Intervention du Rav Chlomo Azoulay au Siyoum Harambam 5785 au Casino de Paris

Je souhaite profiter pleinement des nouveaux canaux de bénédictions que le Rabbi nous a offerts grâce à l’étude du Rambam. Je commencerai par rappeler quelques enseignements d’une Si’ha du Rabbi.

Nous sommes ce soir le 10 Adar, date à laquelle le Rabbi a tenu un Farbrenguen significatif. Il nous invitait à méditer sur la symbolique de ce dixième jour du mois d’Adar. Comme nous le savons tous, Adar est le mois de la joie, de l’allégresse et de l’enthousiasme. Cette dimension est amplifiée par le chiffre 10, symbole de plénitude et de complétude.

Dans cet enseignement, le Rabbi nous exhorte à prendre la résolution d’influencer positivement dix personnes autour de nous. Il insiste particulièrement sur la manière d’exercer cette influence : non pas par des critiques ou des réprimandes, mais en touchant le cœur des gens. Et dans cette démarche, le Rabbi nous recommande de ne pas oublier les enfants et les femmes.

Le Rabbi ouvre alors une parenthèse sur le mérite particulier des femmes de notre génération. Il nous rappelle que c’est par le mérite des femmes que nous sommes sortis d’Égypte. Il ajoute une idée fascinante : les femmes de notre génération sont la réincarnation des femmes de la génération de l’Exode. Et de même que ces femmes ont permis la sortie d’Égypte par leurs mérites, le message est clair : c’est par les femmes de notre génération que nous sortirons de l’exil actuel vers la Guéoula, très prochainement, avec l’aide de D.ieu.

Quel est donc ce mérite particulier des femmes, selon le Rabbi ? C’est leur patience et leur dévouement. Pendant que leurs maris vont prier, étudient la Hassidout le matin, participent à de longues prières du Chabbat ou assistent à des Farbrenguen – activités auxquelles elles ne peuvent pas toujours participer – elles attendent à la maison. Mais cette attente n’est pas passive : elles attendent avec impatience que leurs maris leur rapportent ce qu’ils ont entendu à la synagogue.

Ces enseignements constituent leur oxygène spirituel, la force dans laquelle elles puisent pour non seulement discuter avec leurs époux de ce qu’ils ont appris, que ce soit lors du Chabbat ou d’un cours en semaine, mais aussi pour comprendre comment appliquer concrètement ces enseignements. Et c’est souvent la femme, nous dit le Rabbi, qui encourage son mari à aller plus loin, à mettre en pratique ce qu’il a étudié. Le Rabbi affirme que c’est précisément cette attitude qui apporte aux femmes de notre génération santé et longévité.

Mon épouse incarnait parfaitement cet idéal décrit par le Rabbi. Elle ne me laissait jamais en paix lorsque je rentrais de mon cours. Elle me disait : « J’ai essayé de suivre ton cours en ligne, mais j’ai été interrompue par les nombreuses tâches liées à notre mission. » Elle me demandait alors de lui répéter l’intégralité du cours. Pendant le Chabbat, durant ces longues heures d’attente, elle me questionnait : « Qu’as-tu dit lors du Farbrenguen ? » J’étais souvent gêné de devoir répéter mes propres paroles – que valent mes discours, après tout ? Mais pour elle, c’était vital : « C’est mon oxygène, je veux que tu me les répètes. »

Elle a toujours manifesté un désir ardent de participer à tous les grands événements d’étude de la Torah. Bien sûr, elle assistait aux cours destinés aux femmes, mais elle tenait également à être présente lors des événements traditionnellement réservés aux hommes, comme les Kinoussé Torah du séminaire.

Le Rav Levi Azimov, que je remercie ainsi que son frère de m’avoir permis de prendre la parole ce soir pour l’élévation de l’âme de mon épouse, m’a rappelé que lors des Yarhe Kalla au séminaire, il y avait des rencontres d’étude talmudique qui, a priori, n’intéressaient que les hommes venus étudier et débattre. Pourtant, il fallait souvent, à la dernière minute, aménager un espace avec une Mehitsa pour les quelques femmes présentes, dont mon épouse, qui ne voulait manquer aucune de ces occasions. Elle a participé à tous les Siyoum du Rambam tant que sa santé le lui a permis.

Une question se pose néanmoins : avons-nous le droit de nous interroger sur les promesses divines ? Nous avons appris dans les Mishnayot du Rambam, particulièrement lors du recommencement du cycle d’étude, qu’il ne faut pas remettre en question les promesses de D.ieu, et encore moins celles du Rabbi, qui affirmait que l’attitude pieuse des femmes leur garantirait santé et longue vie. Comment comprendre alors que mon épouse soit partie si tôt, comme d’autres qui nous ont quittés prématurément ?

Il n’y a pas de réponse évidente, et nous avons tous appris à cultiver l’abnégation face aux décrets divins. Permettez-moi néanmoins de partager avec vous un enseignement du Rambam concernant notre attitude face aux décisions divines.

Dans le « Moré Névoukhim » (Le Guide des Égarés), le Rambam aborde la question fondamentale du libre arbitre. Il pose une interrogation profonde, qui prend une dimension particulière à la lumière des enseignements hassidiques : « Possédons-nous réellement un libre arbitre, alors que D.ieu gouverne le monde ? » Diverses réponses ont été proposées, mais quand on les examine à travers le prisme de la Hassidout, on comprend mieux tant la question du Rambam que sa réponse surprenante.

Après avoir développé cette question – « Avons-nous vraiment le libre arbitre si D.ieu connaît tout par avance, si tout est déjà écrit et programmé ? » – le Rambam conclut de manière étonnante : cette question dépasse les capacités de compréhension de l’esprit humain.

Le Raavad, commentateur du Rambam qui soulève souvent des objections à ses propos, s’étonne de cette réponse. Il demande pourquoi ce grand maître pose des questions qui troublent les consciences pour ensuite nous laisser sans réponse satisfaisante. N’aurait-il pas été préférable de laisser les esprits en paix plutôt que de susciter des doutes sur des questions de foi, pour finalement conclure que nous ne pouvons pas comprendre ?

Le Rabbi nous explique que le Rambam a bien répondu, mais sa réponse mérite d’être éclairée. La Hassidout nous enseigne que la pensée divine anime le monde. Pour illustrer ce concept avec une image contemporaine, c’est comme un projecteur qui projette des images sur un écran. On n’imagine pas un instant qu’une image puisse se comporter différemment de ce que dicte le projecteur. Ce projecteur représente D.ieu, et tout ce qui se passe dans le monde correspond à l’écran de projection.

La question est donc puissante : avons-nous réellement un libre arbitre si tout est préenregistré, si c’est D.ieu qui détermine le déroulement des événements ? Quelle est notre place dans ce système ?

La réponse du Rambam, nous explique le Rabbi, n’est pas une échappatoire. Le Rambam essaie de nous mettre en garde : ne croyez pas en D.ieu comme les autres nations, qui prétendent croire en une divinité mais seulement dans la mesure où celle-ci peut être appréhendée par leur intellect.

Prenons un exemple : si vous demandez à quelqu’un qui croit en D.ieu mais n’appartient pas à notre tradition s’il croit en l’infinité divine, il répondra probablement par l’affirmative. Si vous lui demandez ensuite si D.ieu peut créer une infinité de cercles, puis une infinité de carrés, il acquiescera encore. Mais si vous lui demandez si D.ieu peut lui montrer, à lui, simple être humain, un cercle carré, il dira que c’est impossible, qu’il ne peut même pas imaginer à quoi cela ressemblerait.

C’est précisément ce que le Rambam nous enseigne : cette apparente contradiction – D.ieu est le « projecteur » de tout ce qui se passe dans le monde, mais Il accorde néanmoins à chacun le libre arbitre – dépasse les capacités de compréhension du cerveau humain. Le Rabbi souligne la force de cette réponse du Rambam, qui n’élude pas la question mais reconnaît les limites de notre entendement.

De même, nous devons accepter que D.ieu agit et promet, et que nous n’avons pas toujours la capacité de comprendre – non pas parce qu’il n’y a pas d’explication, mais parce que notre intellect est trop limité pour la saisir.

Je terminerai par une anecdote que m’a rapportée mon beau-frère, une histoire qui offre une forme de réponse sans prétendre être définitive.

Le Rabbi de Gour, qui avait lui-même perdu de nombreux membres de sa famille pendant la Shoah, s’était installé en Israël. Dans sa communauté, avant la guerre, vivait un Hassid très pieux qui, malheureusement, avait également perdu sa famille. Ce drame l’avait si profondément affecté qu’il avait abandonné toutes ses pratiques religieuses. Il avait certes émigré en Israël, mais ce n’était plus le même homme : plus de barbe, plus de caftan, plus de respect des règles de cacheroute, plus de kippa – il avait tout abandonné.

Un jour, cet homme ressentit comme un réveil spirituel, un rappel de ses racines. Il décida alors de rendre visite au Rabbi de Gour en Israël. Malgré son apparence radicalement différente de celle qu’il avait avant la guerre, le Rabbi le reconnut immédiatement. Il l’invita à s’approcher, et ils échangèrent sur leurs épreuves et leurs souffrances respectives.

Le Rabbi de Gour lui dit alors : « Sais-tu qu’à la fin de la Torah, il est écrit qu’il n’y eut jamais de prophète aussi grand que Moïse, capable d’accomplir tous ces prodiges et ces miracles devant Israël ? Les derniers mots sont ‘aux yeux de tout Israël’. Que signifie cette expression selon Rachi ? Elle fait allusion au fait que Moïse a brisé les Tables de la Loi, comme nous le lisons cette semaine dans la Paracha Ki Tissa. Moïse lui-même, dans le Deutéronome, lorsqu’il rappelle ces événements à la nouvelle génération, dit : ‘Je les ai brisées à vos yeux’. »

Le Rabbi poursuivit : « Mais que signifie précisément ‘à vos yeux’ ? Il aurait pu dire simplement ‘Je les ai brisées’ et tout le monde en aurait été témoin. Pourquoi ajouter ‘à vos yeux’ ? C’est la même expression que l’on trouve à propos de Joseph, lorsqu’il reçut ses frères sans s’être encore révélé à eux. Il leur fit pression et prit Siméon en otage, disant : ‘Je garde l’un d’entre vous jusqu’à ce que vous me rameniez Benjamin.’ La Torah dit alors : ‘Il l’emprisonna à leurs yeux’, mais dès qu’ils furent partis, il le libéra immédiatement. »

« De même, » conclut le Rabbi de Gour, « Moïse a brisé les Tables ‘à leurs yeux’ – c’était une façade, une apparence, mais spirituellement, les Tables existent toujours, elles sont toujours présentes. Il en va de même pour notre Rabbi : même si nous ne le percevons plus physiquement, il est là. Et il en va de même pour toutes les femmes que le Rabbi a bénies d’une longue vie et d’une bonne santé : même si, à nos yeux, nous nous posons des questions, elles sont bien présentes. »

Que D.ieu fasse que nous les retrouvions très bientôt, avec toute la couronne et la gloire qui les accompagnent. Puissions-nous avoir bientôt l’esprit empli de la connaissance divine parfaite qui nous permettra de comprendre toutes les voies de D.ieu, très prochainement et de nos jours. Amen.