Le lundi 18 mars, le Rav Mendel Azimov, directeur du Beth Loubavitch, a été reçu par le président français Emmanuel Macron au palais de l’Élysée dans le cadre d’une réception organisée pour célébrer le 80e anniversaire du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF).

Cet événement a rassemblé de nombreuses personnalités politiques, religieuses et de la société civile, mettant en lumière le rôle essentiel joué par le CRIF depuis huit décennies dans la défense des intérêts de la communauté juive et la lutte contre l’antisémitisme en France.

Depuis sa création en 1944, près d’une centaine d’associations, d’institutions, d’organisations et de mouvements sont devenus membres du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF). Parmi eux figure le Beth Loubavitch, qui œuvre quotidiennement pour promouvoir les valeurs du judaïsme et favoriser le rapprochement entre les différentes communautés juives. La présence du Rav Mendel Azimov à cette cérémonie revêtait donc une signification particulière, compte tenu de son engagement actif en faveur du rayonnement du judaïsme et du renforcement des liens entre les communautés juives de France.

Lors de cette rencontre, le Rav Azimov et le président Emmanuel Macron ont échangé quelques mots sur les défis auxquels est confrontée la communauté juive française, ainsi que sur les moyens de promouvoir la tolérance, le respect et la compréhension mutuelle. Ils ont souligné l’importance de transmettre ces valeurs républicaines essentielles que sont la liberté, l’égalité et la fraternité, afin de construire une société plus harmonieuse et inclusive.

Le Rav Azimov a salué l’honneur d’être présent à cette cérémonie aux côtés des plus hautes autorités de l’État français : « Je rends hommage au rôle historique joué par le CRIF pendant quatre-vingts ans, en tant que voix de la communauté juive et défenseur de ses droits et libertés ».

Face à la recrudescence inquiétante des actes antisémites, le Rav Azimov a salué les paroles fermes du discours du président Emmanuel Macron, qui a réaffirmé sa détermination à lutter contre l’intolérance et la haine en France.

 

 

Cette réception à l’Élysée est intervenue dans un contexte marqué par une inquiétante augmentation des actes antisémites en France. Selon un rapport du CRIF, le nombre d’actes antisémites recensés dans le pays avait été multiplié par quatre, passant de 436 en 2022 à 1 676 en 2023, une tendance influencée par le début de la guerre à Gaza à la suite des massacres du 7 octobre sur le territoire israélien.

Face à cette situation préoccupante, le président Macron a prononcé un discours ferme lors de cette cérémonie, réaffirmant la détermination de la France à lutter contre toutes les formes d’antisémitisme et de discrimination. Le président du CRIF, Yonathan Arfi, a également pris la parole pour rappeler l’importance de l’unité et de la vigilance face à la haine.

La présence du Premier ministre Gabriel Attal et du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin témoignait de l’engagement du gouvernement français dans ce combat crucial. Leur participation soulignait la volonté des autorités de protéger la communauté juive et de garantir la sécurité de tous les citoyens, quelles que soient leurs origines ou leurs croyances.

Cet évènement a ainsi revêtu une dimension symbolique forte. Il a mis en lumière la nécessité de poursuivre les efforts pour bâtir une société française plus tolérante, respectueuse et unie, où chacun puisse vivre et pratiquer sa foi en toute sérénité, dans le respect des valeurs républicaines qui fondent notre nation.

Discours du Président Emmanuel Macron au dîner du CRIF, telle que fournie dans le document 

Monsieur le Président du Sénat, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, Monsieur le Président du Conseil économique, social et environnemental, Messieurs les Premiers ministres, Monsieur le Ministre d’État, Mesdames et Messieurs les ministres,
Madame la Maire de Paris, Madame la Présidente de la Région Île-de-France, Mesdames, Messieurs les parlementaires, Mesdames, Messieurs les ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les responsables des cultes, Monsieur le Président du CRIF, Mesdames, Messieurs,

Comme chacune et chacun, j’aurais souhaité que ce dîner, le deuxième auquel j’ai l’honneur d’assister comme Président de la République, se tienne dans des circonstances plus sereines. Nous aurions évoqué avec émotion Claude Lanzmann, ce qu’il donna à la France, lui qui entra en résistance dès l’âge de 18 ans, ce qu’il offrit au monde avec son monument « Shoah », cette œuvre immortelle contre l’inexorable travail d’oubli du temps.

Nous nous serions souvenu de Marceline Loridan, disparue en septembre, et son inlassable action pour transmettre la mémoire du génocide ; et de son insolence, de Georges Manger, qui nous a quitté en décembre, emportant avec lui une vie d’héroïsme, lui qui sauva près de 400 enfants juifs durant la Seconde Guerre mondiale.

Nous aurions vécu ensemble cette matinée ensoleillée de juillet où le peuple français rassemblé rue Soufflot communia autour des cercueils bleu-blanc-rouge de Simone et Antoine Veil, Simone Veil qui puisa dans l’indicible horreur des camps la force de faire grandir encore, par ses combats pour la mémoire, pour les femmes, pour l’Europe, l’œuvre universel de la France.

Nous serions certainement revenu sur la relation d’amitié de 70 ans liant la France et Israël, que la saison culturelle croisée de 2018 a fait vivre, et que la visite du Président Reuven Rivlin à la mi-janvier est venu sceller. Peut-être même en aurions-nous échangé sur le rôle de René Cassin dans la rédaction de la Déclaration des droits de l’Homme, cette grammaire commune des nations dont nous venons de célébrer le 70ème anniversaire.

Oui, chacune et chacun d’entre-nous aurait aimé évoquer tout cela, cette part juive de l’âme française, cette histoire des Français juifs qui a contribué à faire notre Nation. Elle est grande.

Mais le moment que nous vivons appelle un propos autrement plus grave. Depuis plusieurs années, et la situation s’est encore aggravée ces dernières semaines, notre pays, comme d’ailleurs l’ensemble de l’Europe et la quasi-totalité des démocraties occidentales, est confronté à une résurgence de l’antisémitisme sans doute inédite depuis la Seconde Guerre mondiale.

À nouveau, depuis plusieurs années, l’antisémitisme tue en France. Si bien que les visages peuplant ce soir nos consciences ne sont pas seulement ceux des héros que je viens d’évoquer, mais bien ceux des martyrs récemment assassinés parce qu’ils étaient juifs : Mireille Knoll, cette Parisienne de 85 ans qui survécut aux rafles mais pas à la folie meurtrière de ses bourreaux ; Sarah Halimi, cette mère de trois enfants saisie dans son sommeil, molestée puis défenestrée par son autre meurtrier ; Ilan Halimi, ce jeune homme d’une vingtaine d’années kidnappé, torturé, assassiné.

Et puis, les victimes de l’attentat de l’Hyper Cacher en janvier 2015 : Philippe Braham, Johan Cohen, Yoav Hattab, François-Michel Saada. Celles de l’école Ozar Hatorah : Jonathan Sandler et ses fils Arieh, Gabriel, et la petite Myriam Monsonégo, abattus à bout portant.

Nous ne les oublions pas.

Le crépuscule du XXème siècle avait pu laisser entrevoir la possibilité d’un repli durable de l’antisémitisme, l’aube du XXIe siècle vient rappeler combien l’histoire est tragique, combien les passions tristes sont à l’œuvre, combien le noir revient. Qu’un fils de déportés juifs polonais, qui aime la France, sa langue, au point de devenir membre de l’Académie française, soit insulté par une foule haineuse en rentrant chez lui. Qu’à Paris, sur une devanture de restaurant, soient peintes, entourées de croix gammées, l’inscription « Juden ». Que sur la mairie du 13ème arrondissement, le visage de Simone Veil soit recouvert des mêmes croix gammées. Qu’en Alsace, des dizaines de tombes juives soient profanées, comme si on avait voulu enlever leur mort à tous ces gens. Que des représentants religieux juifs, des militants de la cause antiraciste, des journalistes soient insultés, menacés. Cher Joël Mergui, cher Ariel Goldmann, cher Philippe Val, cher Manuel Valls, que dans un même lyrisme, une même violence, charriant rejet du sacré et antiparlementarisme, on s’en prenne à des églises, à des élus. Je pourrais poursuivre, malheureusement, cette liste, et dire ce que trop d’anonymes subissent et n’osent même pas dire.

Face à cette inacceptable réalité, il serait faux de dire : « Nous n’avons rien fait. » Nous avons condamné, beaucoup, adopté des plans, souvent, depuis des années et des années. Voté des lois, parfois. Mais nous n’avons pas su agir efficacement. C’est vrai. Et si nous en sommes là aujourd’hui, c’est bien pour cela. Et cette litanie que je viens de reprendre, c’est notre échec. Trop d’indignation, trop de mots… Pas assez de résultats.

Le temps est donc venu des actes tranchants, concrets, parce que je ne veux pas m’habituer à ses mots et à ses indignations. Il y a quelque chose de pire qu’une âme perverse, l’écrivait Péguy : « c’est une âme habituée ». Nous n’avons pas le droit de devenir des hommes habitués.

D’abord, nommer le mal. Oui, l’antisémitisme se cache de plus en plus sous le masque de l’antisionisme. Je l’ai dit lors du 75ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv : « l’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme ». C’est pourquoi je confirme que la France, qui l’a endossé en décembre avec ses partenaires européens, mettra en œuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah. Il ne s’agit pas de modifier le Code pénal, encore moins d’empêcher ceux qui veulent critiquer – comme vous l’avez rappelé Monsieur le Président – la politique israélienne de le faire. Non, ni de revenir sur des sujets que nous connaissons et qui sont ceux de la politique internationale – et sur ce sujet, la position française est connue, et l’année dernière, nous en avions débattu. Il s’agit de préciser et raffermir les pratiques de nos forces de l’ordre, de nos magistrats, de nos enseignants, de leur permettre de mieux lutter contre ceux qui cachent derrière le rejet d’Israël la négation même de l’existence d’Israël, la haine du Juif, la plus primaire.

De la même manière, il n’y aura aucune complaisance à l’égard des pratiques de boycott et du BDS, plusieurs fois condamnées en France.

Regarder ensuite la réalité en face, sans filtre. Oui, à côté, malheureusement, de l’antisémitisme traditionnel, se déploie un antisémitisme fondé sur un islamisme radical. Oui, cette idéologie gangrène certains de nos quartiers, au point d’être contraint un insupportable exode intérieur. Et oui, c’est à une reconquête républicaine de ces territoires que nous devons nous atteler. Ce que nous faisons quand nous créons des postes de policiers et de gendarmes dans 45 d’entre eux, en multipliant l’implication de tous les services de l’Etat, de l’Education nationale, de l’ensemble des fonctionnaires, et en y déployant de manière méthodique un plan de lutte contre la radicalisation. Et en cette matière, ne cédons en rien non plus à l’opposition bloc à bloc dans laquelle certains voudraient enfermer la société française, une religion contre l’autre, une stigmatisation contre l’autre. Non, la République protège tous les citoyens, toutes les consciences, toutes les paroles. Et elle ne peut accepter en aucun cas qu’au nom d’une religion – déformée – ou d’une philosophie, quelle qu’elle soit, le pire soit commis. Parce que c’est la République, parce que c’est notre liberté.

Traquer et punir ceux qui se rendent coupables d’actes antisémites. Rien n’est plus insupportable pour les victimes que l’absence de sanction. Rien n’est plus incompréhensible pour nos concitoyens que le sentiment du « tout est permis » qui anime les semeurs de haine et qui sape l’autorité de l’État. J’appelle pour ce faire, quel que soit parfois la lassitude – je le sais -, toutes les victimes d’actes antisémites à porter plainte dès qu’elles sont insultées ou attaquées. Qu’elles soient assurées que tout est mis en œuvre pour les accompagner dans leurs démarches, depuis la formation de nos policiers et gendarmes pour les accueillir et les écouter, jusqu’à la possibilité de porter plainte en ligne qui vient d’être votée avec l’adoption de la loi justice. Elle doit s’appliquer dans les meilleurs délais. Sur ce sujet, nous étions habitués, il faut bien le dire, à des pratiques incertaines : les plaintes qui n’étaient pas toujours prises, des complexités… les choses ont maintenant été simplifiées dans le droit : elles doivent s’appliquer dans les faits. Elle suppose que rien ne soit accepté et qu’aucune habitude, en quelque sorte, ne soit prise.

Tout est mis en œuvre aussi pour recueillir les preuves : des équipes spécialisées d’enquêteurs et de gendarmes seront créées sur tout le territoire, sur la base de ce qui a été commencé à Aix-en-Provence, en partenariat avec la Fondation du camp des Milles.

Vous avez ensuite, Monsieur le Président, évoqué l’antisémitisme improprement appelé « virtuel ». Il n’a de virtuel que le nom, et il y a dans cette haine sans visage, qui croit vivre en toute impunité, les prémices des haines qui ensuite sortent dans la rue. Et surtout le pire, ce poison lent qui conduit près de deux Français sur cinq, s’informant principalement via les réseaux sociaux, à croire en un « complot sioniste mondial ». Celui-ci aussi, nous devons le combattre avec force et clarté. De premiers travaux ont été engagés avec des plateformes comme Facebook, qui a choisi la France pour lancer un fonds doté d’un million d’euros en faveur du civisme et contre la haine, et qui a accepté la présence en son sein de régulateurs et juristes français pour améliorer ses pratiques.

J’avais dit, l’année dernière devant vous, sur ce sujet, ma volonté de porter un projet exigeant au niveau européen : un travail a été fait pour le rendre possible. Le rapport de Madame Avia et de Messieurs Taieb et Amellal a, à cet égard, proposé des choses concrètes. Le combat européen doit se poursuivre, mais il est trop lent, et nous ne pouvons plus attendre. C’est pourquoi la députée Laetitia Avia déposera dès le mois de mai – c’est-à-dire dès la première fenêtre parlementaire possible – au Parlement, une proposition de loi pour lutter contre la haine sur internet, représentant, reprenant les propositions de ce rapport. Nous devons, à ce titre, nous inspirer de ce que nos voisins allemands ont su faire de manière efficace et pragmatique, apporter des sanctions judiciaires, pénales et pécuniaires, appeler à la responsabilité des individus comme des plateformes. Il s’agira de mettre fin aux stratégies d’éviction déployées par des sites étrangers qui, changeant régulièrement de serveurs, sont aujourd’hui très difficiles à bloquer.

Dans ce contexte, la question de l’anonymat sera évidemment posée. Elle est trop souvent le masque des lâches, et derrière chaque pseudonyme, il y a un nom, un visage, une identité. Faut-il interdire partout, sur Internet, l’anonymat ? Je pense que nous pourrions aller, par certains égards, vers le pire. Il faudra donc y réfléchir à deux fois. Par contre, ce que nous ne pouvons pas accepter, c’est que, parce qu’il y a anonymat, le contenu ne soit pas retiré dans les meilleurs délais, que l’identité ne soit pas recherchée et ne soit pas donnée. Il y a aujourd’hui encore des plateformes – comme Twitter, pour citer les mauvais exemples – qui attendent des mois pour donner les identifiants qui permettent d’aller lancer les procédures judiciaires contre ceux qui ont appelé à la haine, au meurtre ; qui parfois prennent des jours, des semaines pour retirer des contenus ainsi identifiés. Ce que ce texte portera donc, ce sont des dispositions claires imposant les retraits, dans les meilleurs délais, de tous les contenus appelant à la haine et mettant en œuvre toutes les techniques permettant de repérer l’identité dans les meilleurs délais, et enfin, appelant à la responsabilité, y compris sur le plan juridique, desdites plateformes.

Il nous faut adapter nos sanctions à la société numérique, nous donner les moyens aussi de pouvoir interdire la présence sur un réseau social de personnes coupables de propos racistes et antisémites comme on interdit les hooligans dans les stades. Ou à tout le moins, faire en sorte que les condamnations pour actes racistes et antisémites soient publiées pour ceux se rendant coupables. La honte, sur ces sujets d’urgence, doit changer de camp : elle ne doit plus ronger les victimes, elle doit accabler les agresseurs.

Enfin, parce que la période met en cause ce que nous sommes, la France doit aussi tracer de nouvelles lignes rouges. Et nous le ferons, par des mesures concrètes et des décisions que la loi permet aujourd’hui de prendre. C’est pourquoi j’ai aussi demandé au ministre de l’Intérieur d’engager des procédures visant à dissoudre des associations ou groupements qui, par leur comportement, nourrissent la haine, promeuvent la discrimination ou appellent à l’action violente : Bastion social, Blood and Honour Hexagone et Combat 18 pour commencer.

[Applaudissements]

Nommer. Poursuivre. Punir. Mais bien entendu, enfin, aussi éduquer. Il ne faut jamais perdre de vue le temps long de l’éducation, de la culture, de l’élévation morale et spirituelle de tous. Car ce que nous vivons aujourd’hui dans notre société, dans notre pays, dit beaucoup de nos propres échecs passés, de ce que nous avons laissé s’installer subrepticement, de ce que nous n’avons plus voulu dénoncer, de ce que parfois nous avons peut-être oublié de dire. Si l’Histoire a montré que la connaissance n’était jamais un antidote contre la haine, nous savons que l’ignorance, à coup sûr, est un fertile terreau.

Toujours, nos instituteurs, nos professeurs font preuve d’un engagement exemplaire pour enseigner la mémoire de l’Holocauste et sont relayés admirablement par des institutions comme la Fondation pour la Mémoire de la Shoah ou le Mémorial de la Shoah. Le ministre de l’Education nationale s’est tôt engagé dans cette lutte pour lever – vous l’avez rappelé Monsieur le Président – toutes les ambiguïtés qui avaient pu exister, former davantage, être plus exigeant encore. Et à ce titre, l’Etat soutiendra encore davantage qu’il ne le fait le Mémorial de la Shoah, la DILCRAH. La DILCRAH apporte aujourd’hui une aide, elle sera significativement augmentée par le Premier ministre dans les prochaines semaines.

Ces instituteurs, ces professeurs sont encore trop souvent livrés à eux-mêmes, en particulier quand, dans ces quartiers gangrenés par l’islamisme radical évoqué, la Shoah, la situation au Proche-Orient sont devenues des sujets parfois impossibles à évoquer. Ces instituteurs, ces professeurs trouveront toujours la République à leurs côtés. Au niveau national, une équipe de réaction a été mise en place, qui leur apporte une solution en 24 heures dès qu’une difficulté se fait jour. Dans chaque rectorat, des messages clairs ont été passés pour que tout soit dit, le moindre problème dès qu’il est observé.

Mais trop souvent, nous avons vu aussi, dans ces quartiers de la République ces dernières années, des enfants quitter l’école publique, disons-nous les choses franchement, pour aller vers des écoles privées sous contrat, quelle que soit d’ailleurs la confession, pour pouvoir changer de quartier, parce que quelque chose se passait, que l’enfant ou les parents eux-mêmes n’osaient pas dire. C’est pourquoi j’ai demandé au ministre de mettre en place des actions spécifiques et de procéder à un audit de tous les établissements marqués par le phénomène de déscolarisation des enfants de confession juive. Quand une telle déscolarisation se passe, elle dit quelque chose parfois de ce que nous ne voulions, nous ne pouvions voir, de ce qui ne se disait plus. Au-delà, l’école doit jouer à plein son rôle de rempart républicain contre les préjugés et contre la haine, mais aussi contre deux maux qui leur ont fait le lit : l’empire de l’immédiateté, le règne d’une forme de relativisme absolu. L’enseignement de la méthode scientifique, de la méthode historique sera renforcé. Tous les enfants de France seront sensibilisés au temps long des grandes civilisations, ce temps long et serein qui apporte le goût de la tolérance et de l’humanisme. Mais revenir à ses fondamentaux, au cœur de notre éducation, c’est aussi au cœur de l’éducation se redonner les moyens de lutter contre ce qui, subrepticement, s’est installé, le tout se vaut, l’immédiateté absolue, le relativisme qui corrompt tout.

Mes chers amis, ce sont là des actes. Il faudra en rendre compte, et je rendrai compte. C’est pour ça que ce soir, je voulais être devant vous. Parce que l’antisémitisme n’est pas le problème des Juifs : c’est le problème de la République. Parce que ceux qui pensent que l’antisémitisme ne concernerait que quelques-uns, qu’une communauté dans la République, cela, n’oublions jamais notre histoire commune, ce que nous sommes, l’antisémitisme, c’est tout simplement la haine de l’autre ; et d’ailleurs, regardez bien les formes qu’il prend. La haine du Juif est tout à la fois la haine du cosmopolite et du capitaliste, la haine des forces extérieures et de l’ennemi de l’intérieur, toutes les haines additionnées. L’antisémitisme a pris tous les visages, s’est nourri de tous les extrêmes. S’il n’a jamais qu’un visage, c’est celui de l’autre – et qui plus est, un autre qui nous ressemble.

L’antisémitisme, c’est le problème de la République parce qu’il est cette haine d’avant-garde, mais qui s’accompagne toujours du cortège des autres haines auxquelles vous avez fait référence : est dans le temps que nous traversons, ce sont ces autres haines qui, derrière, aussi se réveillent – haine contre les musulmans, racisme sous toutes ses formes, homophobie, toutes les formes de haine se réveillent avec, contre les élus, contre l’autorité, contre le parlementarisme, contre le sacré, les églises et toutes les religions, contre ce qui nous a fait.

Oui, pour toutes ces raisons, l’antisémitisme, c’est la question de la République et de la France. Parce qu’au cœur de nos histoires liées, il y a tous ce qu’ils ne veulent plus voir. Je ne reprendrai pas ici le cortège des grandes figures qui ont fait notre pays, depuis Rachi jusqu’à Bergson ou Proust, de Simone Veil à Robert Badinter. La France doit tant à celles et ceux qui l’ont ainsi construite, par à-coups, un élan vers l’universel, lui ont donné ce visage. Mais ce qu’ignorent encore trop de nos concitoyens dans notre pays, c’est que depuis des siècles et des siècles, des grands Juifs, de grands commentateurs des textes sacrés ont été en France qui ont fait rayonner du temps de ces textes et sont connus à travers le monde ; que les plus grands commentateurs de la Bible et du Talmud juifs ont été dans tous nos villages et ont rendu parfois ces villages célèbres parmi des gens qui n’avaient jamais mis le pied en France. Touques, en Normandie, avec Samuel ben Meir – Rashbam, qui rayonnait ; Falaise, avec Simhah de Vitry ; en Moselle, avec Samson ben Yitzhak de Chinon ; Moïse d’Evreux ; Perez ben Heliyya de Corbeil ; Moïse de Coucy ; Isaac ben Samuel de Dampierre ; Samson de Sens ; Elie Hacking de Salon ; Jacob de Pont-Audemer ; Mattitia d’Avalon ; Salomon de Château-Landon ; Menahem ben Nathan de Melun ; Eliezer ben Samuel de Metz ; Joseph Tobelem Bonfils de Limoges ; Hayyim ben Isaac de la Rochelle ; Menahem ben Solomon Meiri de Perpignan ; Jacob ben Makhir de Montpellier ; Aharon ben Perez d’Avignon ; Abraham ben David de Narbonne. Tossefot en Babylonie, ont fait connaître ces villes à travers le monde parce qu’ils ont dit, parce qu’ils ont écrit quelque chose de la bible, parce qu’ils ont apporté à la connaissance universelle. Ils étaient de ces villages et de ces villes qui sont notre pays.

Alors quand j’entends, comme vous, « nous sommes chez nous », dits par certains qui voudraient que cela n’en soit pas, regardons notre histoire en face dans tout ce qu’elle est. L’histoire de France est belle de cet universel croisé, de ces Juifs venus du bout du monde pour aimer notre pays, tomber pour lui et le faire accéder à l’universel, et de tous ces Français qui ont voulu comprendre, aimer, porter une religion parce qu’on pouvait la porter librement et avec fierté dans notre pays. C’est cela, l’histoire des Juifs et de la France, bien avant la République, bien avant même qu’on commence à parler de la France. C’est cela ce que nous sommes.

Nous sommes chez nous. Hier, à Quatzenheim, j’ai eu honte. J’étais avec les habitants de cette petite commune d’Alsace, et s’il y avait du doute, nous avons regardé ces tombes souillées, et je me suis dit : ce qu’ils veulent, c’est au fond que nul ne puisse reposer en paix. À la honte a succédé la colère, celle de vouloir trouver tout de suite une réponse, de répondre à la haine par une autre haine. Au fond, j’ai dit aux habitants de la commune : c’est vous, le vrai visage de cette commune. Nous allons laver les tombes. Et surtout, leur dire combien ceux qui ont fait cela doivent avoir honte. Ils ne sont pas la France. Nous sommes la France. Les tombes des Français juifs tiennent notre sol comme les arbres plantés pour eux. Ils sont enracinés. Et cet enracinement, c’est notre nation.

Alors oui, je le sais mes amis, il y a dans ces moments-là quelque chose d’ingrat pour la tâche qui est la nôtre. La barbarie a une force immédiate, elle sidère, elle fascine certains, et elle plonge dans la consternation, parfois l’accablement, les autres. Et la barbarie a une force incommensurable par rapport à l’intelligence ou la construction d’une action rationnelle qui est la nôtre. C’est précisément d’ailleurs cette force qu’elle recherche.

Alors nous ne gagnerons pas ce combat en un jour. Mais je veux ce soir vous dire une chose : nous ne nous habituerons jamais. Nous aurons toujours l’exigence de vérité, de liberté, de fraternité et d’intelligence qui est la seule réponse à cette barbarie, l’exigence du courage qui doit être notre mission, celle des républicains que nous sommes. Elle est plus lente, parfois moins visible, parfois nous trébuchons. Mais elle ne cède en rien.

Mes chers amis, vendredi dernier, j’ai reçu dans mon bureau la mère d’Ilan Halimi. Et elle avait face à elle un tableau de Pierre Soulages. Je me suis dit : c’est ça ce que nous avons à vivre. Beaucoup pensaient que le noir n’était pas une couleur, qu’on ne pouvait rien en faire. Et un génie, centenaire cette année, a dit : en travaillant inlassablement le noir au pinceau, au couteau, en y tirant des lignes, en y mettant les formes, j’y ferai vivre le soleil, j’y ferai exister la lumière. Et elle voyait sous ses yeux ce tableau qui prenait vie, et ce noir n’était plus noir, il était l’outrenoir de Soulages.

Nous ne ferons pas le mal de notre société ni par une loi, ni par un discours, ni par un acte. Mais nous devons être, tous ensemble, les combattants de cet outrenoir, de ces lignes de force, de ce courage inlassable, de cette forme d’humanité et d’intelligence que nous devons donner à chaque noir qu’il y a dans notre société. Parce qu’il est là. Mais nous tiendrons. Et à la fin, nous gagnerons.

Vive la République et vive la France !