Le séjour du Rabbi et de la Rabbanit à Nice avait pour but de fuir les Nazis comme ce fut d’ailleurs le cas pour de nombreux autres Juifs qui s’étaient réfugiés à Nice. Nombre d’entre eux ont eux aussi réussi à émigrer vers les États-Unis. Mais ce séjour à Nice a également permis de préparer la réussite extraordinaire des futurs Chlou’him et Chlou’hot, comme chacun peut le constater. Le Rabbi avait d’ailleurs déclaré lors de la première Ye’hidout en lien avec la nouvelle Chli’hout à Nice : « Ce sera là-bas une réussite extraordinaire dont on parlera en termes élogieux ».

Kovets Nissa – Le Rabbi et la Rabbanit à Nice
Menahem Av 5700 – Sivan 5701

Sous le joug nazi Paris – Vichy

Après leur mariage à Varsovie (Pologne) en 1928, le Rabbi et la Rabbanit s’étaient installés à Berlin (Allemagne) où le Rabbi poursuivait des études. Avec l’arrivée des Nazis au pouvoir en 1933, ils décidèrent de quitter Berlin et s’installèrent à Paris où le Rabbi fut admis à l’université de la Sorbonne. Ils habitèrent dans le Quartier latin.

Après avoir conquis la Pologne en septembre 1939, les Nazis tournèrent leurs armées vers la France au printemps 1940. Alarmé, le gouvernement français procéda à la conscription immédiate de tous les hommes valides qui durent s’inscrire sur les registres. Encore à Paris, le Rabbi s’inscrivit également et reçut un certificat attestant qu’il était prêt à répondre à l’appel dès que ce serait nécessaire. Bien qu’il ne fût jamais appelé à servir dans l’armée, ce certificat se révéla précieux : en effet, il fut souvent arrêté dans la rue. On lui demandait de décliner son identité et de prouver qu’il n’était pas un déserteur et ce papier prenait alors toute son importance.

Quand les Allemands conquirent Paris, ils procédèrent immédiatement à un recensement de tous les habitants, exigeant de connaitre leurs races et religions.

Quand les recenseurs arrivèrent devant l’appartement du Rabbi, il n’était pas présent. Quand les Allemands demandèrent quelle était leurs religion, la Rabanit répondit : « orthodoxe ». Ce n’était pas un mensonge parce que cela pouvait être interprété comme « Juif orthodoxe ». Cependant, il était évident qu’on avait voulu jouer sur les mots et impliquer qu’il était « russe orthodoxe » donc chrétien, ‘Hass Vechalom. Quand le Rabbi revint et qu’on lui raconta l’incident, il se rendit immédiatement au bureau du recensement et demanda qu’on procède à la correction et qu’on inscrive « juif orthodoxe », ce qui équivalait à se jeter dans la fosse aux lions ! Mais il était hors de question pour le Rabbi de laisser subsister le moindre doute sur sa croyance dans le D.ieu d’Israël !

Réfugiés

Après avoir décliné l’offre d’un de leurs voisins (un général français), à rester près de Paris « jusqu’à ce que le danger soit écarté », le Rabbi et la Rabbanit choisirent de quitter Paris – comme d’ailleurs d’autres Rabbanim importants. Avant de partir, le Rabbi s’adressa encore une fois à ceux qui restaient sur place, les encourageant à garder foi en D.ieu : cette dernière rencontre réconforta la communauté et stimula les fidèles dans leur confiance en D.ieu tout au long de la guerre.

Le Rabbi et la Rabbanit réussirent à monter dans un des derniers trains à quitter la capitale. Dans une valise, le Rabbi conservait son Talit, ses Tefilines, ses cahiers de notes (les « Rechimot ») ; dans l’autre, il y avait ses livres et leurs affaires personnelles. Ils avaient compris le danger posé par les Nazis et se dirigèrent vers le sud, vers la zone libre ; ils arrivèrent quelques minutes avant la fête de Chavouot à la gare de Vichy – comme la Rabbanit le raconta elle-même par la suite (en 1983) au bibliothécaire Rav Chalom Dov Ber Lévine qui préparait l’édition des Igrot Kodech. Le Rabbi héla un fiacre, la Rabbanit y prit place avec les valises, le Rabbi donna l’adresse de l’hôtel mais s’y rendit à pied.

A cette époque, le gouvernement français – sous la conduite du Maréchal Pétain – siégeait à Vichy. De fait, il s’agissait d’un gouvernement fantoche qui se soumettait avec complaisance à tous les ordres des Nazis. Le Général de Gaulle avait, quant à lui, constitué un gouvernement de la France Libre à Londres.

Le Rabbi et la Rabbanit ne restèrent à Vichy que quelques mois. Ce n’est que le 9 Tamouz 1940 que le Rabbi précédent apprit enfin où ils se trouvaient. A Vichy, il y avait un seul petit restaurant cachère tenu par un Juif du nom de Miller : le Rabbi et la Rabbanit y mangèrent plusieurs fois. Ils restèrent à Vichy jusqu’à la fin de l’été 1940, à l’hôtel Château d’Eau, au 7 rue du Maréchal Foch, face à la synagogue.

Reb David Bazbrokda qui habitait lui aussi à Vichy à cette époque, raconte qu’on demanda plusieurs fois au Rabbi de donner un discours dans la synagogue. De même, Reb Yossef fils d’Aharone Guerchone Sangolowsky raconte que son père rentra une fois du petit oratoire érigé par Reb Zalman Schneerson à Vichy et exprima son admiration du discours prononcé par « le gendre du Rabbi de Loubavitch ». La mère de ce Reb Yossef se rendait à la campagne, dans le village de Cusset avec la Rabbanit et toutes deux surveillaient la traite du lait que consommaient le Rabbi et la Rabbanit.

 L’installation à Nice

Ensuite le Rabbi et la Rabbanit continuèrent vers Nice où ils arrivèrent le lundi 25 Mena’hem Av 5700 – 29 août 1940. Cette ville du sud, proche de l’Italie, était plus sûre car sous domination italienne. Bien qu’alliés des Allemands, les Italiens n’avaient pas mis en place une politique trop agressive vis-à- vis des Juifs. Certains purent ainsi vivre plus ou moins en sécurité.

Le Rabbi et la Rabbanit passèrent les fêtes de Tichri, de Pessa’h et de Chavouot à Nice puisqu’ils restèrent à Nice presque neuf mois, dans une petite chambre du 3ème étage, à l’hôtel Rochambeau, près de la gare. Il semble que le propriétaire était un Juif d’Algérie. Il était au courant de tout ce qui se passait et en informait le Rabbi avec qui il parlait de temps en temps. Le Rabbi priait dans la synagogue de Rav Ye’hiel Gertner, au 2ème étage de l’hôtel ; il se tenait à l’arrière et restait debout pendant toute la lecture de la Torah.

Par crainte du danger, il ne sortait que très peu. Le fils de Rav Guertner raconte que, dans la chambre du Rabbi, il y avait beaucoup de livres sacrés et le Rabbi discutait longuement avec son père de paroles de Torah. Avec la Rabbanit, il put vivre là-bas dans une relative stabilité et intensifier leurs efforts pour parvenir aux États-Unis

Plusieurs fois, le Rabbi pria aussi dans la synagogue « Ezrat A’him » rue Dubouchage. Selon certains, il semble que le Rabbi ne voulait pas prier à l’intérieur même de cette synagogue car la Bimah n’y était pas placée au centre comme le veut la tradition.

Dans de nombreux cas, la conduite du Rabbi frôlait le danger tant il désirait agir « au-delà de la lettre de la loi juive » en prenant des risques que la Hala’ha (la loi stricte) n’exige pas. Par exemple, en Tichri 1940, le Rabbi se renseigna quant à la possibilité d’obtenir un Etrog Mehoudar à Nice. Malgré tous ses efforts, il comprit qu’il n’y en avait pas. Il entra alors dans une discussion animée avec le Rav Rubinstein pour déterminer si, du point de vue de la Hala’ha, on a le droit de prendre des risques, de risquer même sa vie pour accomplir une Mitsva positive. Il est évident qu’il n’y a aucune obligation de se mettre en danger. La question était plutôt de savoir si on avait le droit de prendre le risque ou non.

Peu après, Rav Rubinstein comprit que, pour le Rabbi, ceci n’avait pas été une question abstraite. Le Rabbi disparut quelques jours de la ville puis réapparut, le sourire aux lèvres, avec deux Etrogim, l’un pour lui-même et l’autre pour le Rav avec qui il avait discuté. De fait, le Rabbi s’était rendu dans des villages situés près de la zone des combats en Italie, avait entrepris un long et périlleux voyage jusqu’au sud de l’Italie, en Calabre et là, avait trouvé ces Etrogim !

Dans une si’ha prononcée le 20 Mena’hem Av 5719, le Rabbi déclara : « Il existe des personnes sortant de l’ordinaire à qui il est demandé un dévouement spécial, même pour des Mitsvot « faciles
» comme il est raconté à propos de certains ‘Hassidim qui se mirent en danger pour obtenir le Loulav et l’Etrog etc. ».D’ailleurs Rav Rubinstein raconta (à Rav Moché Nissan Azimov) que, pendant son séjour à Nice, le Rabbi se rendait à la synagogue avant la prière de Min’ha et passait devant chez lui ils discutaient de ce qu’ils étudiaient en Torah puis se rendaient ensemble à la synagogue.

De même pour le Séder de Pessa’h, le Rabbi ne voulait pas utiliser de pommes de terre comme karpas (légume à tremper dans le sel), mais exclusivement de l’oignon, comme c’est la coutume chez Habad.  Or à cette époque il était impossible d’en trouver à Nice. C’est ainsi que le Rabbi, bravant encore tous les dangers, voyagea en téléphérique dans les hautes montagnes des Alpes, pour se procurer des oignons !. La Rabbanit s’exprima alors « Ich hob nit gevast tsi ich vel noch omol zen mein man » [= Je ne savais pas si je reverrais encore mon mari !].