Sur la photo : le Rav Hirshel Hitrik, Heishé Ashkenazi et le Rav Moshé Ashkenazi

 

Au cœur d’un procès retentissant, des secrets longtemps enfouis refont surface. L’affaire des livres, qui opposa deux parties dans une lutte acharnée, vient de connaître un rebondissement inattendu. Le nouveau livre « Rav Ashkenazi – Partie II », récemment publié, dévoile des détails stupéfiants sur cette sombre période.

 

En 1987, une affaire délicate ébranla le mouvement ‘Habad : des ouvrages précieux et des manuscrits, certains remontant jusqu’au Baal Chem Tov, avaient été dérobés dans la bibliothèque centrale du mouvement à New York, jouxtant le 770, dans le but probable de les revendre à des collectionneurs. Ce vol dépassait la simple dimension matérielle, aussi grave soit-elle. En effet, cette collection unique avait été patiemment rassemblée par le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak, et ses aïeux, au prix d’immenses sacrifices et parfois même au péril de leur vie. Transportés à travers toutes les épreuves endurées en Union Soviétique, puis pendant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à leur arrivée aux États-Unis, ces écrits recelaient non seulement une sagesse essentielle et des connaissances profondes, mais surtout une sainteté incommensurable, beaucoup ayant été rédigés de la main même du Baal Chem Tov ou de ses successeurs. Le préjudice dépassait donc largement celui, déjà considérable, de l’acte criminel.

L’enquête révéla rapidement que le coupable était un proche qui se prévalait d’une sorte de droit de propriété sur les livres et espérait en tirer un bénéfice personnel. Le Rabbi décida alors de rendre publique cette affaire, insistant sur sa gravité et montrant qu’on détournait ainsi la bibliothèque de la volonté de Rabbi Yossef Its’hak.

En l’absence d’autre issue avec la partie adverse, l’affaire fut portée devant un tribunal civil new-yorkais. La question centrale était de savoir si Rabbi Yossef Its’hak avait possédé cette bibliothèque comme un bien privé – auquel cas une revendication personnelle pouvait être recevable – ou s’il l’avait constituée et préservée dans un but plus général, une intention qui devait alors être respectée. La bataille juridique s’avéra complexe. Le juge, non-juif, comprit qu’il devait acquérir une nouvelle compréhension pour traiter un tel sujet. Ainsi, pour la première fois sans doute, la salle d’audience résonna de discussions sur le ‘hassidisme, sur l’essence d’un Rabbi et la nature de son lien avec les ‘hassidim.

Lorsque la partie adverse sollicita une aide financière de 60 000 dollars auprès de Yehoshua (Heishé) Ashkenazi, l’oncle du Rav Morde’haï Ashkenazi, pour couvrir les frais du procès, celui-ci se tourna vers son neveu, le Rav Hirshel Chitrik, pour comprendre la situation. Ce dernier lui expliqua que, selon le Rabbi, les livres n’étaient pas un héritage privé mais relevaient de l’intérêt général. Aussi, quand la partie adverse et son épouse se présentèrent ensuite chez Heishé Ashkenazi, il leur claqua la porte au nez en s’exclamant : « Peu m’importe ce que vous voulez. On ne s’attaque pas au Rabbi de Loubavitch ! Si vous le combattez, vous n’entrerez pas chez moi ! »

Lors d’une réunion en présence du Rav Hirshel Chitrik, Heishé Ashkenazi demanda des éclaircissements. Le Rav Chitrik raconta alors comment son propre père, en Russie, donnait tout son argent pour soutenir le Rabbi précédent, même quand ils manquaient de pain à la maison. « Et que faisait le Rabbi précédent avec cet argent ? demanda-t-il rhétoriquement à la partie adverse. Il achetait des livres ! Et vous, que voulez-vous faire de la bibliothèque du Rabbi ? Honte à vous ! » Sur ces mots sans appel, le Rav Chitrik quitta la réunion. Malgré les liens familiaux, Heishé Ashkenazi refusa dès lors d’aider la partie adverse.

Cinq mois après la victoire du procès, le 5 Tevet, Heishé Ashkenazi reçut un accueil chaleureux du Rabbi qui lui donna le sentiment d’avoir, par son attitude de ‘Hassid loyal, gagné sa place au Ciel. Pourtant, il n’avait pas informé le Rabbi de l’incident avec la partie adverse.

Le 10 Sivan 1987, lorsque la Rabbanit Ashkenazi séjournait avec son mari au 770, elle écrivit à ses enfants : « Aujourd’hui, l’oncle Heishé est venu recevoir un dollar. Papa l’a convaincu de venir. Le Rabbi lui a longuement parlé. Il a demandé une bénédiction pour son fils [malade], et le Rabbi lui a annoncé de bonnes nouvelles, lui disant de se remémorer sa période d’études à Loubavitch et d’en parler à son fils, ce qui aurait une influence positive. »

Rav Morde’haï Ashkenazi accompagna son oncle à la distribution de dollars. Le Rabbi donna à Heishé un dollar pour chaque membre de sa famille en les mentionnant individuellement. Après la distribution, le Rabbi envoya même le Rav ‘Haïm Yehuda Krinsky au domicile de Heishé à Long Island pour lui remettre un dollar supplémentaire destiné à un petit-fils qui n’avait pas reçu le sien. C’était un traitement exceptionnel et surtout une claire vision prophétique, car personne n’avait informé le Rabbi de l’existence de ce petit-fils. Parallèlement, le fils de Heishé guérit, comme le Rabbi l’avait béni.

Un an plus tard, le 13 Sivan 1988, Rav Morde’haï Ashkenazi amena à nouveau Heishé à la distribution de dollars. Le Rabbi lui dit : « C’est bon de te voir ». Le Rav Ashkenazi et Heishé présentèrent au Rabbi le fils qui avait reçu sa sainte bénédiction. Le Rabbi le bénit à nouveau, ainsi que Heishé et son épouse, s’enquérant avec une sollicitude particulière de la santé de cette dernière (sans qu’elle soit présente). En effet, elle était atteinte d’une terrible maladie et avait subi une opération. Le Rabbi se rendit alors à l’Ohel pendant trois jours consécutifs. Les deux premiers jours, à son retour, son secrétaire, le Rav Yehuda Leib Groner, appela le beau-frère du Rav Ashkenazi, le Rav Na’hman Yosef Twersky, pour s’enquérir de l’état de santé de l’épouse de Heishé. Le deuxième jour, le Rav Twersky transmit à Rabbi Groner le numéro de téléphone de Heishé pour qu’il puisse avoir des nouvelles directement de lui.

Bien que non pratiquant, Heishé Ashkenazi accomplissait les principales Mitzvot et pleurait d’émotion chaque fois que le Rav Ashkenazi évoquait avec lui la ferveur ‘hassidique et les valeurs authentiques de Loubavitch. Sa personnalité rappelait celle de Yosef Krassik, le cousin de la mère du Rav Ashkenazi, tué par des non-juifs. Fils du surveillant de la Yeshiva de Loubavitch, le vénérable Rav Yaakov Barou’h Krassik, Yosef, bien qu’ayant décliné dans l’observance, donnait généreusement quand on lui demandait de l’argent pour la Yeshiva Tom’hei Tmimim.

Il en allait de même pour Heishé. Au début du leadership du Rabbi, quand la situation financière du secrétariat était catastrophique, il envoyait discrètement au Rabbi des demandes de prière accompagnées d’au moins 25 000 dollars, parfois même 50 000. Le Rav ‘Haïm Yehuda Krinsky révéla cela après le décès de Heishé, estimant que c’était probablement la raison de la considération particulière que lui témoignait le Rabbi.

Heishé décéda le 15 Eloul 1989. Trois semaines auparavant, quand on lui demanda s’il souhaitait que le Rav Twersky le mentionne au Rabbi, il refusa catégoriquement, bien qu’il l’ait souvent sollicité par le passé pour transmettre des demandes et des lettres au Rabbi. « Car, expliqua-t-il cette fois, mon état est désespéré et je ne veux pas peiner le Rabbi ! » Deux semaines plus tard, quand le Rav Twersky et son épouse (la sœur du Rav Ashkenazi) lui rendirent visite, il leur demanda finalement de le mentionner au Rabbi, non pas pour demander une bénédiction, mais juste pour l’informer qu’il « montait vers le ciel ».

Ce type de comportement a été observé dans d’autres cas chez d’éminents ‘Hassidim de Loubavitch, qui demandaient qu’on informe le Rabbi de leur décès ou interdisaient qu’on l’avise de leur maladie pour ne pas l’attrister.

Madame Twersky passa effectivement à la distribution de dollars du 10 Eloul et dit au Rabbi que Heishé Ashkenazi était souffrant. Le Rabbi interrompit la distribution et réagit avec émotion : « Quoi ? Yehoshua Ashkenazi d’ici ? Pas en bonne santé ? » Madame Twersky confirma que son état était très préoccupant. Le Rabbi lui remit alors quatre dollars pour que Heishé les distribue à la Tsedaka, mais ne le bénit pas. Les dollars furent transmis à Heishé qui accomplit l’instruction du Rabbi avant son décès.

Cet épisode illustre de manière saisissante la dévotion et l’abnégation sans faille des ‘Hassidim envers leur Rabbi, au-delà même des liens familiaux ou de l’observance religieuse stricte. Il met aussi en lumière la perception quasi prophétique du Rabbi et son attention pleine de sollicitude pour chacun de ses ‘Hassidim, jusque dans leurs derniers instants.