Dans cette histoire saisissante transmise par Rav Chmouel Levitin, une rencontre bouleversante entre deux figures hassidiques révèle une profonde sagesse sur la nature de nos épreuves. Découvrez pourquoi la distinction entre « mal » et « amertume » peut transformer notre perception de la souffrance et nous offrir une perspective rédemptrice face aux moments les plus difficiles de notre existence.

Il y a des moments dans notre vie où la souffrance semble insupportable. Pourtant, comme nous l’enseigne cette histoire hassidique profonde, même l’amertume la plus intense peut être acceptée lorsqu’on comprend sa fonction thérapeutique.

Une rencontre bouleversante sous l’ombre soviétique

Dans les années 1930, Rav Chmouel Levitin accomplissait une mission périlleuse. Émissaire des Rabbis de Loubavitch en Géorgie soviétique, il travaillait clandestinement à Koutaïssi et Batoumi pour maintenir vivante la flamme du judaïsme. Son dévouement lui valut même l’emprisonnement par le régime communiste.

Après avoir réussi à s’échapper de l’URSS, Rav Chmouel reçut une nouvelle mission du Rabbi précédent (Rabbi Yossef Yitzchak Schneersohn) : se rendre aux États-Unis pour collecter des fonds destinés aux Juifs emprisonnés derrière le rideau de fer.

Entre ces deux missions, une opportunité précieuse se présenta à lui : rencontrer brièvement son Rabbi bien-aimé, alors réfugié en Pologne. Dix longues années s’étaient écoulées depuis leur dernière entrevue – une décennie marquée par les persécutions brutales des Juifs soviétiques, dont Rav Chmouel avait été le témoin impuissant.

Des paroles qui jaillissent malgré l’avertissement

Avant cette rencontre tant attendue, la famille du Rabbi l’implora : « Ne lui parlez pas des souffrances des Juifs en Russie. Sa santé est fragile, et il porte déjà chaque jour le poids de leur douleur. Ses épreuves l’ont transformé au point qu’il est méconnaissable. »

Rav Chmouel acquiesça. Mais lorsque la porte s’ouvrit et qu’il aperçut le visage émacié du Rabbi, marqué par une profonde affliction, tous ses engagements s’évanouirent. Bouleversé, il s’exclama spontanément :

« Rabbi ! N’est-il pas écrit ‘Pour un court instant je t’ai abandonné, mais avec une immense miséricorde je te rassemblerai’ ? Toutes ces souffrances de l’exil ne sont qu’un bref instant ! »

Le regard pénétrant, le Rabbi répondit simplement : « En effet, ce n’est qu’un instant… mais un instant amer. »

Ces mots transpercèrent le cœur de Rav Chmouel. Après l’audience, accablé, il partagea sa détresse avec la Rabbanit Sterna Sarah, mère du Rabbi. À sa grande surprise, celle-ci ne manifesta aucune inquiétude.

« Mon fils, » dit-elle avec douceur, « laisse-moi te partager une sagesse que j’ai apprise de ton grand-père, Rabbi Gershon Ber. Il enseignait qu’on ne doit jamais qualifier une expérience de ‘mauvaise’, car comme l’explique le Tanya, aucun mal véritable ne descend du Ciel. En revanche, on peut la qualifier d »amère’, car certaines réalités possèdent cette qualité. Mais l’amertume est comme un remède – elle contient en elle-même les germes de la guérison et le commencement de la rédemption. »

L’amertume comme messager de transformation

Cette distinction subtile entre « mal » et « amer » est au cœur de la pensée hassidique. Le « mal » impliquerait une absence totale de bien – concept impossible dans un univers créé et gouverné par l’Éternel. L’amertume, quant à elle, est une sensation transitoire, comparable au goût désagréable d’un médicament qui pourtant nous guérit.

L’épilogue de cette histoire survint à Pourim 1940. Le Rabbi, miraculeusement échappé des griffes nazies et réfugié aux États-Unis, donnait un enseignement sur le verset « Cette nuit-là, le sommeil du roi fut troublé. » Au milieu de son discours, il déclara : « Lorsque le Messie viendra promptement et que se révélera la grande miséricorde divine, nous comprendrons alors que toute la durée de l’exil n’aura été qu’un bref instant. »

Prononçant ces paroles, il posa son regard sur Rav Chmouel avec un sourire empreint de mélancolie, comme pour dire : « Comprends-tu maintenant ce que je voulais dire ? »

Une leçon pour nos propres épreuves

Quatre-vingt-cinq ans plus tard, alors que nous attendons toujours la rédemption finale, cette histoire résonne comme un message d’espoir pour chacun d’entre nous. Nos souffrances personnelles – qu’elles soient physiques, émotionnelles ou spirituelles – peuvent sembler interminables. Pourtant, dans la perspective divine, elles ne sont qu’un « instant amer. »

Cette conscience ne diminue pas la douleur, mais lui confère un sens. Notre amertume n’est pas une punition arbitraire, mais un composant nécessaire du processus de guérison. Chaque difficulté que nous traversons nous rapproche inexorablement de la révélation du bien absolu.

Lorsque nous peinons à accepter nos épreuves, rappelons-nous cette sagesse : parfois, le chemin vers la guérison passe nécessairement par l’amertume. Ce n’est qu’un instant – certes difficile – mais un instant qui porte en lui la promesse de la délivrance.