Traduit par le Rav Haïm Mellul

 

Les «eaux dévastatrices» du déluge appartiennent à deux catégories. L’une émane de l’abîme profond et l’autre, des trombes du ciel. Et, il en de même pour les difficultés et les obstacles se dressant devant l’homme.

L’abîme profond désigne les tracas liés aux préoccupations matérielles et basses, à la nécessité de gagner sa vie. Les trombes du ciel, par contre, sont des difficultés d’ordre moral, par exemple celles qui découlent des activités communautaires, susceptibles d’empêcher l’homme d’étudier la Torah et de mettre en pratique les Mitsvot.

Certes, il est nécessaire de se consacrer à ces activités communautaires, mais il ne doit en résulter aucune difficulté pour étudier la Torah et mettre en pratique les Mitsvot, par lesquelles on met en pratique les termes du verset : «Vous êtes attachés à l’Eternel votre D.ieu, tous vivants aujourd’hui». Celles-ci créent, en effet, un lien entre l’homme qui les met en pratique et le Tout Puissant, Qui lui accorde ainsi Sa vitalité. Lorsque ce lien est remis en cause, lorsque l’on n’accomplit pas les préceptes du Choul’han Arou’h, à quoi bon assumer toutes ces activités ?

On prétend donc se consacrer aux «trombes du ciel», aux préoccupations morales, mais l’on se trompe sur son propre compte. Une telle visée n’émane pas de l’âme divine, mais bien de l’âme animale. En effet, dès lors qu’elle fait obstacle à l’étude de la Torah et à la pratique des Mitsvot telles que le Choul’han Arou’h les définit, une telle démarche ne peut qu’être étrangère à la sainteté.

Celui qui va à l’encontre de la sainteté, même lorsqu’il se consacre aux «trombes du ciel», connaîtra nécessairement des chutes successives, de sorte qu’à terme, les «trombes du ciel» deviendront une «abîme profonde».

Le moyen de se préserver des eaux du déluge, qu’elles émanent de l’abîme profonde ou des trombes du ciel, est de mettre en pratique le Précepte «viens dans l’arche». Le Baal Chem Tov souligne que le mot Téva désigne l’arche, mais aussi les mots de la Torah et de la prière. Entrer dans l’arche signifie donc se pénétrer de ces mots, être entouré par eux, afin de se protéger de tous les dangers, pour que «Noa’h, l’homme juste» et tous les membres de sa famille conservent leur intégrité.

En conséquence, dès que l’on se réveille, le matin, avant même d’entrer en contact avec le monde et ses «eaux dévastatrices», on dit d’abord le Modé Ani, «Je Te rends grâce, Roi qui vit et existe, car Tu m’as restitué mon âme». Par ces mots, l’homme reconnaît que la vie de son âme émane uniquement de D.ieu. Puis, il récitera les bénédictions du matin, afin de remercier D.ieu pour chaque détail de ce qui lui arrive.En conséquence, dès que l’on se réveille, le matin, avant même d’entrer en contact avec le monde et ses «eaux dévastatrices», on dit d’abord le Modé Ani, «Je Te rends grâce, Roi qui vit et existe, car Tu m’as restitué mon âme». Par ces mots, l’homme reconnaît que la vie de son âme émane uniquement de D.ieu. Puis, il récitera les bénédictions du matin, afin de remercier D.ieu pour chaque détail de ce qui lui arrive.

Ainsi, il constatera que D.ieu «vêtit ceux qui sont nus». Or, ne possède-t-il pas lui-même tous les habits dont il a besoin? Dès lors, que signifie cette bénédiction et que veulent dire les autres?

En fait, nos Sages disent: «Qui est le Sage? Celui qui sait anticiper l’événement» et a donc conscience que toute chose est créée par D.ieu, à tout instant, à partir du néant.Le Zohar rapporte que Rabbi Issa l’ancien priait pour que D.ieu lui accorde sa subsistance. Même lorsqu’un plat était prêt, devant lui, il ne le mangeait pas avant d’avoir récité cette prière. Or, comment pouvait-il prier D.ieu de lui accorder ce plat alors qu’il se trouvait déjà devant lui?

La réponse est la suivante. Chaque créature est intrinsèquement néant, comme elle le fut à l’instant de la création. Elle existe uniquement parce que D.ieu, dans Sa bonté, lui accorde la vie, à tout instant, ainsi qu’il est dit: «Il renouvelle, par Sa bonté, chaque jour et toujours, la création originelle».

On peut donc prier également pour obtenir un plat qui est posé sur la table. Et, il en est de même pour la satisfaction des autres besoins. Car, cet aliment, qui existait il y a un instant est, entre temps, redevenu néant. Il faut donc demander à D.ieu de le renouveler pour pouvoir satisfaire ses besoins.

Celui qui commence sa journée en priant sait que la matière n’a pas d’existence propre, que celle-ci est renouvelée, par D.ieu, en permanence. Le monde entier est créé uniquement pour mener à bien la mission que D.ieu lui confie, ainsi qu’il est dit: «Je l’ai créé pour Mon honneur».

En ayant conscience de tout cela, l’homme peut entrer en contact avec le monde sans craindre ses «eaux dévastatrices».

Avant la prière, en revanche, il accorde à ce monde une place trop prépondérante, considère qu’il possède une existence spécifique, ce qu’à D.ieu ne plaise. Il se dira alors qu’il n’y a nulle raison de se priver de tout ce qui est permis, que l’on peut même s’autoriser tous les comportements dont l’interdiction n’est pas clairement établi. Il faut, en effet, prendre en compte le fait accompli qu’est alors la prédominance du monde.

A l’opposé, celui qui sait que seul D.ieu existe réellement et qu’Il confère en permanence au monde une existence nouvelle, à partir du néant absolu, parce qu’Il désire qu’une demeure y soit bâtie pour Lui, comprend qu’il doit tenir compte uniquement ce qui contribue à la réalisation de cet objectif. Il parviendra donc à une conclusion opposée à la précédente. Pour lui, ce qui est interdit et, en conséquence, contredit cet objectif sera totalement exclu. Et, cette attitude ne se limite pas à ce qui est intrinsèquement mauvais, mais inclut également ce qui est inutile et que l’on mettra de côté.

Lorsque le mauvais penchant soulève une objection, faisant remarquer que ces objets matériels sont tout de même bien utiles, cet homme lui répondra: «Prouve donc ce que tu dis». Il est, en effet, établi pour lui que seule la Divinité existe réellement et celui qui prétend le contraire doit donc en fournir la preuve.Lorsque le mauvais penchant soulève une objection, faisant remarquer que ces objets matériels sont tout de même bien utiles, cet homme lui répondra: «Prouve donc ce que tu dis». Il est, en effet, établi pour lui que seule la Divinité existe réellement et celui qui prétend le contraire doit donc en fournir la preuve.

Une sentence ‘hassidique dit que «ce qui est interdit est exclu; ce qui est permis est inutile».

C’est donc de cette manière que l’on peut pénétrer dans les mots de la Torah et de la prière, se trouver en permanence entouré par eux. Prenant conscience que l’existence véritable est celle de la Torah et de la prière, que tout le reste est à leur service, un homme pourra, même lorsqu’il se consacre, par nécessité, à une activité matérielle, conserver un corps sain. Par chaque action, il servira D.ieu ou préparera ce service.

La seule protection contre les eaux du déluge, qu’elles émanent de l’abîme profonde ou des trombes du ciel, est donc bien l’entrée dans l’arche. C’est de cette manière que l’on peut se préserver de tout ce qui est étranger à la sainteté, que l’on peut satisfaire tous ses besoins en mettant en pratique le Précepte «En toutes tes voies, connais-Le».

L’intégrité à travers l’autre

Néanmoins, on ne peut se contenter de s’enfermer dans l’arche, c’est-à-dire dans les mots de la Torah et de la prière, sans s’intéresser aux autres, en se préoccupant exclusivement de son propre salut.

La Torah nous dit, en effet: «Entre dans l’arche, toi, tes fils, ton épouse et les femmes de tes fils». On ne peut y pénétrer seul, on doit être accompagné par les membres de sa famille. Et, nos Sages expliquent: «Tes fils, ce sont tes élèves». De façon plus générale, cette expression désigne même tous les Juifs, qui sont aussi «ton épouse» ou «tes fils», car la femme est celle qui reçoit. Or, chaque Juif se doit de recevoir de son prochain. Et, tous les Juifs ensemble ne forment qu’une seule entité.

Tous doivent donc entrer dans l’arche. Pour cela, il faut les influencer, les convaincre de «pénétrer» dans les mots de la Torah et de la prière.

Avant le don de la Torah, on aurait pu faire l’erreur de penser: «Pourquoi dois-je me préoccuper des autres? Ne me suffit-il pas d’obtenir mon propre salut?». Malgré cela, D.ieu dit à Noa’h: «Entre dans l’arche, toi, tes fils, ton épouse et les femmes de tes fils». Combien plus en est-il ainsi, après le don de la Torah, lorsque, à Arvot Moav, les enfants d’Israël acceptèrent le principe de la responsabilité collective. Il est donc bien clair que l’on ne peut pas se soucier uniquement de sa propre personne. On doit se préoccuper sincèrement et profondément de la situation de son prochain.

Comme on l’a dit, tous les Juifs ne forment qu’une même entité, qu’un seul corps. Au sein du corps humain, la santé d’un membre est liée à celle des autres. Et, il en est de même pour le grand corps que constitue le peuple d’Israël.

L’intégrité morale d’un Juif rétroagit sur les autres personnes. Et, celui qui ne se préoccupe pas des autres remet en cause sa propre perfection.

Il faut donc exercer une influence positive sur les autres Juifs et, en particulier, sur les membres de sa famille. Bien plus, on ne peut mener une telle activité uniquement pour s’acquitter de son obligation. On doit s’y investir pleinement.

Le Rabbi Rachab prononça une sentence bien connue: «Tout comme il incombe à chaque Juif, érudit de la Torah ou simple homme, de mettre quotidiennement les Tefilin, ce qui est une Mitsva de la Torah, il est tout aussi nécessaire de réfléchir chaque jour, au moins pendant une demi-heure, à l’éducation de ses enfants, à faire tout ce qui est en son pouvoir, et même au-delà de celui-ci, pour qu’ils suivent la voie qui leur est tracée».

On peut se demander pourquoi le Rabbi prend pour référence précisément la Mitsva des Tefilin. En fait, il rappelle ainsi, de manière allusive, que les Tefilin ne sont pas simplement une Mitsva se limitant à l’action concrète, mais qu’elles ont aussi une finalité profonde, celle d’assujettir le cerveau et le coeur à D.ieu, comme l’expliquent le Choul’han Arou’h et le Tanya.

Telle est donc l’influence que l’on doit exercer sur les membres de sa famille. Il ne s’agit pas seulement de s’acquitter de son obligation. On doit investir pleinement son cerveau et son coeur dans cette activité.

Celui qui ne se limite pas à sa propre personne, mais agit et, bien plus, se donne pleinement, pour sauver son prochain des eaux dévastatrices du déluge, pour le faire entrer dans l’arche, peut avoir la certitude de conserver lui-même sa propre intégrité.

On peut donner, à ce propos, l’explication suivante. Pour mener à bien chaque accomplissement, on doit recevoir l’aide de D.ieu. C’est la raison pour laquelle, lorsque Noa’h entra dans l’arche, «D.ieu la ferma pour lui».

Si l’on pénétrait dans l’arche, c’est-à-dire dans les mots de la Torah et de la prière, uniquement par ses forces propres, on pourrait adopter un comportement radicalement différent de ce qu’il devrait être.

Ainsi, nos Sages constatent que les Juifs, à une certaine époque, «ne firent pas précéder la Torah d’une bénédiction». Ils rappellent ainsi que, selon cette bénédiction, D.ieu «nous a donné Sa Torah». Et l’on constate ensuite qu’Il «donne la Torah», au présent. Grâce à cette bénédiction, on prend donc conscience que la Torah vient de D.ieu. En revanche, si on ne la dit pas, on peut étudier la Torah en ayant oublié Celui Qui la donne, ce qu’à D.ieu ne plaise.

Il en est de même pour la prière. On peut la réciter sans la ressentir profondément, sans qu’elle n’ait aucun effet, sans qu’elle ne conditionne l’existence quotidienne, pour la rendre conforme à la Volonté de D.ieu.

Telle est donc la signification de cette entrée dans l’arche. Il ne s’agit pas de s’y isoler, mais, bien au contraire, de la quitter, par la suite, afin de se rendre dans le monde pour y bâtir le Sanctuaire de D.ieu.

Pour que l’effet de la prière se fasse ressentir tout au long du jour, celle-ci doit être dite de telle façon que l’on perde la perception du monde, qu’on lui devienne étranger, que l’on perçoive seulement la Divinité. Puis, après la prière, on entre de nouveau en contact avec la matière et l’on perçoit alors «un monde nouveau», comme Noa’h, lorsqu’il sortit de l’arche.

On raconte que le Baal Chem Tov, chaque fois qu’il s’apprêtait à dire la prière, se demandait s’il survivrait, à l’issue de celle-ci. Il connaissait alors l’extase et n’était donc pas certain de conserver la vie physique.

Pour que la Torah et la prière soient conformes à ce qu’elles doivent être, il faut que «D.ieu ferme l’arche pour lui», que l’on reçoive l’aide du Saint béni soit-Il.Pour bénéficier de cette aide, il faut se préoccuper de son prochain. Ainsi, comme le soulignent nos Sages, commentant le verset «D.ieu fait briller les yeux de l’un et de l’autre», on reçoit personnellement la lumière et l’on «pénètre dans l’arche» exactement comme on doit le faire.

Bien plus, D.ieu demanda à Noa’h d’emporter, dans l’arche, toutes les créatures du monde qui auraient pu disparaître, par exemple les animaux.

Un enseignement pour chaque Juif découle de cette Injonction.

Lorsqu’il y a un objet du monde qui serait détruit ou endommagé si l’on n’intervenait pas, on a le devoir de le transporter dans l’arche, afin de le préserver et de l’élever vers la Divinité. Si l’on considère que l’on n’est pas concerné par cette situation, on remet en cause le principe même de la divine Providence. D.ieu fait que l’on en ait connaissance. On sait que cette créature existe, qu’elle sera détruite ou perdue, si l’on n’agit pas. Il y a là, à n’en pas douter, un message que l’on doit décrypter. De fait, on reçoit ainsi la mission de lui apporter l’élévation.

Dès lors, on reçoit l’aide de D.ieu et l’on pénètre dans l’arche, dont la largeur de l’extrémité supérieure était une coudée, Ama, terme qui est constitué des initiales de la phrase Elokénou Mélé’h Haolam, notre D.ieu, Roi du monde. De cette façon, le D.ieu d’Israël devient, à l’évidence, le Roi du monde. Il accorde à chacun les réceptacles contenant Ses bénédictions pour connaître l’opulence matérielle. Bien plus, Il le fait de Sa propre initiative.

Il est dit que «J’ai placé Mon arc en ciel dans un nuage» et nos Sages expliquent: «L’arc en ciel évoque la Divinité». De la sorte, l’homme peut faire que le monde entier soit un Sanctuaire dans lequel D.ieu réside.