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Par Denis Courtine

Le 6 avril 2020 à 20h07

Le musicien passe de table en table, interprétant « Bella Ciao » avec son violon. Tous les convives ont le sourire. Une simple phrase accompagne cette vidéo mise en ligne sur le Facebook de la communauté juive de Créteil : « Pourim Sameah à toutes les synagogues de la ville ». C’était le 10 mars dernier. Et c’était surtout le dernier message festif mis en ligne. Depuis, les annonces de décès succèdent aux consignes sanitaires.

« Nous en sommes à 22 morts sur Créteil », recense ce lundi après-midi Albert Elharrar le président de la communauté juive de la ville, une des plus importantes de France, qui compte entre 15 000 et 20 000 personnes et 17 synagogues. Un décompte macabre qui s’accélère ces derniers jours. « Rien que ce dimanche, cinq décès à l’hôpital Henri-Mondor », souffle le responsable. « Nous avons beaucoup de cas, confirme le docteur Yaacov Brami », un des responsables de la communauté Loubavitch de Créteil dont la femme se trouvait ce lundi après-midi en réanimation. « Nous sommes frappés de plein fouet. »

Des figures de Créteil sont mortes

Pourquoi les Juifs semblent-ils particulièrement touchés par le Covid-19? Sans doute en raison du Pourim qui a réuni comme chaque année énormément de fidèles. Cette fête a été célébrée sept jours avant l’annonce du confinement. A cette période, la situation sanitaire n’inquiétait pas encore grand monde en France. « Pourtant, nous faisions plutôt attention, se remémore un fidèle de Créteil. D’habitude, on s’embrasse ou on se serre la main. Là ce n’était pas le cas. Je me souviens même qu’il y avait du gel hydroalcoolique. »

Et puis, il y a eu les premiers cas. Parmi les figures de la communauté, le décès d’André Touboul était annoncé le 21 mars. Avant d’être le directeur des Institutions scolaires Beth’Haya Mouchka de Paris, une des plus grandes écoles juives d’Europe, il a enseigné les mathématiques aux Cristoliens d’Ozar Hatorah. « Je suis énormément meurtri par sa disparition, lâche Yaacov Brami. Il avait beaucoup de charisme. On lui doit aussi à Créteil la création des centres aérés de la communauté auxquels près de 130 enfants ont participé au début des années 1980. »

Ce samedi, c’est le docteur Serge Bokobza, autre figure de la communauté, qui a été terrassé par la maladie. « Il a soigné des générations de Cristoliens, pleure un de ses patients. C’était quelqu’un d’une gentillesse incroyable. Il parlait tout doucement. Son cabinet se trouvait avenue du Général-Pierre-Billotte, dans le quartier juif. Tout le monde venait le consulter. Il était vraiment passionné par son métier. » Le maire (PS) de Créteil, Laurent Cathala, a exprimé ce lundi « ses condoléances à la communauté juive durement frappée ainsi qu’aux proches des victimes qui sont dans le deuil ».

Appel à la vigilance pour mercredi, jour de la Pessa’h

Sur les réseaux sociaux, les appels aux dons se multiplient pour financer les obsèques des anonymes sans le sou. Un groupe a notamment été créé sur Facebook « afin d’améliorer les échanges d’informations entre les membres de notre communauté et mieux nous organiser pour faire face à cette difficile épreuve. » L’objectif, c’est aussi d’anticiper au mieux la Pessa’h, une des importantes fêtes juives de l’année, qui se tient ce mercredi.

Depuis l’annonce du confinement, le message est très clair : il faut rester chez soi. « Il a déjà été rappelé que même pendant la guerre un certain nombre de synagogues sont restées ouvertes, avait souligné Joël Mergui, le président du consistoire, avant qu’il soit déclaré positif avec son épouse. Ce qui est vrai […] Il y a une différence fondamentale […] C’est que pendant la guerre, ceux qui allaient à la synagogue, ils risquaient leur vie eux-mêmes. Aujourd’hui, quand on veut aller à la synagogue, sans le savoir parfois, on prend un risque sur la vie d’autrui. »

Mercredi, pour la Pâques juive, « il ne faut surtout pas de passage d’une cellule familiale à une autre, martèle Yaacov Brami. Le mot d’ordre c’est confinement total. » « Il ne faut pas se relâcher, insiste Albert Elharrar. Nous n’avons pas que des personnes âgées qui sont touchées croyez-moi. »