Traduit par le Rav Haïm Mellul

 

 

Dans la relation qui se tissa entre le Rabbi et les Juifs de Syrie, il est bien évident que ce qui conserve un caractère confidentiel dépasse ce qui peut être révélé. Ainsi, pendant une longue période, une action secrète fut dirigée à partir du bureau des secrétaires du Rabbi.

C’est de cette façon que des objets de culte furent expédiés aux Juifs de Syrie grâce à des relations diplomatiques. Le Rav de la communauté syrienne de New York, dont l’immense synagogue se trouve à Ocean Parkway, relate :

«A l’époque, le Rabbi connaissait les noms de la majeure partie des Juifs de Damas et, pour nombre d’entre eux, il savait aussi quelle était leur situation personnelle».

L’une de ces années, un représentant des Juifs de Syrie passa devant le Rabbi, à la veille de Yom Kippour. Le Rabbi lui emplit les mains de gâteau au miel. Pour chaque part de gâteau qu’il lui tendait, le Rabbi multipliait les bénédictions et disait : « Ceci est pour la Syrie. Ceci est pour les Juifs de Syrie. »

De nos jours, la Syrie ou ce qui en reste évoque le chaos, la destruction, la guerre sanglante, des centaines de milliers de victimes. Dans cet endroit du monde, les vapeurs de gaz sont devenues le quotidien banal, la vie n’a plus aucune valeur. Un nombre incalculable de familles ont perdu tout espoir.

La communauté juive de Syrie, au sommet de sa gloire, comptait plusieurs dizaines de milliers de Juifs, des centaines de Sifreï Torah, se trouvant dans des dizaines de synagogues. De nos jours, il ne reste qu’une poignée de Juifs, quelques dizaines, dans les deux grandes villes du pays, Damas et Alep, à l’issue d’un effondrement démographique.

Selon le témoignage  d’un représentant de la petite communauté de Damas, qui fut interviewé par un journaliste israélien, Assaf Guibor, les quelques Juifs de la ville s’efforcent de mettre en pratique la Torah et les Mitsvot.

Ces Juifs parviennent, parfois, à organiser une prière commune dans la grande synagogue de Damas, qui n’a pas été détruite. Il a même pu leur arriver de prier ensemble trois fois par jour et les coutumes des fêtes de l’antique communauté de Damas y sont encore respectées, de nos jours.

A Alep, il ne reste plus que sept femmes juives et pas un seul homme. De nombreux Juifs sont morts dans les bombardements des forces de l’armée syrienne, dans tout le pays et la synagogue Elyahou Ha Navi de Damas, a été entièrement détruite.

Durant l’été 5733 (1973), alors que le Rabbi dirigeait les ‘Hassidim depuis trente-deux ans, il lança la conquête spirituelle du monde par les « tanks de Mitsvot » et les campagnes de diffusion des Mitsvot. C’est alors que le lexique ‘Habad s’est enrichi d’expressions comme : « campagne des Tefillin » ou : « campagne des Mezouzot ».

Les responsables de cette « campagne des Mezouzot », à New York, étaient alors le Rav Lippe Brenan, actuellement l’un des responsables du Merkaz Le Inyaneï ‘Hinou’h et le Rav Shraga Zalmanov, actuellement émissaire du Rabbi dans le Queens.

Leur quartier général était installé dans un bureau appartenant aux jeunes de l’association ‘Habad, à Crown Heights. Là, grâce à une campagne dans les médias, des Juifs téléphonaient et ils demandaient que l’on vienne chez eux, vérifier leurs Mezouzot. Les deux jeunes gens leur rendaient ensuite visite.

Se souvenant de cette période, le Rav Lippe Brenan raconte :

« J’arrivais au bureau des jeunes de l’association ‘Habad tous les matins. Je vérifiais les rendez-vous qui avaient été pris la veille. Je les classais selon leur localisation et je me rendais, chaque jour, dans un quartier différent. Par la suite, je rédigeais une carte indiquant ce qui avait été fait dans chaque maison, vérification des Mezouzot, Tefillin mises, discussions avec les personnes.

Mon premier contact avec les Juifs de Syrie a eu lieu, quand je me suis rendu, avec mon ami Elyahou Sufrin, qui était alors un élève de la Yechiva et qui est maintenant un Rav en Angleterre, à Ocean Parkway, un quartier dans lequel est installée une communauté importante, originaire de ce pays. Nous sommes entrés, notamment, dans un magasin de fournitures électriques et électroniques, qui appartenait à Raphaël Bettache, un Juif syrien, pratiquant et portant la Kippa.

Dès mon entrée, j’ai observé qu’il n’y avait pas de Mezouza. Nous nous sommes présentés au propriétaire et nous lui avons demandé si c’était bien lui qui avait demandé une vérification de Mezouzot. Il nous a regardés avec surprise et il a affirmé qu’il ne nous avait pas contactés, à propos de ces Mezouzot.

Nous l’avons remercié poliment et nous nous apprêtions à repartir quand il a dit qu’il avait dernièrement fait l’acquisition de Mezouzot neuves, mais n’avait pas eu le temps de les mettre à leur place. Il nous proposait donc de les vérifier et de les fixer aux portes.

Bien entendu, nous avons accepté. Je me suis dit que nous n’étions pas venus pour rien. Nous avons donc vérifié ces Mezouzot. Certaines n’étaient pas valables et nous les avons remplacés par de bonnes Mezouzot.

Monsieur Bettache nous a dit que notre venue était un effet de la divine Providence. En effet, nous étions arrivés alors qu’il s’apprêtait à fixer ces Mezouzot. Or, certaines d’entre elles n’étaient pas valables.

Par la suite, il nous a demandé de vérifier les Mezouzot, chez lui, chez sa mère et chez ses frères. C’est ainsi qu’un lien s’est créé entre nous. Grâce à tout cela, la communauté syrienne a appris que des jeunes gens du mouvement Loubavitch vérifiaient les Mezouzot dans les maisons. Plusieurs de ses membres nous ont demandé de passer chez eux.

Au cours de ces visites, nous avons eu un échange avec ces personnes à propos de leur pratique juive et c’est de cette façon que nous sommes entrés en contact avec l’ensemble de cette communauté. Par la suite, nous avons fait venir un Sofer dans leur synagogue centrale Chaareï Tsion, à Ocean Parkway.

De nombreux membres de la communauté syrienne ont apporté leurs Mezouzot à ce Sofer pour qu’il les vérifie. C’est ainsi que la campagne des Mezouzot qui avait commencé par un contact imprévu avec Raphaël Bettache s’est étendue à toute la communauté syrienne et a été un immense succès.

Entretemps, notre amitié avec Raphaël Bettache s’est raffermie. Un jour, il m’a expliqué, avec beaucoup de peine, que la communauté syrienne de New York, installée à proximité de la synagogue Chaareï Tsion, s’employait, depuis quelques temps, à envoyer des objets de culte aux Juifs qui étaient restés en Syrie. Or, tous les colis de Tefillin et de livres sacrés qui avaient été expédiés là-bas avaient été restitués aux expéditeurs. Il m’a demandé si le mouvement Loubavitch disposait d’un moyen de faire parvenir ces objets de culte à destination. Je lui ai promis de voir ce que je pourrais faire, à ce propos.

J’ai ensuite rapporté les termes de cet échange à mon ami Shraga Zalmanov, qui était aussi responsable de la campagne des Mezouzot. Il a lui-même fait intervenir ses contacts et c’est de cette façon que tout a commencé. Je n’en sais pas plus ».

Le magazine Kfar ‘Habad a enquêté sur l’intervention du mouvement ‘Habad dans les envois de colis en Syrie. Le Rav Zalmanov, dans un premier temps, préférait garder le silence. C’est uniquement par la suite qu’il a révélé quelques éléments. Néanmoins, l’essentiel de ce qui se passa alors resta caché :

« Le Rabbi intervenait personnellement en tout ce qui était fait et cela n’était pas du tout évident pour nous. Tout d’abord, il fallait vérifier la possibilité d’envoyer des colis et déterminer la manière la plus sure de le faire, afin qu’ils ne soient pas interceptés. Il y avait aussi beaucoup d’autres précautions qui étaient nécessaires.

Après toutes ces vérifications effectuées par le Merkaz Le Inyaneï ‘Hinou’h, la branche éducative du mouvement Loubavitch, il fut décidé que le meilleur moyen d’envoyer ces colis était la voie diplomatique et qu’il fallait donc faire intervenir l’ambassade des Etats-Unis à Damas.

A ce stade, le Rav ‘Hadakov, directeur du secrétariat du Rabbi, contacta, au nom du Rabbi, le Rav Avraham Hecht, qui était le rabbin de la communauté des Syriens, à Ocean Parkway. Celui-ci possédait déjà une expérience, en la matière. Il fut chargé d’organiser ces envois et il s’adressa aussitôt aux autorités, à Washington ».

Dans la même période, le Rabbi rédigea la lettre suivante, faisant allusion à l’action menée en faveur des Juifs de Syrie :

Par la grâce de D.ieu, 11 Tamouz 5743 (1983),
Brooklyn, New York,
A madame…, Vancouver, Canada,
Je vous bénis et vous salue,

J’ai reçu votre lettre du 20 mai avec beaucoup de retard. Vous me décrivez ce que vous faites pour le Judaïsme de Syrie et vous me demandez mon avis, à ce sujet. Vous m’écrivez que, pendant les trois dernières années, vous avez œuvré pour cette cause, avec plusieurs autres personnes et différents organismes.

Vous avez sans doute connaissance des efforts de plusieurs groupes menant une action similaire. A mon humble avis, il serait bon que les divers organismes intervenant, dans cette action qui est menée au profit du Judaïsme de Syrie, collaborent dans ce qu’ils accomplissent et mettent en commun les données dont ils disposent, afin d’exercer les pressions les plus larges et d’obtenir des résultats.

De même, je pense que, de façon générale, ce que l’on appelle la diplomatie silencieuse est, bien souvent, efficace pour atteindre les objectifs. En tout état de cause, l’expérience du passé doit permettre de déterminer la voie la plus appropriée, pour l’avenir. C’est aussi la raison pour laquelle l’action doit être menée dans la collaboration. Avec ma bénédiction,

Mena’hem Schneerson,

 

* * *

On rapporte aussi le récit relatif à la photographie du Rabbi qui circula, à l’époque, en Syrie. Monsieur Salah Louz, l’adjoint de celui qui fut le grand rabbin des Juifs de Syrie, le Rav Avraham Hamara, révéla au magazine Kfar ‘Habad, quelques aspects des contacts établis par le Rabbi avec les Juifs de Syrie :

« A Damas, où je résidais encore il y a quelques années, il n’y avait pas un seul Juif qui ne portait sur lui la photographie du Rabbi. Pour la plupart, ces Juifs avaient aussi, dans la poche se trouvant près du cœur, un dollar du Rabbi, qu’ils étaient parvenus à se procurer on ne sait trop comment. Quand on se déplaçait dans la voiture d’un Juif, on voyait, bien souvent, un dollar du Rabbi, encadré ou bien une photographie.

A l’époque, il n’était pas aisé de se procurer ces photographies et, bien souvent, les Juifs payaient des sommes conséquentes, pour les obtenir. Je me rappelle qu’à certaines périodes, ces photographies se vendaient une trentaine de dollars, soit la somme qui permettait d’assurer sa subsistance pendant trois semaines, une véritable fortune. Et, les Juifs payaient ce prix avec le plus grand enthousiasme !

Je me rappelle qu’une fois, un homme est arrivé de Brooklyn et il a apporté à l’ambassade américaine, à Damas, un grand nombre de photographies du Rabbi, afin qu’elles soient distribuées aux Juifs de la communauté. Il ne leur a pas apporté de l’argent ou des aliments, mais ces photographies, il savait que, chez nous, à Damas, celles-ci étaient le cadeau le plus précieux que l’on pouvait offrir à un Juif.

A l’époque, le contact avec le Rabbi était permanent et toutes les menaces, toutes les poursuites de la part de la Moukhabarat, la force de sécurité d’Assad inspirant l’effroi, n’ont pas permis de l’interrompre ».

Salah Louz, alors qu’il résidait encore à Damas, fut, une fois, sévèrement frappé par un officier de l’armée syrienne, ce qui a considérablement affaibli son acuité visuelle, jusqu’à ce jour. De ce fait, il lui fallut subir une intervention chirurgicale, dans un hôpital de Damas. A l’issue du traitement, les médecins lui dirent qu’il ne retrouverait jamais la vision qu’il avait au préalable et qu’il était même envisageable qu’il la perde complètement et devienne aveugle.

Salah Louz refusa ce verdict et il organisa un voyage aux Etats-Unis, afin d’y subir une seconde intervention chirurgicale. Les autorités autorisèrent son voyage, à la condition que les membres de sa famille restent en Syrie comme otages, conformément à l’usage qui était alors en vigueur. C’est effectivement ce qui se passa.

Les détails de ce récit sont révélés ici pour la première fois. Salah Louz se rendit effectivement en Amérique, mais, de là, il fut conduit en Israël. Il raconte :

« Lorsque je suis allé aux Etats-Unis, avant de subir une seconde opération, je me suis rendu chez le Rabbi afin de solliciter sa bénédiction. Il me l’a accordée, m’a assuré que cette intervention serait un succès et sa bénédiction s’est pleinement réalisée.

En Israël, le professeur Ben Sira est parvenu à restituer à un œil trente pour cent de son acuité, mais le second est resté aveugle. Après l’opération, j’ai été conduit en Italie et c’est de ce pays que je suis rentré en Syrie. On m’a remis des documents officiels selon lesquels l’intervention chirurgicale avait bien eu lieu aux Etats-Unis.

Je suis monté en Israël, avec toute ma famille en 5753 (1993) et j’y réside encore ».

 

* * *

Il y a de nombreuses années, le Rav Hecht rapporta le récit suivant : « Il y a bien longtemps, le président Assad avait très peur de tout ce qui était susceptible de remettre en cause son pouvoir. Il suffit de rappeler qu’il fit exécuter plus de cinquante mille hommes qu’il suspectait d’être des opposants à son autorité.

Parmi ces suspects, figuraient les Juifs et Assad portait atteinte à leurs libertés de toutes les façons possibles. Tout d’abord, il les isola totalement de leurs frères, les Juifs originaires de Syrie qui s’étaient installés aux Etats-Unis et, plus encore, de ceux qui se trouvaient en Erets Israël. Les contacts téléphoniques n’étaient autorisés que très rarement et ils étaient toujours surveillés. Des écoutes avaient été mises en place pour cela.

Les courriers adressés à l’étranger ou bien reçus de l’étranger devaient subir une censure sévère. Des hommes d’affaires étaient emprisonnés uniquement parce qu’ils étaient juifs. A Damas et à Alep, la police secrète suivait de près les faits et gestes de la communauté et de ses institutions. Bien entendu, l’importation du moindre objet en provenance de ‘l’état sioniste’ était alors formellement interdite.

Assad savait que les Juifs étaient prêts à tout pour fuir le pays. Il les faisait donc surveiller de près. Lorsque, à titre exceptionnel, un Juif était autorisé à quitter le pays, il devait alors laisser un ‘gage’ de son retour, son épouse ou ses enfants et, en outre, payer une taxe de sortie d’un montant exorbitant.

Par la suite, Assad fit marche arrière, jusqu’à un certain point et il annula un bon nombre de restrictions. Il en arriva même à faire garder le ghetto juif pour le protéger des at-

taques de la part des palestiniens et des islamistes. Cependant, à l’époque, la situation était d’ores et déjà devenue insupportable.

A une époque, certains voulurent organiser des manifestations, à New York, pour prendre la défense des Juifs de Syrie. Mais, le Rabbi signifia son opposition à ces manifestations et, bien entendu, je me suis conformé à son avis. Ceux qui tenaient à ces manifestations se sont violemment opposés à moi, mais j’ai maintenu ma position.

Par la suite, il s’est avéré que ces cris et ces protestations avaient eu pour seul effet d’attiser la colère des autorités syriennes, ce qui mettait en danger, à proprement parler, la vie des Juifs de Damas et d’Alep. Les manifestations ont donc été remplacées par deux réunions de prière, au cours desquelles je me suis efforcé qu’aucune critique ne soit émise, en public, contre le gouvernement syrien.

Par la suite, plusieurs actions ont encore été menées en faveur des Juifs de Syrie. Pour la plupart, elles doivent encore rester confidentielles. A l’époque, nous avons multiplié les contacts avec les consulats et les ambassades des pays qui étaient susceptibles d’exercer une quelconque influence sur la Syrie.

Je peux vous révéler que nous avons eu des contacts également avec les dirigeants de l’église et même avec le pape. Nous sommes intervenus largement à Washington. Tout cela est resté secret et les médias n’en ont pas parlé. En dehors de ceux qui étaient directement concernés, nul n’en a eu connaissance.

Nous avons rencontré, à plusieurs reprises, l’ambassadeur de Syrie à Washington. Quand il a pu constater que nous ne manifestions pas d’opposition à son gouvernement, il nous a accordé son appui. Il a compris que nous recherchions uniquement la réunion des familles. Et, ces démarches ont eu de multiples conséquences.

Il ne s’agissait pas de faire sortir les Juifs du pays. A l’époque, c’était un rêve inaccessible. Nous voulions qu’ils aient de meilleures conditions de vie, qu’ils puissent se déplacer à l’étranger comme ils le désiraient, qu’ils aient des contacts téléphoniques avec les autres pays et qu’ils soient protégés par les autorités locales. Certains avaient été emprisonnés uniquement parce qu’ils étaient juifs et, après beaucoup d’efforts, nous sommes parvenus à les faire libérer. Il y a eu d’autres acquis encore, qui doivent rester confidentiels.

Au cours d’une réunion avec l’ambassadeur de Syrie à Washington, nous avons été invités à rendre visite à la communauté juive de Syrie, afin d’observer sa situation de nos propres yeux, de parler à ses membres et de les encourager. J’ai interrogé le Rabbi, sur cette proposition. Il m’a immédiatement répondu que je devais faire ce voyage et qu’il en était très satisfait.

Bien entendu, les préparatifs du voyage ont été extrêmement discrets. Au final, il y a eu des événements imprévus et le voyage n’a pas eu lieu parce que nous l’avons nous-même annulés. Les Syriens faisaient preuve de bonne volonté. Ils nous ont même promis une garde rapprochée, pendant toute la durée du voyage. Jusqu’à ce jour, je regrette amèrement de n’avoir pas fait ce voyage, malgré les évènements impondérables qui l’ont rendu impossible.

Sans faire d’intervention directe, le Rabbi était constamment présent. Il connaissait le moindre détail de ce que je faisais et de mes démarches. En permanence, il me donnait des conseils et des bénédictions. Le Rabbi savait tout ce qui se passait dans la communauté de Damas. Lorsque le Rabbi

m’accordait une audience, au cours de laquelle je demandais une bénédiction pour un Juif de Damas, il répondait aussitôt : ‘Ah ! Celui qui se trouve à tel endroit ?’

Quand on dit qu’il est le Rabbi du monde entier, il faut prendre ces mots véritablement à la lettre. En l’occurrence, je peux témoigner qu’il connaissait la plupart des Juifs de Damas, par leur nom et leur situation particulière. De plus, je sais que le Rabbi a fait d’autres interventions, par différentes voies, pour que les colis puissent être envoyés en Syrie, mais je n’ai pas d’informations plus précises, à ce sujet.

Pour ce qui est de l’envoi d’objets de culte, le Rav ‘Hadakov, directeur de son secrétariat, m’a appelé, une fois et il m’a dit :
‘Ecoute, Avraham, une opportunité se présente maintenant à nous. Des Juifs de Damas se sont adressés au Rabbi pour qu’il leur envoie des objets de culte’.

Dans la suite de la conversation, j’ai compris que ces Juifs s’étaient adressés précisément au Rabbi, que le Rav Hadakov avait été chargé par le Rabbi de me contacter et que, désormais, il m’appartenait d’agir !

Je me suis donc aussitôt mis à l’action. La communauté a réuni un grand nombre d’objets de culte et de livres sacrés. Nous les avons envoyés au Merkaz Le Inyaneï ‘Hinou’h, qui s’est chargé de les expédier à bon port. Pour notre part, nous ne savions quelle était exactement la situation, à Damas et nous n’étions pas certains que ces colis attendraient leur destination. Malgré cela, nous avons pris la décision d’essayer.

Il est intéressant de constater que les Juifs de Syrie ont fait le choix du Rabbi, à proprement parler. Ils le connaissaient, lui faisaient confiance, avaient la conviction qu’il pouvait améliorer leur sort. Pendant des années, il a satisfait leurs besoins dans la discrétion la plus totale. Il n’y a pas un coin du monde que le Rabbi ne connaissait pas. Le monde entier lui était familier et il était lui-même familier au monde entier.

Combien de récits découvre-t-on soudain, chaque jour, qui se sont passés en Asie, en Afrique ou dans les coins les plus reculés ? Dans tous ces endroits, on connaissait bien le Rabbi. Nous-mêmes, nous n’avons pas idée de l’influence qu’il exerçait réellement. Il est difficile de comprendre comment le Rabbi pouvait résider à Brooklyn et savoir ce qui se passait dans le monde entier. »

 

* * *

Le Rav Yom Tov Guindi, qui réside à Kfar ‘Habad, en Erets Israël, est né à Alep, en 5716 (1956). Ses parents lui ont donné une éducation juive traditionnelle. A l’époque, la communauté comptait environ deux cents enfants. Ceux-ci, dès leur plus jeune âge, subissaient les effets d’une législation impitoyable, qui limitait leur étude du Judaïsme à une heure par semaine.

A l’époque, ces enfants fréquentaient donc l’école jusqu’à midi, heure à laquelle les cours se terminaient. Puis, ils rentraient chez eux et ils passaient ensuite l’après-midi dans la grande synagogue de la ville, où ils étaient répartis en classes et ils étudiaient la Torah jusqu’au soir. Le Rav Guindi raconte :

« Nous avions peur de la police secrète et, de ce fait, un élève se trouvait toujours à la porte de la synagogue pour surveiller les allées et venues, notamment l’approche d’un soldat, d’un policier ou de n’importe quel homme suspect.

En cas de doute, il prévenait et tous les enfants entraient vite dans la synagogue, prenaient des livres de Tehilim et se mettaient à les réciter. Nous craignions non seulement les autorités, mais aussi les voisins arabes. Ils nous attendaient à la porte de l’école, nous insultaient, nous attaquaient et nous battaient.

Malgré tout cela, la vie de la Torah était très belle. Je me souviens, en particulier, des merveilleuses célébrations de Sim’hat Torah. De fait, il en est systématiquement ainsi, car, plus l’on se trouve dans l’obscurité, plus l’on recherche la lumière et l’on se rapproche de D.ieu.

Je me rappelle aussi de la fête de Soukkot. Lorsque nous passions dans la rue en portant les grandes branches qui servaient de toiture à la Soukka, ils nous frappaient toujours. Nous savions que nous n’en ressortirions pas indemnes.

Cette vie difficile a conduit de nombreuses familles à tenter de fuir le pays. Il faut préciser que la communauté juive comptait, à l’époque, deux mille personnes et que la police secrète connaissait chacune d’elles par son nom.

Pendant cette période, chaque fois qu’une personne disparaissait pendant une nuit, ses parents devaient se présenter aux autorités dès le lendemain matin pour déclarer sa disparition. En général, ils affirmaient qu’ils ne savaient rien de ce qui avait pu se passer.

Pour ma part, j’ai pris la décision de m’enfuir quand j’avais dix-sept ans, en 5733 (1973). Le jour de la fuite, je me suis rendu à pied, avec mes deux sœurs, qui m’ont accompagné dans mon voyage, à l’endroit qui avait été convenu avec le passeur. Nous étions terrifiés. Nous sommes passés devant le commissariat de police et notre cœur a arrêté de battre. Nous avions parfaitement conscience de ce qui se produirait, si nous étions attrapés. Les tortures syriennes étaient bien connues et célèbres, à l’époque.

Quelques heures plus tard, nous sommes arrivés à la frontière libanaise et le passeur nous a demandé de faire semblant de dormir. La voiture s’est arrêtée pour le contrôle frontalier. Le chauffeur est descendu et il a ouvert le coffre du véhicule, pour l’inspection. Soudain, j’ai senti une lumière aveuglante. C’étaient un projecteur qu’ils avaient dirigé sur mon visage. J’avais très peur et je priais, en silence.

Lorsque nous avons passé la frontière, j’ai remercié D.ieu et j’ai voulu parler au chauffeur, mais il m’a fait signe de me taire. En arrivant à Beyrouth, nous avons eu l’impression de passer de l’obscurité à la lumière. Je me souviens avoir dit à mes sœurs :
‘Vous vous rendez compte ? Nous avons passé la frontière !’.

Par la suite, je n’ai plus jamais eu de contact avec le reste de ma famille. Le lendemain, le passeur s’est approché du magasin de mon père et il lui a fait un signe de la main pour lui indiquer que notre transfert s’était bien passé.

C’est de cette façon que nous sommes arrivés au Liban, pays dans lequel les Juifs avaient la liberté de leurs mouvements. Pourtant, nous ne pouvions nous empêcher de ressentir l’omniprésence de la police secrète syrienne.

Quelques jours plus tard, nous avons pris, à l’aéroport de Beyrouth, un avion pour Paris, puis un second vol nous a conduits en Israël, où je me suis inscrit à l’institut supérieur d’études mathématiques. C’est là que, un jour de ‘Hanouka, des ‘Hassidim ‘Habad sont venus nous réjouir. Dès que je les ai vus, j’ai voulu être comme eux. Ils étaient heureux, joyeux. Ils sont venus avec des instruments de musique et cet instant de bonheur a changé le cours de ma vie.

Par la suite, j’ai fréquenté le Beth ‘Habad de ‘Holon, puis la Yechiva de Kfar ‘Habad, jusqu’à devenir, à mon tour, un ‘Hassid ‘Habad ».

 

* * *

Quelle est l’autorité de Washington qui fut consultée par le Rav Hecht ? Celui-ci raconte : « Il y avait un membre de la communauté syrienne de New York qui s’appelait Stéphane Chalom. Son père, Its’hak Chalom, était l’un des présidents de la communauté et, à ce titre, il avait des contacts avec les autorités de Washington. Pendant une certaine période, il a également été proche du Rabbi Rayats.

Le fils, Stéphane Chalom, était, à l’époque, l’ami d’un membre du congrès, Stéphane Stolerz. Le congrès l’avait chargé de faire une étude sur les populations en détresse dans différents pays du globe et il devait rendre compte de ses recherches au State Department. Dans le cadre de cette étude, il avait rencontré le président d’Egypte et le shah d’Iran. Il s’était rendu aux Philippines et dans d’autres pays encore.

Les deux amis, Chalom et Stolerz, menèrent ensemble de nombreuses actions, au fil des années, pour faciliter les conditions de vie de la communauté de Syrie. L’ambassadeur d’Amérique à Damas était un ami personnel de Stéphane Stolerz.

Nous les avons donc contactés tous les deux et c’est par leur intermédiaire que nous avons pu avoir un contact avec l’ambassadeur, qui a accepté de recevoir les colis par la valise diplomatique et de les transmettre au Rav Avraham Hamara, qui devint par la suite le grand rabbin de Syrie, de même qu’à un autre Rav qui se trouvait là-bas. Les deux Rabbanim obtenaient donc les objets de culte et certaines sommes d’argent auprès de l’ambassade américaine et ils les répartissaient au sein de la communauté, à Damas et à Alep.

Bien entendu, il y avait là un réel danger, car la police secrète suivait en permanence les membres de la communauté et, a fortiori, les rabbins. A l’époque, Assad mettait un point d’honneur à ce qu’il n’y ait aucun contact entre la communauté juive de Syrie et le monde occidental ».

C’est le Rav Lippe Brenan qui complète ce récit :

« Quand nous avons obtenu le feu vert, nous avons immédiatement fait savoir à la communauté syrienne de Ocean Parkway que les colis qui seraient adressés par l’intermédiaire du mouvement Loubavitch avaient de plus grandes chances d’arriver à bon port. La communauté voulut financer leur envoi, mais la somme qu’elle collecta était insuffisante et la majeure partie des frais fut prise en charge par le Merkaz Le Inyaneï ‘Hinou’h.

Nous avons ainsi envoyé plusieurs grosses caisses, je ne me souviens plus de leur nombre, contenant des Mezouzot, des Tefillin, des livres sacrés qui étaient essentiellement des Siddourim, des Ma’hzorim et des livres du ‘Houmach. Dans chaque caisse, se trouvait une lettre indiquant que son contenu était un don de la communauté syrienne de New York à la communauté de Damas. Les destinataires étaient le vieux Rav de la communauté et le Rav Avraham Hamara, qui s’étaient engagés à répartir les envois entre Damas et Alep. »

Le Rav Shraga Zalmanov décrit l’organisation concrète de ces envois :

« Lorsque tout fut réglé auprès des autorités, nous avons commencé à nous occuper des colis proprement dits et de leur

envoi. Il s’agissait surtout de plusieurs dizaines de Mezouzot et de Tefillin. Parfois, un colis pouvait en contenir plus d’une centaine de paires.

Avant Roch Hachana 5735 (1974), nous avons appris que la communauté manquait de Ma’hzorim pour les prières de Roch Hachana et de Yom Kippour. Nous en avons acquis une grande quantité, selon leur rite, en relativement peu de temps. Ce fut une histoire compliquée. Au final, je suis parvenu à trouver ces livres en Alabama et, aussitôt, nous nous sommes organisés pour les envoyer, car les délais étaient courts.

La compagnie de transport qui effectuait les envois pour notre compte appartenait à un israélien qui habitait, à l’époque, à New York. Il se trouve que cet homme était un infirme de Tsahal et qu’il avait lui-même été prisonnier en Syrie, après la guerre de Kippour. J’ai fait livrer les caisses de Ma’hzorim dans son entrepôt et il s’est occupé de tous les aspects techniques. C’est lui qui a organisé l’envoi des colis en Syrie.

Il ne restait que très peu de temps, avant Roch Hachana et, de ce fait, il nous était impossible d’envoyer les colis par l’ambassade américaine de Damas. Tout d’abord, les caisses étaient très nombreuses. En outre, l’ambassade n’était pas capable d’assurer la livraison en un délai aussi restreint. Nous avons donc décider de prendre un risque et, cette fois-là, nous ne sommes pas passés par la valise diplomatique, mais par un envoi courant, à l’aéroport de Damas, au nom du Rav Avraham Hamara.

Nous savions que les autorités pourraient confisquer ces livres et qu’ils seraient alors tous perdus. Il y avait cinq cents Ma’hzorim dans de grandes caisses, très lourdes. Les autres caisses, contenant les Mezouzot et les Tefillin, furent expédiées par la voie habituelle. Avec l’accord de l’ambassadeur, elles ont été envoyées à l’ambassade. C’est là qu’on les a prises pour les distribuer aux membres de la communauté.

Qui est venu chercher ces colis à l’ambassade ? Je ne le sais pas moi-même, mais, le fait est, elles sont parvenues à bon port. Je sais, en revanche, qu’il y avait, à l’ambassade américaine, un homme qui était chargé des contacts avec la communauté juive. C’est vraisemblablement lui qui leur a livré ces caisses.

Il y eut, ainsi, une dizaine d’envois. Tous contenaient des Tefillin et des Mezouzot et, dans l’un d’entre eux, il y avait, en outre ces Ma’hzorim et des Siddourim. Les caisses de Tefillin et de Mezouzot étaient plus petites que celles des Ma’hzorim. Dans chaque colis, il y avait entre cinquante et cent paires de Tefillin, de même que de nombreuses Mezouzot.

L’ensemble de ces envois dura plus d’une année, ce qui est un délai relativement long. En effet, Raphaël Bettache organisait l’envoi suivant uniquement après avoir reçu la confirmation de Damas que le précédent était déjà arrivé à bon port ».

Le Rav Hecht révéla quelques autres détails :

« Le gouvernement syrien accepta l’entrée des Siddourim sur son territoire à la condition que le nom d’Israël n’y soit pas mentionné. Or, certains exemplaires avaient effectivement été imprimés en Israël et nous avons donc systématiquement déchiré la page de garde, indiquant le nom de l’imprimeur et son adresse.

Sur les documents officiels, l’expéditeur de ces colis était le Rav Chmouel Butman, directeur des jeunes de l’association ‘Habad. Peu après, nous avons reçu une lettre de remerciement du Rav Avraham Hamara, rédigée en français, à l’en-

tête de la communauté juive de Syrie. Cette lettre portait aussi un tampon, en arabe, émanant de la censure syrienne ».

Concernant la correspondance entre les Rabbanim de Damas et le mouvement Loubavitch, le Rav Lippe Brenan raconte :

« A chaque caisse était jointe une lettre demandant de confirmer que son contenu avait bien été reçu dans son intégralité et d’indiquer si les autorités avaient fait des difficultés pour distribuer les Mezouzot ou les Ma’hzorim. Nous savions qu’en Syrie, tout était possible. Nous avions la crainte que les Moukhabarat, les forces secrètes d’Assad, permettent au destinataire de recevoir les caisses, mais lui interdisent de les distribuer.

De façon générale, après chaque envoi, nous recevions un accusé de réception du Rav Hamara, confirmant aussi la distribution de son contenu. D’ordinaire, il écrivait deux lettres, l’une à la communauté syrienne, l’autre au mouvement Loubavitch. A l’époque, j’ai vu l’une des lettres qui nous est parvenue. Je ne sais pas où ces lettres se trouvent maintenant. Il écrivait effectivement que tout le contenu avait été distribué.

Ces envois ont également permis de tisser des liens avec les Juifs de Syrie et ceux-ci se sont maintenus l’hiver suivant. Nous avons continué à vérifier les Mezouzot des membres de la communauté, auxquels nous rendions visite tous les vendredis. Ils nous connaissaient bien et notre action a pris des formes multiples.

En Tichri 5735 (1974), j’ai conduit monsieur Bettache chez le Rabbi pour la première fois, afin qu’il recçoive du gâteau au miel, à la veille de Yom Kippour. Nous sommes passés devant son bureau et le Rabbi lui a donné ce gâteau. Le Rav Groner, son secrétaire, indiqua au Rabbi que Raphaël Bettache était celui qui organisait les envois d’objets de culte. J’étais devant le Rabbi et j’ai vu son visage s’éclairer, avec un immense sourire, si particulier.

Le Rabbi donna à monsieur Bettache une autre part de gâteau, puis encore une autre, au point de lui remplir la main. Au total, il lui en donna six ou sept. A chaque fois, il disait : ‘Ceci est pour la Syrie’, ‘Ceci est pour les Juifs de Syrie’, ‘Vous enverrez ceci’, ‘Vous distribuerez ceci ici et là-bas’. Le Rabbi lui donna des bénédictions à profusion.

Dans la communauté syrienne, cet homme était considéré comme un homme ordinaire. Or, le Rabbi le couvrait de bénédictions et l’honorait. Il en fut profondément ému, comme si le Rabbi lui attribuait tout le mérite des colis envoyés. C’était, pour lui, une marque d’honneur au-delà de toute mesure.

Par la suite, monsieur Bettache poursuivit ses actions pour sauver les Juifs de Syrie et venir en aide au mouvement ‘Habad. Chaque fois qu’un besoin se faisait sentir, une relation, une rencontre, une collecte, nous nous adressions à lui et il répondait présent avec bienveillance. Il en fit de même également pour le mouvement Loubavitch, jusqu’à son dernier jour.

De nombreuses années plus tard, nous nous trouvions chez lui et nous évoquions la vérification des Mezouzot dans le quartier, les envois de livres en Syrie. Et, nous nous sommes demandés qui avait bien pu nous adresser la demande de venir vérifier les Mezouzot dans son magasin. Après une longue réflexion, il a dit :
‘C’était sûrement le prophète Elie’. »