En sueur, ils attendaient une voiture qui voudrait bien les prendre en stop, sur cette route de Samarie. C’était un brûlant mercredi d’été, il y a une dizaine d’années et personne ne daignait s’arrêter quand soudain, une vieille voiture avançant lentement freina à leur hauteur. Bernstein et son ami s’engouffrèrent dans le véhicule, soulagés d’apprendre que leur bienfaiteur se dirigeait vers Tel Aviv mais acceptait volontiers de les déposer non loin de là, à Bné Brak : « Pourquoi pas ? Cela me donnera l’occasion de prier Min’ha ! ». Et le conducteur se mit à leur raconter une autre occasion où il s’était rendu dans cette ville :

« Je me suis marié à 24 ans, ma femme avait alors 17 ans. Nous habitions à Ashdod et, au bout de quelques mois, nous avons décidé d’acheter un logement à Jérusalem. Nous avons fixé un rendez-vous avec le propriétaire pour finaliser la vente avec un premier paiement.

J’avais travaillé avant mon mariage et je possédais environ 17 500 dollars d’économies que je mettais dans le sac de mon épouse. Nous sommes partis en bus vers la capitale. Le rendez-vous était fixé à 16h30 mais il n’était que 13 heures quand nous sommes arrivés. J’ai proposé à ma femme de faire des courses avec sa tante qui habitait non loin de là puis de nous retrouver à 16 heures. A tout hasard, je pris 500 dollars, pensant sans doute acheter un costume neuf si l’occasion se présentait.

A 16 heures, j’attendis ma femme mais le temps passait et elle n’arrivait pas. 16 heures 30, 17 heures… A cette époque, il n’existait pas de téléphones portables.

Ce n’est qu’à 17 heures 30 que j’aperçus ma femme et sa tante qui approchaient. Ma femme avait l’air bouleversée et de fait, elle n’osait même pas s’approcher et je la vis éclater en sanglots. C’est la tante qui m’expliqua : « Ne vous énervez pas, ne vous mettez pas en colère… Je ne sais pas ce qui s’est passé, ne criez pas je vous en prie mais… l’argent a disparu !

Comme je vous l’ai expliqué, elle était très jeune et elle ne cessait de pleurer. La tante balbutia qu’elle tenterait de trouver un peu d’argent mais je lui ai tout de suite signifié qu’il n’en était pas question.

Je leur ai proposé d’entrer dans une pizzéria, de nous restaurer et de nous calmer. Et ma femme ne cessait de pleurer : j’ignorais qu’un être humain puisse être capable de pleurer autant ! Je la suppliais d’arrêter de verser ces larmes pour un élément aussi vil que l’argent : « Considérons qu’ainsi nos péchés seront pardonnés, espérons que cet argent profitera à des gens bien intentionnés, des gens dans le besoin qui sauront en faire bon usage ! ».

Ma femme était stupéfaite de ma réaction ou plutôt de mon manque de réaction et elle cessa de pleurer.

Sa tante proposa encore une fois de réunir un peu d’argent à droite à gauche mais je lui fis comprendre une fois pour toutes que, si elle ne voulait pas qu’on divorce à cause de ce qui s’était passé, elle devait s’engager à ne rien raconter de tout cela ni au grand-père, ni à l’oncle car j’étais conscient que cette affaire pourrait provoquer des problèmes dans la famille si quelqu’un s’avisait de blâmer ma jeune épouse pour son manque de responsabilité.

J’ai acheté une bouteille de vin – après tout, j’avais 500 dollars en poche et je pouvais me le permettre. Je souhaitais « Le’haïm », « A la vie », devant ma femme et sa tante et elles se sont calmées. Nous sommes retournés à Ashdod, l’acquisition d’un appartement à Jérusalem n’était plus envisageable.

Deux semaines plus tard, alors que je circulais rue Sokolov à Bné Brak, j’aperçus un vieux Juif portant deux lourds sacs de courses. Je me suis arrêté et ai pris les sacs de ses mains :

– Grand-père, pourquoi portez-vous ces sacs ? Où sont vos enfants ?
-L’un est à Los Angeles soupira-t-il et l’autre habite ailleurs. Je suis seul. Cela fait longtemps que je veux aller dans une maison de retraite mais je n’arrive pas à vendre ma maison !

J’ai demandé à voir sa maison, je l’ai inspectée et me suis proposé comme intermédiaire. Il en fut très content :
– Si vous la vendez pour 100 000 dollars, je vous donne 5 000 dollars de commission !
– Peu importe ! A quel prix acceptez-vous de vendre ?
– 100 000.

Avec mon frère, j’ai procédé à la rénovation de l’appartement : peinture, électricité, plomberie… Puis j’ai accroché une pancarte, demandant 140 000 dollars. Un avocat s’intéressa à l’affaire qui fut conclue très rapidement.

Alors, à votre avis, combien j’ai gagné ? demanda le chauffeur à Bernstein. Et il répondit sans attendre sa réponse : en déduisant les frais de rénovation, j’ai gagné 34 000 dollars ! Exactement le double de ce que j’avais perdu !

Donc vous voyez qu’il ne sert à rien de s’énerver et d’en vouloir aux autres. Le Bon D.ieu s’occupe de chacun d’entre nous et veille à ce que, finalement, tout s’arrange pour le mieux ! ».

M. Bernstein – Maaynoté’ha – Si’hat haChavoua 1816
Loubavitch.fr / Traduit par Feiga Lubecki