La prochaine étape du pèlerinage des Temimim de la Yeshiva Tomchei Temimim de Netanya, sur les traces des pas du Rabbi et de la Rabbanit, les conduisit à Menton, joyau de la Côte d’Azur dans le sud de la France. Cette ville baignée de soleil, lovée entre mer et montagnes, avait été pendant de longues périodes le lieu de séjour privilégié du Rabbi Rashab et du Rabbi Rayatz.
Lors du Chabbat où l’on lisait la Paracha Vayeshev en 5752 (1991), le Rabbi évoqua avec émotion la maison de Menton, lieu hautement significatif dans l’histoire de la ‘Hassidout ‘Habad. C’est en effet dans cette demeure que le Rabbi Rashab, durant l’hiver 1911, commença à rédiger le monumental Hemshekh (suite de discours hassidiques) intitulé « BeShaa SheHikdimu 5672 » (connu aussi sous le nom de « Hemshekh Ayin Beit »). Le Rabbi souligna le caractère providentiel de cet endroit, qui avait été comme choisi par la Providence divine pour voir naître l’une des œuvres maîtresses de la pensée ‘Habad, appelée à illuminer les générations futures. La maison de Menton, imprégnée de la sainteté et de l’inspiration qui y régnaient alors, semblait avoir conservé quelque chose de cette atmosphère si particulière.
« BeShaa SheHikdimu 5672 (1912) », plus connu sous le nom de « Hemshekh Ayin Beit », est une série magistrale de cent quarante-quatre discours ‘hassidiques (Maamarim), que le Rabbi Rashab prononça ou rédigea au cours des années 1911-1916 (5672-5676 dans le calendrier hébraïque). Cette œuvre monumentale est considérée comme l’une des plus fondamentales et des plus conceptuelles dans tout le corpus des écrits de la ‘Hassidout ‘Habad. Elle explore avec une profondeur et une sophistication remarquables les thèmes spirituels et philosophiques les plus abstraits, tout en les reliant à la pratique concrète du service divin. L’Hemshekh Ayin Beit est ainsi devenu un pilier de l’étude et de la méditation pour les ‘Hassidim, une source intarissable d’inspiration et d’élévation.
Par un miracle, cette maison où résida le Rabbi Rashab est la seule de toute la région à avoir échappé aux ravages du temps et des guerres. Elle n’a été ni détruite, ni même modifiée. Le balcon, dont le Rabbi Rayatz fait une description si vivante dans ses mémoires, est toujours là, comme suspendu hors du temps.
Le propriétaire actuel, un non-juif, s’était obstinément refusé à toute visite des lieux pendant plus de trente ans. Mais face à la ferveur et la sincérité des Temimim, même lui ne put finalement pas résister. C’est comme si la force de leur dévotion avait fini par atteindre son cœur et adoucir sa position. La maison semblait les avoir attendus…
L’émotion était à son comble. Le Rabbi Rashab et le Rabbi Rayatz avaient séjourné ici pendant de longues périodes, sur plusieurs années. Les deux premières pages du début du Maamar (discours ‘hassidique) furent distribuées à tous les élèves, et le Rosh Yeshiva, le Rav Moshe Orenstein, en approfondit l’enseignement. Tous prirent alors la ferme résolution de l’étudier chaque jour, même lorsqu’ils ne seraient plus dans l’enceinte de la Yeshiva. Ce moment d’étude collective, en un lieu chargé d’une telle histoire, scella leur engagement de toujours rester connectés à cet héritage spirituel, où qu’ils se trouvent.
Les Temimim ont également recherché l’endroit bucolique où le Rav Shlomo Shneur Zalman Zlatopolsky, éminent ‘hassid des Rabbis Maharash et Rashab, avait l’habitude de s’asseoir parmi les pins bordant la plage. Là, il fredonnait pendant des heures sa propre mélodie, tout en étant plongé dans la contemplation d’un Maamar (discours ‘hassidique) qu’il avait entendu du Rabbi Maharash. Cette mélodie exprime toute la nostalgie et l’aspiration profonde qui habitent le cœur d’un ‘hassid pour son Rabbi. Le Rabbi Rashab entendit un jour Reb Zalman chanter cette mélodie, et fut impressionné par la ferveur et la durée de son chant méditatif.
Non loin de Menton se trouve la frontière entre la France et l’Italie, une ligne invisible chargée d’un sens tout particulier dans l’histoire du mouvement ‘Habad. C’est en effet cette frontière que le Rabbi franchit un jour avec une grande abnégation, mu par le désir ardent d’obtenir un etrog (cédrat) provenant de la région de Calabre, en Italie. Cet acte, qui peut sembler anodin, révèle en réalité toute la profondeur de l’engagement du Rabbi dans l’accomplissement des mitsvot (commandements divins). Obtenir un etrog de Calabre, réputé pour sa beauté et sa perfection, était pour lui d’une importance suprême, au point de braver les difficultés et les dangers d’un passage de frontière. Ce geste est resté gravé dans la mémoire des ‘Hassidim comme un exemple lumineux de dévouement et d’amour inconditionnel pour les mitsvot. En contemplant cette frontière, les Temimim pouvaient presque ressentir l’écho de la détermination du Rabbi, et puiser dans ce souvenir une inspiration pour leur propre service divin.
Le navire des Temimim s’élança vers l’horizon, cap sur Lisbonne. Mais après une heure de navigation , baignée dans les embruns et les souvenirs ils retournèrent à Menton. C’est là, dans cette ville chargée de sens, qu’ils passeraient leur dernière nuit sur le sol européen. Au matin, c’est de l’aéroport de Nice qu’ils s’envoleraient vers New York, dernière étape de leur pèlerinage sur les traces du Rabbi et de la Rabbanit. Cette ultime escale à Menton semblait revêtir une signification toute particulière, comme si les lieux mêmes tenaient à leur faire un dernier adieu, à leur transmettre une dernière bénédiction avant le grand voyage. C’est le cœur empli d’émotions et de réflexions profondes qu’ils contemplèrent une dernière fois la douceur de la Riviera, conscients de la richesse spirituelle dont ils s’étaient imprégnés. Et c’est avec une ferveur renouvelée qu’ils s’apprêtèrent à rejoindre New York, terre d’accueil du Rabbi et de la Rabbanit, pour y puiser de nouvelles lumières et diffuser autour d’eux l’héritage éternel de la ‘Hassidout.