Au cœur d’une société israélienne déchirée entre impératif moral et sécurité nationale, le débat sur la libération des otages révèle des fractures profondes. Le témoignage de Herzl Hajaj, père d’une victime du terrorisme, éclaire les zones d’ombre d’une politique qu’il juge suicidaire. Enquête sur un dilemme national qui questionne la stratégie même de l’État hébreu.

 

Herzl Hajaj, qui s’oppose aujourd’hui fermement aux échanges d’otages avec le Hamas, a perdu sa fille Shir dans un attentat en 2017. Son histoire personnelle éclaire d’un jour particulier sa position actuelle et permet de comprendre la profondeur du débat qui déchire la société israélienne.

Les archives nous rappellent que Shir Hajaj était une jeune lieutenante de 22 ans, l’aînée de quatre sœurs, lorsqu’elle a été assassinée par un terroriste libéré lors des accords Gilad Shalit, dans une attaque à la voiture bélier à Jérusalem, sur l’esplanade d’Armon Hanatziv. « C’était une fleur, la prunelle de mes yeux », déclarait alors sa mère Merav, quelques heures après l’attentat. « Elle était brillante, intelligente et aimée », ajoutait son père Herzl.

L’héritage tragique des accords Shalit

En 2011, après vingt-deux années de détention, Sinwar fait partie des mille prisonniers relâchés par Israël en échange du caporal franco-israélien Gilad Shalit, capturé par le Hamas. Il est cependant mis à l’écart lors des négociations, les Israéliens craignant qu’il ne les fasse échouer. Le docteur Bitton tente de convaincre les autorités de ne pas le libérer, le considérant comme dangereux, mais il est finalement inclus dans l’accord, « n’ayant pas autant de sang juif sur les mains » que les autres détenus de haute valeur. Pour Yuval Bitton, qui estime qu’il faut « examiner les capacités du prisonnier à utiliser ses compétences contre Israël et pas seulement ce qu’il a fait – son potentiel », il s’agit d’une erreur.

Sinwar est alors accueilli en héros à Gaza, défilant aux côtés d’Ismaël Haniyeh, et appelle aussitôt les brigades Izz al-Din al-Qassam à commettre d’autres enlèvements d’Israéliens pour obtenir d’autres libérations de prisonniers.

Les attaques commencent tôt le matin par une attaque massive de 2 500 à 5 000 roquettes contre Israël. Des terroristes palestiniens franchissent la barrière entre la bande de Gaza et Israël pour attaquer des bases militaires, le festival de musique Nova près de Réïm23,24,25 et les communautés israéliennes voisines de Kfar Aza, Nir Oz, Nahal Oz, Be’eri et Ofakim.

En une seule journée, l’attaque cause la mort de plus de 1 188 personnes, hommes, femmes et enfants – dont 350 soldats et policiers israéliens et en blesse 4 834. Certaines victimes demeurent non identifiées, en raison de la gravité des mutilations.

Les terroristes enlèvent 251 otages, capturés afin de les échanger contre des prisonniers palestiniens et sont détenus dans la bande de Gaza par le Hamas et le Jihad Islamique. Parmi les otages, une quarantaine d’enfants et adolescents.

 

 

Cette tragédie personnelle résonne particulièrement aujourd’hui, alors que Herzl Hajaj est devenu l’une des voix les plus critiques contre la politique de libération d’otages. « Chaque ligne rouge que nous traçons est écrite avec le sang de nos enfants », déclare-t-il désormais, s’appuyant sur son expérience au sein du forum « Choisir la Vie », qui regroupe des familles de victimes d’attentats.

De manière prémonitoire, Shir elle-même s’opposait déjà à l’accord Shalit avant sa mort. Son père révèle aujourd’hui qu’elle conservait des coupures de presse sur les attentats, comme si elle pressentait les dangers de ces politiques d’échange.

« Le monde s’est arrêté », disait-il après la mort de Shir. Cette phrase prend aujourd’hui un sens nouveau alors qu’il lutte pour éviter que d’autres familles ne connaissent le même destin. Son combat actuel contre les accords de libération d’otages apparaît ainsi comme le prolongement d’un drame personnel qui continue de façonner sa vision de la sécurité nationale israélienne.

Dès la libération de Gilad Shalit, l’opinion israélienne est préoccupée par le risque de récidive des prisonniers palestiniens libérés dans le cadre de cet échange. En effet, selon Almagor, l’association israélienne de victimes du terrorisme, 180 Israéliens avaient déjà perdu la vie entre 2000 et 2011, dans des attentats provoqués par des prisonniers palestiniens libérés lors de précédents accords d’échange.

En 2012, des données sont publiées indiquant que des dizaines de prisonniers libérés lors de l’échange de Palestiniens contre Gilad Shalit ont repris leurs activités paramilitaires contre des civils israéliens, dont certains en lien avec le Hamas.

Le rapport annuel du service de sécurité d’Israël précise que le Shin Bet a contrecarré 190 attaques terroristes en 2013, dont 40 étaient coordonnées par des terroristes libérés dans le cadre de l’échange de prisonniers palestiniens avec Gilad Shalit.

En 2015, les sources israéliennes indiquent que six Israéliens ont été tués dans des incidents impliquant des prisonniers libérés lors des accords Shalit et qui étaient revenus à leur activisme. En 2019, le nombre monte à dix Israéliens tués dans ce cadre.

La voix de Herzl Hajaj tremble légèrement quand il évoque sa fille Shir. Mais elle se fait plus ferme lorsqu’il aborde les récents accords de libération d’otages. « À chaque fois, le gouvernement trace une ligne rouge qu’il ne franchira pas. Et à chaque fois, cette ligne est écrite avec le sang de nos enfants. »

Les chiffres qu’il avance glacent le sang. Selon les données du Shin Bet qu’il cite, 82% des prisonniers libérés lors des précédents échanges sont retournés au terrorisme. « On nous parlait de 50%. La réalité est bien pire », souligne-t-il, avant d’asséner sa formule choc : « Le sang juif est devenu le moins cher au Moyen-Orient. »

Pour ce membre actif du forum « Choisir la Vie », qui regroupe des familles de victimes d’attentats, l’opinion publique a été soigneusement conditionnée. Il décrit une véritable machine de guerre médiatique : « Pendant un an et demi, ils ont mené une campagne folle, financée par des centaines de millions de shekels, pour les libérer à tout prix. » Une stratégie qui lui rappelle douloureusement l’accord Shalit en 2011 : « Ma seconde fille était la seule de sa classe à s’y opposer. Ils leur ont fait un lavage de cerveau alors, comme ils font maintenant. »

Sa critique du Shin Bet est particulièrement acerbe. « Ils savent sur quel coussin dort Haniyeh à Téhéran, mais ne peuvent pas localiser des otages à 100 kilomètres de notre frontière », ironise-t-il. L’échec du 7 octobre renforce ses doutes : « Le chef du Shin Bet savait qu’ils allaient entrer dans deux localités et n’a pas mis en alerte le système sécuritaire. Il y a ici quelque chose de beaucoup plus grand que cette affaire. »

La conduite des négociations n’échappe pas à ses critiques. « Des gens non qualifiés vont s’asseoir là-bas, cèdent, font du ‘donner et prendre’, reviennent en Israël comme des chiens qui attendent leur maître pour un os », décrit-il avec amertume. Le rôle des médiateurs l’indigne particulièrement : « Le Qatar finance les Frères musulmans dans le monde entier, y compris le Hamas. L’Égypte ? Son chef du renseignement savait pour le 7 octobre et a collaboré avec le Hamas. »

Face à cette situation, Hajaj propose des alternatives radicales : « Ouvrez les portes à l’Égypte, poussez là-bas un million de Gazaouis, vous verrez comme ils vous libéreront vite les otages. » Il plaide pour une pression accrue sur les pays médiateurs et n’exclut pas des opérations militaires de sauvetage.

Sur la tombe de sa fille, il a récemment enregistré une vidéo que ses propres filles lui ont conseillé de ne pas publier. « J’ai dit que tous ceux qui ont fait cet accord, Shir et les autres victimes les attendront là-haut et seront leurs accusateurs. » Un message qui traduit la profondeur de sa conviction.

Pourtant, Hajaj tient à nuancer son propos : « Mon cœur est avec les familles des otages. Hier encore, j’étais ému en voyant les libérations. » Mais il insiste : « Nous ne parlons pas seulement de douleur, nous parlons d’une volonté de changer la réalité. »

Son témoignage illustre le déchirement d’une société face à un dilemme impossible : comment concilier l’impératif moral de sauver des vies avec la sécurité à long terme du pays ? Pour Hajaj, la réponse est claire : « Il y a toujours le choix. Il faut juste le courage de l’assumer. » Une position qui, si elle reste minoritaire, pose des questions essentielles sur l’avenir de la stratégie israélienne face aux prises d’otages.

De l’accord Shalit aux récentes libérations, l’histoire semble se répéter, selon Hajaj. « Shir elle-même s’opposait à l’accord Shalit avant d’être assassinée. Elle comprenait déjà le prix à payer », rappelle-t-il. Un prix qui se mesure non seulement en vies humaines, mais aussi en termes de dissuasion stratégique.

« Chaque accord de ce type envoie un message clair à nos ennemis : la prise d’otages est une stratégie qui paie », analyse-t-il. Les conséquences vont au-delà des libérations immédiates. « Ces terroristes libérés deviennent des héros, des modèles. Ils renforcent les rangs des organisations terroristes avec une légitimité accrue. »

Le rôle des médiateurs internationaux fait l’objet d’une critique particulièrement virulente. « Le Qatar joue un double jeu perfide », accuse Hajaj. « D’un côté, ils se présentent comme des médiateurs indispensables. De l’autre, ils financent directement le Hamas via les Frères musulmans. » L’Égypte n’échappe pas à ses reproches : « Leur service de renseignement était au courant du 7 octobre. Au lieu de nous prévenir, ils ont collaboré avec le Hamas. »

La question du temps est également centrale dans son analyse. « Pourquoi étaler les libérations sur plusieurs semaines ? Pourquoi faire souffrir les familles plus longtemps ? » s’interroge-t-il. Pour lui, cette stratégie révèle la faiblesse des négociateurs israéliens : « Ils acceptent les conditions du Hamas comme si nous étions en position de faiblesse. »

Les services de sécurité israéliens sont particulièrement visés par ses critiques. « Comment expliquer que le Shin Bet, capable de suivre les moindres mouvements des dirigeants du Hamas à l’étranger, soit incapable de localiser des otages si près de nos frontières ? » La réponse, selon lui, est politique : « Il y a une volonté délibérée de maintenir cette situation pour des raisons qui nous dépassent. »

Le coût financier de ces opérations l’indigne également. « Des centaines de millions de shekels dépensés en campagnes médiatiques, en négociations, en transferts d’argent vers Gaza… Tout cet argent aurait pu servir à renforcer notre sécurité, à prévenir les prochaines attaques. »

Face à cette situation, Hajaj propose une approche radicalement différente. « Il faut créer une situation d’urgence pour nos voisins », argumente-t-il. « Si l’Égypte se retrouvait confrontée à un afflux massif de réfugiés gazaouis, elle changerait rapidement de position sur les otages. »

Malgré la dureté de ses propos, il insiste sur la dimension humaine du débat. « Nous ne sommes pas insensibles à la souffrance des familles d’otages. Nous la comprenons peut-être mieux que quiconque. » Mais pour lui, cette empathie ne doit pas occulter l’enjeu stratégique : « Chaque libération d’aujourd’hui prépare les enlèvements de demain. »

À ceux qui l’accusent de dureté, il répond par l’expérience : « Nous avons déjà vu ce film avec l’accord Shalit. Nous en payons encore le prix aujourd’hui. » Un prix qui, selon lui, se mesure non seulement en vies humaines, mais aussi en termes de souveraineté nationale : « Chaque fois que nous cédons, nous affaiblissons notre capacité à nous défendre demain. »

« Le véritable choix n’est pas entre sauver des vies aujourd’hui ou demain », conclut-il. « Il est entre continuer dans cette spirale mortifère ou avoir le courage de dire stop, même si cela demande des sacrifices impossibles. » Un dilemme qui continue de déchirer la société israélienne, bien au-delà des libérations actuelles.