La leçon d’aujourd’hui poursuit l’explication du concept de la bénédiction des Cohanim (Birkat Cohanim). Cette bénédiction occupe une place particulière dans la liturgie juive, car elle est récitée juste après la bénédiction de la Torah. Cet ordre n’est pas fortuit : il reflète le désir de commencer l’étude de la Torah immédiatement après l’avoir bénie. Ainsi, on étudie le passage de la Torah concernant la bénédiction des Cohanim, établissant un lien direct entre la bénédiction et l’étude.

La bénédiction des Cohanim revêt une importance capitale dans la tradition juive, car elle possède une double nature : elle est à la fois une prière et une bénédiction. Cette dualité lui confère une puissance unique. Lors de la leçon précédente, nous avons examiné en détail les avantages respectifs de la prière et de la bénédiction. La prière est une élévation de l’homme vers D.ieu, tandis que la bénédiction est une descente de l’influence divine vers l’homme. La bénédiction des Cohanim combine ces deux mouvements, créant ainsi un pont entre le ciel et la terre.

Les trois versets qui composent la bénédiction des Cohanim sont chargés de signification :
1. « Que l’Éternel te bénisse et te garde »
2. « Que l’Éternel fasse rayonner Sa face sur toi et t’accorde Sa grâce »
3. « Que l’Éternel tourne Sa face vers toi et t’accorde la paix »

Chacun de ces versets représente un niveau différent de bénédiction et de relation entre D.ieu et le peuple d’Israël. Ils forment une progression, une ascension spirituelle qui culmine avec la paix divine.

Ces versets ne sont pas de simples souhaits, mais l’expression d’un commandement divin. D.ieu a ordonné à Moïse de transmettre à Aaron et ses fils, les prêtres, la mission de bénir le peuple d’Israël. Cette injonction divine fait de la bénédiction des Cohanim l’une des mitzvot (commandements) les plus importantes du sacerdoce. Elle établit un lien direct entre D.ieu, les prêtres et le peuple, créant ainsi un canal de transmission de la bénédiction divine.

Bien que la bénédiction soit destinée au peuple d’Israël dans le monde physique, son origine se trouve dans les sphères spirituelles les plus élevées. Elle prend sa source dans ce que la Kabbale appelle la « Congrégation d’Israël » (Knesset Israel), qui correspond à la sefirah de Mal’hout du monde d’Atsilout. Cette sefirah est considérée comme la source des âmes juives. Ainsi, la bénédiction suit un parcours descendant : elle émane d’abord de D.ieu vers la Congrégation d’Israël dans les mondes supérieurs, puis de là, elle se déverse sur le peuple d’Israël dans le monde physique.

Ce processus de transmission de la bénédiction implique ce que la Kabbale appelle les « Sefirot ». D.ieu, source infinie de toute bénédiction, transmet son influence à travers les six Sefirot centrales du monde d’Atsilout : Hessed (bonté), Guevoura (rigueur), Tiferet (harmonie), Netsa’h (victoire), Hod (splendeur) et Yessod (fondement). Ces six Sefirot sont collectivement appelées « Ze’ir Anpin » (le « Petit Visage »). De là, la bénédiction est transmise à la sefirah de Mal’hout, qui représente la réceptivité et la manifestation concrète de l’influence divine.

Ce flux de bénédiction, appelé « shefa » en hébreu, peut être compris comme une relation entre un donneur et un receveur. Ze’ir Anpin joue le rôle du donneur, tandis que Mal’hout est le receveur. Cette dynamique est souvent comparée à la relation entre un mari et sa femme dans le monde physique, où le mari (correspondant à Ze’ir Anpin) donne à sa femme (correspondant à Mal’hout).

Un aspect intéressant de la bénédiction des Cohanim est que chacun de ses trois versets commence par la lettre yod. Cette lettre, la plus petite de l’alphabet hébreu, symbolise l’humilité. Elle est mise en relation avec la sefirah de Mal’hout, dont l’essence même est l’humilité et la réceptivité. En effet, on dit de Mal’hout qu’elle « n’a rien par elle-même » (leit lah migarmah klum), signifiant que toute son existence dépend de ce qu’elle reçoit des Sefirot supérieures. Cette humilité est la condition nécessaire pour recevoir la bénédiction divine.

Ce concept de transmission entre Ze’ir Anpin et Mal’hout ne se limite pas au domaine cosmique, mais trouve son reflet dans la structure de l’âme humaine. Dans l’âme, Ze’ir Anpin correspond aux émotions (midot), tandis que Mal’hout est associée à la faculté de parole. Cette correspondance n’est pas arbitraire : elle est basée sur l’idée que la parole est l’expression extérieure des émotions et des pensées intérieures.

La connexion entre Mal’hout et la parole est illustrée par le verset biblique « La parole du roi est pouvoir » (Ecclésiaste 8:4). Ce verset suggère que la royauté (Mal’hout) s’exprime et exerce son pouvoir principalement à travers la parole. De même que Mal’hout n’a rien par elle-même et dépend de l’influence des Sefirot supérieures, la parole n’a pas de contenu propre sans les émotions et les pensées qui l’alimentent. La parole a besoin de recevoir des facultés supérieures pour avoir un contenu et un sens.

Ce processus se manifeste dans l’expérience humaine quotidienne. Lorsqu’une personne est émue ou inspirée (Ze’ir Anpin), elle ressent souvent le besoin d’exprimer ses sentiments à travers la parole (Mal’hout). Ce passage des émotions à l’expression verbale est une illustration vivante de la « transmission de Ze’ir Anpin à Mal’hout ».

Dans les mondes spirituels, ce schéma de transmission se répète à chaque niveau de la création. Le monde supérieur (Ze’ir Anpin) influence constamment le monde inférieur (Mal’hout). Ce dernier, une fois qu’il a reçu l’influence, devient à son tour le Ze’ir Anpin pour le niveau encore inférieur, et ainsi de suite. Cette cascade d’influences constitue la structure même de la création et permet la transmission de la bénédiction divine à travers tous les niveaux de l’existence.

Les trois versets de la bénédiction des Cohanim correspondent à trois niveaux différents de ce flux divin :

1. « Que l’Éternel te bénisse et te garde » représente le niveau où Ze’ir Anpin donne à Mal’hout quand celle-ci est à son niveau le plus bas. C’est un état où Mal’hout (représentant le peuple d’Israël) est complètement dépendante et a besoin de protection.

2. « Que l’Éternel fasse rayonner Sa face sur toi et t’accorde Sa grâce » correspond à un niveau où Ze’ir Anpin et Mal’hout sont sur un pied d’égalité. Ici, Mal’hout a déjà reçu une certaine élévation et peut recevoir une révélation plus directe de la lumière divine.

3. « Que l’Éternel tourne Sa face vers toi et t’accorde la paix » représente le niveau le plus élevé, où Mal’hout est même supérieure à Ze’ir Anpin. C’est un état de perfection où la paix divine règne pleinement.

Ces trois niveaux correspondent aux différentes étapes de la relation entre D.ieu et Israël, telles que décrites dans le Midrash. Au début, D.ieu appelle Israël « Ma fille », puis « Ma sœur », et enfin « Ma mère ». Cette progression reflète l’élévation graduelle du peuple d’Israël dans sa relation avec D.ieu.

La relation entre Ze’ir Anpin et Mal’hout peut également être comparée à celle entre le soleil et la lune. Le soleil, comme Ze’ir Anpin, est la source de lumière, tandis que la lune, comme Mal’hout, n’a pas de lumière propre. La lune reçoit la lumière du soleil et la reflète vers la terre. De même, Mal’hout reçoit l’influence divine de Ze’ir Anpin et la transmet au monde.

Cette structure de donneur et de receveur se reflète également dans la relation entre l’homme et la femme. On explique parfois que la femme parle généralement plus que l’homme parce qu’elle correspond à Mal’hout, qui s’exprime par la parole. L’homme, correspondant à Ze’ir Anpin, donne à la femme, et celle-ci transmet ce qu’elle a reçu, ce qui se manifeste par la parole. La parole est donc le moyen par excellence de transmettre ce qu’on a reçu.

La capacité de parler est ce qui distingue fondamentalement l’être humain des animaux. Lorsqu’on veut souligner la supériorité de l’homme sur les animaux, on le définit comme un « être parlant » (medaber) plutôt que comme un « être intelligent ». Cela peut sembler surprenant, car on pourrait penser que c’est l’intelligence qui distingue principalement l’homme de l’animal. Cependant, l’accent mis sur la parole révèle une vérité profonde sur la nature humaine.

La parole est bien plus qu’un simple moyen de communication. Elle est la capacité unique de l’homme à influencer son environnement, à transmettre ses idées et ses émotions, et à créer des liens avec les autres. En cela, l’être humain imite D.ieu, qui a créé le monde par la parole (« Que la lumière soit, et la lumière fut »). La parole humaine, comme la parole divine, a le pouvoir de créer des réalités nouvelles.

L’homme est ainsi la seule créature qui ressemble à D.ieu dans sa capacité à prendre ce qu’il a reçu (ses pensées, ses émotions, ses expériences) et à le transmettre aux autres. Cette capacité de transmission, qui s’exprime principalement à travers la parole, est l’essence même de l’humanité. C’est pourquoi on définit l’homme comme un « être parlant » plutôt que comme un « être intelligent ».

En résumé, la bénédiction des Cohanim est bien plus qu’une simple formule rituelle. Elle est une représentation complexe et profonde du flux divin qui part de D.ieu, traverse les différents niveaux des mondes spirituels, et arrive finalement au peuple d’Israël dans ce monde, apportant bénédiction et succès. Ce processus implique une transmission constante de Ze’ir Anpin à Mal’hout, une dynamique qui se reflète à tous les niveaux de la création : dans la structure des mondes spirituels, dans la nature humaine, dans la relation entre l’homme et la femme, et dans la capacité unique de l’être humain à parler et à transmettre.

La compréhension de ces concepts nous permet d’apprécier la profondeur de la bénédiction des Cohanim et son rôle crucial dans la connexion entre le divin et l’humain. Chaque fois que cette bénédiction est prononcée, elle active ces canaux spirituels, permettant à l’influence divine de se déverser dans notre monde et dans nos vies.