A la mémoire de son fils, Rav Eliezer a’h Niselevitch, Chalia’h du Rabbi à Aubervilliers, qui a quitté ce monde le 8 Sivan 5782

Le merveilleux Hassid Reb Moché Niselevitch (surnommé Reb Moché le « jaune », né le 2 Tishrei 1923 et décédé le 14 Adar I 2011) dévoile dans une interview rare son parcours, de la création de l’organisation ‘Hama’ derrière le rideau de fer, qui a formé et éduqué des générations de Hassidim jusqu’à son arrivée en Terre Sainte.

 

INTRODUCTION – Par Reb Betsalel Schiff, directeur général de l’association Shamir, sur la vie des Hassidim derrière le rideau de fer  :
J’ai connu Reb Moché Niselevitch depuis mon enfance. Lorsque mon père s’est échappé de prison, mon frère Gershon Ber a été contraint de travailler. Il avait alors 16 ans et travaillait dans l’usine de Reb Eli Mishulovin. C’est là qu’il est devenu proche de Reb Moché Niselevitch (Friedman). Reb Moché a pris mon frère sous son aile. Ils ont travaillé ensemble, étudié la Torah, mangé, étudié à nouveau. Ma mère tenait beaucoup à ce que mon frère Gershon Ber soit ami avec Reb Moché. Gershon Ber était très fort physiquement, et il a consacré toute sa force à l’étude de la Torah. Chez nous vivait notre grand-père Re’hmiel, et il était heureux que Gershon Ber change pour le mieux : il étudiait, priait, demandait à notre grand-père de l’aider dans ses études, et notre grand-père acceptait volontiers. Notre grand frère Aryeh Leib les a rejoints. Les frères ont encore étudié au « Heder » chez Zusia Poz, puis chez Reb Eliyahu Levin et Berké Hen qui était l’ami de notre grand-père et le rabbin de Samarcande. Mais de Reb Moché, ils ont reçu un comportement Hassidique, une étude et une vision du monde complètement différente.

C’était une période difficile et dangereuse pour les Hassidim, alors que de nombreux Habadniks réussissaient à quitter l’Union soviétique via Lvov. Beaucoup ont été emprisonnés (ceux qui n’ont pas réussi à partir). Des familles sont restées sans parents. Il n’y avait personne pour s’occuper des enfants. Dans les rues, les agents du KGB étaient partout. C’était un énorme mécanisme de persécution. Ils comprenaient que les Hassidim ne renonceraient pas, continueraient d’enseigner la Torah aux enfants et de respecter le Chabbat. Un énorme mécanisme de KGB, police, surveillance populaire, autorités municipales et ministère de l’Éducation – tous ces organismes pourchassaient les Hassidim. Ce qui les motivait, ce n’était pas l’idéologie, mais l’argent. Les salaires en Union soviétique étaient très bas, mais les juifs avaient des entreprises clandestines, enseignant la Torah aux enfants. Les juifs sont toujours prêts à payer pour tout. À mon avis, c’était le principal facteur de leur activité.

Lorsque mon père est sorti de la clandestinité, il a ouvert une usine qui a généré de bons profits. Les Juifs se sont dit que si c’était si facile, pourquoi ne pas ouvrir des usines eux aussi ? Je me souviens qu’en face de notre maison, ils ont ouvert une usine appelée « l’usine communiste », c’est-à-dire que des travailleurs qui travaillaient auparavant dans des usines existantes ont ouvert leur propre usine. Reb Moché a été élu à la tête de l’usine.
Malheureusement, ils n’ont pas compris que l’essentiel n’était pas la fabrication de produits, mais la gestion de la comptabilité, l’argent et les factures. Bien sûr, ils ont été attrapés. Mon père a travaillé longtemps pour gérer les documents de Reb Moché jusqu’à ce qu’il réussisse à tout régler.
Reb Moché était si proche de notre famille qu’il a même loué un appartement en face de notre maison.
Lors d’un Farbrenguen, Reb Moché a révélé aux présents son grand espoir : créer une organisation Hassidique, collecter des fonds et fonder à nouveau une Yéchiva, un ‘Heder et ainsi de suite à Samarkand. Bien sûr, tout devait être fait en secret absolu. Ils ont donné à cette organisation le nom de « ‘Hama » (groupe de ceux qui font du bien au public). L’organisation a connu un grand succès jusqu’à ce que tous les Hassidim soient partis, et même après. Des colis ont commencé à arriver des États-Unis contenant des articles qui ne pouvaient pas être obtenus en Union soviétique. C’était une grande aide.

Après mon mariage, je suis allé vivre à Samarkand et j’ai consacré tout mon temps à enseigner aux enfants. Rien qu’avec moi (et je n’étais pas le plus grand dans ce domaine), 35-40 élèves ont étudié. Mes élèves sont depuis longtemps devenus grands-parents. Quand je les rencontre, je suis très fier et heureux de ma part dans cette entreprise commune.

L’histoire que je publie ici est une interview que Reb Moché a donnée pour le livre « 18 » publié par les éditions « Shamir ».

Reb Moché Niselevitch raconte :

Je suis né en 1923, peu de temps après la révolution à Kremenchug. Mon père, lui aussi né à Kremenchug, était enseignant. En plus de cela, il avait un certificat de sacrificateur, mais il ne pratiquait la Vhe’hita que très rarement, car il était très responsable et craignait de faire quelque chose de non conforme. Mon père n’était pas un Hassid de Loubavitch, mais je me souviens qu’il avait un lien avec ‘Habad. Par exemple, il priait dans un sidour écrit par l’Alter Rebbe et étudiait le « Kitsour Choul’han Aroukh de l’Alter Rebbe ». Dans notre maison à Kremenchug, il y avait une photo d’un vieil homme, et en dessous était écrit « Rabbi Shneour Zalman de Liadi ». Les soirs et les Chabbat, mon père donnait des cours de ‘Houmach, de Michna et de Talmud dans les synagogues de Kremenchug. C’était dangereux, il fallait se cacher du GPU, les services secrets soviétiques. En plus de cela, mon père travaillait dans une usine métallurgique et devait se cacher le Chabbat. Mais il dédiait tout son cœur à ses élèves. Il était un excellent enseignant. Parfois, il disait que si on lui demandait en enfer ses fautes, la seule chose dont il était sûr était son enseignement.

Dans l’usine métallurgique, mon père a créé un gma’h pour les familles juives dans le besoin (et il y avait beaucoup de familles dans le besoin). Ils collectaient des fonds et les transféraient à ceux qui étaient particulièrement en difficulté. Cela a commencé ainsi. Un jour, un ouvrier de l’usine s’est approché de mon père et lui a demandé de lui prêter de l’argent. Mon père savait que sa famille vivait dans une grande détresse et ne pouvait pas dire « non ». Mais il a demandé de n’en parler à personne. Cependant, l’ouvrier n’a pas pu se retenir et a raconté à une femme dans le besoin. Mon père ne pouvait pas non plus refuser à cette femme, et lui donna de l’argent. Puis d’autres personnes sont venues. Les gens empruntaient de l’argent et le remboursaient à temps. Mais le nombre de personnes qui voulaient emprunter de l’argent augmentaient de jour en jour. Finalement, la direction a appris l’existence du gma’h. Ils ont accusé mon père d’activités anti-soviétiques, ont menacé de le licencier et de transférer l’affaire aux autorités compétentes. Mais un mois s’est écoulé, et les gens sont revenus et ont encore contacté mon père avec des demandes. Mon père savait combien cela était dangereux, il savait qu’ils le suivaient déjà, mais encore une fois – comme avant – il ne pouvait pas leur refuser. Puis on l’a accusé d’activités financières illégales. Mon père a été confronté à une enquête criminelle. Les travailleurs de l’usine métallurgique aimaient beaucoup mon père et se sont portés à sa défense. Ils ont menacé de faire grève si quelque chose arrivait à mon père. Les travailleurs ont organisé une assemblée où ils ont parlé en faveur de mon père. Ils ont dit qu’il était quelqu’un qui, en ces temps difficiles, aidait les gens, et qu’à cause de cela, il méritait respect et gratitude – et en aucun cas d’être licencié. Cela a aidé et le dossier contre lui a été clos mais, malgré tout, il a été licencié de l’usine métallurgique.

Ma mère est également née dans une famille religieuse. Pendant la Première Guerre mondiale, elle et ses parents se sont retrouvés à Kremenchug, comme d’autres réfugiés de Pologne. C’est là qu’elle a épousé mon père et est restée dans la ville lorsque ses parents sont retournés en Pologne. Nous avons maintenu des liens avec la famille de ma mère, bien que cela ait certainement été dangereux. Les membres de la famille de ma mère qui ont émigré en Amérique nous ont aidés pendant la famine de 1930-1931. Mais plus tard, ces liens sont devenus une raison de persécution, et nous avons été forcés de brûler les lettres de nos proches polonais et américains, afin qu’aucun vestige de la correspondance ne subsiste.

Mon père a réussi à ne pas m’envoyer à l’école jusqu’à l’âge de onze ans. Ma sœur et moi restions à la maison. Les voisins qui savaient cela n’intervenaient pas – après tout, nous ne dérangions personne. Mais une fois, nous jouions dans la cour avec les enfants voisins et j’ai accidentellement frappé l’un d’eux à la tête avec une pierre. La police a immédiatement été appelée, et c’est ainsi qu’il a été découvert que ma sœur et moi n’allions pas à l’école. C’était effrayant car la punition pour mon père aurait pu être la prison et la privation des droits parentaux. Nous avons dû aller à l’école, et pas n’importe quelle école – une école juive. C’était bien pire qu’une école ordinaire car les écoles juives étaient le foyer de la lutte de la « Yevsektsiya »,  la «section juive» du Parti communiste soviétique, contre la religion et la tradition juives.

À l’école, je suis allé directement en troisième année car je savais bien lire et écrire. Toutes les études dans cette école étaient en yiddish. Tous les manuels étaient également en yiddish. J’aimais beaucoup certaines matières, comme la géographie. Je me souviens encore avec quelle passion j’étudiais les cartes géographiques. Cependant, j’ai eu beaucoup de mal à l’école. Il y avait beaucoup de problèmes : par exemple, il était impossible de s’asseoir en classe avec la tête couverte. Mon père a demandé au Rav et m’a permis d’aller à l’école sans chapeau, mais quand je sortais dans la rue pendant les pauses, je le remettais. En général, à l’école, ils essayaient d’arracher le judaïsme des enfants de toutes les manières possibles. Même les mots hébraïques ont été écrits incorrectement en yiddish dans nos manuels, selon les règles de la « Yevsektsiya ».

Mais le plus difficile était bien sûr de garder le Chabbat. Quand j’ai commencé les études, j’ai décidé de ne pas aller à l’école le Chabbat. Je me souviens de mon arrivée à l’école le lendemain du premier Chabbat que j’ai manqué. Je suis entré dans la salle de classe et la professeure Shora Grigoryevna a demandé : « Niselevitch, pourquoi n’étais-tu pas à l’école? » Les enfants riaient entre eux. Je rougissais et bafouillais prétextant un mal de tête. Shora Grigoryevna, accompagnée des rires de toute la classe, me dit : « Tu avais mal à la tête? Tu as observé le Chabbat et tu n’avais aucun mal de tête! »

Quand je suis allé à l’école le dimanche suivant, j’espérais que la professeure m’oublierait. Mais non, elle a demandé à nouveau pourquoi je n’étais pas allé à l’école. Cette fois, j’ai prétexté avoir eu des douleurs abdominales, et elle a répondu : « Tu avais mal à la tête, tu avais mal au ventre… Tu as observé le Chabbat! Comment n’as-tu pas honte! Tu n’es pas vieux ! Comment peut-on croire à de telles absurdités… », et elle m’a grondé longuement devant toute la classe.

Des scènes comme celle-ci se sont répétées après chaque Chabbat que j’ai manqué. Une fois, au lieu de me réprimander, Shora Grigoryevna m’a conduit au directeur de l’école. Son nom était Pin’has Smoilovitch. Le directeur a commencé la conversation en disant : « Tu es un enfant religieux, et les religieux ne doivent pas mentir. Alors dis la vérité, pourquoi ne vas-tu pas à l’école le samedi? Ton père ne te le permet pas? » J’ai répondu que c’était le contraire, mon père me forçait à aller à l’école, mais je ne voulais pas venir parce que mon grand-père décédé m’avait appris qu’il était interdit, le Chabbat, d’écrire et d’étudier quoi que ce soit en dehors de la Torah. Le directeur ne savait pas que je ne me souvenais pas de mon grand-père, car il était décédé il y a longtemps. Le directeur a essayé de me convaincre de mettre la faute sur mon père, mais j’ai tenu bon : mon grand-père m’avait appris cela. Pendant la conversation, le directeur a cité des textes sacrés pour me convaincre de dire la vérité. J’ai écouté et pensé en moi-même : « Si seulement j’en savais autant… »

Après plusieurs semaines, l’enseignante m’a à nouveau emmené voir Pin’has Smoilovitch, et il a dit que cette fois, la conversation aurait lieu ailleurs. Nous sommes montés dans une voiture et avons roulé. Finalement, on m’a amené dans un grand bâtiment. Dans l’une des pièces, trois jeunes Juifs portant des lunettes attendaient, ressemblant beaucoup à Pinchas Smoilovitch, le directeur de notre école.

Ils ont recommencé à citer la Torah, la Michna et le Talmud, essayant de me convaincre à quel point il est mauvais pour une personne de mentir, et donc je devais dire la vérité et admettre que c’était mon père qui ne me permettait pas d’aller à l’école le Chabbat. Mais j’ai tenu bon : « mon père m’oblige à venir à l’école, mais je ne peux pas et je ne veux pas commettre une telle profanation ». La conversation a duré plusieurs heures dans la même veine, et finalement, ils ont commencé à me menacer. Quels problèmes ils attendaient pour notre famille !

Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, après cette conversation, ils nous ont laissés tranquilles, ma sœur et moi. On ne m’a plus appelé pour discuter parce que je ne venais pas aux cours le Chabbat, et ils ont même cessé de me faire des reproches.

Avant d’être obligé d’aller à l’école, j’avais commencé à étudier à la maison. Mon professeur était un hassid de Loubavitch, Reb Bentsion Morozov. J’ai étudié la Torah et la Michna avec lui. J’ai commencé à étudier aussi le Talmud.

À la fin des années 1930, des amis de mon père ont commencé à lui dire qu’ils avaient été convoqués « là-bas », et « là-bas » leur posait des questions sur les activités de mon père. Ils le surveillaient. Mais mon père a continué à vivre comme avant. Il n’a pas cessé d’aller à la synagogue et d’étudier. Le siège se resserrait. Notre famille l’a ressenti et a pris la seule bonne décision – partir. En 1939, nous avons déménagé de Kremtchoug en Géorgie. Pourquoi la Géorgie ? Parce que nous avions entendu dire qu’il était plus facile d’y mener une vie religieuse.

Mon père est parti en premier. Nous avons rapidement reçu une lettre de lui expédiée de Koutaïssi. Il a écrit qu’il avait rencontré un jeune homme avec une petite barbe qui étudiait dans un bon endroit. Cela signifiait qu’il y avait une Yéchiva dans la ville, et il nous appelait à le rejoindre.

La lettre est arrivée non pas par la poste, mais par un messager. Mon père est parti secrètement, donc personne ne savait rien à ce sujet. Nous sommes également partis en secret avec presque aucun bagage. Nous n’avons vendu aucune de nos possessions. Seul le frère de mon père, lui aussi très religieux, savait que nous partions. Avant de partir, mon oncle m’a dit qu’il avait été convoqué dans des « institutions » depuis des années et qu’ils posaient des questions sur mon père. J’étais le seul à qui mon oncle avait raconté cela.

Nous sommes arrivés à Koutaïssi et j’y ai rencontré de nombreux jeunes juifs. Au début, ils étaient méfiants à notre égard, mais avec le temps, ils nous ont reconnus et ont raconté qu’il y avait effectivement une Yéchiva Loubavitch Tomhei Temimim en activité dans la ville. J’ai raconté cela à mon père, mais il le savait déjà et était heureux que je le sache maintenant aussi.

En 1942, j’ai commencé à étudier dans cette Yéchiva. La guerre faisait rage, et en plus des dangers d’étudier dans une Yéchiva clandestine, il y avait la faim. Il y avait des jours où nous ne pouvions pas étudier. Nous n’avions pas la force de sortir du lit. Mais quand nous avons réussi à obtenir du pain par miracle, nous retournions étudier. C’était très difficile, mais personne n’a quitté la Yéchiva. Nous avons beaucoup souffert de la faim, mais nous savions que les études étaient notre destin et notre bonheur. Nous avons été enseignés par de grands Hassidim – Reb Shmuel Notik (KrasFarbrenguenlaver) et Reb Betzalel Vilshansky (Tzalka Charsoner). Et les Farbrenguen ! Je m’en souviens encore aujourd’hui ! Nous avons débattu, discuté et chanté toute la nuit… L’atmosphère inoubliable de ces jours m’a donné de l’énergie pour les longues années qui ont suivi et que j’ai transmise à mes enfants et petits-enfants.

La Yéchiva n’a pas seulement influencé les Juifs de Koutaïssi, mais aussi la vie juive dans toute la Géorgie. Les étudiants de la Yéchiva Loubavitch, parmi lesquels se trouvaient de nombreux Juifs géorgiens, étaient un exemple à suivre. Les diplômés de la Yéchiva sont devenus des abatteurs rituels, des mohels et des rabbins dans le monde entier – en France, aux États-Unis, en Israël. Parmi mes bons amis à la Yéchiva se trouvaient Rav Yehoshoua Zeitlin, un abatteur rituel et un mohel à Montréal, Rav Shalom Mendel Kalmenson – un abatteur rituel et un mohel à Auvervilliers, en France, et Chalom Marazow – Roch Yéchiva à New York.

En 1946, j’ai entendu dire que des Habadniks de Samarkand quittaient la Russie, alors nous sommes allés à Samarkand. Cependant, nous n’avons pas réussi à quitter l’Union soviétique. Nous sommes restés à Samarkand. À cette époque, il y avait plusieurs « ateliers juifs » dans la ville, pour la production de textiles et de soie. Ceux qui travaillaient dans ces ateliers se connaissaient bien et avaient la possibilité de respecter le Chabbat et les jours de Fêtes. Ces ateliers étaient tout à fait officiels. Ce qui n’était pas officiel, c’est que lorsque nous arrivions au travail le Chabbat, nous ne travaillions bien sûr pas, mais étudiions la Torah. Parfois, le Chabbat, divers comités de contrôle venaient nous inspecter, guidés par des dénonciateurs. Dans de tels cas, nous faisions de véritables spectacles : nous courions d’une pièce à l’autre et criions les uns aux autres : « Apporte-moi ceci ! Apporte-moi cela ! » Les membres du comité de contrôle, voyant des gens si diligents, croyaient que nous travaillions même le Chabbat avec beaucoup d’enthousiasme.

À Samarkand, j’ai épousé une fille d’une famille Loubavitch. Son père avait été expulsé de Léningrad avant le début de la guerre et, après avoir purgé sa peine d’exil, s’était installé à Samarkand. Comme la plupart des jeunes couples Habad, nous cherchions un appartement, plus précisément une maison – loin des regards indiscrets. Mais nous avions une raison particulière pour nos recherches : à cette époque, des écoles talmudiques et une Yéchiva clandestines fonctionnaient à Samarkand, et les études avaient lieu dans des maisons privées, y compris la nôtre. Nous étions constamment surveillés et nous craignions beaucoup que nos activités soient découvertes. C’est pourquoi nous changions constamment le lieu d’étude. Parfois, cela était même caché aux parents des élèves. En Israël, j’ai rencontré le père de l’un de « nos » garçons. Il m’a raconté que pendant de nombreuses années en Russie, il était convaincu que son fils étudiait à l’Université de Moscou. L’enfant envoyait des lettres de Samarkand à Moscou, où les enveloppes étaient changées et les lettres envoyées à son père. Ce n’est qu’après de nombreuses années que le père a découvert où son fils étudiait vraiment – dans notre Yéchiva.

Nous avons versé des bourses aux étudiants, et certains d’entre eux ont dit à leurs parents qu’ils travaillaient. Parfois, les parents n’étaient pas satisfaits : pourquoi un salaire si bas ? Et ils conseillaient à leurs enfants de changer de lieu de travail, mais ceux-ci répondaient que le travail leur plaisait, que les gens y étaient gentils, et le salaire…

Notre réseau de Yéchivot et de Hadarim s’est étendu de Samarkand à toute l’Asie centrale. Des centaines d’élèves ont étudié dans nos Yéchivot. Nous savions déjà que, malgré la clandestinité, le KGB était au courant de nos activités. Une nuit, nous nous sommes réunis pour discuter de notre situation. Des propositions ont été faites pour réduire un peu nos activités. Nous avons débattu longtemps et, vers le matin, nous avons pris une décision – ne rien changer. Soit tout fermer – et il n’y a rien à dire là-dessus – soit ne rien fermer. Et nous avons décidé : quoi qu’il arrive. Nous étions prêts à tout. Nous comprenions bien que si nous étions arrêtés et emprisonnés, nous ne pourrions pas rentrer chez nous auprès de nos femmes et de nos enfants, mais nous comprenions ce que nous faisions. Et nous avons puisé notre force dans celle du Rabbi.

Souvent, les enfants qui étudiaient dans ces classes clandestines devaient le faire la nuit, car pendant la journée, les voisins pouvaient les voir, ou ils commençaient leurs études tôt le matin et rentraient tard dans la nuit. Un enseignant dans une telle classe m’a raconté qu’une fois, un petit garçon est venu chez lui à trois heures du matin. L’enfant a frappé à la porte. Le propriétaire de l’immeuble a ouvert et s’est étonné : « Que fais-tu ici ? » L’enfant a répondu qu’il s’était trompé, qu’il pensait qu’il était déjà six heures du matin. On a dit à l’enfant de rentrer chez lui et de revenir dans trois heures. C’était l’hiver, il faisait trop froid… et l’enfant est resté attendre dans la rue pendant trois heures avant de commencer les cours.

Parmi les enseignants, il y avait des Juifs ashkénazes, bukhariens et géorgiens. Il n’est pas encore temps de nommer ces personnes remarquables. L’essentiel, c’est que les étudiants se souviennent d’eux. Des centaines d’enfants juifs – ashkénazes et bukhariens – sont passés par le système éducatif de Habad à Samarkand. Dans de nombreux cas, les enfants qui étudiaient avec nous ont influencé leurs parents et ont commencé à vivre selon la Torah.

Mes propres enfants ont étudié dans une école talmudique clandestine. Ils ne sont pas allés à l’école publique. Il était très difficile de les cacher aux autorités éducatives, mais il n’y avait pas d’autre choix. Les enfants étudiaient et priaient à la maison. Nous n’allions même pas à la synagogue le jour de Kippour, car il y avait des yeux et des oreilles du KGB. Je n’ai pas visité la synagogue pendant une vingtaine d’années. Ce n’est qu’à la veille de notre départ pour Israël que j’ai osé montrer la synagogue à mes fils. J’ai attendu le moment où le Chamach de la shul sortirait, et j’ai rapidement montré la shul à mes fils : « Voici la Bimah. On y pose les rouleaux de la Torah. C’est l’Arche Sainte. Ici se tient le Hazan. » Un enfant de treize ans qui savait déjà prier, avait étudié le Talmud et la Tanya, regardait tout cela avec des yeux écarquillés : « Voilà à quoi ressemble une synagogue ! »

Lorsque nous sommes revenus de la synagogue, nous avons marché ensemble dans la rue. C’était aussi la première fois de ma vie. Comme d’habitude, si nous allions quelque part, par exemple au bain public, les enfants sortaient d’abord de la maison et j’arrivais plus tard. Nous avons essayé de ne pas être vus ensemble dans la rue. Nous avions des amis qui me connaissaient ainsi que les enfants, mais ils ne savaient pas qu’ils étaient les miens.

Nous avons pris toutes ces précautions parce que j’étais l’un des dirigeants de l’organisation « Hama », que nous avons fondée au milieu des années 50. L’objectif de l’organisation était unique : renforcer la vie juive en Russie. Nous nous occupions de l’éducation. Nous soutenions les yeshivot et les chederim. Nous construisions des mikvé. Nous apportions une aide aux familles juives dans le besoin. Pour ceux qui vivaient dans des villes sans communautés juives fortes, nous avons aidé à déménager à Samarkand. Et ce n’est qu’une partie de nos activités. Nous avons fait tout notre possible pour que les Juifs vivent autant que possible selon la Torah.

Les soucis constants ont affecté ma santé. J’ai commencé à avoir des douleurs cardiaques, ce qui m’a poussé à décider de quitter la Russie et de monter en Israël.

En 1971, nous avons reçu la permission de partir – après six ans de refus. Alors que nous étions encore en Russie, nous savions que selon les instructions du Rabbi de Loubavitch, un quartier Habad était construit dans la ville de Kiryat Malachi, spécialement pour les Juifs « russes ». Et lorsque nous avons emballé nos affaires, nous avons écrit sur les caisses « Kiryat Malachi ».

Et voilà, nous sommes en 1988 et cela fait déjà dix-sept ans que je vis à Kiryat Mala’hi. Je m’occupe des mêmes choses que je faisais en Russie – je continue de travailler pour l’organisation « Hama ». Oui, notre organisation a déménagé en Israël et s’occupe ici de rapprocher les Juifs arrivés de l’Union soviétique de la Torah. Nous avons décidé de poursuivre nos activités en Israël, car les parents des enfants qui avaient étudié avec nous en Russie ont commencé à venir nous voir avec des demandes de continuer à s’occuper de leurs enfants ici. En plus des cours pour enfants, nous avons commencé à donner des conférences pour adultes. Pendant un certain temps, nous avons eu des programmes de radio sur la radio israélienne et avons publié des articles sur la parasha hebdomadaire dans le journal « Nesha Svetlana ». Il y a quelques années, nous avons commencé à publier le magazine « Alef ». Nous avons des émissions de radio aux États-Unis, sur la station de radio « Horizont ». Ce que nous avons fait en Russie porte déjà ses fruits. Maintenant à Moscou, à Leningrad et dans d’autres villes de l’Union soviétique, les jeunes reviennent en masse à la Torah, et on peut dire que ce sont les fruits des graines qui ont été semées en leur temps par les Hassidim de Habad.

Je suis convaincu que le mouvement du retour au judaïsme continuera de croître à l’avenir, et que les Juifs russes qui reviennent à la foi seront un exemple pour les Juifs du monde entier.

Reb Moché Niselevitch a quitté ce monde le 14 Adar I 2011 et a été enterré au Mont des Oliviers.

Son épouse, Mme Mara, est décédée le 1er Chevat 2021 et a été enterrée au Mont des Oliviers.

Ses enfants sont :

  1. Rav Eliezer Niselevitch – Émissaire du Rabbi et directeur des institutions Schneor à Aubervilliers, France. A quitté ce monde le le 8 Sivan 5782 et a été enterré au Mont des Oliviers.
  2. Rav Haim Niselevitch – Émissaire du Rabbi à Armon Hanatziv, Jérusalem.
  3. Rav David Niselevitch – Émissaire dans le quartier Har Yona de Nazareth Illit.
  4. Rav Shalom Dovber Niselevitch – Instructeur de la communauté Habad à Safed.
  5. Rav Yossef Yitshak Niselevitch – Directeur de l’organisation Hama, à Na’halat Har Habad.