Dans cet enseignement profond de la Hassidout, nous explorons le concept complexe de l’annulation de soi face à l’Existence Divine. Ce texte, basé sur les enseignements du Baal Shem Tov et des maîtres hassidiques qui l’ont suivi, nous invite à réfléchir sur la nature de notre existence et notre relation avec le Divin. Préparons-nous à plonger dans ces concepts profonds qui touchent à l’essence même de notre existence et de notre relation avec le Créateur.

Nous en sommes à la partie de la prière du matin sur la préparation au premier Kriat Shema. Nous disons alors « Que sommes-nous ? ». Qu’entendons-nous par là ? Que nous ne sommes absolument rien, que nous n’avons aucune existence propre.

Le concept du Baal Shem Tov sur le verset « Ta parole, Éternel, subsiste à jamais dans les cieux » est expliqué ainsi : Les Paroles que D.ieu a prononcées lors de la création du monde demeurent constamment présentes dans les cieux et continuent à insuffler la vie au monde. Si D.ieu cessait, ne serait-ce qu’un instant, de faire vivre le monde, celui-ci cesserait immédiatement d’exister. Ce n’est pas comparable à la mort d’un être humain ; le monde disparaîtrait simplement, car toute son existence dépend entièrement et continuellement de la parole divine.

L’exemple de la séparation de la mer Rouge illustre ce concept. D.ieu fit souffler un vent d’est toute la nuit pour maintenir les eaux. Ce « vent d’est » symbolise la force divine primordiale. Si D.ieu avait cessé, ne serait-ce qu’un instant, d’exercer cette force, les eaux se seraient immédiatement effondrées. Cela démontre que les eaux n’avaient pas en elles-mêmes la capacité de se tenir comme un mur ; D.ieu devait continuellement leur insuffler cette faculté.

Ce principe s’applique de la même manière à la création du monde : le ciel et la terre n’ont pas d’existence autonome. Leur existence dépend entièrement de la parole divine qui les maintient à chaque instant. Tant que la parole divine les imprègne, ils existent ; si elle venait à s’en retirer, ils cesseraient instantanément d’exister.

La relation entre D.ieu et le monde diffère fondamentalement de celle entre l’âme et le corps. Le corps possède une existence propre, même dépourvu d’âme, bien que celle-ci lui confère vie et mouvement. En revanche, les créatures n’ont absolument aucune existence indépendante de D.ieu, qui les crée et les maintient perpétuellement. Il ne s’agit pas simplement de D.ieu qui s’envelopperait dans le monde ; le monde est la manifestation directe de la parole divine. Il n’existe pas de réalité distincte de D.ieu.

Cette relation peut être comparée à la lumière du soleil à l’intérieur même de l’astre solaire. Cette lumière n’a aucune existence distincte du soleil ; elle est totalement absorbée dans sa source. De manière analogue, les créatures sont entièrement incluses dans la parole divine et complètement annulées en elle.

On illustre cette idée par la différence entre les créatures terrestres et aquatiques. Les êtres terrestres, bien que tirant leur vitalité de la terre, semblent jouir d’une indépendance. En revanche, les poissons manifestent une dépendance évidente à l’eau, périssant dès qu’ils en sont extraits. De façon analogue, toutes les créatures dépendent entièrement de D.ieu, même si cette dépendance n’est pas toujours perceptible à nos yeux.

La vérité profonde est que toutes les créatures sont dénuées d’existence propre et sont complètement annulées en D.ieu. C’est la raison pour laquelle nous commençons notre prière par l’interrogation « Que sommes-nous ? ». Lorsqu’un Juif se tient devant D.ieu pour prier, il prend conscience de son insignifiance face à l’infini divin.

Cette prise de conscience ne vise pas à dévaloriser l’individu, mais à le situer dans sa juste relation avec le Créateur, favorisant ainsi une approche authentique et humble de la prière.

Cette prise de conscience peut conduire à un sentiment d’annulation totale de soi. Paradoxalement, c’est un niveau spirituel très élevé, car il témoigne d’une proximité telle avec D.ieu que la créature se sent complètement incluse en Lui. C’est là le fondement du commandement de l’unicité divine : nous sommes unis à D.ieu dans une unité parfaite et indivisible.

Une anecdote illustrative est rapportée à propos de l’Admour Hazaken. Peu avant sa Histalkout (son départ de ce monde), il demanda à ses disciples ce qu’ils voyaient. Ils répondirent qu’ils voyaient un plafond. L’Admour leur expliqua alors qu’il percevait la parole divine qui donnait vie au plafond, et non le plafond lui-même. Il avait atteint un niveau de perception où la véritable réalité divine derrière les apparences lui était visible.

On explique que, bien que nous ne percevions généralement pas cette réalité, elle demeure la vérité ultime. Nous avons l’impression d’exister de manière autonome, mais en réalité, nous sommes totalement annulés en D.ieu. C’est sur cette compréhension profonde que nous nous appuyons lorsque nous disons « Que sommes-nous ? » au début de la prière, reconnaissant notre véritable place face à l’infini divin.

Le hassid Shmuel Zalmanov, éditeur du recueil HaTamim et éminent connaisseur des nigunim, relatait dans ses dernières années une évolution intéressante dans l’approche hassidique. Il racontait que le Rabbi interrogeait fréquemment son prédécesseur sur un point crucial : l’enseignement hassidique de l’annulation de soi ne risquait-il pas d’entraver le développement personnel ? Le Rabbi précédent confirmait que telle était effectivement l’intention, et que cela devait être ainsi.

Cependant, lorsque le Rabbi devint lui-même Nassi, il apporta une nuance significative à cette approche. Tout en reconnaissant la valeur de l’annulation de soi, il mit également l’accent sur l’importance du développement personnel. Il encouragea à valoriser les élèves par des récompenses, à prodiguer des compliments, et à faire émerger les forces individuelles de chacun.

Cette apparente contradiction se résout en réalité dans une compréhension plus profonde. Ces deux aspects – annulation de soi et développement personnel – ne s’opposent pas, mais se complètent à un niveau spirituel supérieur. Dans cet état élevé, l’individu parvient à concilier une conscience de son existence propre avec une annulation totale devant D.ieu. Toute l’existence de la personne devient ainsi un instrument consacré au divin.

Cette synthèse harmonieuse entre l’effacement de soi et l’épanouissement personnel représente une approche spirituelle sophistiquée. Elle permet à l’individu de se développer pleinement, tout en orientant ce développement vers un but divin, créant ainsi une synergie entre la croissance individuelle et le service de D.ieu.