Par Michel Allouche, Jérusalem

Certains des lecteurs de hassidout.org se souviennent peut-être de la venue à Paris du Rav Adin Éven-Israël (Steinsaltz), à l’occasion de la traduction en français de son livre « Mon maître le Rabbi » et de la soirée du 19 Kislev organisée par le Beth Loubavitch au théâtre Mogador, il y a près de huit ans.

La salle du théâtre est comble, sans doute plus de 2000 personnes. Après les introductions d’usage, le public est alors prêt à boire les paroles de Rav Adin, que j’ai le mérite de traduire en français. Comme à son habitude, Rav Adin se plait, d’entrée, à piquer son auditoire : « Non, je n’ai aucune raison de présenter mes excuses car je m’adresse à vous en hébreu. Ne serait-il pas temps que vous vous mettiez à l’apprendre, jeunes et vieux confondus ? ». Son intervention est relativement brève mais va comme d’habitude au fond des choses :
« La ‘hassidout n’a en fait rien inventé. Elle cherche seulement à atteindre l’intériorité de l’être, là où se trouve le « émeth », la vérité. Qu’est-ce que la vérité ? De nombreux philosophes se sont heurtés à de nombreuses difficultés en tentant de la définir. L’un d’entre eux a cependant prétendu que la vérité ne se définit pas mais se reconnaît. Lorsqu’on la rencontre, on s’exclame immédiatement : « Ah, ah [c’est bien cela] ! ». Tel est là l’un des projets de la ‘hassidout, nous amener à chercher et retrouver cette vérité profonde que cache un niggoun, une parole de Torah ou de téfilla.

Le 19 Kislev est aussi désigné comme le Nouvel an de la ‘Hassidout. Or à l’instar de Roch Hachana qui n’est pas l’anniversaire de la création du monde mais celle de l’homme car ce dernier en est le but ultime, la ‘hassidout existait déjà bien avant le 19 Kislev et la libération de l’Admour Hazaken. D’ailleurs, à D-ieu ne plaise, si, comme Rabbi Akiva, l’Admour Hazaken avait été condamné à mort, la ‘hassidout aurait sans doute continué son chemin. Qu’y a-t-il donc de si spécial pour que le 19 Kislev représente en quelque sorte le but ultime de la ‘hassidout ? Le fait que la dispute entre les ‘hassidim et les mitnagdim ait conduit à un procès intenté par la cour royale avait un sens bien plus profond. Car ce même procès se déroulait dans les sphères célestes qui débattaient de l’opportunité de laisser la ‘hassidout, précurseur des temps messianiques, se répandre en tout lieu. Le verdict en faveur de l’Admour Hazaken signifiait que le feu vert était donné à la ‘hassidout et aux ‘hassidim pour qu’ils se mettent en marche. « En marche, avancez toujours et encore ! », Tel est bien là le message de 19 Kislev. »

Et Rav Adin remarque certes que la salle du théâtre est pleine à craquer et que loin est le temps où il fallait soudoyer un clochard juif le vendredi soir pour qu’il vienne compléter le mynian de la synagogue ‘Habad de Paris, 17 rue des rosiers. Mais d’ajouter immédiatement que cela est loin d’être suffisant : chaque ‘hassid a le devoir d’avancer plus encore, d’aller au-devant des centaines de milliers de Juifs à Paris et en France pour leur porter le message du 19 Kislev et les inciter eux aussi à rejoindre cette marche, qui n’est autre que celle en direction de la guéoula.

De retour à l’hôtel, dans l’ascenseur qui nous conduit vers nos chambres respectives, je surprends Rav Adin à émettre un double soupir : « Oye, Oye ! ». J’ose l’interroger : « Quelle est donc la raison de cet ‘oye’ ? ». Il me répond sans hésiter : « Je me demande si tout ce que j’ai dit a pu avoir un quelconque effet. Ai-je bien réussi à « toucher » quelqu’un ? Dans le noir de la salle, je ne voyais même pas les gens à qui je m’adressais…Mais après tout, comment savoir, parfois une phrase, voire un seul mot peuvent suffire. Voilà, tel est la raison de ces deux ‘oye’… ».

Cette dernière anecdote (et ce que l’on peut en déduire) me paraît refléter parfaitement la personnalité de Rav Adin. Dès lors qu’il pouvait voir la personne à qui il s’adressait, il savait percevoir immédiatement l’intériorité de son être ; il était aussi parfaitement capable d’adapter son langage à son interlocuteur, dût-il s’adresser à un Juif des plus simples, à un musicien, à un enseignant, à un homme de sciences ou de lettres, voire à un Prix Nobel de physique. Car au-delà de tout, Rav Adin, fidèle ‘hassid du Rabbi, était mu par un objectif primordial : « toucher » chaque Juif, afin de réveiller son âme et de le faire progresser dans son judaïsme. Et comme il l’a souligné si souvent, si des milliers, des millions pouvaient seulement avancer d’un seul pas, le monde en tremblerait et pourrait enfin accueillir le Machia’h tant attendu. Un objectif qui se trouve désormais entre nos mains.