Ce document apporte un éclairage intéressant sur un épisode de tensions internes au monde hassidique et orthodoxe en Israël à la fin des années 80, et sur le rôle joué par le Rabbi de Loubavitch et certains Admorim pour défendre la place du hassidisme Habad face aux attaques dont il faisait l’objet dans ce contexte électoral tendu. Les détails fournis montrent la complexité des relations et des jeux d’alliance entre les différents courants et partis religieux à l’époque.

 

Le Degel HaTorah fut fondé en 1988 par une scission de l’Agoudat Israel. due à des divergences politiques avec les rabbins hassidiques au sein de l’Agoudat Israel. Lors des élections législatives de 1988, le parti remporta deux sièges à la Knesset, occupés par Moshe Gafni et Avraham Ravitz, et rejoint le gouvernement de coalition d’Yitzhak Shamir. Lors des élections de 1992, le parti s’allia avec l’Agoudat Israel sous le nom de Judaïsme unifié de la Torah.
Bien que les deux partis se soient séparés peu avant les élections législatives de 1996, ils se réunirent à nouveau pour le scrutin. Cette alliance est constamment renouvelée depuis.
Le parti a actuellement trois représentants à la Knesset (sur les sept de l’alliance), Moshe Gafni, Uri Maklev et Ya’akov Asher. 

Dans le nouveau livre « Le Rav Ashkenazi » Tome 2, est relatée l’histoire de la création du parti politique « Degel HaTorah » et les développements qui s’ensuivirent autour de Habad. Le message transmis par le secrétariat du Rabbi pour signaler l’opposition de Vizhnitz, et la reconstitution des événements des années plus tard par le Rabbi de Gour.

Le 21 Marcheshvan 5749 (1988) eurent lieu les élections historiques à la Knesset, lors desquelles le Rabbi ordonna de se mobiliser pour le succès d’Agoudat Israël, suite à une scission qui s’était créée entre elle et les détracteurs des enseignements hassidiques. Cette instruction spéciale arriva après qu’une requête fut transmise au Rabbi de la part des grands Admourim en Israël, lui demandant d’accorder son soutien sacré à la liste.

Le Rav Ashkenazi était à la tête de ceux qui œuvraient pour Guimel (Agoudat Israel). Un mois après les élections, lors d’un rassemblement de 19 Kislev à Kfar Habad, il s’exclama :
« Si il y a 190 ans, on pouvait comprendre les craintes de certaines personnes naïves face à la nouvelle voie hassidique inconnue, aujourd’hui, après que les enseignements hassidiques ont fait leurs preuves, et que le dévouement de nos Rebbeim et de leurs Hassidim a maintenu la braise et la flamme du peuple juif dans le monde entier, comment est-il possible que certains veuillent renouveler la discorde et la haine profonde qui régnaient à l’époque du Alter Rebbe ?! »

Le Rav Ashkenazi faisait référence à la terrible polémique qui éclata à cette période, initiée par quelqu’un connu pour sa vieille haine envers le hassidisme Habad. Celui-ci décida soudainement, au mois de Tishri 5749, de briser les liens et de passer d’une opposition sévère à Habad à une guerre sans merci, incluant une exigence absolue de la part de toutes les cours hassidiques de boycotter Habad !

En fait, dès l’hiver 5748, cet homme avait formulé cette revendication, tout en créant divers organismes destinés à combattre Habad, dans le cadre de sa vieille lutte contre eux. Le Rabbi commenta ce dernier point lors d’un rassemblement du Chabbat Vayeshev, 21 Kislev 5748 :

« On prétend être un leader, mais en réalité on s’occupe et on est absorbé par la propagation de la haine entre Juifs. On crée et construit dans un seul but : répandre la haine. On construit des choses et établit de nouveaux sujets dans le seul but d’accroître les dissensions… Tout le monde sait (et ils n’en ont pas honte) que l’unique but de la création de cette nouvelle chose est d’augmenter les disputes ! Et c’est d’autant plus grave quand la haine est dirigée contre des Juifs qu’on ne connaît pas et qu’on n’a jamais vus, visant tout un groupe de Juifs. »

Cependant, suite à une série de discussions qui se tinrent au mois de Chevat 5748 entre les représentants hassidiques et lituaniens au sein d’Agoudat Israël, il semblait que cet homme ait renoncé à sa demande de boycotter Habad – une exigence qu’il avait posée comme condition à la participation d’Agoudat Israel dans son intégralité aux prochaines élections à la Knesset.

Cette unité avait déjà été rompue par lui lors des élections précédentes en 5744 (1984), où il avait soutenu le parti Shass. Mais il était encore resté au sein d’Agoudat Israel, et le conflit de 5744 n’avait pas éclaté suite à une demande de sa part de boycotter Habad.

À la surprise générale, la veille de Yom Kippour 5749, une heure avant l’entrée de la fête, un accord fut signé entre la faction centrale d’Agoudat Israël, à savoir les Hassidim de Gour, et les représentants lituaniens, concernant une liste commune aux élections. Il fut convenu entre eux qu’à la sortie de Yom Kippour, une annexe de compromis serait signée, stipulant :
1. Le journal hassidique Hamodia renoncerait à mentionner Habad, y compris dans les publicités payantes, tandis que le journal lituanien Yated Neeman cesserait d’attaquer Habad.
2. Les rabbins et représentants hassidiques d’Agoudat ne participeraient pas aux événements Habad, tandis que leurs homologues lituaniens n’attaqueraient plus Habad, même verbalement.

Le plan était que même la « Faction Unifiée » au sein d’Agoudat, c’est-à-dire les Hassidim de Vizhnitz, rejoigne l’accord et son annexe.

Du côté de la faction centrale, seuls quelques responsables étaient au courant de l’annexe, qui devait rester secrète jusqu’à la sortie de Kippour. Mais dans l’après-midi de la fête, son existence fut révélée, et les esprits s’échauffèrent au sein de l’Agoudat hassidique. Rabbi Yaakov Alter (l’actuel Rabbi de Gour) et le défunt Rabbi de Vizhnitz annoncèrent après la fête à leurs représentants politiques leur opposition totale à l’annexe, en raison du boycott de Habad.

De l’autre côté de la barricade, des responsables lituaniens de haut rang radicalisèrent leur position, exigeant que leurs rabbins soient autorisés à attaquer Habad au moins verbalement… Les représentants de la faction centrale transmirent cela à Rabbi Pinchas Menachem Alter (qui fut plus tard connu comme du Rabbi de Gour), et il rejeta bien sûr totalement cette idée.

Les responsables de la faction centrale informèrent leurs homologues lituaniens des développements, et l’homme connu pour ses luttes menaça de créer une nouvelle liste. Cela faisait écho aux menaces des Lituaniens les jours précédents, lorsque Hamodia (journal Gour) publiait des annonces sur Habad pendant les négociations des représentants hassidiques avec les Lituaniens, ce qui mit ces derniers hors d’eux.

Parallèlement, l’homme en question annonça soudain que malgré sa demande de boycotter Habad, lui de son côté n’était pas du tout d’accord pour mettre fin à ses attaques et à celles de Yated Neeman contre Habad !

Le lendemain de Yom Kippour, le centre d’Agoudat Israël – composé à l’époque de Hassidim et de Lituaniens – se réunit pour discuter de la question. Le président du centre, Rabbi Pinchas Menachem Alter, boycotta la réunion, refusant de prendre part à des discussions sur l’ostracisme de Habad.

Le responsable lituanien Shlomo Lorincz harangua les membres du centre et « condamna » Habad, demandant aux Hassidim au sujet de Loubavitch: « Préférez-vous cette « secte », qui compte « six cents ou maximum sept cents âmes », aux deux mandats que représente le public lituanien ?! »

Le président d’Agoudat Israël, Rav Moshe Zeev Feldman, attaqua Shlomo Lorincz en réponse, déclarant qu’aucune cour hassidique ou groupe juif n’avait diffusé le judaïsme dans le monde entier comme le mouvement Habad, alors comment pouvait-on en parler ainsi ?!

Un des responsables hassidiques qui avaient poussé à signer l’annexe écrivit un mot à Rav Feldman pendant son discours, lui demandant de ne pas défendre Habad, car cela risquait d’irriter l’homme connu. Mais Rav Feldman réagit au mot depuis la tribune, annonçant : « Je parlerai comme je veux ! Je ne laisserai pas qu’on attaque Habad ainsi ! »

En effet, le centre décida de la composition de la liste d’Agoudat Israël, en laissant la troisième place vacante, afin que si les Lituaniens cédaient sur la question de Habad, ils y soient intégrés.

Le lendemain, vendredi, le journal Yated Neeman annonça en Une que sur instruction de l’homme en question, une nouvelle liste lituanienne serait créée. Ce titre, accompagné d’une lettre de soutien à cette liste de la part de cet homme, visait à intimider l’Agoudat hassidique, mais eut l’effet inverse. Car le samedi soir, les représentants lituaniens demandèrent à leurs homologues de la faction centrale de reprendre leurs discussions communes, mais essuyèrent un refus, au vu de la publication susmentionnée.

Les Lituaniens demandèrent au président de PAI (Poalei Agoudat Israël), Avraham Verdiger, de ne pas s’allier avec Agoudat, mais de se présenter sur une liste séparée, en se désolidarisant de Habad, en échange d’un soutien lituanien aux élections. Verdiger refusa et se présenta sur la liste Guimel d’Agoudat Israel. Les Lituaniens tentèrent alors de s’intégrer à la liste Shass, mais celle-ci aussi refusa de les inclure parmi ses candidats.

C’est ainsi que démarra la course électorale de « Degel HaTorah », et avec elle la terrible discorde des opposants contre les Hassidim, qui incluait même des propos infâmes de la part de cet homme contre le Rabbi, et de vives protestations des grands de la Torah.

Rav Ashkenazi souligna dans ce contexte que la lutte de cet homme n’était pas dirigée seulement contre les Hassidim de Habad, mais visait l’ensemble des enseignements hassidiques, et que l’attitude des différentes cours hassidiques face à cette lutte devait en tenir compte.

Ce fait fut illustré de manière effrayante lors de cette campagne électorale, que ce soit dans les actions et déclarations terribles de cet homme et de ses soldats envers les Admourim et leurs Hassidim, ou dans ses graves propos révélés au sujet des grands du hassidisme à travers les générations, à commencer par la lumière des sept jours, le saint Baal Shem Tov !

En effet, le Rabbi écrivit en ces jours au sujet de ceux qui se joignaient à cet homme (voici le contenu de la réponse en substance) : « Quiconque flatte les méchants finit par tomber entre leurs mains, et il lutte contre le peuple juif, contre le Baal Shem Tov, le Alter Rebbe etc., et contre l’Agoudat. »

Parallèlement, il faut noter que les liens entre les différentes cours hassidiques et le Rabbi se renforcèrent beaucoup suite aux élections de 5749. L’actuel Admor de Gour, qui avait eu une audience privée (Yehidout) avec le Rabbi dès 5737 (1977), eut une nouvelle Yehidout le 6 Adar II 5749. Sept ans plus tard, en 5756 (1996), il dit à Rav Ashkenazi : « Je me souviens très bien du Rabbi! ».

Il faut aussi mentionner que l’opposition susmentionnée du Rabbi de Vizhnitz au boycott de Habad fut rappelée par le Rav Ashkenazi un an et demi plus tard, dans une interview au magazine Kfar Habad du 30 Nissan 5750 (1990). Ses propos dans cette interview lui furent dictés par le secrétariat du Rabbi, qui accompagna aussi le journal dans toutes ses démarches dans les semaines qui suivirent la fameuse « manipulation ».

Le Rav Ashkenazi y décrivit l’amitié et l’estime qui régnaient entre les membres du « Conseil » (des Grands de la Torah) et le Rabbi, ainsi que la ligne susmentionnée du président du Conseil, du Rabbi de Vizhnitz, en 5749.