A l’occasion de la 30e Hilloula du Rabbi de Loubavitch, une conférence réunissant des médecins juifs et des rabbins s’est tenue autour du thème « À qui appartient la vie ? ». Cette rencontre, a offert un espace de réflexion mêlant éthique médicale, spiritualité et philosophie juive.
1. Le médecin : Partenaire divin dans l’œuvre de guérison
Le Rav Levi AZIMOV a introduit la conférence en remerciant les organisateurs et les participants, soulignant l’importance de telles rencontres pour la communauté médicale juive. Il a ensuite plongé dans le cœur du sujet en s’appuyant sur un texte de Maïmonide, qui lui-même se réfère au Talmud.
« Le concept talmudique de « modeh biknas » (aveu en matière financière) a été comparé à l’aveu en matière criminelle. Selon cette loi, si quelqu’un avoue une dette financière, il est tenu de payer même en l’absence de témoins. En revanche, si quelqu’un avoue un crime, son aveu n’est pas accepté sans témoins. La raison invoquée est révélatrice : « Ton argent t’appartient, mais ton corps ne t’appartient pas. »
« Cette distinction a servi de tremplin pour une réflexion plus large sur la propriété et le contrôle que nous exerçons sur différents aspects de notre vie. Le Rabbi approfondit cette idée en affirmant que tout, y compris nos biens, appartient en réalité à D.ieu. Cependant, en ce qui concerne l’argent, D.ieu nous accorde une certaine autonomie, comme si nous en possédions 50%. En revanche, pour notre corps et notre vie, notre dépendance à D.ieu est plus évidente et absolue ».
« Cette perspective a des implications directes sur la pratique médicale. Le Rav Azimov a cité une phrase traditionnelle qui affirme que D.ieu donne l’autorisation et le pouvoir au médecin de guérir. Cette affirmation soulève une question intéressante : si la maladie vient de D.ieu, pourquoi autoriser l’intervention médicale ? La réponse suggère un équilibre subtil entre l’acceptation de la Volonté divine et la responsabilité humaine d’agir pour préserver la vie ».
Pour illustrer ce point, le Rav Azimov a fait référence à l’histoire de Moïse et Korah, où des encensoirs ont été utilisés comme moyen d’éviter la mort. Cette histoire souligne l’idée que même dans un contexte de jugement divin, des instruments physiques (ici, les encensoirs) peuvent être utilisés pour sauver des vies.
La conclusion tirée de ces réflexions est que bien que la vie et la santé viennent ultimement de D.ieu, les médecins jouent un rôle crucial en tant qu’envoyés divins pour prolonger et améliorer la vie.
Le Rav Azimov a conclu en partageant son expérience personnelle, ayant été sauvé en réanimation à l’âge de 7 ans, pour souligner sa gratitude envers la profession médicale et pour illustrer comment les médecins peuvent être vus comme des partenaires de D.ieu dans l’œuvre de guérison.
2. L’humilité face au pouvoir de guérison
Le Professeur Maurice MIMOUN, chirurgien plastique renommé, a ouvert la soirée en soulignant l’importance de l’humilité dans la pratique médicale. S’appuyant sur la parachat de la semaine traitant de la révolte de Kora’h, il a établi un parallèle entre le leadership biblique et le rôle du médecin moderne.
« Souvent, les patients nous attribuent des pouvoirs presque divins, » a-t-il expliqué. « Il est crucial de garder à l’esprit que nous ne sommes que des instruments de guérison, guidés par une force supérieure. » Cette réflexion a trouvé écho dans les propos du Professeur Simon Nizard, chirurgien orthopédiste, qui a partagé sa propre approche face aux compliments des patients : « Je leur rappelle toujours que je ne suis qu’un technicien, et que la véritable guérison vient d’ailleurs. »
3. Les limites de la connaissance médicale
Le Professeur Rémy NIZARD, Chirurgien orthopédiste et traumatologue a également abordé un sujet d’actualité brûlant : la question de la fin de vie. Relatant une récente commission de la Haute Autorité de Santé, il a exprimé ses inquiétudes quant aux projets de légiférer sur l’aide médicale à mourir à « moyen terme ».
« Comment pouvons-nous, en tant que médecins, prétendre prédire avec certitude l’évolution d’une maladie à moyen terme ? » s’est-il interrogé. « Cette question soulève des enjeux éthiques immenses et nous rappelle les limites de notre savoir médical. »
4. Le paradoxe de la propriété de la vie
Le Rav Chmouel LEWIN a apporté une perspective théologique au débat, développant le thème central de la soirée : « À qui appartient la vie ? ». Selon lui, cette question recèle un paradoxe fondamental dans la pensée juive.
« Répondre que la vie appartient entièrement à l’homme serait une catastrophe, » a-t-il expliqué. « Cela impliquerait que nous pouvons en disposer à notre guise, y compris pour nous faire du mal. Mais affirmer que la vie appartient uniquement à Dieu serait tout aussi problématique, car cela nous priverait de toute initiative et responsabilité. »
Le Rav Lewin a étendu cette réflexion à d’autres domaines : l’argent, les enfants, la Torah elle-même. Dans chaque cas, il a souligné la nécessité de maintenir une tension entre appropriation et détachement.
5. Témoignage poignant et appel à l’action
La soirée a pris une tournure émouvante avec le témoignage du Rav Nethanael LOEB, père d’un soldat tombé au combat lors des récents événements en Israël. Le Rav Loeb a partagé les leçons tirées de cette tragédie, insistant sur l’importance de considérer chaque enfant comme un monde entier, porteur d’une mission unique.
« Mon fils a donné sa vie pour sauver celle d’un camarade, » a-t-il raconté. « Cela m’a fait réaliser que chaque âme a un rôle spécifique à jouer dans ce monde, un rôle que nous, parents, devons aider à révéler sans chercher à l’imposer. »
6. Conclusion et perspectives
La conférence s’est conclue par un appel à l’action par le Rav Mendel SEBAG qui invité les participants à prendre de bonnes résolutions, à renforcer leur pratique des Mitsvot et leur étude de la Torah. Une histoire inspirante a été partagée, celle d’une étudiante en médecine russe ayant choisi de respecter la fête de Chavouot au détriment de sa remise de diplôme, illustrant le courage nécessaire pour vivre pleinement sa foi.
Cette soirée riche en réflexions a mis en lumière la complexité du rôle de médecin dans la tradition juive : à la fois dépositaire d’un savoir technique et humble serviteur d’une force qui le dépasse. Elle a rappelé que la vie, dans toutes ses dimensions, reste un mystère que la science et la foi peuvent éclairer sans jamais totalement le percer.