Par Rav Nahum Grinwald
Une image du hassidisme et de la Kabbale
Sur la relation entre la Hassidout et la Kabbale et si l’on peut dire que la Kabbale explique la Hassidout. Par Rabbi Nahum Grinwald, édité par Rabbi Shneur Zalman Ruderman.
Beaucoup a déjà été écrit pour tenter de définir l’essence de la doctrine hassidique, et pourtant ce sujet n’a pas encore été épuisé dans tous ses aspects et nuances. La difficulté à épuiser le sujet provient à la fois de son ampleur quantitative vaste et complexe, et surtout de sa nature subtile et abstraite. On peut comparer dans une large mesure la difficulté à définir l’essence du hassidisme, qui a revitalisé des concepts fondamentaux du judaïsme et insufflé une vitalité renouvelée dans les cœurs ainsi que dans l’étude de la Torah et l’accomplissement de ses commandements, à la difficulté de définir le concept de ‘vie’ en général.
Une autre raison de la difficulté à définir de manière complète et globale l’essence du hassidisme est que la Hassidout n’est pas venu au monde comme une doctrine élaborée et détaillée qui aurait été formulée avant sa révélation et sa mise en pratique, mais qu’il est apparu comme un mouvement de vie bouillonnant et actif, dont les idées se dévoilent et se clarifient au fur et à mesure de son avancée.
Nous non plus, dans notre article présent, ne prétendons pas faire ce qui n’a pas été fait jusqu’à ce jour et ce qui semble impossible à faire. Dans cet article, nous délimitons notre tentative de clarifier des points concernant l’essence du hassidisme à un seul sujet – la relation et le lien entre la Hassidout et la Kabbale.
À première vue, il semble que la Hassidout s’appuie sur la Kabbale. la Hassidout cite abondamment la Kabbale, explique des concepts de la Torah cachée et s’en sert même pour fonder certaines de ses idées.
À la lumière de cela, on peut se demander si la Hassidout est une ‘continuation’ de la Kabbale et n’est en fait qu’un autre maillon dans la chaîne de la Kabbale depuis le Zohar et les kabbalistes d’Espagne et la Kabbale du Ramak, jusqu’à la Kabbale de l’Ari et de ses disciples ? la Hassidout n’est-il finalement que le ‘commentateur’ de la science kabbalistique sans aucune innovation propre ? Et peut-être que le rôle du hassidisme est uniquement de ‘traduire’ le langage élevé et abstrait de la Kabbale en concepts et instructions dans le service divin ?
Ces affirmations sont-elles vraies ? Seulement certaines le sont-elles ? Ou peut-être qu’aucune ne définit correctement l’essence du hassidisme dans ce contexte ?
Nous devons donc revenir au point de départ et clarifier de manière fondamentale la nature du système de relations et d’influences réciproques entre la Hassidout et sa doctrine d’une part, et la science kabbalistique d’autre part.
Précisons d’emblée qu’on ne trouvera pas les réponses à ces questions de manière explicite dans les sources anciennes du hassidisme, car comme on le sait, la Hassidout ne définit pas directement son but et son objectif. Sur ce point, la Hassidout ne dit pas les choses de façon tranchée et claire en présentant l’ancien face au nouveau, ce qui était face à ce qui s’est ajouté. Nous trouverons les solutions à ces questions entre les lignes, dans les combinaisons de mots, dans les points de jonction entre l’ancien et le nouveau et dans les polémiques qui ont eu lieu aux débuts du hassidisme. À partir d’eux, nous pourrons apprendre sur le développement de la voie et de la doctrine hassidiques et obtenir quelques indices pour répondre aux questions qui nous occupent.
Un de ces passages se trouve dans une lettre de Rabbi Schneur Zalman de Liadi, auteur du Tanya (Iggeret HaKodesh du Tanya, chap. 25, à la fin de l’explication sur « Imrei Binah » dans le testament du Rivash), qui a été écrite comme une lettre d’explication à la communauté de Vilna, l’un des foyers les plus ardents de la controverse des opposants (mitnagdim) contre les hassidim :
« Et que l’auditeur ne me soupçonne pas de penser que j’ai compris les paroles de l’Ari pour les dépouiller de leur matérialité, car je ne suis venu que pour expliquer les paroles du Baal Shem Tov et de ses disciples selon la Kabbale de l’Ari, d’autant plus que ce sujet ne relève pas de la science de la Kabbale et des mystères de D.ieu, mais des choses révélées à nous et à nos enfants pour croire d’une foi complète dans le verset explicite qui dit : « Ne remplis-Je pas les cieux et la terre ? dit l’Éternel », que nul verset ne doit être pris en dehors de son sens littéral, et c’est aussi une foi simple parmi le peuple d’Israël en général et transmise par leurs saints ancêtres qui marchaient avec intégrité devant D.ieu sans sonder par l’intellect humain la question de la Divinité, qui est infiniment au-delà de l’intellect, pour savoir comment Il remplit toute la terre ; c’est seulement récemment que certains sont venus sonder cette question, et on ne peut la rapprocher de leur intelligence qu’à l’aide de prémisses tirées des écrits de l’Ari, dépouillées de leur matérialité comme je l’ai entendu de mes maîtres. »
Qui explique qui ?
Ce court passage, bien qu’il ne vienne qu’en conclusion et en annexe d’une explication profonde et complexe sur l’enseignement célèbre du Baal Shem Tov concernant « Il n’y a rien d’autre que Lui », renferme en son sein des contenus profonds et fondamentaux touchant à l’essence de la doctrine hassidique et son approche. En examinant minutieusement ce passage et en analysant chaque phrase et expression, on peut y trouver une sorte de document rare et préliminaire de Rabbi Schneur Zalman sur la singularité du hassidisme, sur sa relation à la Kabbale, sur le point de vue des opposants au hassidisme et sur des principes de base du judaïsme, comme nous l’expliquerons ci-après.
Sur la base de ce passage et à l’aide d’autres passages similaires, ainsi que de quelques brèves déclarations dispersées dans les écrits et discours de Rabbi Schneur Zalman que nous citerons plus loin, il est possible de composer une image partielle, du moins, qui nous aidera à obtenir des réponses sur le sujet traité dans notre article.
Tout d’abord, il faut noter que dans la citation ci-dessus (d’Iggeret HaKodesh chap. 25), nous trouvons apparemment une source explicite à une assertion plutôt étonnante de Rabbi Shalom Dov Ber Schneersohn de Loubavitch concernant l’essence du hassidisme. Voici ce qu’a dit Rabbi Shalom Dov Ber: « Le monde pense que la Hassidout est un commentaire de la Kabbale. Mais ils se trompent, et la Kabbale est un commentaire du hassidisme ».
Et apparemment, ce sont aussi les propos de Rabbi Schneur Zalman, l’auteur du Tanya, explicitement : « Car je ne suis venu que pour expliquer les paroles du Baal Shem Tov et de ses disciples selon la Kabbale de l’Ari ». Il s’avère donc que ce n’est pas la Hassidout qui vient expliquer la Kabbale, mais au contraire, les enseignements hassidiques sont expliqués et élucidés selon la Kabbale. Ces propos sont très étonnants, comme nous l’avons dit, et avec l’aide de Dieu ils seront expliqués dans la suite de notre exposé.
Laissons pour l’instant ce ‘midrash merveilleux’ dans les paroles de Rabbi Shalom Dov Ber (et qui semblent même trouver un appui dans les paroles de Rabbi Schneur Zalman citées) et revenons à notre analyse fondamentale – le système de relations entre la Hassidout et la Kabbale.
Eh bien, d’un autre côté, il semble clair que la Hassidout (et cela est encore plus marqué dans la doctrine de Rabbi Schneur Zalman) se considérait comme le grand commentateur de la Kabbale de l’Ari, en particulier dans le domaine de l »abstraction’ – « pour les dépouiller de leur matérialité ».
Rabbi Schneur Zalman a reçu cela de ses maîtres, comme le suggère la fin de ce passage : « Et on ne peut la rapprocher de leur intelligence qu’à l’aide de prémisses tirées des écrits de l’Ari, dépouillées de leur matérialité comme je l’ai entendu de mes maîtres. » C’est-à-dire que la façon et la méthode pour dépouiller les choses de leur matérialité, Rabbi Schneur Zalman les a reçues de ses maîtres (« comme je l’ai entendu de mes maîtres »), les pères du hassidisme.
C’est ainsi également, semble-t-il, qu’écrit Rabbi Schneur Zalman ailleurs (Iggeret HaKodesh, chap. 15), que l’abstraction des sefirot lui a été transmise : « Il est notoire que l’explication des paraboles et allégories dans les paroles des Sages et leurs énigmes concernant les sefirot, je l’ai reçue des bouches des saints d’en-haut. »
[Cette précision donne aussi une explication et une logique à la ‘justification’ de Rabbi Schneur Zalman lorsqu’il écrit « Et que l’auditeur ne me soupçonne pas de penser que j’ai compris les paroles de l’Ari pour les dépouiller de leur matérialité, car je ne suis venu que pour expliquer les paroles du Baal Shem Tov et de ses disciples. » En effet, à première vue, quelle réponse donne-t-il à la critique à son encontre ; en quoi le fait d’abstraire les paroles de l’Ari dans le but « d’expliquer les paroles du Baal Shem Tov et de ses disciples » permet-il de repousser le ‘soupçon’ selon lequel « je pense avoir compris les paroles de l’Ari pour les dépouiller de leur matérialité » ?!Mais à la lumière de ce qui précède, il semble que l’essentiel de l’accent de Rabbi Schneur Zalman se trouve à la fin de ses propos, à savoir que la voie et la méthode pour abstraire de la matérialité les écrits de l’Ari, il les a reçues de ses maîtres (« comme je l’ai entendu de mes maîtres »), et c’est donc en quelque sorte « ce n’est pas contre moi que vous vous plaignez »].
Le fait mentionné, que la Hassidout Habad voyait (parmi ses rôles) la nécessité de mettre en garde contre la matérialisation des paroles de l’Ari, n’est pas nouveau. On en trouve un exemple dans le Likoutei Torah (Suppléments à Vayikra, sur le verset « pour comprendre ce qui est écrit dans Otzrot Haïm ») : « Et c’est pour cette raison que le saint de D.ieu, le Baal Shem Tov, a dit qu’en étudiant les livres de Kabbale, il faut veiller à ne pas se représenter les choses de façon littérale, que les dix sefirot sont appelées D-i-e-u ou divinité etc. et aussi à ne pas être attiré par les appellations matérielles qui y sont mentionnées. »
Un autre exemple, dans les discours de Rabbi Schneur Zalman (Inyanim, p. 318) : « Et le Baal Shem Tov se plaignait de ceux qui étudient la Kabbale sans savoir en abstraire la matérialité. »
De même, Rabbi Menahem Mendel Schneersohn, le Tsemah Tsedek, écrit dans son livre Derekh Mitsvotekha (‘Racine du commandement de la prière’, p. 230) : « Et c’est pour cette raison que le Baal Shem Tov a ordonné de ne pas étudier les livres de Kabbale, car celui qui ne sait pas en abstraire la matérialité se matérialise beaucoup par cette étude lorsqu’il se représente la Divinité selon des attributs particuliers dans sa pauvreté d’esprit » (et voir là-bas encore, qu’il écrit : « L’intention n’est pas le corps de la sefira lui-même comme certains kabbalistes l’ont imaginé, et c’est une conception très matérialiste »).
En vérité, ces choses sont de notoriété publique. Les discours de Rabbi Schneur Zalman et même le livre du Tanya lui-même sont remplis de ce point – éloigner toute matérialisation, à D.ieu ne plaise, des concepts et idées de la Kabbale. Comme l’écrit Rabbi Schneur Zalman dans le Tanya chapitre 48 : « Et le sens n’est pas entourer et environner d’en-haut dans une notion d’espace, à D.ieu ne plaise, car la notion d’espace ne s’applique pas du tout au spirituel, mais cela signifie entourer et environner d’en-haut dans le sens d’une révélation d’influence. »
Les citations ci-dessus prouvent clairement que la Hassidout s’occupe effectivement d’expliquer correctement des concepts de la Kabbale ainsi que de nier leur matérialisation. Cette conclusion semble en totale contradiction avec les propos de Rabbi Shalom Dov Ber selon lesquels « Le monde pense que la Hassidout est un commentaire de la Kabbale ; mais ils se trompent, et la Kabbale est un commentaire du hassidisme » (ainsi qu’avec les propos de Rabbi Schneur Zalman ci-dessus : « pour expliquer les paroles du Baal Shem Tov et de ses disciples selon la Kabbale de l’Ari »).
Comment donc concilier ces propos les uns avec les autres et comment est-il possible que la Hassidout explique la Kabbale et en même temps soit expliqué par elle ?
Un changement de contenu ou seulement de style ?
Avant de chercher à élucider ces choses en profondeur, nous devons prendre connaissance de quelques autres citations traitant de l’essence de la Kabbale et de son lien avec la doctrine hassidique :
Dans les Lettres de Rabbi Schneur Zalman (chap. 34, p. 86), il écrit au sujet du ‘Likoutei Amarim’ du Maguid de Mézeritch : « Le livre Likoutei Amarim et ses semblables dont le fondement est dans les montagnes saintes des saints de l’Ari », c’est-à-dire que la Hassidout du Maguid est enraciné dans les enseignements de l’Ari.
Qui plus est, nous trouvons que Rabbi Schneur Zalman compare carrément les paroles du Baal Shem Tov à celles de l’Ari, et selon lui leur contenu est identique et seul leur style diffère :
Dans les discours de Rabbi Schneur Zalman (Inyanim, p. 328), il est écrit : « Il y a encore une autre appellation pour la lumière infinie mentionnée que l’Ari a appelée le nom de Malkhout de l’Infini béni soit-Il… Et c’est pourquoi l’Ari a appelé l’éclat de la lumière infinie bénie soit-Il le début de la ligne du nom de Malkhout de l’Infini béni soit-Il qui est Son grand Nom béni et tout est un, c’est évident. Et le Baal Shem Tov l’a appelé par la parabole des lettres selon le rapport de l’annulation de l’Infini béni soit-Il qui fait exister les mondes d’Atsilout, Beria, Yetsira, Assiya par rapport à l’essence de la Lumière émanante bénie soit-Elle en Elle-même. » (Cette parabole du Baal Shem Tov est celle rapportée par Rabbi Schneur Zalman dans le Tanya chapitre 20).
Et ailleurs dans les discours de Rabbi Schneur Zalman (année 5563 vol. 1 p. 310) : « Voici que le Baal Shem Tov a revêtu tout cela d’une parabole (dans laquelle est revêtue l’allégorie profonde des secrets de la Torah que Rabbi Haïm Vital explique dans tout le livre Ets Haïm en une parabole), à savoir la parabole de l’échelle en colimaçon (qu’on appelle shvindl treppe). »
Et encore dans les discours de Rabbi Schneur Zalman (165, p. 214) : « Mais en vérité, selon la Kabbale de l’Ari (et du Baal Shem Tov et du Maguid de Mézeritch), ce qu’écrit le Ramak que l’enchaînement de cause à effet concerne les vases, selon la Kabbale de l’Ari etc. c’est très en bas, plus bas que les vases, seulement dans la notion des palais, là se trouve la notion d’enchaînement de cause à effet. »
Il s’avère donc, comme nous l’avons dit, que selon Rabbi Schneur Zalman, souvent le Baal Shem Tov et l’Ari expriment la même idée, seulement le Baal Shem Tov, à sa manière (dans ses merveilleuses paraboles et son style unique), exprime la profondeur de l’intention de l’Ari.
Dans ce contexte, il est très intéressant de mentionner et de souligner que dans les propos de critique acerbe du saint Rabbi Avraham de Kalisk (propos qui expriment l’approche hassidique générale de l’époque, qui n’allait pas dans le même sens que la méthode Habad) envers Rabbi Schneur Zalman, il dit : « Et pour ma part, je n’ai pas trouvé satisfaction dans le fait que Rabbi Schneur Zalman fasse entrer le soleil dans son fourreau, c’est-à-dire qu’il revête les paroles du saint Rabbi de Mézeritch, qui sont les paroles du saint Baal Shem Tov, dans les paroles du saint Ari, car bien que tout aille au même endroit, le langage de la Torah est à part et le langage des Sages est à part. » C’est-à-dire que selon Rabbi Avraham de Kalisk, toute tentative de comparer les paroles de l’Ari à celles du Baal Shem Tov et du Maguid de Mézeritch (et donc de tous les continuateurs de leur voie dans la Hassidout) est une innovation ‘habadique’ et ne provient pas de l’école du Maguid.
À première vue, les propos de Rabbi Avraham de Kalisk sont très étonnants, car quiconque ouvre les livres du Maguid et les livres de Rabbi Menahem Mendel de Vitebsk ainsi que les livres des autres pères du hassidisme, y trouvera facilement un usage abondant des paroles de l’Ari intégrées naturellement dans leurs propos ?!
Une continuation de la Kabbale ?
Pour renforcer encore les choses :
Celui qui étudie la doctrine hassidique Habad peut en effet avoir l’impression que son sujet principal est d’expliquer des concepts et idées de la Kabbale. Car la doctrine Habad est parsemée de concepts de l’Ari comme le ‘tsimtsoum’, ‘Adam Kadmon’, ‘Akoudim’, ‘Nekoudim’, ‘Atik’, ‘Arik’, ‘Partsa’, ‘Atsilout’, ‘sefirot’, ‘lumières’, ‘vases’, ‘Tohu’ et ‘Tikoun’.
Il est vrai que la doctrine Habad est aussi remplie d »instructions’ dans le service divin et de conclusions concernant la mise en pratique, découlant de tous ces sujets kabbalistiques, mais on pourrait encore avoir l’impression que son but central est d’expliquer la Kabbale.
Pour clarifier : la Hassidout utilise abondamment l’idée basée sur le verset « De ma chair je contemple Dieu ». Selon cette idée – qui apparaît déjà dans les écrits de l’Ari – la structure du corps humain et la structure de son âme sont comme un reflet de l »ordre d’émanation’. C’est-à-dire que le corps et l’âme de l’homme sont une ‘parabole’ de la Divinité. On peut donc les contempler et à partir de cette contemplation atteindre des perceptions concernant les sefirot supérieures. Et on peut aussi, à l’inverse, déduire de ce qui est dit dans la Kabbale sur les sefirot supérieures des choses concernant l’homme.
Dans la doctrine hassidique Habad, on s’occupe principalement du premier aspect, c’est-à-dire apprendre de la structure (corps et âme) de l’homme sur les sefirot supérieures – « De ma chair je contemple Dieu ». Par exemple, lorsqu’on parle du sujet du ‘tsimtsoum’ dans la Kabbale de l’Ari, on peut l’apprendre à partir de ce qui se passe dans l’âme humaine. La parabole courante pour cela est celle de l’influence d’un maître à un disciple. Le maître ne peut pas transmettre ses idées profondes au disciple telles quelles, car le disciple n’est pas un ‘réceptacle’ pour cela. Il ‘contracte’ donc son intellect et seulement ensuite transmet un simple ‘reflet’ de ses idées profondes au disciple. Et de là nous apprenons sur le sujet du ‘tsimtsoum’ qui s’est produit dans le processus de création des mondes.
Dans la Hassidout général, on utilise aussi l’analogie entre les sefirot supérieures et l’homme, mais là cela se fait principalement dans le sens inverse (de haut en bas). Là le sujet du ‘tsimtsoum’, par exemple, constitue une directive dans le service de l’homme. À savoir : si tu veux te rapprocher de Dieu béni soit-Il, tu dois ‘contracter’ et annuler ta propre personne.
Il semblerait donc, apparemment, que tant selon la doctrine Habad que selon la doctrine du hassidisme général, la Hassidout est une ‘continuation’ de la Kabbale. Certes, il l’explique et rapproche ses concepts de l’homme, mais fondamentalement la Hassidout et la Kabbale ne font qu’un !
Mais si c’est vraiment le cas, nous devons nous demander : la doctrine hassidique n’est-elle qu’un ‘changement de formulation’ ? Se pourrait-il que toute la doctrine hassidique ne soit que différentes paraboles (« Voici que le Baal Shem Tov a revêtu tout cela d’une parabole ») des propos de l »Ets Haïm’ ?!
Interprète ou système à part entière ?
La conclusion qui se dégage de tous les exemples ci-dessus n’est pas du tout exacte. la Hassidout n’est pas un commentaire de la Kabbale. Il est vrai (comme nous le verrons plus loin) qu’à travers la Hassidout des questions difficiles de la Kabbale sont expliquées et clarifiées, mais ce n’est pas dans ce but (expliquer la Kabbale) que la Hassidout est venu au monde. la Hassidout n’est pas à la Kabbale ce que Rashi est à la Guemara, ce que le Maharsha est à Rashi et Tossefot et ce que le Kesef Mishné est au Rambam. Pour cela, il existe de nombreux commentateurs de la Kabbale de l’Ari, comme certains livres du Ramhal qui sont avant tout une explication et un commentaire de la Kabbale de l’Ari, ainsi que des livres plus anciens dont le ‘Shaar HaShamaïm’, ‘Vayakhel Moché’, ‘Shomer Emounim’, ‘Yosher Levav’ et ‘Shaarei Gan Eden’. De même, les livres des sages de Jérusalem et d’Espagne comme le ‘Hasdei David’ du Rashash et les livres des sages d’Espagne des dernières générations comme le ‘Shemen Sasson’. Ces livres sont destinés à expliquer les écrits de l’Ari ainsi que d’autres livres de Kabbale.
Qu’est-ce donc que la Hassidout ? Il est très difficile de répondre à cette question, comme nous l’avons déjà souligné au début de notre exposé. Dans ce contexte, mentionnons ici un fait fascinant : lorsqu’ils préparaient la publication de l’admirable livret ‘La nature de la doctrine hassidique’ (imprimé pour la première fois en supplément de l »Encyclopedia Habad’ vol. 1), ils pensaient d’abord l’intituler ‘L’essence de la doctrine hassidique’. Mais Rabbi Menachem Mendel Schneerson a ordonné de remplacer le mot ‘essence’ par ‘nature’. Apparemment, la raison en est qu’on ne peut pas expliquer l »essence’ du hassidisme dans un livret, aussi complet et profond soit-il… Et nous avons déjà écrit plus haut que la tentative de définir l’essence du hassidisme équivaut à tenter de définir l’essence de la vie. la Hassidout est un mouvement qui englobe toute la vie de l’homme et son service. Il est ‘essentiel’ et donc pénètre dans chaque point de la Torah, de ses mitsvot, de l’âme humaine et de son service.
Mais on peut parler de la ‘nature’ du hassidisme. Eh bien, la ‘nature’ du hassidisme tourne autour de deux axes centraux : a) enseigner qu' »il n’y a rien d’autre que Lui » au sens littéral, c’est-à-dire qu’il n’existe aucune réalité en dehors de Dieu, mais que la Divinité est tout et que tout est Divinité. b) que l’identité principale d’un juif est son âme et qu’elle est « réellement une partie de Dieu d’en haut ». Et ces deux fondements traversent comme un fil rouge, de manière explicite ou implicite, toute la doctrine hassidique, ses idées et ses directives dans le service divin.
la Hassidout a donc ses propres idées et elles ne découlent pas de la Kabbale. Et c’est sa nature – de présenter et d’expliquer ses propres idées. Pourquoi donc trouvons-nous dans la Hassidout une occupation très étendue de concepts de la Kabbale ?
Lorsque la Hassidout a besoin de concepts et d’idées de la Kabbale, ce n’est que pour s’en servir et à travers eux clarifier ses idées centrales (mentionnées). C’est-à-dire qu’à travers l’idée qu’il apporte de la Kabbale, il cherche à renforcer le fondement d' »il n’y a rien d’autre que Lui » ou le fondement que l’âme du juif est « réellement une partie de Dieu d’en haut ».
Et parfois la Hassidout apporte des concepts de la Kabbale pour expliquer comment ils ne contredisent pas ses idées ci-dessus. C’est-à-dire qu’il s’agit de concepts qui à première vue pourraient être interprétés comme une contradiction aux idées ci-dessus, et la Hassidout les apporte et les explique de manière à ne pas constituer une contradiction à ses idées.
En d’autres termes : la Hassidout a son propre message et ses propres idées et on peut ‘vivre’ avec elles et selon elles même sans approfondissement et occupation détaillée de concepts de la Kabbale. C’est ainsi qu’a procédé la Hassidout général depuis ses débuts. Il s’est en effet contenté d’idées courtes et abstraites qui enflammaient les cœurs pour le service divin, son amour et sa crainte.
En revanche, la doctrine hassidique Habad est d’avis qu’il faut ‘décomposer’ les idées élevées et profondes et les faire descendre plus bas, jusqu’à ce qu’on puisse les revêtir dans l’intellect humain (et nous n’entrerons pas ici dans les multiples raisons qui sous-tendent cette approche).
Pour cette raison, la doctrine hassidique Habad a besoin de concepts de la Kabbale, pour les deux raisons citées plus haut (pour prouver et expliquer à travers eux ses propres idées ou pour éliminer une apparence de contradiction avec elles). Et parce qu’elle s’occupe ainsi d’expliquer des concepts de la Kabbale, on a l’impression erronée que c’est le sujet principal du hassidisme – expliquer la Kabbale. Ceci, comme nous l’avons dit, alors que c’est l’inverse qui est vrai : la Hassidout se sert de concepts de la Kabbale pour expliquer ses propres idées.
Entre Kabbale et Hassidisme
Clarifions encore plus la différence entre hassidisme et Kabbale et disons que non seulement ce sont deux ‘doctrines’ différentes, mais que (d’un certain point de vue) elles sont même opposées l’une à l’autre !
Comme nous l’avons dit, le sujet du hassidisme est d’expliquer et de nous faire réaliser qu' »il n’y a rien d’autre que Lui » au sens littéral. Car bien qu’à nos yeux matériels il semble que le monde est une réalité concrète, nous devons croire et savoir que le monde n’est pas une ‘réalité’ mais de la Divinité ; qu’il n’y a aucune réalité et existence (spirituelle et sublime ou matérielle et physique) en dehors de Lui (ce sujet est en soi difficile, mais il est l’essence de la foi du hassidisme et c’est le principe du hassidisme, il faut l’examiner encore et encore car tout s’y trouve).
En revanche, la Kabbale s’occupe principalement de la révélation de Dieu à travers la ‘couronne’ et les dix sefirot, et ces dix sefirot ont des ‘lumières’ et des ‘vases’, et elles ont des définitions précises. Cela est encore plus marqué dans la Kabbale de l’Ari, qui à première vue traite du ‘tsimtsoum’ (« l’espace du vide ») et ensuite de l’émanation sous la forme d’un ‘corps humain’ depuis ‘Adam Kadmon’, en passant par ‘Atik’ et ‘Arik’ avec le ‘brisement des vases’ et la ‘dispersion des étincelles’ et les dix sefirot.
Et apparemment, cette description de la révélation de la Divinité telle qu’elle est définie par des définitions (aussi élevées et abstraites soient-elles) s’oppose totalement à la foi en la simplicité absolue d' »il n’y a rien d’autre que Lui », c’est-à-dire qu’il n’y a aucune existence (même pas spirituelle, suprêmement élevée) en dehors de l »essence’ elle-même !
Il s’avère donc (comme nous l’avons dit) qu’en surface, non seulement la Hassidout et la Kabbale ne sont pas identiques, mais ils sont même opposés l’un à l’autre !
[Certes, nous trouvons des kabbalistes antérieurs au hassidisme, comme le Ramak, le Shlah et le ‘Shefa Tal’, qui ont eux aussi exprimé leur crainte d’une compréhension matérialiste et anthropomorphiste des paroles de l’Ari, mais leur crainte provenait principalement du grand principe du judaïsme (comme l’a statué le Rambam dans les Lois du repentir chap. 3 et l’a même établi comme l’un des 13 principes de foi) selon lequel Dieu n’a pas de corps ni d’apparence physique, à Dieu ne plaise. Mais du point de vue du hassidisme, les choses sont infiniment plus graves, car selon la Hassidout, il n’y a absolument aucune réalité en dehors de l' »Essence elle-même » !C’est pourquoi nous voyons (comme nous l’avons cité plus haut) que c’est justement le Baal Shem Tov qui a mis en garde avec sévérité contre la matérialisation : « Et c’est pour cette raison que le saint du Seigneur, le Baal Shem Tov, a dit qu’en étudiant les livres de Kabbale, il faut veiller à ne pas se représenter les choses de façon littérale, que les dix sefirot sont appelées D-i-e-u ou divinité etc. et aussi à ne pas être attiré par les appellations matérielles qui y sont mentionnées. »]
La Kabbale dans la perspective du Hassidisme
Y a-t-il vraiment une contradiction conceptuelle réelle entre la Hassidout et la Kabbale ?
C’est là que la Hassidout intervient et explique la Kabbale d’une manière qui concilie les deux orientations opposées mentionnées. C’est-à-dire que c’est précisément dans la Kabbale que se trouve la foi hassidique, et c’est précisément la Kabbale de l’Ari qui exprime encore plus la simplicité de l’essence. Et non seulement cela, mais ce sont justement les explications du hassidisme qui fournissent des réponses aux grandes questions de la Kabbale de l’Ari.
En ‘titre’, on dira que la Hassidout explique comment dans chaque sefira et aussi dans l’acte du ‘tsimtsoum’, dans la révélation d »Adam Kadmon’ et dans les autres concepts de la Kabbale, c’est l »essence’ qui s’exprime. C’est-à-dire que la compréhension des concepts de la Kabbale dans leur interprétation définissante et limitative est une compréhension erronée; et qu’en réalité eux aussi expriment la ‘simplicité de l’essence’ et ne s’opposent pas, à Dieu ne plaise, à l »unité de Dieu’.
Pour expliquer cela, prenons ici quelques exemples de concepts kabbalistiques tels qu’ils sont expliqués dans la doctrine hassidique. Ces exemples nous illustreront comment la Hassidout ‘introduit’ l »essence’ dans le monde de la Kabbale (il est clair que les choses sont écrites ici de façon concise et celui qui veut les comprendre en profondeur doit les étudier dans leurs sources dans la Hassidout).
a) Le Tsimtsoum. À première vue, le tsimtsoum expliqué dans la Kabbale de l’Ari, selon lequel la lumière infinie s’est contractée, est un concept qui contredit l’approche du hassidisme, car comment l »essence’ pourrait-elle se contracter (un mouvement physique, à Dieu ne plaise), et surtout, comment un « espace vide » pourrait-il se former alors qu' »il n’y a rien d’autre que Lui » et que « toute la terre est remplie de Sa gloire » ?!
De manière complexe et multiforme, la Hassidout explique et innove que ce que la Kabbale appelle ‘lumière infinie’ ne fait pas référence à l »essence’, car on ne peut même pas lui attribuer l’attribut (sublime) d »infini’. Mais en disant ‘lumière’, la Kabbale fait référence à une révélation de l »essence’. Et c’est seulement là, au niveau de la ‘lumière’ (la ‘révélation’) qu’on peut parler de ‘tsimtsoum’. En revanche, l »essence’ est simple et dépourvue de toute définition, ne serait-ce qu’en guise de parabole et d’allégorie.
Qui plus est, lorsque nous disons « espace vide », c’est seulement par rapport à la ‘lumière’, mais l »essence’ est dépourvue même d’une définition d »existence’. Et lorsqu’il est dit « Ne remplis-Je pas les cieux et la terre ? », le « Je » fait référence à l »essence’ dont on ne peut même pas dire qu’elle est cachée et ne brille pas, car ce sont des descriptions qui ne s’appliquent qu’à la ‘lumière’.
De plus, l’acte même du ‘tsimtsoum’ et de l’occultation n’est pas un ‘retrait’ car on ne peut pas parler de retrait par rapport à l’infini, mais c’est en fait une expression et une ‘révélation’ et un renforcement de l’essence, car lorsque la ‘lumière infinie’ brille, l’essence ne s’exprime pas pour ainsi dire elle-même, et donc le tsimtsoum est une expression de l’essence dans la lumière qui en émane. Et donc il n’y a pas vraiment ici d' »espace vide », à Dieu ne plaise, car l’essence s’y trouve exactement comme avant le tsimtsoum.
Nous voyons donc que tout le sujet profond et subtil du ‘tsimtsoum’ est expliqué dans la Hassidout en clarifiant le point de l »essence’ qui est encore au-delà de toute nature de la ‘lumière’, et donc il ne s’agit pas seulement d’une ‘abstraction’ du tsimtsoum comme d’autres l’ont expliqué (que le ‘tsimtsoum’ n’est qu’une occultation etc.), mais de la transformation du ‘tsimtsoum’ lui-même en quelque chose d »essentiel’ !
b) La Ligne. Selon l’Ari, la ‘ligne’ est la ‘lumière’ de Dieu qui s’étend dans l »espace vide’ après le ‘tsimtsoum’ de la ‘lumière infinie’, lorsque Dieu est revenu et a fait briller et émané une « mince et étroite lumière » de la lumière précédente, et cette lumière brille dans toute l’émanation et dans tout le monde d’Atsilout. Cette lumière est certes une émanation de la ‘lumière infinie’, mais après être passée par l’étape du tsimtsoum, elle ne brille donc pas dans toute son intensité infinie de l’infini.
Mais ce point nécessite une explication : d’un côté, si c’est la ‘lumière infinie’, comment peut-elle apparaître comme une ‘mince ligne’, et si ce n’est pas la ‘lumière infinie’, comment peut-on dire à son sujet « Il est revenu et a fait briller », ce n’est donc pas la même lumière infinie mais quelque chose de nouveau ?!
la Hassidout explique que c’est justement dans la ‘ligne’ qui est la ‘ligne médiane’, l’attribut de Tiferet, que brille l »essence’. Nous n’entrerons pas ici dans la profondeur des choses, disons seulement que le fait que l »infini’ ne soit pas capable de se contracter et de briller aussi dans un endroit limité, est en soi une sorte de ‘limitation’ et remet en question son titre d »infini’… Mais dans l’acte du ‘tsimtsoum’, la ‘lumière’ a été nourrie de la force de l »essence’ et désormais cette ‘lumière infinie’ a le pouvoir de briller même comme une ‘mince ligne’ (et limitée).
C’est-à-dire que c’est justement le fait qu’elle soit une ‘mince ligne’ qui indique une force encore plus élevée que l »infini’, et cela indique qu’en son sein réside l »essence’ et c’est pourquoi elle a le pouvoir d’apparaître comme une ‘mince ligne’.
c) Adam Kadmon. Comme nous l’avons dit, l’une des innovations de l’Ari est l »ordre d’émanation’ sous la forme d »Adam Kadmon’, et les écrits principaux de l’Ari traitent de la description des révélations et émanations qui découlent et émanent d »Adam Kadmon’. À première vue, décrire la Divinité sous la forme d’un ‘homme’ semble être une description très anthropomorphique, et cela est en effet très étonnant !
Mais selon la Hassidout, le concept d »homme’ renferme une idée profonde d’abstraction de toute matérialité, et au contraire, rien de mieux que le concept d »homme’ pour exprimer l »essence’. Comment ?
L’essentiel est ceci : si nous comparons la principale différence entre l’homme et l’animal, elle s’exprime ainsi : les animaux – et de même (toutes proportions gardées) les anges – n’ont qu’un seul trait. Ils n’ont pas de multilatéralité. Chaque animal a été créé avec le trait particulier et spécifique dont il ne peut dévier ni à droite ni à gauche. Le corbeau est cruel, le chien affectueux, etc. Le corbeau ne peut pas faire un acte de bonté et le chien ne peut pas faire un acte d’intellect. En revanche, la nature humaine s’exprime dans sa diversité et les contradictions qu’elle renferme. L’homme possède des forces divers et même opposés, et tous sont capables d’agir en harmonie et en complémentarité.
Comment est-ce possible ? la Hassidout explique que la nature humaine est une nature très abstraite, une essence si cachée que sa source ne se trouve que dans l »essence’ occulte dans la non-existence. Et c’est de là que découle la capacité de l’âme humaine à contenir et à combiner des traits différents et même opposés.
C’est donc le sens lorsque l’Ari appelle l »émanation’ – ‘homme’. Selon l’Ari, l’émanation qui est sous la forme d’un ‘homme’ est une expression de l »essence’ précisément. Il s’ensuit que des expressions comme ‘homme’ et ‘visage’ ne sont pas une anthropomorphisation et une matérialisation, à Dieu ne plaise, mais exactement l’opposé – le terme ‘homme’ exprime l’abstraction la plus élevée qui soit !
À la lumière de cette merveilleuse explication, de grands fondements et principes de la Kabbale de l’Ari s’éclairent. Les paroles de l’Ari qui à première vue semblent parler d »homme’, parlent en fait de l’absence de toute réalité, que cette appellation (‘homme’) exprime justement.
d) La sefira de Hokhma. La sefira de Hokhma est la première des dix sefirot supérieures. C’est-à-dire que c’est le premier niveau où nous parlons de la Divinité comme d’un ‘intellect conscient’, car ce qui est au-dessus de la sefira de Hokhma ne peut absolument pas être qualifié de ‘sagesse’.
Selon la Hassidout, Hokhma n’est pas seulement une ‘intelligence’, mais elle indique une ‘abnégation’. Le mot ‘hokhma’ est composé des mots « koah mah » (la force du ‘quoi’, c’est-à-dire de l’abnégation) et c’est là sa véritable essence. Car pour parvenir à une nouvelle intellection, à une nouvelle illumination, celui qui devient sage doit aspirer à sortir des limites de sa sagesse et parvenir à une abnégation totale (car s’il reste dans ses limites existantes, il ne pourra pas atteindre une nouvelle sagesse !). Il s’avère donc que la sagesse, par son essence même, s’élève au-dessus de toute limite, et ce en s’annulant elle-même totalement. Et plus l’abnégation sera profonde, plus la nouvelle sagesse atteinte sera élevée.
En cela, la Hassidout explique (et dans le Tanya chap. 35 en note, ce fondement est expliqué au nom du Maguid de Mézeritch) les paroles de l’Ari selon lesquelles dans la sefira de Hokhma brille l’infini lui-même (et ailleurs il est même expliqué que dans Hokhma brille le niveau d »Atik Yomin’ – une appellation pour l’expression de l »essence’), car en réalité la sagesse est une réalité qui est tout entière… l’absence de réalité.
Ces quelques exemples (mais représentatifs) nous permettent de comprendre comment la Hassidout se sert de concepts de la Kabbale pour expliquer et clarifier ses propres idées (comme ci-dessus) et comment ce faisant, il fournit aussi une nouvelle explication à ces concepts de la Kabbale, une explication qui concilie la Hassidout et la Kabbale là où ils semblent se contredire.
Explication des propos de Rabbi Schneur Zalman
À la lumière de ce qui précède s’expliquera ce que nous avons cité plus haut des propos de Rabbi Schneur Zalman, que les paroles du Baal Shem Tov sont les paroles de l’Ari, et par exemple ce qu’il a écrit (Discours de Rabbi Schneur Zalman, Inyanim, p. 328) : « Il y a encore une autre appellation pour la lumière infinie mentionnée que l’Ari a appelée le nom de Malkhout de l’Infini béni soit-Il… Et c’est pourquoi l’Ari a appelé l’éclat de la lumière infinie bénie soit-Il le début de la ligne du nom de Malkhout de l’Infini béni soit-Il qui est Son grand Nom béni et tout est un, c’est évident. Et le Baal Shem Tov l’a appelé par la parabole des lettres selon le rapport de l’annulation de l’Infini béni soit-Il qui fait exister les mondes d’Atsilout, Beria, Yetsira, Assiya par rapport à l’essence de la Lumière émanante bénie soit-Elle en Elle-même ».
Et selon nos propos, il ne s’agit pas seulement d’un changement de style ou d’une belle parabole qu’a faite le Baal Shem Tov, mais ces paroles expriment l’idée centrale que nous avons expliquée : d’une part, il y a ici une innovation du hassidisme sur la Kabbale et d’autre part, à travers cette innovation s’explique aussi un point de la Kabbale.
En effet, celui qui examine ces paroles du Baal Shem Tov – telles qu’elles sont expliquées dans plusieurs endroits des écrits de Rabbi Schneur Zalman dans ses discours et brièvement dans le Tanya chap. 20-21 – constatera que cette explication et parabole du Baal Shem Tov sont l’essence même du point d' »il n’y a rien d’autre que Lui » de la manière la plus élevée, et que tout le but de la ‘parabole des lettres’ n’est que d’expliquer comment, bien que le monde semble être une ‘réalité’ et une ‘existence’, en vérité il est néant et annulé totalement par rapport à la Divinité. Et sur cela, Rabbi Schneur Zalman dit que les paroles de l’Ari sur « Malkhout de l’Infini » expriment le point d' »il n’y a rien d’autre que Lui » du Baal Shem Tov ! C’est-à-dire que celui qui méditera et comprendra les choses en profondeur découvrira qu’à l’intérieur des paroles de l’Ari est cachée l’idée d' »il n’y a rien d’autre que Lui » du Baal Shem Tov.
Il en va de même pour le deuxième passage (Discours de Rabbi Schneur Zalman, Inyanim, p. 328) : « Voici que le Baal Shem Tov a revêtu tout cela d’une parabole (dans laquelle est revêtue l’allégorie profonde des secrets de la Torah que Rabbi Haïm Vital explique dans tout le livre Ets Haïm en une parabole), à savoir la parabole de l’échelle en colimaçon ». Ici aussi, l’intention n’est pas seulement d’apporter une autre parabole, mais dans cette parabole du Baal Shem Tov est cachée une expression de sa conception de la voie du service divin selon sa sainte voie. C’est-à-dire que cette parabole exprime la foi du Baal Shem Tov, mais en même temps selon cette parabole s’expliquent aussi toutes les paroles de Rabbi Haïm Vital dans son livre Ets Haïm.
Et apparemment, à la lumière de ce qui précède s’explique bien le passage que nous avons cité au début : « Et que l’auditeur ne me soupçonne pas de penser que j’ai compris les paroles de l’Ari pour les dépouiller de leur matérialité, car je ne suis venu que pour expliquer les paroles du Baal Shem Tov et de ses disciples selon la Kabbale de l’Ari… Et on ne peut le rapprocher de leur entendement qu’à l’aide de prémisses tirées des écrits de l’Ari, dépouillées de leur matérialité comme je l’ai entendu de mes maîtres. » Car en effet il y a ici les deux choses à la fois : d’un côté, la méthode du Baal Shem Tov et de l’autre, une explication des paroles de l’Ari.
L’apport de la Kabbale au Hassidisme
Nous avons déjà expliqué précédemment les principales raisons pour lesquelles la Hassidout – bien qu’étant une doctrine ‘à part entière’ – intègre dans ses propos des concepts et des idées de la Kabbale et les explique même. Nous avons expliqué que c’est pour renforcer et fonder les principes hassidiques centraux qu' »il n’y a rien d’autre que Lui au sens littéral » et que l’âme du juif est « réellement une partie de Dieu d’en haut », et aussi pour éliminer une apparence de contradictions venant de la Kabbale.
À cela il faut ajouter et proposer une autre raison, à savoir que la Hassidout avait (aussi) besoin de la science kabbalistique du fait de son caractère abstrait et élevé. Pour ‘couler’ la Hassidout dans des cadres ordonnés et lui donner un caractère de doctrine talmudique organisée, la Hassidout s’est aidé du monde conceptuel de la Kabbale.
C’est-à-dire : en principe, on aurait pu exprimer les idées du hassidisme dans un style court et original sans s’occuper largement de tous ces concepts et fondements de la Kabbale. Mais comme nous l’avons dit, le lien avec la Kabbale, tout en expliquant et en abstrayant ses concepts, a ‘servi’ la Hassidout.
Et on peut peut-être en trouver une allusion dans les propos de Rabbi Schneur Zalman que nous avons déjà cités plus haut, propos adressés aux opposants au hassidisme de l’époque (Iggeret HaKodesh, chap. 25) : « C’est seulement récemment que certains sont venus sonder cette question, et on ne peut la rapprocher de leur entendement qu’à l’aide de prémisses tirées des écrits de l’Ari, dépouillées de leur matérialité comme je l’ai entendu de mes maîtres. » C’est-à-dire que Rabbi Schneur Zalman a ‘dû’ s’aider de « prémisses tirées des écrits de l’Ari, dépouillées de leur matérialité », ceci afin de « rapprocher » les idées du hassidisme de « l’entendement » de tous ceux « qui sont venus récemment ».
Bien sûr, aux raisons ci-dessus il faut ajouter ce qui est connu, à savoir que selon la méthode Habad, il ne faut pas se contenter du service divin dans l’acte et même pas seulement dans le sentiment du cœur, mais il faut introduire la Divinité dans chaque recoin, y compris dans l’intellect humain. C’est pourquoi la Hassidout Habad explique (sur la base des idées du hassidisme en général) des sujets de la Kabbale et les dépouille de leur matérialité, afin d’introduire la Divinité (et en particulier l’idée d' »il n’y a rien d’autre que Lui ») à l’intérieur de l’intellect humain.
Il s’avère donc que sur la question de « la relation et le lien entre la Hassidout et la Kabbale », nous découvrons une triple relation entre ces deux ‘doctrines’ :
a) La Kabbale comme doctrine à part entière et la Hassidout comme doctrine à part entière.
b) la Hassidout tel qu’il éclaire la Kabbale d’une lumière nouvelle.
c) L’apport de la Kabbale pour fonder les idées du hassidisme, pour revêtir les idées du hassidisme dans l’intellect humain et pour couler les idées du hassidisme dans un cadre talmudique ordonné.
Cette triple relation n’existe que dans la doctrine Habad. Il est vrai que les autres courants du hassidisme utilisent aussi des concepts de la Kabbale et en tirent même des instructions dans le service de l’homme, mais ils ne s’occupent pas d’une explication profonde et d’une abstraction de ces concepts. Ce sujet est, comme nous l’avons dit, la méthode de Habad telle que Rabbi Schneur Zalman l’a reçue de ses maîtres.
Selon cela, nous comprendrons aussi la critique du saint Rabbi Avraham de Kalisk que nous avons citée plus haut, à l’encontre de Rabbi Schneur Zalman : « Et pour ma part, je n’ai pas trouvé satisfaction dans le fait que Rabbi Schneur Zalman fasse entrer le soleil dans son fourreau, c’est-à-dire qu’il revête les paroles du saint Rabbi de Mézeritch, qui sont les paroles du saint Baal Shem Tov, dans les paroles du saint Ari, car bien que tout aille au même endroit, le langage de la Torah est à part et le langage des Sages est à part. » Et nous nous sommes étonnés, les livres du Maguid de Mézeritch et de Rabbi Menahem Mendel de Vitebsk et des autres pères du hassidisme (général) ne sont-ils pas eux aussi remplis de citations des paroles de l’Ari ?!
Mais à la lumière de ce qui précède, nous comprendrons que selon l’approche du saint Rabbi Avraham de Kalisk, la Hassidout a certes ‘adopté’ des concepts et des idées de la Kabbale, mais uniquement en fonction des besoins et de la capacité à en tirer des instructions et des voies dans le service divin ; non pas pour les expliquer en profondeur et certainement pas pour comparer et rapprocher les paroles du Baal Shem Tov et du Maguid avec celles du saint Ari (« revêtir les paroles du saint Rabbi de Mézeritch, qui sont les paroles du saint Baal Shem Tov, dans les paroles du saint Ari »). Cette voie, comme nous l’avons dit, est la voie unique de Rabbi Schneur Zalman qu’il a transmise à toutes les générations après lui.