Les heures passaient, nous étions déjà debout au 770, attendant que le Rabbi entre pour le Farbrenguen ‘Hitvaadout’, mais Rav Yoel Kahn n’était nulle part en vue… Nous nous disions qu’il entrerait peut-être dans un instant, mais non ! Le Rabbi apparut à l’entrée, se dirigeant rapidement vers sa place, et le Farbrenguen commença. Où avait disparu le Hozer en chef lors du Farbrenguen de la nuit de Simhat Torah en 5723 (1962) ? La chronique hebdomadaire de Rav Shimon Eisenbach, rabbin du quartier de Hashachmon à Eilat.

Rav Shimon Eisenbach

J’ai reçu une note intéressante au sujet de l’absence du Rav Yoel Kahn lors du Farbrenguen de la nuit de Simhat Torah en 5723-1962. Un incident très rare, car Rav Yoel n’avait apparemment jamais manqué un seul Farbrenguen du Rabbi.

Cette histoire a été racontée par le Mashpia Rav Shlomo Zarchi, qui a donné un aperçu des « coulisses » de ce Farbrenguen spécial : Les étudiants qui avaient étudié en Pologne à l’époque du Rabbi précédent avaient l’habitude de se réunir ensemble plusieurs fois par an (parmi eux, R’ Yossel Wineberg, R’ Moshe Rubin, Rabbi Kozminski, etc.).

En plus du 9 Adar, jour où le Rabbi précédent fut sauvé des nazis et arriva sain et sauf aux États-Unis, la nuit de Simhat Torah était l’une des occasions régulières de Farbrenguen. C’était en 5723, ils avaient demandé au « Hozer » Rav Yoel Kahn de venir se joindre à eux, et il avait accepté.

Mais nous, les jeunes étudiants, lui avons suggéré de ne pas y aller afin d’être sobre et concentré lors du Farbrenguen du Rabbi qui avait lieu chaque nuit de Simhat Torah, plus tard. Cependant, il a rejeté notre demande, disant qu’il se surveillerait et ne prendrait pas trop de « Mashké ».

Nous n’étions pas très sûrs de lui et l’avons accompagné pour voir ce qui se passerait. Nous avons vu que Rav Yoel entrait lentement dans le Farbrenguen, disant « Le’haïm », encore et encore… Nous l’avons supplié d’arrêter, mais Rav Yoel est resté sur ses positions : « Je fais très attention à ne pas trop boire. » À cette époque – suite à l’éducation que nous avions reçue de Rav Yoel – nous nous sentions responsables de toute la question de la transcription après les Farbrenguens, il y avait des « Hana’hot » (transcriptions), etc. On peut donc comprendre la « pression » à laquelle nous étions soumis. Nous avons donc continué à essayer de convaincre Rav Yoel.

Nous avons tenté de lui faire valoir que nous ne pourrions pas l’accompagner au Farbrenguen du Rabbi car nous devions aller à la « Tahalou’ha » pour répéter un discours du Rabbi dans une synagogue, puis nous précipiter immédiatement au 770, sans pouvoir revenir ici pour le prendre. « Ne vous inquiétez pas », promit Rav Yoel, » j’arriverai à temps au 770″. Nous n’étions pas vraiment rassurés, mais il n’y avait pas grand-chose à faire. Nous avons donc quitté les lieux le cœur lourd.

Les heures ont passé, nous étions déjà debout au 770, attendant que le Rabbi entre pour le Farbrenguen, mais Rav Yoel n’était nulle part en vue… Nous nous disions qu’il entrerait peut-être dans un instant, mais non ! Le Rabbi apparut à l’entrée, se dirigeant rapidement vers sa place, et le Farbrenguen commença.

Le Rabbi commença un discours, tandis que nous faisions de notre mieux pour nous rappeler chaque mot, sachant que le « Hozer » habituel n’était pas présent. Dès la fin du discours, nous avons couru (moi et Rav Leibel Shapiro) à toute vitesse pour chercher Rav Yoel. Le Farbrenguen là-bas était déjà terminé, bien sûr, nous nous sommes donc précipités chez Rav Yoel et l’avons trouvé complètement ivre, de sorte qu’il était impossible de l’amener au 770.

Sa femme a essayé de le réveiller en lui versant de l’eau, etc., mais rien n’y faisait… Elle nous a fait comprendre qu’il n’y avait rien à faire ni personne à qui parler, et nous avons quitté la maison dépités. Nous avons couru de toutes nos forces pour retourner au 770, afin de ne rien manquer des paroles sacrées du Rabbi lors du Farbrenguen. En effet, nous avons dû faire la « transcription » de ce Farbrenguen spécial par nous-mêmes… sans Rav Yoel.

Cependant, Rav Yoel s’est présenté aux Hakafot (en titubant), réalisant à son grand regret qu’il avait manqué le Farbrenguen. Malgré son ivresse, il a fait de son mieux pour se rendre au 770.

Le lendemain, lors du Farbrenguen de Simhat Torah, Rav Yoel se tenait à sa place habituelle, penaud.

Le Rabbi tenait un Farbrenguen et mentionna entre autres le dicton du célèbre hassid de l’Admour Hazaken, Rav Yekoutiel Liepler : « Hassid Outsiak – le Hassid s’est enfui » (comme expliqué ci-dessous). Soudain, le Rabbi se tourna vers le Rav Yoel et lui demanda de monter sur la table et de raconter toute l’histoire. C’était plus qu’une allusion au fait que la veille, lors du Farbrenguen, il était dans un état de « Hassid Outsiak » et n’était pas présent au 770.

Comme à son habitude, Rav Yoel accepta le « verdict », mais monter sur la table et raconter une histoire devant le Rabbi ? Pas question ! Pour esquiver, il dit au Rabbi qu’il ne connaissait pas l’histoire. (Bien qu’en réalité, il était un expert remarquable en « Likoutei Dibourim », etc. et sur le chemin de l’édifice de la Yeshiva de la rue Bedford jusqu’au 770, il répétait toujours avec les étudiants les discours du Rabbi précédent).

Le Rabbi n’abandonna pas et chercha quelqu’un qui obéirait sans faire d’histoires. En effet, Rav Shalom Ber Gordon (dont le père, Rav Yohanan Gordon, avait compilé des index et était un expert en « Likoutei Dibourim »), se leva, monta sur la table, comme il sied à un « American Boy » qui ne fait pas de « chichis » : si le Rabbi demande de raconter, alors on raconte !

Voici l’histoire :

« Rav Moshe de Vilna et Rav Yekoutiel Liepler étaient tous deux des Hassidim de l’Admour Tzemach Tzedek. Ils atteignirent tous deux des niveaux élevés et sublimes dans le service de D.ieu. Cependant, Rav Moshe de Vilna était un Hassid de manière « intérieure » (Pnimiusdiker Hassid) tandis que Rav Yekoutiel Liepler était un Hassid de manière « englobante » (Makifdiker Hassid).

Chez Rav Yekoutiel, il y avait l’expression « Hassid Outsiak – le Hassid s’est enfui », « Hassid Prishal – le Hassid est arrivé ». Quand « le Hassid s’enfuyait », il se tenait dans la tristesse et priait rapidement en peu de temps, suivant chaque mot du doigt dans le Siddour. Et quand « le Hassid arrivait », il rayonnait, se mettait à danser et priait avec ferveur.

Il y avait des moments où chez Rav Yekoutiel Liepler « le Hassid arrivait ». Il priait les trois prières du matin, de l’après-midi et du soir à la suite, sans pause entre elles. Et pendant des jours entiers, il ne mangeait rien, disant que le Rabbi l’avait béni d’une longue vie et qu’il devait savoir vivre et être en bonne santé sans manger.

Tel est l’ordre d’un Hassid Makifi (englobant).

En revanche, Rav Moshe de Vilna était un Hassid Pnimi (intérieur). Chez lui, il n’y avait ni « le Hassid s’est enfui » ni « le Hassid est arrivé » – comme c’est le cas chez un Hassid Makifi. Son service était très ordonné. Même si chez un Pnimi il y a aussi des variations de temps et des hauts et des bas dans les niveaux de service, c’est d’une manière complètement différente de celle d’un Hassid Makifi. Chez lui, même les pieds étaient saisis par la lumière de la compréhension, même les pieds étaient soumis à la compréhension de la Divinité. Son service était calme avec une flamme intérieure brûlante.

(Voir la lettre du Rabbi précédent du 18 Tamouz 5699. Igrot Kodesh vol. 4, p. 542. Un extrait est cité dans le Hayom Yom du 1er Kislev. Voir aussi le « Likoutei Dibourim », Likut 2, en détail).

Le message s’est profondément ancré : il ne faut pas être un « Hassid Outsiak ». Tu dois toujours te tenir prêt à faire ce que le Rabbi attend de toi. Il n’y a pas de moment où tu décides que maintenant je suis une réalité pour moi-même, maintenant je veux renoncer, me reposer, maintenant je veux je ne sais quoi, etc. Tu dois être dévoué au Rabbi en toutes circonstances, à tout moment.

Il n’y a pas de demi-mesure. Soit tu es totalement dévoué, à chaque instant, soit tu es un « Hassid Outsiak » et tu te laisses entraîner par tes humeurs. Un Hassid doit être pnimi, intérieur, c’est vrai, il a des hauts et des bas, mais en pratique, il sait toujours faire ce qui est attendu de lui et ne se dérobe pas à ses responsabilités. Bref, il ne faut pas être un « Hassid Outsiak » ! Il faut être dévoué et se donner à la Volonté Supérieure, en toutes circonstances, à tout moment.

Fin de cette note, avec mes remerciements au jeune Morde’hai Birnhack qui a transcrit ces paroles.

On peut ajouter à ce qui précède les lignes suivantes, qui ont peut-être conduit Rav Yoel Kahn à une élévation suprême.

J’ai raconté dans le passé qu’à la fin de l’année 5722-1952, mon père Rav Its’hak Tzvi Eisenbach avait trouvé un manuscrit ‘hassidique’ chez le père d’un étudiant avec qui il étudiait la ‘Hassidout’. Après avoir convaincu le propriétaire du manuscrit de le transmettre au Rabbi, mon père l’envoya avec Rav Yaakov Reinitz de Lod pour le remettre au Rabbi. Rav Reinitz se rendit alors à New York pour le mois de Tichri 5723 et entra en Yé’hidout pendant les Dix Jours de Pénitence pour remettre le manuscrit au Rabbi.

Le Chabbat suivant, Chabbat Chouva, le Rabbi dit lors d’un Farbrenguen qu’il avait prévu de réciter un certain Maamar, mais comme un manuscrit spécial des enseignements du Tsema’h Tsedek commençant par le verset « Aucun homme ne sera dans la Tente d’Assignation », associé à Yom Kippour, lui était parvenu, il changerait son plan initial et dirait un autre Maamar basé sur celui du Tsema’h Tsedek qui lui était parvenu. Le Maamar « Aucun homme ne sera dans la Tente d’Assignation » fut corrigé de nombreuses années plus tard et publié dans le Sefer Hamaamarim Hameloukot.

Lorsque j’ai écrit sur l’une des tribunes l’histoire détaillée de ce Maamar, Rav Minkowitz du quartier de Crown Heights m’a appelé et m’a raconté que deux semaines plus tard, le jour de Hochaana Rabba, la veille de Sim’hat Torah dans l’après-midi, le Rabbi avait demandé qu’on lui apporte ce Maamar par écrit pour l’étudier. Ra Minkowitz a témoigné que deux heures avant Sim’hat Torah, Rav Yoel Kahn s’est assis devant une machine à écrire et, de mémoire uniquement, a retranscrit seul en deux heures, ligne après ligne, tout le Maamar du début à la fin, et ils ont réussi à le remettre au Rabbi au dernier moment. Rav Yoel avait une affection particulière pour ce Maamar.