Le 12 ‘Hechvan a lieu le Yortsaït  de Rav Chmouel Azimov, fondateur et directeur du Beth Loubavitch de Paris. Lui qui avait redonné vie à un judaïsme frileux, lui qui avait tant donné de sa personne pour les autres, lui qui, aux côtés de son épouse, avait su nourrir tant d’étudiants, matériellement et surtout spirituellement aux fontaines vivifiantes de la ‘Hassidout s’est éteint le mercredi 12 Ma’hechvan 5775 – 5 November 2014 (6, cinq jours avant le troisième Yarhzeit (anniversaire de décès) de son épouse.

Ses parents
Rav ‘Haïm Hillel Azimov et son épouse Récha s’étaient réfugiés durant une partie de la seconde Guerre Mondiale à Samarcande pour échapper à l’avancée nazie. C’est là que naquit Chmouël en 1945 : à sa naissance, sa mère pleura car, disait-elle, elle n’avait pas l’argent nécessaire pour payer une Brit Mila. Après bien des aventures (et la perte de deux enfants en bas âge à cause de la famine et des maladies qui sévissaient en URSS), la famille parvint à quitter clandestinement ce pays qui rendait insupportable la vie de tous ses citoyens mais surtout des Juifs pratiquants. Cette fuite se fit avec l’aide de faux passeports polonais au nom de Zysslin, ce qui explique le double nom de la famille.

Brunoy
Rav Haïm-Hillel travailla au Bureau Européen Loubavitch de la rue Meslay pour assurer le bien-être des réfugiés d’Europe de l’est et des survivants de la Shoah ; en même temps, il dirigeait le réseau des Talmud Torah Loubavitch qu’il avait créé à la sortie de la guerre pour les enfants des survivants. Son fils Chmouël (qu’on appelait affectueusement Moulé) et son frère étudiaient à la Yechiva de Brunoy.

Déjà à la Yechiva, le jeune Chmouël s’occupait des nouveaux venus, des jeunes étudiants parisiens qui entraient à la Yechiva par curiosité : il les accueillait chaleureusement et veillait à tous leurs besoins, établissant pour eux un programme d’étude et les initiant très vite à la vie ’hassidique, leur proposant un judaïsme sans compromis et les éduquant dès le départ comme s’ils étaient ses propres enfants. Les plus anciens d’entre eux se souviennent comment il allait lui-même à la ferme en vélo et leur rapportait quelques litres de lait dont il avait lui-même surveillé la traite, afin que les enfants de ces premiers couples pratiquants d’Orly bénéficient dès leur plus tendre enfance d’une cacherout irréprochable.

Mais le jeune Chmouël ne se contentait pas de saluer ceux qui entraient à la Yechiva : bien vite, il partit de lui-même à leur rencontre, dans l’unique foyer des étudiants d’alors, rue Guy Patin : il y enseigna la ‘Hassidout à des étudiants pour qui l’étude juive ne passait qu’au second plan mais qui furent bien vite captivés par l’enseignement du Tanya tel qu’il l’exposait. D’aspect imposant alors qu’il n’avait que dix- sept ans, Rav Chmouël Azimov poursuivit ses études en Yechiva à New York où il se maria en Adar 1968 avec Bassie (Batia) Chemtov, elle aussi née en URSS et parvenue encore bébé en Europe, à Londres plus précisément. Issue d’une famille qui s’était dévouée corps et âme au précédent Rabbi de Loubavitch, Bassie (comme on l’appelait affectueusement) avait étudié au Séminaire de jeunes filles de Gateshead puis avait enseigné à Philadelphie dans l’école juive fondée par son frère, Rav Avraham Chemtov.

Alors que les jeunes mariés pensaient rester un peu à New York pour que Chmouël puisse étudier davantage, le Rabbi leur demanda de s’installer à Paris au plus tôt, immédiatement après la fête de Pessa’h. Bassie devait raconter plus tard combien l’insistance du Rabbi les avait étonnés, surtout que dans sa famille, on se méfiait terriblement de la ville de Paris qui, dans la tradition hassidique, avait la réputation (justifiée d’ailleurs) de tuer presque toute trace de vie juive authentique.

Mai 68
De fait, ils arrivèrent à Paris à la fin du mois d’avril, juste avant les premières émeutes estudiantines qui allaient plus tard rester célèbres sous le nom : « mai 68 » : des étudiants rejetant l’ordre établi et cherchant d’autres buts dans la vie réussirent en quelques jours à complètement désorganiser la vie publique. Certains trouvèrent (provisoirement) leur bonheur dans les idéologies ambiantes, d’autres se mirent à explorer leurs racines juives : Rav Azimov et Bassie étaient là, prêts à fournir les réponses, les véritables réponses à une jeunesse juive en quête d’absolu. (Bassie se souvenait de sa stupéfaction durant ce premier mois passé à Paris, quand il fallait constituer des provisions de farine et de sucre par crainte des pénuries occasionnées par ces mouvements de révolte). C’est de cette époque, quand « Moulé et Bassie » sont arrivés à Paris que date la naissance du « Groupe », du premier noyau de jeune gens et jeunes filles qui, par la suite, répondirent eux aussi à la volonté du Rabbi et devinrent, eux-mêmes ou leurs enfants, des Chlou’him (émissaires) du Rabbi.

8 rue Lamartine
En 1972, le « groupe » avait pris assez d’importance pour procéder à l’achat du premier Beth Habad, au 8 rue Lamartine. D’où venaient les fonds ? Question éternelle qui ne cessa de hanter Rav Azimov, toujours à la recherche d’argent pour financer d’autres activités, d’autres grandes fêtes, d’autres bourses pour des enfants de familles démunies… Oui, d’où venait l’argent sinon des dons des particuliers, de quelques institutions, des kermesses… La gestion de l’argent par Rav Azimov fascinait même ses banquiers qui constataient qu’il était toujours à l’origine de nouvelles initiatives pour parvenir à son but : encourager un maximum de Juifs à étudier la Torah et accomplir des Mitsvot. L’argent ne dormait pas dans des comptes, il devait circuler et servir à un but, un seul but, aider les Juifs, tous les Juifs, de toutes les façons possibles : les donateurs toujours plus nombreux savaient qu’ils pouvaient lui accorder toute leur confiance car ils constataient eux-mêmes de visu la bonne utilisation de leur Tsedaka.

Très vite, le 8 rue Lamartine (qu’on appelait et qu’on appelle toujours « le Local ») devint le centre névralgique du « Groupe », où le téléphone retentit sans cesse pour obtenir des renseignements qu’aucun organisme ne fournit avec le sourire et un tel sens du service : où trouver un cours de Torah, comment se procurer des Tefilines, à quelle heure allumer les bougies au fin fonds de la France ou à l’étranger, est-ce que tel produit est cachère, comment calculer la date d’une Bar Mitsva ou d’un Yahrzeit, où manger cachère en Australie… Lors de l’inauguration en grande pompe de ce premier Beth Habad de Paris, Rav Azimov et son groupe reçurent une longue lettre de bénédiction du Rabbi avec la promesse que, très bientôt, cet endroit deviendrait trop petit : cette bénédiction se réalisa beaucoup plus vite que prévu et continue d’ailleurs de se réaliser pour toutes les institutions créées par Rav Azimov, à Paris ou en banlieue, que ce soit les écoles, les Baté Habad, les synagogues, les Mikvés…

Conseils et éducation
Dans leur tout petit appartement situé près de la Place de la République, Moulé et Bassie se dévouèrent sans compter, toujours prêts à donner des cours, à organiser des Chidou’him (rencontres en vue du mariage), à enseigner à des futurs mariés leurs devoirs et les lois de Pureté Familiale mais aussi à devenir eux-mêmes des « allumeurs de réverbères », prêts à répandre la lumière du judaïsme dans l’esprit d’Oufaratsta, « Tu t’étendras » sans crainte des moqueurs, sans crainte du qu’en dira-t-on mais toujours avec respect et courtoisie. Très jeunes, leurs propres enfants se joignirent tout naturellement à cette action éducative intense et donnaient l’exemple d’un judaïsme vivant, heureux, épanoui. Même pour une seule personne, ils se déplaçaient parfois très loin, qu’il pleuve ou qu’il neige.

Leur dévouement aux autres ne connaissait pas de bornes. Ils assistaient pratiquement à toutes les Sim’hot du « Groupe », veillant à ce que chacun respecte même les plus petites coutumes ‘hassidiques : mariage, Brit Mila, coupe de cheveux, Bar Mitsva… Les enfants qui ont eu le bonheur d’être introduits à l’étude de la Torah (Ha’hnassat Héder) par Rav Moulé en gardent encore un souvenir ému. Chacun savait qu’auprès de Moulé et Bassie, il pouvait trouver des conseils judicieux en matière d’éducation, de relations dans son travail, de rapports familiaux. Conscients des dilemmes qui se posaient à ses Baalé Techouva qui devaient parfois affronter des situations difficiles avec leur famille, Moulé et Bassie optaient pour le dialogue et nouèrent souvent d’excellentes relations avec les parents qui, conquis par leur sollicitude et leur courtoisie, adoptèrent le nouveau mode de vie de leurs enfants, réalisant que leurs propres parents ou grands-parents avaient vécu de cette manière également et que, de toute manière, ce n’était pas très compliqué : oui, des Mamans acceptèrent de cachériser leur cuisine et mirent la perruque, des Papas mirent tous les jours les Tefilines et étudièrent la Torah, les frères et sœurs se joignirent au mouvement et on vit des familles entières devenir Loubavitch à 100 pour cent.

Car Rav Moulé ne se contentait pas de faire faire des Mitsvot : les jeunes gens qu’il influençait comprenaient bien vite qu’ils pouvaient eux aussi devenir des ‘Hassidim. Ils s’immergeaient dans l’étude, ils apprenaient avec passion les coutumes ‘hassidiques, ils influençaient à leur tour leurs camarades de classe, de faculté ou de travail. Ils écrivaient au Rabbi, recevaient souvent des réponses détaillées qu’ils mettaient en œuvre avec enthousiasme après que Rav Moulé leur en ait fait comprendre le sens profond et l’implication dans la vie de tous les jours. Le point culminant pour chacun qui se rapprochait était le voyage chez le Rabbi, souvent lors des fêtes de Tichri.

Haadéret Véahémouna – la Marseillaise
Sim’hat Torah 5734 – 1973. La guerre de Kipour. Comme il est difficile de ressentir la Sim’ha sachant que des soldats se battent sur tous les fronts en Israël ! Les ‘Hassidim se forcent à chanter et danser, encouragés par le Rabbi. Soudain, le Rabbi demande aux Français de descendre au centre des danses avec les Sifré Torah : mais quel chant doivent-ils entonner ? Un grand silence dans la synagogue noire de monde et soudain, le Rabbi s’avance sur son estrade et commence un chant : « un nouveau Nigoun ! » s’exclament les ‘Hassidim. Mais les Français n’en croient pas leurs oreilles, sourient même : mais oui, c’est … l’air de la Marseillaise ! Bien vite, on capte les paroles, ce sont celles de l’hymne Haadérèt Vehaémouna qu’on chante le Chabbat matin et les Français déchaînés chantent à tue-tête tandis que les autres ‘Hassidim comprennent qu’il y a là quelque chose de spécial, un cadeau que le Rabbi offre à Rav Moulé et au « Groupe ». C’est cette mélodie de la Marseillaise, légèrement modifiée, qui deviendra le chant des ‘Hassidim de France, du Groupe de Rav Moulé, le chant qui symbolise la vraie Révolution Française, celle qui rendra vie au judaïsme français. C’est ce Nigoun qui sera chanté devant la tombe…

La révolution française
Les succès de Rav Moulé se poursuivent à une cadence folle : des magasins cachères s’installent partout où s’installent des Loubavitch, même dans des arrondissements de Paris où on n’imaginait pas qu’ils se développeraient : « La Rabbanit nous a dit un jour : « Nous avons labouré (quand le Rabbi et la Rabbanit avaient habité à Paris avant la Seconde Guerre Mondiale) et vous sèmerez et récolterez ! » C’est la bénédiction du Rabbi ! » répétait imperturbablement Rav Moulé. Les grandes fêtes attirent de foules, les publications s’arrachent dans les synagogues et les magasins cachères, les voyages chez le Rabbi intéressent de plus en plus de monde. Ces succès inquiètent certains mais Rav Moulé se montre rassurant et respecte les institutions existantes, que ce soit le Consistoire, le FSJU, le corps rabbinique, les députés et les maires, toujours associés aux grandes manifestations publiques du Beth Loubavitch. Même les émissaires du Rabbi dans d’autres pays considèrent avec stupéfaction les réalisations françaises : la plus grande école juive d’Europe s’élève rue Petit pour plus de 2000 élèves venues de toutes les communautés environnantes et même de province car la quantité n’efface pas la qualité sanctionnée par des résultats remarquables au palmarès de l’Éducation Nationale ;plus d’une centaine de nouveaux Chlou’him (émissaires) s’installent dans Paris et les banlieues et même la province : ce sont les enfants des anciens du Groupe qui relèvent les défis français et redonnent vie à des communautés entières, créant ou développant des structures nécessaires comme les synagogues ou les écoles.

Alors qu’auparavant, on se rendait parfois spécialement à l’étranger pour acquérir des produits cachères de base, on trouve maintenant des produits français cachères à l’étranger ! Ce n’est là qu’un des symboles de la Révolution Française initiée par Rav Moulé.

Lag Baomère, les colonies Gan Israël, Youd Tet Kislèv…
Elle avait pleuré à sa naissance : elle pleurait également – mais cette fois-ci de joie pure – quand elle assistait aux grandes fêtes du Beth Loubavitch. Oui, Madame Zysslin-Azimov pleurait d’émotion quand elle voyait la Place de la République puis la Place de la Concorde se remplir de milliers d’enfants juifs criant à tue-tête des versets de la Torah – grâce aux efforts constants de son fils…

Le Rabbi avait demandé à Rav Azimov de s’occuper d’éducation : même quand les responsabilités écrasantes de toutes les institutions du Beth Loubavitch occupaient ses jours (et souvent ses nuits), Rav Azimov restait fidèle aux directives du Rabbi et suivait le développement de certains élèves avec des cours particuliers, malgré ses problèmes de santé.

C’est sous son impulsion que des milliers d’enfants ont pu occuper leurs mois de juillet au Gan Israël et recevoir un condensé d’éducation juive qui les a marqués pour la vie. Quant aux adultes, venus de toute la France et même de l’étranger, ils fréquentaient assidument ses séminaires d’étude dans les Alpes et engrangeaient ainsi des forces pour toute l’année.

Le 12 ‘Hechvan
Après avoir été victime d’une première attaque cérébrale 16 ans plus tôt, la santé de Rav Moulé – comme d’ailleurs celle de son épouse – se détériorent. Doté d’une volonté de fer, Rav Moulé continue courageusement sa mission, surveillant les institutions existantes et initiant continuellement de nouveaux projets, se souciant du bien-être de chacun et de chacune, continuant d’enseigner à des élèves à l’école et à des adultes au « Local », encourageant et remerciant chacun et chacune qui, suivant son exemple, entreprennent avec enthousiasme et ténacité de renforcer le judaïsme français.

Le 17 Hechevan 5772, trois ans plus tôt, presque jour pour jour, disparaissait son épouse, pleurée par toute la communauté et enterrée sur le Har Hazétim, le Mont des Oliviers à Jérusalem, aux côtés de son père Rav Bentsione ChemTov. Cachant sa peine, Rav Moulé crée la « Fondation Bassie Azimov » qui multiplie les initiatives, surtout dans le domaine des Mitsvot de la femme et de la jeune fille mais aussi pour tous les sujets de bienfaisance.

Hospitalisé après Yom Kipour 5775, Rav Moulé subissait encore une attaque cérébrale et, alors que ses enfants et quelques anciens du « Groupe » récitaient avec lui le Chema Israël à son chevet, il rendit son âme pure à son Créateur.

La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre dans le monde entier et ce fut des milliers de personnes qui se pressèrent devant son domicile puis devant l’école Beth Haya Mouchka pour un dernier hommage. Bien vite, plus de 500 personnes se précipitèrent à l’aéroport pour tenter d’accompagner leur Machpia bien aimé à sa dernière demeure, le lendemain, à Jérusalem où, là encore, malgré des conditions sécuritaires précaires, des milliers de personnes venues de tout le pays suivirent le convoi en pleurant.

Très certainement, Rav Moulé continue là-haut d’intercéder pour sa famille, ses amis et tous ceux pour qui il était l’adresse incontournable dans tous les domaines. Oui, le Rabbi était fier de lui et peut être certain que son œuvre continuera jusqu’à la venue de notre juste Machia’h, bientôt et de nos jours.

Feiga Lubecki