Ceci est l’histoire de trois vies remarquables qui ont convergé, dans les circonstances les plus improbables, avec des résultats extraordinaires. C’est l’histoire d’une jeune fille juive qui est devenue cantatrice d’opéra, se produisant devant Adolf Hitler ; celle du chef de la génération ; et celle d’un psychiatre mondialement connu.

Remarque : Une première version, terriblement incomplète, de cet article a déjà été publiée sur certains sites Web et blogs. Cette version est beaucoup plus complète, faisant autorité et finalisée après des recherches approfondies. 

C’était un étrange phénomène. Le célèbre professeur viennois Victor Frankl (1905-1997), auteur du best-seller intemporel « Découvrir un sens à sa vie » et fondateur de la logothérapie, envoyait chaque année un don à la communauté Chabad de Vienne, en Autriche, avant les Grandes Fêtes juives. Cela a commencé en 1981 lorsque le Rav Jacob et Edla Biderman sont arrivés à Vienne pour servir d’émissaires de Chabad-Loubavitch en Autriche et ont commencé à envoyer un appel à tous les juifs locaux avec un calendrier juif en l’honneur des prochaines Grandes Fêtes juives.

Personne dans le centre Chabad ou dans la plus grande communauté juive ne pouvait comprendre pourquoi. Voilà un homme qui n’était pas affilié à la communauté juive de Vienne. Il n’allait jamais à la synagogue, même le jour de Yom Kippour. Il était marié à une femme catholique dévote. Pourtant, il n’a jamais manqué d’envoyer une contribution annuelle à Chabad avant Yom Kippour.

L’énigme n’a pas été résolue avant 1995, deux ans avant la mort du Dr Frankl à l’âge de 92 ans.

Je suis le premier émissaire

Marguerite Kozenn-Chajes (1909-2000) est entrée dans le bureau du Rav Jacob Biderman, l’ambassadeur de Chabad en Autriche, qui a depuis construit le magnifique « Campus Lauder » à Vienne, insufflant l’esprit juif dans le pays qui a donné naissance à Hitler.

Marguerite, une femme de 85 ans, était très élégante et avait l’air jeune et énergique. Elle a dit au Rav Biderman : « Je sais que vous pensez être le premier émissaire (shliach) du Rebbe Loubavitch à Vienne ; mais ce n’est pas le cas. J’ai servi de première ambassadrice du Rebbe Loubavitch dans cette ville, de nombreuses années avant vous ».

Des Hassidim à l’opéra

Marguerite a commencé à raconter son histoire.

Le nom de jeune fille de sa mère était Hager. Les Hager n’étaient pas une famille juive ordinaire mais des descendants de la dynastie hassidique des Vishnitz. Marguerite est née à Czernowitz, où elle a étudié pour devenir cantatrice d’opéra, puis a déménagé à Vienne où sa carrière a prospéré. Elle a épousé un jeune juif du nom de famille Chajes. Ils ont eu une fille.

Marguerite s’est produite dans les années 1930 au Festival de Salzbourg, un festival de musique et de théâtre de renom qui se tient chaque été dans la ville autrichienne de Salzbourg, ville natale de Wolfgang Amadeus Mozart.

Le 12 mars 1938, les troupes allemandes ont défilé à Salzbourg. L’Anschluss – l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne – était maintenant achevée, et l’idéologie nazie a immédiatement commencé à affecter le Festival de Salzbourg. Tous les artistes juifs ont été bannis ; les principaux chefs d’orchestre et compositeurs juifs ont été évincés. Pourtant, Marguerite Chajes se produisait encore.

Pour le festival d’août 1939, Hitler lui-même a fait une apparition à deux opéras de Mozart. Il ignorait qu’une des jeunes femmes qui chantaient majestueusement était une jeune juive, une descendante d’une famille hassidique de premier plan – Marguerite Chajes.

Peu de temps après, les organisateurs du Festival ont fait une annonce surprise selon laquelle le Festival prendrait fin le 31 août, une semaine avant la finale prévue le 8 septembre. La raison invoquée était que le Philharmonique de Vienne était tenu de se produire à la convention du parti nazi à Nuremberg. Mais les Allemands étaient de brillants trompeurs. La véritable raison est devenue évidente le 1er septembre, lorsque l’armée allemande a envahi la Pologne et déclenché la Seconde Guerre mondiale, exterminant un tiers du peuple juif, y compris la famille de Marguerite.

La nuit même après sa représentation au Festival de Salzbourg, des amis proches l’ont fait passer en contrebande avec son mari et sa fille hors d’Autriche vers l’Italie. De là, elle a réussi à embarquer sur le dernier bateau pour les États-Unis avant que la guerre n’éclate quelques jours plus tard. Marguerite et sa famille se sont installées à Détroit, où elle est devenue fondatrice et présidente de la Pro Mozart Society of Greater Detroit, et a acquis le nom de « Mme Mozart » dans ses cercles.

Lorsqu’on lui a demandé lors d’une interview pourquoi une soprano auparavant prospère travaillait si ardemment pour la réputation de Mozart ? Sa réponse était : « Parce que l’idée d’humanité n’est nulle part si convaincante que dans l’œuvre de Mozart ».

Des années ont passé. La fille de Marguerite a grandi et a épousé un médecin qui, en 1959, a été honoré lors du dîner d’une institution Chabad. À cette occasion, Marguerite a eu une audience avec le Rav Loubavitch, Rabbi Menachem Mendel Schneerson.

« Je suis entrée dans la pièce du Rabbi », a raconté Marguerite au Rav Biderman, « je ne peux pas expliquer pourquoi, mais soudain, pour la première fois depuis l’Holocauste, j’ai senti que je pouvais pleurer. Moi, comme tant d’autres survivants qui ont perdu des familles entières, n’ai jamais pleuré auparavant. Nous savions que si nous commencions à pleurer, nous pourrions ne jamais nous arrêter, ou que pour survivre nous ne pouvons pas exprimer nos émotions. Mais à ce moment-là, c’était comme si le barrage obstruant ma cascade intérieure de larmes avait été enlevé. J’ai commencé à sangloter comme un bébé. J’ai partagé avec le Rebbe toute mon histoire : mon enfance innocente ; devenir une star à Vienne ; se produire devant Hitler ; s’échapper aux États-Unis ; apprendre la mort de mes plus proches parents.

« Le Rebbe a écouté. Mais il n’a pas seulement écouté avec ses oreilles. Il a écouté avec ses yeux, avec son cœur, avec son âme, et il a tout assimilé. J’ai partagé toutes mes expériences et il les a absorbées. Ce soir-là, j’ai senti que j’avais reçu un deuxième père. J’ai senti que le Rebbe m’a adopté comme sa fille ».

Deux requêtes

À la fin de ma réunion avec le Rav Loubavitch, j’ai exprimé mon vif désir de retourner en visite à Vienne. Marguerite était, après tout, une sorte d' »activiste de propagande » autoproclamée pour l’Autriche et sa musique et elle aspirait à visiter la ville de sa jeunesse.

Le Rebbe a demandé qu’avant de faire le voyage à Vienne, je le revoie.

Peu de temps après, en route pour Vienne, j’ai visité le Rebbe. Il m’a demandé une faveur : rendre visite à deux personnes pendant mon séjour dans la ville. La première était le grand Rav viennois Akiva Eisenberg, et transmettre ses salutations du Rebbe (le Rebbe a dit que son secrétariat me donnerait l’adresse et la littérature à donner au Rav Eisenberg.) La deuxième personne qu’il voulait que je rencontre, je devrais chercher l’adresse moi-même. Le Rebbe a dit qu’il dirigeait la clinique polyvalente de neurologie de Vienne. Son nom était le Dr Victor Frankl.

« Transmettez mes salutations au Dr Frankl », a déclaré le Rav Loubavitch, « et dites-lui en mon nom qu’il ne doit pas abandonner. Il doit rester fort et poursuivre son travail, avec une détermination absolue. Quoi qu’il arrive, il ne doit pas abandonner. S’il reste fort et engagé, il prévaudra certainement ».

Le Rebbe a longuement parlé à Marguerite des messages qu’il souhaitait transmettre au Dr Frankl. Près de quarante ans plus tard, elle ne se souvenait pas de tous les détails, mais le point principal était que Frankl ne devait jamais abandonner et qu’il devait continuer à travailler pour atteindre ses objectifs avec un courage et une détermination inébranlables.

« Je ne comprenais pas de quoi parlait le Rebbe. Qui était le Dr Frankl ? Pourquoi le Rebbe lui envoyait-il ce message ? Pourquoi à travers moi ? Je n’avais pas de réponse à l’une de ces questions, mais j’ai obéi ».

Marguerite s’est rendue à Vienne. Sa visite au Rav Eisenberg s’est avérée être une tâche simple. Rencontrer Victor Frankl s’est avéré beaucoup plus difficile. À son arrivée à la clinique, on l’a informée que le professeur n’était pas venu depuis deux semaines, il n’y avait donc aucun moyen pour elle de le rencontrer. Après quelques tentatives infructueuses de le localiser à la clinique, Marguerite a abandonné.

Se sentant coupable de ne pas avoir pleinement satisfait à la demande du Rebbe, elle a décidé de violer l’étiquette autrichienne et a cherché l’adresse personnelle du professeur, s’est rendue chez lui et a frappé à la porte.

Une femme a ouvert la porte. « Puis-je voir Herr Frankl s’il vous plaît ? » demanda Marguerite.

« Oui. S’il vous plaît, patientez. »

La première chose qu’elle aperçut dans la maison était une croix, accrochée bien en vue sur le mur. (En 1947, Frankl avait épousé sa deuxième femme, Eleonore Katharina Schwindt, une catholique dévote. Ils ont eu une fille, Gabriella).

« Il était évident qu’il s’agissait d’un foyer chrétien. Je me suis dit que cela devait être une erreur ; ce ne peut pas être la personne que le Rav Loubavitch voulait que j’encourage ».

Victor Frankl est arrivé quelques instants plus tard et, après s’être assuré qu’il était le professeur, elle a dit qu’elle avait des salutations pour lui.

« Il était impatient et, franchement, avait l’air assez désintéressé. C’était très gênant ».

« J’ai des salutations du Rav Schneerson de Brooklyn, New York », a déclaré Marguerite à Frankl. « Le Rav Schneerson m’a demandé de vous dire en son nom que vous ne devez pas abandonner. Vous devez rester fort. Poursuivez votre travail avec une détermination inébranlable et vous prévaudrez.

« Ne tombez pas dans le désespoir. Marchez avec confiance », a déclaré le Rav Schneerson, « et vous réaliserez de grandes choses ».

« Soudain », a raconté Marguerite, « le professeur désintéressé s’est effondré. Il s’est mis à sangloter et n’a pas pu se calmer. Je ne comprenais pas ce qui se passait ».

« Ce Rav de Brooklyn savait exactement quand vous envoyer ici », lui a dit le Dr Frankl. Il ne pouvait pas assez la remercier pour sa visite.

« Vous voyez, Rav Biderman », Marguerite a terminé son récit, « j’ai été émissaire du Rav Loubavitch à Vienne de nombreuses années avant que vous n’arriviez ».

Reconnaissant pour toujours

Le Rav Biderman était intrigué. Victor Frankl avait maintenant 90 ans et était une célébrité internationale. Il avait écrit 32 livres traduits en 30 langues. Son livre « La quête de sens à sa vie » a été jugé par la Bibliothèque du Congrès comme l’un des dix livres les plus influents du XXe siècle. Quelle était la suite du message du Rebbe à Victor Frankl ?

Je l’ai appelé quelques jours plus tard », se souvient Biderman, « et ai demandé à le rencontrer. Mais il lui était difficile de me rencontrer en personne. Alors nous avons parlé au téléphone. Au début, il avait l’air impatient et plutôt froid.

« Vous souvenez-vous des salutations de Marguerite Chajes que vous a apportées le Rav Schneerson de Brooklyn », a demandé le Rav Biderman au Dr Frankl.

Soudain, un changement dans sa voix. Le Dr Frankl a fondu. « Bien sûr, je m’en souviens. Je ne l’oublierai jamais. Ma gratitude envers le Rav Schneerson est éternelle ».

Et Victor Frankl a confirmé le reste de l’histoire que Marguerite avait déjà expliquée au Rav Biderman, qui capture l’un des plus grands débats en psychologie du siècle précédent.

Dans les camps

Victor Frankl est né en 1905 – trois ans après le Rav Loubavitch – à Vienne. Le jeune Frankl a étudié la neurologie et la psychiatrie, et en 1923, il a fait partie du cercle intérieur de l’un des juifs les plus célèbres de l’époque, le Dr Sigmund Freud, le « père de la psychanalyse » qui vivait et pratiquait à Vienne.

La « Solution finale » n’a pas épargné la famille Frankl. Le Dr Frankl raconte dans ses mémoires des années de guerre qu’il avait eu une chance avant la guerre de partir en Amérique pour écrire ses livres et se faire un nom. Pourtant, il était confus. Devait-il poursuivre sa carrière et abandonner ses parents ou devait-il rester avec eux ? Il est arrivé à la maison après le consulat américain, visa en main, pour découvrir un grand bloc de marbre posé sur la table. Récupéré par son père dans une synagogue rasée par les nazis, c’était, se souvenait Frankl, un morceau d’une tablette portant les premières lettres du commandement : « Honore ton père et ta mère ». Il a laissé expirer son visa et est resté.

La mère et le père de Victor ont été assassinés à Auschwitz ; sa première femme juive, enceinte, a été assassinée à Bergen-Belsen. Tous ses frères et sœurs et parents ont été exterminés. Le professeur Frankl était un survivant solitaire à Auschwitz (il avait une sœur qui avait émigré en Australie avant la guerre). Après la guerre, il est retourné à Vienne où il a enseigné la neurologie et la psychiatrie.

Le grand débat

Même avant la guerre, et encore plus pendant ses trois années dans les camps de la mort nazis, Victor Frankl a développé des idées qui différaient radicalement de Sigmund Freud. Pourtant, le corps professoral de son département et l’élite académique dans la Vienne d’après-guerre consistaient en érudits freudiens endurcis (« Freudesten », dans l’expression de Frankl). Ils ont défini les idées de Frankl comme de la « pseudo-science ».

Freud soulignait l’idée que toutes choses se ramènent à la physiologie. L’esprit et le cœur humains pouvaient être mieux compris comme un effet secondaire des mécanismes du cerveau. Les humains sont comme des machines, répondant à des stimuli internes ou externes, une machine complètement physique, prévisible et sans dieu, bien qu’il s’agisse d’une machine très complexe.

Victor Frankl n’était pas d’accord. Il estimait que Freud et ses collègues réduisaient l’être humain à une simple créature mécanique, le privant de sa véritable essence. « Si Freud était dans les camps de concentration », a écrit Frankl, « il aurait changé de position. Au-delà des pulsions et instincts naturels fondamentaux des gens, il aurait rencontré la capacité humaine à la transcendance de soi. L’homme est cet être qui a inventé les chambres à gaz d’Auschwitz ; cependant, c’est aussi cet être qui y est entré debout, avec le Shema Yisrael sur les lèvres. »

« Nous qui avons vécu dans les camps de concentration pouvons nous souvenir des hommes qui traversaient les baraques en réconfortant les autres, donnant leur dernier morceau de pain. Ils pouvaient être peu nombreux, mais ils apportent une preuve suffisante que tout peut être enlevé à un homme mais une chose : la dernière des libertés humaines – choisir son attitude dans n’importe quelles circonstances, choisir sa propre voie. »

Il conclut que même dans la souffrance la plus grave, l’être humain peut trouver un sens et donc de l’espoir. Dans ses mots, « Ceux qui ont un ‘pourquoi’ pour vivre, peuvent supporter presque n’importe quel ‘comment' ». Une personne n’était pas le fils de son passé, mais le père de son avenir.

Après la guerre, Frankl est retourné à Vienne, où il a développé et donné des conférences sur sa propre approche de la guérison psychologique. Il croyait que les gens sont principalement motivés par un « effort pour trouver un sens dans leur vie », et que c’est ce sentiment de sens qui nous permet de surmonter les expériences douloureuses. Dans la deuxième partie de son livre, Frankl décrit la forme de psychothérapie qu’il a développée sur la base de ces croyances, appelée logothérapie – le traitement de la douleur émotionnelle en aidant les gens à trouver un sens à leur vie, notamment grâce à des valeurs spirituelles.

Mais dans la Vienne universitaire des années 40 et 50, ils ont défini les idées de Frankl comme un fanatisme religieux, ramenant les vieilles notions non scientifiques de conscience, de religion et de culpabilité. Il était impopulaire pour les étudiants d’assister à ses cours ; ses conférences étaient boudées.

« Ma position était extrêmement difficile », a partagé Frankl avec le Rav Biderman. « Rabiner Biderman ! » Frankl a déclaré : « J’ai pu survivre aux camps de la mort allemands, mais je ne pouvais pas survivre aux railleries de mes collègues qui ne cessaient de me taquiner et de saper mon succès. »

La pression contre le Dr Frankl était si forte qu’il a décidé d’abandonner. C’était tout simplement trop à supporter. Il regardait son travail de toute une vie s’estomper. Jusqu’à ce qu’enfin un jour, assis chez lui, il commence à rédiger sa lettre de démission et décide de déménager en Australie où vivait sa sœur. Dans la bataille entre Freud et Frankl, Freud serait enfin triomphant. L’absence d’âme l’emporterait sur la présence d’âme.

Espoir et détermination

Et puis soudain, alors qu’il était assis chez lui, abattu, une belle femme est entrée. Elle lui a envoyé les salutations d’un maître hassidique, le Rav Schneerson de Brooklyn, New York. Son message ? « N’abandonnez surtout pas. Ne désespérez pas. Si vous continuez votre travail avec une détermination absolue, vous prévaudrez. »

Frankl était abasourdi. Quelqu’un à Brooklyn, rien de moins qu’un Rebbe hassidique, connaissait sa situation ? Et qui plus est, se souciait de sa situation ? Et qui plus est, a envoyé quelqu’un pour le localiser à Vienne et l’inonder d’encouragements et d’inspiration ?

Frankl s’est mis à pleurer. Il a été profondément ému et s’est senti comme un homme transformé. C’était exactement ce qu’il avait besoin d’entendre. Quelqu’un croyait en lui, en son travail, en ses contributions, en ses idées sur l’infinie transcendance et le potentiel de l’être humain.