbi sur le verset « Car l’homme est l’arbre des champs » offre une perspective profonde et multidimensionnelle sur la nature humaine et le développement spirituel. En explorant les différentes facettes de cette comparaison, le Rabbi nous invite à considérer notre croissance spirituelle comme un processus organique, enraciné dans notre essence divine et s’exprimant à travers toutes les dimensions de notre être.
Cette interprétation souligne l’importance de l’intégration harmonieuse de l’intellect et des émotions dans le service divin, ainsi que la nécessité de rester constamment connecté à notre source spirituelle, quelles que soient les circonstances extérieures. Elle nous rappelle que, comme l’arbre qui croît et porte des fruits année après année, nous avons le potentiel et la responsabilité de croître continuellement sur le plan spirituel et d’avoir une influence positive sur notre entourage.
En fin de compte, ce commentaire nous invite à voir notre vie spirituelle non pas comme un domaine séparé de notre existence quotidienne, mais comme la force vitale qui anime et donne un sens à tous les aspects de notre vie. Tout comme l’arbre qui puise sa vitalité dans ses racines pour s’élever vers le ciel et porter des fruits, nous sommes appelés à puiser dans notre source divine pour nous élever spirituellement et apporter de la lumière et de la bonté dans le monde qui nous entoure.