L’histoire de l’artiste canadien Haim Leib Zernitsky commence dans les maisons en bois délabrées de Homel, une ville de Biélorussie post-Seconde Guerre mondiale, avec une importante population juive.

« J’ai vécu dans les derniers vestiges du Shtetel européen », se souvient Haim Leib Zernitsky », né en 1949. « C’était une vie très pauvre. Il n’y avait pas assez de nourriture, et beaucoup de gens n’avaient pas d’endroit où dormir. Même après la guerre, il y avait beaucoup de Juifs et j’entendais souvent les gens parler le Yiddish. Ils étaient cordonniers, conducteurs de chariots, tailleurs, simples travailleurs.

Même trois décennies de répression communiste n’ont pas empêché ces simples juifs d’observer le judaïsme comme ils le faisaient depuis des générations. « Ma grand-mère, Hende Friede Sirotin, était analphabète. Peut-être connaissait-elle quelques paragraphes clés du Siddour (livre de prières), mais pas plus », dit Haim Leib,  « Pourtant, elle a su garder un foyer Casher et respecter le Chabbat, comme sa mère l’avait fait avant elle.

Quand ils ont fui les Nazis qui avançaient, ils ont passé ces années de guerre à Tachkent, en Ouzbékistan, laissant tout derrière eux. « Quand ils revinrent, tous leurs biens avaient disparu à l’exception de la machine à coudre Singer que ma grand-père avait cachée dans une fosse dans la cour. Puisque ma mère n’avait plus ses chandeliers, elle a placé les bougies du Chabbat dans une boîte remplie de sable, les a allumées et a récité les bénédictions comme auparavant ».

Les grands-parents de Haim Leib élevaient des chèvres qui leur fournissaient une source régulière de produits laitiers frais et des poulets. De temps en temps, ils emmenaient un poulet au Cho’het (un abatteur rituel) – un vieil homme avec une barbe – et savouraient ainsi de la viande Cacher. Comme il n’y avait pas de vin Cacher disponible, Yossef, le grand-père de Haim Leib, pressait des raisins pour fabriquer son propre vin de Kiddoush.

De même, cachés dans le sous-sol avec de lourds volets les protégeant des regards indiscrets, les Juifs du quartier se rassemblaient chaque année, avant la fête de Pessa’h, dans l’une des maisons, pour fabriquer des Matsot.

Le père de Haim Leib,  Aisik, était un ancien combattant blessé. Pendant la fête de Pessa’h, toute la famille se rassemblait secrètement. «Ma mère était occupée à apporter la nourriture du grand poêle à bois, et c’est mon grand-père lisait le texte de la Haggadah sur son Siddour que j’ai toujours.

Yossef, le grand-père, s’assurait d’emmener son petit-fils à la synagogue et de lui enseigner des histoires juives, principalement tirées du livre de la Genèse et du Midrash. Ces histoires ont laissé une forte impression sur le petit Haim Leib. Plein de souvenirs et d’expériences, Haim Leib ne renouera avec son éducation juive que des décennies plus tard. En attendant, il s’est concentré sur ce qui allait devenir le sens de sa vie: l’art.

«Quand je suis allé à l’école, poursuit Haim Leib, il y avait un professeur qui enseignait l’art. Plus tard, j’ai découvert qu’il était juif. Il m’invitait souvent avec mon ami pour des leçons privées. J’aimais peindre et je voulais être un artiste. Il y avait aussi un autre étudiant qui vit maintenant en Israël.

« Après avoir terminé mes études, j’ai été enrôlé dans l’armée soviétique. Là, je réalisais de grandes affiches représentant des messages de propagande communistes.  »  En 1975, Haim Leib a été accepté à l’Université d’Arts graphiques de Moscou avec 30 étudiants. Il a ensuite illustré des livres pour enfants, une occupation qu’il décrit comme «peu douloureuse», puisque les communistes ne se mêlaient pas du contenu des livres, qui présentaient généralement des contes de fées ou de la poésie classique.

Après un mariage, la naissance d’une fille, un divorce, puis un remariage et la naissance d’une autre fille, Haim Leib et sa femme Lena décident d’immigrer au Canada en 1989. Comme beaucoup d’autres Juifs soviétiques à cette époque, le chemin de la liberté de la famille Zernitsky passait par Ladispoli, en Italie. Là, il a fait la rencontre du Rav Hirsh Rabiski, un rabbin Loubavitch parlant le russe qui s’occupait des besoins spirituels et physiques de milliers de Juifs enfin libres d’explorer leur patrimoine pour la première fois.

Pendant les huit mois où la famille Zernitsky était restée en Italie, les deux hommes ont étudié la Torah et la Hassidout régulièrement et ont développé des liens étroits. C’était une amitié qui allait continuer à se développer plus tard, lorsque le Rav Rabiski et Zernitsky se sont installés à Toronto, au Canada.

«Au Canada, j’étais préoccupé par la nécessité de joindre les deux bouts, en travaillant comme gardien de sécurité, en vendant des fleurs pour nourrir ma famille. Ma femme a insisté pour que notre fille, Ilana, aille dans une école juive. Bien sûr, nous ne pouvions pas l’inscrire dans une école juive et ne pas respecter le judaïsme à la maison. Lentement, nous avons commencé à opérer des changements dans la pratique du Judaïsme et du Hassidisme.

Au fil des années, Haim Leib a repris le style de vie juif de ses grands-parents et a même achevé l’étude de l’ensemble du Talmud. Il donne un cours hebdomadaire de Talmud à 25 Juifs russophones d’Allemagne via Skype. « J’ai particulièrement aimé la Haggadah de Pessa’h, les récits rabbiniques et les homélies dans le Talmud et la Hassidout », a-t-il dit. « Les histoires sont la poésie du judaïsme, belles et chaleureuses. »

Après s’être imposé en tant qu’artiste et illustrateur, travaillant pour des entreprises comme Sony, McDonalds ou l’université d’Oxford – Haim Leib sentit qu’il était temps de commencer à peindre des thèmes juifs et hassidiques, partageant ses propres souvenirs d’enfance et ses expériences ultérieures. Il décrit ses oeuvres comme des «paraboles juives sous une forme visuelle».