Par Gérard Touaty

 

Il n’est pas nécessaire d’être un grand expert en sociologie pour comprendre que l’un des traits majeurs de nos sociétés est la remise en cause de l’ordre établi ou plus simplement la contestation de l’autorité. Ce fait nouveau, depuis que le monde s’est organisé en castes politiques et en nations, a intéressé les Maîtres du Talmud… il y a plus de 15 siècles quand ils ont écrit que ce phénomène sera annonciateur de la venue du Machia’h (le Messie). Une donnée que l’on retrouve dans notre paracha.

 

L’un des vêtements particuliers du Cohen gadol (le grand prêtre) était le Tsitz, une fine plaque en or qu’il portait sur le front durant son service dans le Temple. A ce propos, le Talmud (1) nous apprend que cette plaque avait la vertu d’expier la faute d’insolence ! Que vient faire cette faute, s’étonnent nos commentateurs, avec la grandeur de l’homme le plus saint du peuple juif ? Comment devons nous comprendre cette association de deux extrêmes si opposés ?

Une nouvelle donnée

Un premier élément de réponse se trouve chez le Kéli yakar (2) un commentateur de la Bible qui explique que « …juste avant le lever du jour, la nuit devient plus noire… ». Il nous donne ce repère pour comprendre pourquoi l’esclavage d’Egypte devint plus pesant quand Moché (Moïse) se rendit chez le Pharaon pour qu’il libère les Enfants d’Israël de l’esclavage. Il en sera de même avant la délivrance finale, quand le Mal déploiera ses dernières forces pour empêcher l’émergence du Bien qu’apportera le Machia’h. C’est ce que le Talmud veut nous signifier quand il nous apprend que la génération qui précèdera la venue du Machia’h verra les jeunes faire blanchir (de honte) les personnes âgées. Les personnes âgées se lèveront devant les jeunes (pour les honorer). La fille se dressera devant sa mère (pour lui faire honte) et la belle fille devant sa belle mère. Le visage de la génération sera semblable à celui d’un chien et le fils n’aura pas honte de commettre le mal devant son père. L’estime ou le respect entre les hommes prendra un mauvais chemin, la vigne continuera à donner son fruit mais le vin sera cher et le pouvoir politique prendra la voie de l’athéisme sans que personne ne puisse intervenir. Mais dans un autre traité talmudique (4), nos Maîtres ajoutent une composante nouvelle : dans les jours qui précèderont la délivrance « l’insolence augmentera ». Ils ne disent pas que l’insolence sera une force du Mal parmi d’autres mais qu’elle augmentera !

Une lutte inégale

Pour comprendre cette précision, il faut distinguer l’insolence des forces du Mal traditionnel. Quand deux individus de forces inégales luttent l’un contre l’autre, si l’on arrive à convaincre le faible qu’il sera inéluctablement battu par son adversaire, le faible arrêtera tout de suite le combat. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Nous sommes proches de la venue du Machia’h et il est évident que, par rapport aux siècles précédents, le Mal s’est considérablement affaibli : la densité de l’antisémitisme a considérablement diminué. L’égalité, comme la justice ou le respect d’autrui sont des valeurs phares de nos sociétés après des siècles de barbarie. On peut dire, sans conteste, que le Bien prend peu à peu le pas sur le Mal. Mais pour revenir à notre exemple, si le faible sait pertinemment qu’il va perdre et continue malgré cela à lutter, nous nous trouvons dans une autre dimension du Mal. C’est l’insolence ou la volonté de nuire pour nuire même si cette force du Mal sait que tôt ou tard elle disparaîtra. On peut donner à présent le sens véritable du commentaire du Kéli yakar cité plus haut : l’obscurité dont il est question avant le lever du jour ne fait pas allusion au Mal traditionnel (qui s’affaiblira avant la délivrance) mais à l’insolence « qui augmentera » : juste avant la révélation du plus grand Bien, le Mal le plus extrême se manifeste. C’est pourquoi l’insolence est mentionnée sur le front du Cohen gadol, l’homme le plus saint du peuple juif.

 

Gérard Touaty

 

Notes

(1) Traité Zéva’him, p. 88b
(2) Ouvrage célèbre de Shlomo Efraïm de Luntschitz (1550-1619)
(3) Traité Sanhédrine, 97a
(4) Fin du traité Sotta