Dans le nouveau livre « Le Rav Ashkenazi » partie II, un épisode dramatique de la période des négociations de coalition en 1989 est révélé, après les élections durant lesquelles Habad s’est impliqué en faveur d’Agoudat Israël. Les détails en exclusivité, tirés du livre.
Dans le livre « Le Rav Ashkenazi » partie I, il est longuement relaté que lors des négociations de coalition en 1989, le Premier ministre Shamir a trompé à la fois Habad et le ministre Ariel Sharon. Il s’était engagé par écrit à amender la loi « Qui est Juif » dans les six semaines suivant la formation du nouveau gouvernement sous sa direction, mais il n’a pas tenu parole.
La lettre de Shamir a été donnée suite à la demande du Rav Ashkenazi et des dirigeants du Comité pour l’intégrité du peuple, le Rav Shmouel Chafer et le Rav Yitzhak Holtzman, lors de leur rencontre avec le ministre Sharon au domicile du Rabbin. L’invité a demandé qu’Agoudat Israël soutienne Shamir. À la lumière de la lettre exigée par Habad en échange et obtenue, Agoudat a recommandé Shamir au Président, lui permettant ainsi d’obtenir le mandat pour former le gouvernement.
Il faut ajouter que la réunion avec Sharon chez le Rav Ashkenazi a eu lieu le samedi soir de la parasha Toldot, le 3 Kislev. Le lendemain midi, le Rav Chafer et le Rav Holtzman ont reçu de Sharon la lettre de Shamir. Le jour même, le Rav Ashkenazi, les rabbins de Habad et les dirigeants du Comité pour l’intégrité du peuple ont obtenu le soutien d’Agoudat Israël pour Shamir.
Le contenu de la lettre de Shamir a été dicté mot pour mot à Sharon par ses interlocuteurs de Habad lors de la réunion chez le Rav Ashkenazi. En plus de ce qui a déjà été mentionné ici, il était écrit que l’adhésion d’Agoudat Israël à la coalition et son soutien total au nouveau gouvernement ne se feraient qu’après l’amendement de la loi « Qui est Juif ».
Le journal « Hadashot » du 5 Kislev rapporte :
« Une lettre urgente de Shamir, remise par un émissaire à la réunion du Conseil des Grands de la Torah d’Agoudat Israël à l’hôtel Vizhnitz à Bnei Brak, promettant de faire passer la loi « Qui est Juif » dans les six semaines, semble avoir fait pencher la balance. Les Grands de la Torah d’Agoudat Israël ont décidé : « À ce stade, nous disons aux membres de la Knesset d’informer le Président qu’Yitzhak Shamir doit être le candidat au poste de Premier ministre. »
Outre la lettre qui a influencé les rabbins, l’apparition des rabbins de Habad, dirigés par le Rabbin Mordechai Ashkenazi, le rabbin de Kfar Habad, a eu un impact majeur. Les Grands de la Torah ne pouvaient ignorer la demande claire de la délégation de Habad qui a exprimé sa préférence nette pour Shamir.
Contrairement à la recommandation de Habad, il s’avère que parmi les membres de la Knesset d’Agoudat Israël qui ont comparu devant le Conseil, la majorité penchait en faveur de Shimon Peres. Seuls deux, Avraham Verdiger et Eliezer Mizrahi, ont demandé que la tâche soit confiée à Shamir.
Verdiger, homme du mouvement PAI, a prononcé un long discours devant le comité, demandant qu’on confie le rôle à Shamir. Contrairement à Verdiger, le membre de la Knesset Porush a entamé un long plaidoyer en faveur de l’Alignement. Il a déclaré qu’on ne pouvait plus faire confiance aux promesses du Likoud, qui avait déjà promis dans les accords de coalition précédents de faire passer la loi « Qui est Juif » sans s’y tenir.
Les Grands de la Torah ont posé des questions pour clarifier, examiné la possibilité de s’abstenir, et se sont constamment enquis de ce qui se passait chez leurs homologues de Shas. Le Conseil était présidé par l’Admour de Vizhnitz, arrivé accompagné de centaines de ses disciples. La séance était dirigée par le Rav Pinchas Menahem Alter, le frère du Rabbi de Gour.
Une dizaine de rabbins y ont participé, dont le Rabbi d’Erloy, le Rav Binyamin Zilber connu sous le nom de « Rabbi Binyamin Hatsadik », le Rav Plaksner qui est le président du tribunal rabbinique d’Agoudat Israël, le Rav Bernstein membre du tribunal, l’Admour de Ruzhin, l’Admour de Modzitz, l’Admour d’Alexander, l’Admour de Boston, et le Rav Rabinowitz le Rosh Yeshiva de Ruzhin. l’Admour de Sadigura, à l’étranger, a transmis son vote pour Shamir depuis sa résidence à l’étranger…
Finalement, après consultation, le Conseil a décidé qu’à ce stade – en insistant sur « à ce stade » uniquement – les membres de la Knesset d’Agoudat Israël recommanderaient de confier la formation du gouvernement à Shamir. Selon la décision du Conseil des Grands de la Torah, Agoudat Israël ne rejoindrait la coalition qu’après le passage de la loi « Qui est Juif », six semaines après sa formation, si le Likoud parvenait effectivement à le faire.
Après la réunion du Conseil des Grands de la Torah, les membres de la Knesset d’Agoudat Israël sont allés rencontrer le Premier ministre avant de se rendre chez le Président. Ils voulaient s’assurer d’obtenir des promesses finales avant d’aller voir Herzog.
Après la réunion, le député Verdiger s’est dit très satisfait de la décision. Même Porush, dont l’opinion n’a pas été retenue, s’est dit content : « Je présente les sujets aux Grands de la Torah, et dès que je reçois la décision des Grands d’Israël, il n’y a pas de plus grande satisfaction pour moi que d’accepter une décision prise dans un tel forum. »
Les Grands de la Torah, qui ont prolongé leur séance pendant des heures, notamment pour savoir quelle décision prenait le Conseil des Sages de la Torah, ont terminé leur réunion exactement au même moment que le Conseil des Sages, avec la même décision. Porush a commenté qu’il y avait là le doigt de D.ieu qui était intervenu dans les deux conseils de rabbins pour décider au même instant de la même décision.
[Cependant, selon la version de « Yediot Aharonot », le Conseil des Sages de la Torah a été informé de la décision du Conseil des Grands de la Torah, et ce n’est qu’ensuite qu’il a pris une décision similaire. Le Conseil des Sages avait de toute façon l’intention de soutenir Shamir, mais après la décision du Conseil des Grands de la Torah, le sentiment dominant au sein de Shas était que la voie était tracée pour agir de cette manière].Le Lev Simha de Gour ne se sentait pas bien à cette période, mais il était impliqué dans la décision du Conseil des Grands de la Torah.
En effet, le Rav Chafer et le Rav Holtzman se sont rendus chez l’actuel Admour de Gour, le Rav Yaakov Alter, avant de se rendre à l’assemblée du Conseil, et lui ont montré la lettre de Shamir. Il a répondu : « S’il existe une telle lettre, conforme à la volonté du Rabbi concernant l’amendement de la loi « Qui est Juif », alors « ce sera bon ». Et en effet, vers la fin de l’assemblée, le Rav Alter est arrivé et a transmis au nom de son père, le Lev Simha, qu’il fallait soutenir le Likoud.
Il faut également noter que dès le 26 Heshvan – cinq jours après les élections et huit jours avant ladite réunion du Conseil des Grands de la Torah – le Rav Ashkenazi et les membres de la délégation de Habad ont assisté à la réunion des dirigeants du Conseil à Jérusalem. En réponse à la question des Grands de la Torah : « Que demande Habad ? », la délégation a répondu : « Uniquement la loi « Qui est Juif », en soutenant Shamir. »
En tout cas, à l’issue de la deuxième réunion du Conseil des Grands de la Torah et de la rencontre des membres de la Knesset d’Agoudat Israël avec Shamir, les députés d’Agoudat se sont rendus à la résidence du Président, après que les autres partis soient déjà venus donner au Président leur recommandation concernant leur candidat au poste de Premier ministre. « Maariv » rapporte le 5 Kislev, à la suite de sa une en première page : « Les promesses du Likoud aux rabbins ont été décisives : la formation du gouvernement sera confiée à Shamir » :
« La dernière mais non des moindres, la délégation d’Agoudat Israël, dirigée par le Rav Menahem Porush, arrive chez le Président. Ils viennent directement d’une réunion avec le Premier ministre Yitzhak Shamir, qu’ils recommandent au Président. « La lettre que Shamir nous a donnée sur la question « Qui est Juif » nous a donné satisfaction. Nous venons de quitter Shamir très encouragés. Lui aussi était encouragé lorsqu’il a reçu notre décision », a déclaré Porush. « Nous espérons réussir à former un gouvernement le plus rapidement possible. » »
Le comité des rabbins de Habad a nommé en ces jours le Rav Ashkenazi pour représenter Habad à l’extérieur, aux côtés de quelques militants, dans tout ce qui concerne les négociations de coalition.
En effet, le Rav Ashkenazi, qui a décidé avec les rabbins qu’il fallait exiger uniquement l’amendement de la loi « Qui est Juif », s’est employé avec les rabbins et les dirigeants du Comité pour l’intégrité du peuple à ce qu’Agoudat Israël continue d’exiger l’amendement de la loi et soutienne Shamir. Le Rabbin a tenu des réunions avec les Admourim et l’actuel Admour de Gour, ainsi qu’avec le ministre Ariel Sharon. Il a eu des conversations téléphoniques avec Shamir et a également participé à la réunion du Conseil des Grands de la Torah qui s’est tenue le 25 Kislev, où il a été décidé de poursuivre dans cette voie.
Le 12 Kislev, le rassemblement des Hassidim du 20 Heshvan, reporté cette année-là en raison des élections, a eu lieu au Palais de la Culture de Tel-Aviv. Le Rav Ashkenazi a prononcé le discours principal et, sous les applaudissements enthousiastes des milliers de participants, a exprimé ses encouragements à Shamir pour qu’il reste ferme comme un roc sur l’amendement de la loi « Qui est Juif ». Le Rabbi a également envoyé des vœux chaleureux aux représentants d’Agoudat pour leur loyauté sur la question « Qui est Juif », et les a appelés à continuer dans cette voie. Ces messages ont également été consignés dans les résolutions du rassemblement, lues par le présentateur.
Cependant, Shamir a utilisé par deux fois les partis de droite pour que le Président le charge de former le gouvernement – d’abord au début, puis le 26 Kislev lorsqu’une prolongation a été nécessaire. Finalement, le 14 Tevet, il a formé un large gouvernement qui incluait même l’Alignement.
Le Likoud et l’Alignement comptaient ensemble 79 députés, de sorte que les partis religieux et le parti Tehiya ne faisaient plus office de balance du pouvoir. Shamir pouvait donc violer ses engagements envers eux, notamment ses deux signatures données à Agoudat Israël sur la question « Qui est Juif » – à la fois dans la lettre dictée comme mentionné au domicile du Rav Ashkenazi, et dans une lettre ultérieure traitant de « Qui est Juif » et d’autres promesses, signée par Shamir et les ministres seniors du Likoud.
Cette tromperie s’est produite malgré l’engagement de Shamir envers lesdits partis selon lequel ses promesses à leur égard seraient maintenues même dans un large gouvernement. Il l’avait même signé à Agoudat Israël dans la deuxième lettre mentionnée. En effet, ces partis étaient furieux contre Shamir, et Ariel Sharon a mené une lutte contre le Premier ministre sur cette question, mais rien n’y a fait.
Les Hassidim étaient terriblement déçus par l’entêtement de Shamir à ne pas amender la loi « Qui est Juif ». D’autant plus que pendant les pourparlers, le Rabbi avait longuement parlé de « la grande nécessité et de l’urgence » d’amender la loi « le plus rapidement possible ». Le Rabbi avait même fait référence aux tentatives de non-juifs en ces jours-là pour empêcher cela.
Cependant, il convient de souligner que même si Shamir a violé sa promesse sur la question « Qui est Juif », le Rav Ashkenazi et les autres membres de la délégation de Habad mentionnée étaient très heureux de leurs actions. Car en plus du fait qu’ils ont agi conformément à la volonté sacrée du Rabbi (le Rabbi était impliqué dans lesdites négociations, et lorsqu’on lui a demandé s’il fallait les interrompre, il a écarté cette idée et ordonné de les poursuivre), leur activité a conduit Agoudat Israël à recommander deux fois Shamir et à exclure la possibilité d’un gouvernement de gauche dirigé par l’Alignement.
Il faut expliquer ici :
Quelques années auparavant, une question similaire à celle qui se posait maintenant s’était présentée, alors qu’un certain homme politique promettait d’amender la loi « Qui est Juif ». Le Rav Ashkenazi avait alors entendu du Rabbi lors d’une conversation téléphonique à propos de cet homme : « Sans lui et sans ‘Qui est Juif' ».
Depuis, le Rav Ashkenazi savait que le Rabbi s’opposait à ce que ce candidat, qui était également envisagé en ce moment, forme le gouvernement, comme cela s’est effectivement avéré un an après les négociations de 1989, en 1990.
Lors des négociations de 1989, l’Alignement n’était de toute façon pas en mesure d’amender la loi « Qui est Juif ». En effet, il conditionnait l’amendement de la loi à l’approbation du centre du parti. Il fallait que le centre approuve et que l’Alignement parvienne à former un gouvernement qui amenderait la loi. La réalisation de l’ensemble de ces conditions était impossible, compte tenu de l’opposition au centre, au sein du groupe parlementaire de l’Alignement et des autres partis de gauche à l’amendement de la loi, et parce que le Likoud avait annoncé qu’il s’opposerait à l’amendement que présenterait l’Alignement.
Le manque de volonté de la gauche et de la droite d’amender la loi « Qui est Juif » a prouvé que même si Agoudat Israël avait accepté de rejoindre seule un bloc de blocage de la gauche et des partis arabes – un bloc qui aurait compté 60 députés – et avait tenté de forcer une rotation du poste de Premier ministre entre Shamir et Peres, en échange d’un engagement de Peres sur « Qui est Juif », cela n’aurait pas conduit à l’amendement de la loi.
En effet, même si Shamir avait cédé et accepté la rotation – contrairement à ses déclarations, la gauche et l’Alignement s’opposaient fermement à l’amendement de la loi. Quant à Shamir, qui a évité l’amendement même lorsqu’Agoudat Israël lui a accordé un mandat complet à la tête du gouvernement, il s’en serait d’autant plus abstenu si Agoudat lui avait imposé une rotation. Il aurait exploité la force combinée du Likoud et de l’Alignement pour agir à sa guise, comme il l’a effectivement fait.