Après avoir relaté la création du monde et celle d’Adam, le premier homme, la Torah présente, dans cette Parchat Béréchit, la descendance des deux fils d’Adam, Caïn et Chet(1). L’un et l’autre avaient des personnalités opposées. En effet, Caïn symbolise la destruction, dans le monde, puisque c’est lui qui a tué Havel, remettant en cause, de cette façon, l’édification de ce monde(2). A l’inverse, Chet en représente la construction et, bien plus, «c’est sur lui que fut bâti le monde entier», après le déluge, lorsqu’une édification nouvelle fut introduite par Noa’h(3), qui était lui-même un descendant de Chet.

Cependant, nous découvrons un fait surprenant, dans la suite de cette Paracha. En effet, Caïn et Chet eurent, l’un et l’autre, un fils qui s’appelait ‘Hano’h. Or, les deux ‘Hano’h furent, l’un et l’autre, le contraire de leur père. ‘Hano’h, fils de Caïn, représente la construction. C’est la raison pour laquelle une ville fut bâtie, qui porta son nom, ce qui est bien le symbole de l’édification du monde, de sa pérennité(4). En revanche, ‘Hano’h, descendant de Chet, alla à l’encontre de la construction du monde, duquel il se détacha. C’est la raison pour laquelle il est dit, à son propos : «il n’était plus là, car D.ieu l’avait repris» avant son temps(5).

Dans la Parchat Béréchit, la Torah relate des événements qui s’étalèrent sur plus d’un millénaire(6). Il est donc bien clair qu’elle mentionne uniquement ceux dont la portée fut déterminante, non pas l’intégralité des événements qui se déroulèrent en une aussi longue période. Les faits qu’elle rapporte délivrent donc un enseignement pour les générations suivantes(7). Et, il faut bien en conclure que les récits relatifs à Caïn, à Chet et à leur deux enfants qui, l’un et l’autre, s’appelaient ‘Hano’h, sont une leçon pour chacun d’entre nous.

En fait, Caïn et Chet correspondent à deux manières de servir D.ieu. La première voie(8), celle de Caïn, implique une coupure de ce monde, alors que la voie de Chet est l’alternative à cette coupure, une action menée avec les objets du monde, afin de les transformer et de les rendre partie intégrante du domaine de la sainteté(9).

Or, la perfection du service de D.ieu, pour chaque homme, ne consiste pas à se maintenir en permanence sur la même voie(10). En d’autres termes, il faut être les deux ‘Hano’h à la fois, réunir en soi les deux voies, les deux manière d’agir. De la sorte, ceux qui se sont engagés sur une voie peuvent aussi adopter l’approche qui caractérise la seconde. Et, il en est ainsi pour tous les trois domaines du service de D.ieu, les trois piliers sur lesquels le monde repose, la Torah(11), la prière(12) et les bonnes actions(13).

Pour ce qui concerne la Torah, celle-ci ne peut pas être étudiée en ayant pour objectif de se couper de ce monde(14), comme Caïn. Bien au contraire, son étude doit introduire l’action concrète, à l’image de Chet. L’inverse est vrai également. On ne peut pas étudier la Torah uniquement dans l’optique de son application effective(15), comme l’indique Chet. Il est nécessaire également, pendant cette étude, de ressentir la sainteté de la Torah et le fait qu’elle transcende le monde(16), comme l’indique Caïn.

Pour ce qui est de la prière, celui qui prie avec la plus grande ferveur, comme Caïn, doit aussi avoir pour motivation que sa prière ait une incidence sur le monde(17) et sur les forces de son âme(18), comme Chet. A l’opposé, celui qui prie pour obtenir la satisfaction de besoins matériels(19), comme Chet, n’est pas dispensé pour autant de se soumettre profondément à D.ieu, dans sa prière et de s’attacher à Lui(20), comme Caïn.

S’agissant des Mitsvot, celui qui fait don de sa propre personne pour les mettre en pratique(21), qui parvient à le faire : «de tout ton pouvoir»(22), comme Caïn, n’est pas dispensé, de cette façon, de les accomplir matériellement(23) et de manière ordonnée(24), comme Chet. A l’inverse, celui qui privilégie l’aspect matériel des Mitsvot, qui apporte l’élévation à la matière de ce monde, comme Chet, doit ressentir, quand il agit, qu’il est attaché à D.ieu «de tout ton pouvoir»(25), comme Caïn.

(Discours du Rabbi, Likouteï Si’hot, tome 35, page 7 – Traduit par le Rav Haim Mellul)

 


Notes

(1) Après que le troisième fils, Havel, ait été assassiné par Caïn, avant d’avoir une descendance.
(2) En le privant de tous les descendants que Havel aurait pu avoir. Nos Sages, dont la mémoire est une bénédiction, en déduisent que : «quiconque préserve une âme d’Israël est considéré comme s’il avait préservé le monde entier, mais quiconque cause la perte d’une âme d’Israël est considéré comme s’il avait causé la perte du monde entier.»
(3) Puisque tous les hommes sont bien les descendants de Noa’h.
(4) En effet, une ville a un caractère stable. Une maison peut être détruite et remplacée par une autre, mais l’on ne détruit que de manière exceptionnelle simultanément toutes les maisons d’une ville.
(5) Comme on peut le déduire de la formulation inhabituelle de ce verset, qui ne parle pas formellement de mort, à son propos.
(6) C’est, de fait, la Paracha de la Torah qui couvre la plus longue période, dans le temps.
(7) En effet, Torah est de la même étymologie que Horaa, enseignement.
(8) De ce service de D.ieu.
(9) En libérant la parcelle de Divinité contenu par cet objet, grâce à un usage strictement conforme à la Volonté de D.ieu pour lui permettre de réintégrer sa source.
(10) Seul un ange sert D.ieu de cette façon, car D.ieu ne lui confie qu’une seule mission. C’est la raison pour laquelle, voulant annoncer trois nouvelles à Avraham, D.ieu délègue auprès de lui trois anges. A l’inverse, un homme reçoit six cent treize missions et il doit se demander, en permanence, laquelle lui incombe, à cet instant précis.
(11) Son étude.
(12) Qui remplace les sacrifices offerts dans le Temple.
(13) Qui sont représentatives de l’ensemble des Mitsvot.
(14) En en recherchant uniquement la dimension spirituelle, l’approche conceptuelle, sans se préoccuper de son application concrète.
(15) Ce qui aurait pour effet d’écarter toute partie de la Torah qui n’a pas d’application concrète immédiate.
(16) En effet, la Torah est antérieure au monde et elle est le plan d’architecte de la création.
(17) Que le malade guérisse, que la pluie tombe, quand elle est nécessaire.
(18) En transformant l’intellect et les sentiments de l’homme qui prie.
(19) Ce qui est bien l’objectif premier de la prière.
(20) Le service de D.ieu de la prière doit le conduire à se soumettre à Lui au point de faire abstraction de sa propre personnalité.
(21) S’élevant ainsi au-dessus des limites du monde.
(22) C’est-à-dire : «même s’Il te reprend la vie», en échappant ainsi à toutes les entraves inhérentes à la matière, puisque : «un homme est prêt à donner tout ce qu’il possède pour conserver la vie».
(23) En ayant systématiquement recours à des objets matériels, auxquels il apportera l’élévation.
(24) Car, le service de D.ieu doit être organisé : «du plus facile vers le plus complexe».
(25) Son recours à la matière n’a donc pas d’autre objectif que de mettre en pratique la Volonté de D.ieu.