REPORTAGE – Cette communauté juive, très dynamique et présente dans le monde étudiant, organise cette semaine six cents cérémonies en France.

Jean-Marie Guénois – Le Figaro

 

La communauté juive célèbre la fête de Hanoukka jusqu’au dimanche 25 décembre. Le rite consiste à allumer successivement et chaque soir, pendant huit jours, les bougies ou lampes d’un chandelier à huit branches – à ne pas confondre avec la menorah, le chandelier à sept branches des lieux saints.

Cette fête commémore le «miracle de l’huile». Cette tradition remonte à 164 avant Jésus-Christ, à Jérusalem[1]. Judas Maccabée doit alors purifier un temple saccagé par Antiochos IV Épiphane, ennemi juré des Juifs. Pour ce faire, celui qui a héroïquement vaincu les Grecs séleucides ne trouve qu’une fiole d’huile sacrée dans les décombres du temple. Il lui en faudrait huit pour assurer le rituel.

«Miraculeusement», celle contenue dans le minuscule récipient se renouvelle et lui permet de subvenir aux huit jours de purification Hanoukka, est l’une des grandes fêtes juives de l’année. Elle est célébrée le 25 du mois de kislev de cette année 5783 du calendrier juif. En famille, c’est le père qui allume les bougies après avoir prononcé trois bénédictions. On mange ensuite des beignets et l’on joue à la toupie en mémoire des jeunes guetteurs juifs de l’époque séleucide, qui devaient se cacher pour étudier la Torah, alors prohibée.

Les parents donnent aussi un peu d’argent à leurs enfants, lesquels doivent apprendre à donner aussitôt la dîme, dix pour cent, pour les pauvres. En 1986, le mouvement juif loubavitch a relancé cette tradition dans le monde en procédant à des allumages publics des bougies de Hanoukka sur les places, au cœur des grandes villes. «C’est une mémoire religieuse, mais la lumière qui chasse les ténèbres a une valeur universelle, explique un rabbin. Elle est un symbole d’espérance: éclairer une situation, c’est déjà repartir d’un autre pied. Partager cette lumière ne coûte rien à personne, chacun en bénéficie.»

«Maisons d’étudiants»

Chaque soir, cette semaine, plus de six cents allumages ont lieu en France. Ce mercredi, une cérémonie plus officielle se tient à 20 heures, à Paris, place Jacques-Rueff, en face de la tour Eiffel, en présence des autorités du judaïsme français et des autorités publiques. L’événement sera filmé et retransmis en direct à Jérusalem et au bureau du rabbi Menahem Mendel Schneerson, à New York, où auront lieu des allumages simultanés. C’est lui qui a relancé le mouvement juif loubavitch, devenu aujourd’hui l’un des courants les plus dynamiques du judaïsme mondial. Aux États-Unis, sa tombe est toujours très vénérée. L’un des traits dominants du mouvement hassidique chabad loubavitch est le retour à l’observance quotidienne des lois du judaïsme en cohérence avec la vie moderne, avec une insistance décisive sur l’étude.

Une approche classique à ne pas confondre avec les mouvements ultraorthodoxes. L’une des dernières créations est d’ailleurs l’ouverture de «maisons d’étudiants» dans les quartiers universitaires.

Trois centres existent déjà en région parisienne: sur le plateau de Saclay (25 établissements d’excellence, dont Polytechnique et HEC), près de la bibliothèque François- Mitterrand, et au cœur du Quartier latin, à deux pas de l’École normale supérieure, rue d’Ulm, un établissement qui fête ses dix ans cette semaine.

Le rabbin Mendy Arnauve, 36 ans, fondateur et animateur du projet explique:
«Pour la conduire à l’excellence, nous voulons offrir à notre jeunesse les meilleures conditions de travail possible tout en leur permettant de vivre leur vie juive avec des temps de prières s’ils le veulent, des conférences, et des temps d’études du Talmud. Il y a aussi des repas kasher à prix coûtant. Ce n’est pas une synagogue, ni une école rabbinique, c’est une “maison” où nous proposons un cadre optimal et cohérent avec la foi, pour réussir ses études et fonder sa vie personnelle.»

«Il n’y a pas d’esprit sectaire»

De fait, de sept heures du matin à minuit, les lampes ne s’éteignent pas. L’ambiance est à la détente comme au travail ardu. Les étudiants et étudiantes, quelles que soient les matières – on croise des littéraires purs, des étudiants en médecine, en école d’ingénieurs -, apprennent à travailler en binôme pour créer de l’émulation. Ils sont 250 par jour à aller et venir dans ce qui est à la fois un foyer et une étude. Une «maison», en somme, comme son nom «beth» l’indique sur la devanture du centre: «Beth loubavitch étudiant» . L’idée est venue des États-Unis.

Julia Farouze, 22 ans, étudiante en cinquième année de pharmacie, vient quotidiennement car «c’est un très bon cadre de travail, très ouvert où personne ne nous juge». Netanel, 22 ans, étudie l’informatique à Jussieu. Je ne me vois pas vivre autrement qu’en confrontant ma foi avec le monde. La foi doit être “challengée” tous les jours Kippa sur la tête, il fréquente assidûment le centre: «J’ai beaucoup d’amis non juifs, témoigne-t-il, j’apprécie de retrouver des Juifs car il n’y a pas d’esprit sectaire en cet endroit. La diversité des étudiants permet beaucoup d’échanges entre nous, nous cultivons l’esprit critique, la qualité intellectuelle, nous améliorons nos méthodes de travail. C’est un environnement très stimulant.

Une fois par semaine, il participe à une heure d’études du Talmud, la loi juive, en «one to one», c’est-à-dire en confrontation avec un autre étudiant.

Traduction, interprétation, débat, ce soir-là les questions et précisions fusent entre les étudiants plus passionnés les uns que les autres. Netanel conclut: «Je ne me vois pas vivre autrement qu’en confrontant ma foi avec le monde. La foi doit être “challengée” tous les jours.»