J’ai eu l’immense privilège de connaître Rav Moshé Kotlarsky, lorsqu’il a guidé nos premiers pas dans notre Chli’hout à Bâle, dès l’aube de ce projet au commencement du nouveau millénaire. Son influence bienveillante a imprégné tant d’aspects de mon parcours de Chalia’h au fil des années. Pourtant, à l’annonce de sa disparition, ce ne sont pas ces souvenirs qui ont surgi spontanément dans mon esprit, mais plutôt cet épisode marquant, celui de ses cris.

Par le Rav Zalman Vishedski

Ce sont ses cris qui ont surgi les premiers dans ma mémoire et mon cœur lorsque la terrible nouvelle a retenti : « Le Rav Moshé Kotlarsky a quitté ce monde ! ». On dit souvent qu’il faut glorifier ceux qui nous ont quittés, qu’une aura quasi-mystique nimbe une personne disparue. Mais cette fois, il n’en est rien. Vraiment rien.

Les réseaux sociaux ‘Habad fourmillent d’anecdotes sur Rav Moshé. Presque tous ceux qui ont croisé sa route ont un mot élogieux à partager, un souvenir lumineux à raconter. Et chacun de ces mots, chacune de ces histoires, aussi incroyables et exceptionnelles soient-elles, sont d’une authenticité absolue, sans l’ombre d’une exagération. Comment puis-je l’affirmer avec tant de certitude ? Tout simplement parce que j’ai moi-même eu le privilège d’en vivre un grand nombre.

J’ai eu l’immense honneur de connaître Rav Moshé Kotlarsky, d’être accompagné par lui dans notre Chli’hout à Bâle dès les prémices de ce projet, au début des années 2000. Sa présence à nos côtés était comme un phare dans la nuit, un soutien inébranlable sur lequel nous savions pouvoir compter à chaque instant. Pour un jeune Chalia’h, avoir la conviction qu’il existe une personne dont le téléphone est toujours prêt à recevoir votre appel est un trésor inestimable.

Je me remémore avec une acuité particulière ce soir de Chabbat dans son bureau, en compagnie de mon cher ami bâlois Dany Rothschild, zikhrouno livrakha, et de son fils Rav Mendel qui marche dans ses pas. Alors que nous entamions la conversation, Rav Moshé s’est excusé de garder son téléphone sur la table : « C’est juste pour rester disponible à tout moment pour les Chlouhim ». Face au clin d’œil complice de Dany, je lui ai confié : « Cet homme extraordinaire, au sourire généreux et à l’humour communicatif, pense sincèrement ce qu’il dit. J’ai moi-même eu le mérite de le réveiller en pleine nuit ! »

La Upshernish de mon fils Moshé me revient également en mémoire. Notre Chli’hout avait débuté depuis trois ans et j’ai ressenti le besoin profond que Rav Moshé nous apporte sa force et son aura. Avec une confiance teintée de naïveté, j’ai composé son numéro à New York pour lui demander de faire le déplacement. Sa réponse fut d’une simplicité déconcertante : « Zalman, si tu m’invites, je viendrai avec l’aide de D.ieu ». Et il est venu. Par le train, tranquillement. Atterrissant à Zurich pour ensuite rejoindre Bâle. Si simple, et pourtant si fort, si puissant pour un jeune couple de Chlouhim.

Mais comme je le disais, ce ne sont pas ces souvenirs qui ont émergé en premier à l’annonce de sa disparition. Non, ce sont ses cris qui ont résonné en moi. Ou plutôt, une phrase griffonnée à la hâte sur un bout de papier pour rassurer mon épouse tandis qu’il me réprimandait au téléphone, il y a de cela 17 ans. Il considérait alors que je m’étais engagé de manière irréfléchie dans une activité inadéquate à ses yeux. Mon opinion différait alors, comme elle diffère encore aujourd’hui, mais là n’est pas la question. En fait, ce coup de fil avait débuté de façon anodine, par une demande polie de mes nouvelles, avant que ne déferle sur moi un torrent de reproches véhéments, portés par la voix puissante et la verve acérée qu’il savait déployer quand la situation l’exigeait. Et cette fois-là, il avait décidé de ne pas mâcher ses mots.

Je me souviens comme si c’était hier de Dvorah, livide à mes côtés, percevant à travers l’écouteur du téléphone le ton sévère et l’approche véhémente de Rav Moshé. D’un regard anxieux, elle m’interrogeait silencieusement sur ce qui se passait. Saisissant alors une feuille de papier, j’y griffonnai cette phrase du Talmud : « Moshé notre maître aimait profondément le peuple juif ». C’était ma façon de la rassurer, de lui signifier avec conviction : « Sois sans crainte, ce Rav Moshé qui déverse sur moi un torrent de réprimandes en cet instant, son cœur déborde en réalité d’un amour infini pour chaque juif. Tout ceci s’achèvera avec la fin de cette conversation téléphonique, rien de plus. Pas l’once d’un doute n’effleure mon esprit. »

Les méandres du cœur recèlent bien des mystères. Et si, au fil des vingt-deux années de notre relation, ce sont précisément ces instants qui ont refait surface dans ma mémoire, c’est sans doute parce qu’ils cristallisaient ma conviction intime : cet homme n’avait d’autre aspiration que mon bien-être et mon épanouissement.

C’est dommage, c’est dommage pour la grande perte.

Le Rabbi a perdu son général le plus haut gradé cette semaine, Rav Moshé Yehuda Kotlarsky, de mémoire bénie.

 

Rav Shnéor Zalman Vishedski est né en 1971 en Israël. Il est le fils de Rabbi Yaacov Vishedski, lui-même émissaire du Rabbi en Israël.
En 1991, le jeune Shnéor Zalman se rend à New York pour étudier à la Yechiva centrale du mouvement ‘Habad, au 770 Eastern Parkway. Il y passe deux ans.
En 1998, il épouse Deborah Gorlik. Puis en 2000, le couple part comme émissaires du Rabbi pour fonder un nouveau centre ‘Habad à Bâle, en Suisse. Leur mission est florissante depuis plus de 20 ans.
Rav Vishedski est un leader actif et dynamique de la communauté juive bâloise. Il dirige la synagogue ‘Habad de Bâle, l’école juive, le Talmud Torah, le Beth ‘Habad, le Mikvé et d’autres institutions. Il organise également chaque année un grand événement public pour Hanouka sur la Barfüsserplatz.
En parallèle de son travail communautaire, il est connu pour ses cours et conférences ainsi que pour ses nombreux articles. Il écrit fréquemment des chroniques dans le journal Kfar Chabad et sur différents sites Internet.
Rav Shnéor Zalman Vishedski et son épouse ont sept enfants. Leur énergie et leur dévouement ont permis l’épanouissement d’une communauté juive florissante à Bâle.