Par Nissan Dovid Dubov / fr.chabad.org

« Je n’ai été créé que pour servir mon Maître. » (Éthique des Pères)

Il y avait une fois dans un journal une publicité remplie des mots « gauche droite, gauche droite » répétés sur toute la page. Au bas de celle-ci, en caractères gras, se trouvait cette question : « Mais où vas-tu ? » Dans notre navigation des mers agitées de la vie, il est important que nous ayons nos repères et notre sens de la direction. Tant que nous savons où nous allons et ce que nous faisons ici-bas, nous pouvons garder le bon cap.

Dans les œuvres de Kabbale, on peut trouver différentes explications du but de la création. Le Zohar affirme que la raison pour laquelle D.ieu a créé le monde est « afin que nous puissions Le connaître ». Rabbi ‘Haïm Vital dans le Ets ‘Haïm écrit que « D.ieu voulait révéler la véritable étendue et la perfection de Ses pouvoirs et de Ses actes ». Dans ce chapitre, nous nous concentrerons sur l’exposé de Rabbi Chnéour Zalman, fondateur de ‘Habad, qui écrit dans le chapitre 36 du Tanya, citant un Midrash, que D.ieu créa le monde parce que « D.ieu désira avoir une demeure dans les mondes inférieurs (Dirah BeTa’htonim) ». C’est dans ce but qu’Il a créé un enchaînement de mondes, avec des degrés supérieurs et inférieurs, le but de la création résidant spécifiquement dans le plus bas d’entre eux.

Les ouvrages ultérieurs de la philosophie ‘hassidique analysent chaque mot de cette affirmation midrashique à travers les questions suivantes :

1) Qu’est-il entendu par « désir » ? D.ieu a-t-Il des désirs ? Lui manque-t-il quelque chose ?

2) Que signifie exactement le mot « Dirah » ? En hébreu moderne, Dirah est le terme désignant un appartement. Que signifie exactement que D.ieu voulut « un appartement » dans ce monde ?

3) « BeTa’htonim. » Cette expression implique que c’est la mission des habitants du monde de créer cet appartement. De quelle façon sont-ils censés accomplir cela ?

Pour mener à bien la tâche de faire du monde une habitation pour D.ieu, il faut prendre le monde matériel et l’élever et le relier à D.ieu. C’est la base de l’accomplissement des Mitsvot. Le mot « Mitsva », en plus de signifier « un commandement », a également le sens de « connexion ». Les 613 Mitsvot de la Torah sont des moyens par lesquels nous pouvons relier chaque échelon et chaque aspect de notre vie terrestre à D.ieu. Nous faisons que D.ieu se sente chez Lui dans notre cuisine en observant les lois alimentaires juives. Il se sent chez Lui sur notre lieu de travail quand nous respectons l’éthique des affaires. Il se sent chez Lui dans notre cycle hebdomadaire lorsque nous respectons le Chabbat. Faire une Dirah BeTa’htonim, c’est prendre le « monde physique » – appelé Gachmiout – et l’imprégner de « spiritualité » (Rou’haniout) et révéler ainsi son essence divine.

La maison d’une personne ne se résume pas à ses quatre murs, mais comprend également des meubles et des accessoires. Un architecte d’intérieur compétent décorera la maison pour la rendre esthétiquement agréable.

La demeure de D.ieu ne doit pas seulement être un réceptacle pour le Divin créé par l’accomplissement des Mitsvot, mais elle doit aussi être remplie de Lumière et de Présence divines. C’est pourquoi l’accomplissement des Mitsvot doit être imprégné d’amour et de crainte de D.ieu. Quand une personne fait une Mitsva de la plus belle façon, avec amour et joie, la demeure devient illuminée par la « Divinité » (Élokout). La mitsva est donc composée de deux parties : l’acte et « l’intention » (Kavana). L’acte se rapporte à l’aspect physique de la création, puisque la Mitsva est effectuée dans le monde matériel, et « l’intention » se rapporte à sa dimension spirituelle.

Dans cette optique, les raisons de la création mentionnées dans le Zohar – « afin que les créatures Le connaissent » – et dans le Ets ‘Haïm – « afin de révéler la perfection des véritables pouvoirs de D.ieu » – complètent le but ultime de Dirah BeTa’htonim : bien que la création du monde physique fût telle qu’une demeure pour D.ieu puisse être faite dans la dimension matérielle, cette demeure doit être illuminée par la Divinité, et cette illumination passe par le fait de « Le connaître » et par « la révélation de Ses véritables pouvoirs ». En effet, D.ieu, étant omnipotent, Il aurait certainement pu créer le monde matériel sans étapes intermédiaires et sans enchaînement des degrés de la création. Cependant, la Kabbale révèle qu’Il fit le monde dans un certain ordre, révélant d’abord le Or Eïn Sof, puis les mondes supérieurs puis alla de dissimulation en dissimulation pour finalement créer ce bas monde. Le but de la création de ce Seder Hichtalchelout est que nous puissions contempler cet enchaînement des degrés et méditer sur l’immensité et l’étendue de la grandeur de D.ieu, ce qui nous inspirera un grand amour et une grande crainte. Le résultat concret est que notre accomplissement des Mitsvot ici-bas sera imprégné de « connaissance de Lui », d’« amour » (Ahavah) et de « crainte » (Yirah) de Lui, éclairant ainsi la demeure.

Nous pouvons maintenant aussi nous concentrer sur le mot « désir » employé par le Midrash. S’il y avait une raison logique à la création, il serait logique que la création et les créatures ressentent qu’elles sont nécessaires et indispensables pour accomplir cette raison de la création. C’est dans ce but que le Midrash introduit l’idée d’un « désir ». Le mot « désir » n’introduit aucune corporéité En-Haut. Son propos est de transmettre l’idée que la création est le fait d’un « désir » de D.ieu et non d’une quelconque raison logique. Quand nous satisfaisons à ce désir, ce n’est pas en raison d’un sentiment égoïste ; notre intention est uniquement d’accomplir la volonté de D.ieu simplement parce que c’est ce que D.ieu veut. Rabbi Chnéour Zalman disait : « Sur un désir, on ne peut poser aucune question. » Il voulait dire qu’on ne peut pas demander pourquoi on désire quelque chose, car c’est au-delà de la logique. Il en est de même de la création : D.ieu ne manquait de rien quand Il voulut créer le monde. D.ieu « désirait » avoir une Dirah BeTa’htonim et nous a donné le privilège d’accomplir cette tâche. Cela ne signifie pas que nous accomplissons une tâche insignifiante, car D.ieu est le summum de la bonté et c’est la nature d’un être bienveillant que de manifester de la bienveillance. Le plus grand cadeau que D.ieu puisse nous faire est Lui-même. Il a donc « désiré » créer un monde dans lequel Il pourrait nous accorder cette bonté. C’est précisément à travers la création du monde physique et la réalisation d’une Dirah BeTa’htonim que les créatures peuvent être les réceptrices d’une révélation de D.ieu Lui-même.

La tâche de faire une Dirah BeTa’htonim, cependant, est considérable et non sans difficultés. Nous habitons un monde dont la nature même est de mettre en valeur le corps et ses désirs. Dans les termes du Tanya, le monde est plein de Kelipot et de Sitra A’hara. Quel instrument nous a-t-on donné pour accomplir la tâche ? Le roi Salomon déclare : « La bougie de D.ieu est l’âme de l’homme. » Le sens de ce verset est que D.ieu envoie l’âme dans ce monde pour agir comme une bougie qui illuminera les ténèbres spirituelles. Avant que l’âme ne descende dans ce monde, elle était, comme l’ont décrit les Sages, « gravée sous le Trône de Gloire divin ». Selon la Kabbale, cela signifie que l’âme habitait les mondes supérieurs. D.ieu envoie l’âme dans ce monde pour la courte période d’une vie humaine afin d’accomplir la Dirah BeTa’htonim. Après le séjour de l’âme dans ce monde, elle retourne à sa demeure céleste où elle est richement récompensée pour son travail. Nos Sages affirment que tous les plaisirs de ce monde ne valent pas un moment de plaisir dans le Monde Futur.

Les Sages appellent cette récompense « se délecter du rayonnement de la Chékhina ». C’est une expérience de la Divinité bien plus grande que tout ce que l’on peut expérimenter dans ce monde.

Par exemple, l’âme peut être récompensée par l’entrée dans le Jardin d’Éden inférieur, qui est dans le monde de Yétsira, ou, si elle le mérite, dans le Jardin d’Éden supérieur dans le monde de Briah. Dans chaque monde, il y a une myriade de niveaux et chaque âme est récompensée par une certaine mesure de révélation divine proportionnelle à ses efforts dans ce monde.

Nous pourrions donc résumer en disant que le but de la descente de l’âme est double :

a) À travers sa descente dans ce monde, l’âme peut atteindre un niveau du Jardin d’Éden plus élevé que celui qu’elle avait avant sa descente. Ceci est atteint spécifiquement en étant enveloppée d’un corps matériel dans un monde plein de Kelipot. Pendant ce séjour ici-bas, l’âme se languit de sa source, un peu comme un fils qui a été séparé de son père et aspire à être réuni avec lui. Ces sentiments nostalgiques créent un lien profond entre le père et le fils qui est ressenti une fois que l’âme retourne à sa demeure céleste, et ce sont ces sentiments qui élèvent l’âme à un niveau supérieur. La descente avait donc pour unique but cette élévation. De ce point de vue, en ce qui concerne l’âme, ce monde n’est qu’un tremplin vers le Monde Futur.

b) L’âme n’a pas besoin de rectification pour elle-même, car l’âme est une étincelle de Divinité. Elle est toutefois envoyée dans ce monde pour accomplir le but de la création en affinant le corps et le monde matériel. Cette descente n’est donc pas pour l’ascension de l’âme dans le Monde Futur, mais dans le but d’une élévation qui s’effectuera au sein du corps. Cette élévation accomplit le but de la création et est également très bénéfique pour l’âme. De fait, l’âme peut gagner quelque chose dans le corps qui est plus grand que n’importe quelle révélation du Monde Futur.

Explication : Lorsque l’âme est extraite des révélations immédiates du Jardin d’Éden et exposée à un désert spirituel, elle entre en contact avec ses plus profonds niveaux quintessentiels qui lui sont nécessaires pour survivre. Cela peut être comparé aux cas de personnes qui ont survécu à des épreuves horribles en faisant usage de ressources surhumaines qu’elles ne s’imaginaient pas posséder. De même, le seul pouvoir qui puisse transformer le monde matériel est Atsmout, l’« essence » même de D.ieu. C’est seulement la puissance d’Atsmout qui peut créer quelque chose à partir du néant, et c’est seulement la puissance d’Atsmout qui peut imprégner cette chose d’une reconnaissance et d’une conscience totales du néant à partir duquel elle a été créée. Le Zohar déclare qu’Israël, la Torah et D.ieu sont Un. Cela signifie que le Nefech Elokit, étant une partie de D.ieu, a en soi le pouvoir d’Atsmout qui peut révéler la Divinité, même au sein d’un monde physique diamétralement opposé à la spiritualité.

Tel est le sens de l’expression de Rabbi Chnéour Zalman : « Je ne veux pas de Ton Jardin d’Éden, je ne veux pas de Ton Monde Futur, je ne veux que Toi ! » Toutes les révélations du Jardin d’Éden et des mondes supérieurs ne sont rien en comparaison avec la connexion ultime que l’on a avec D.ieu en accomplissant une Mitsva dans ce monde. La plupart des commentaires expliquent que la récompense d’une Mitsva est l’opportunité d’accomplir une autre Mitsva. Rabbi Chnéour Zalman a expliqué que la récompense d’une Mitsva est la Mitsva elle-même, qui est une connexion à D.ieu. C’est seulement quand une Mitsva est accomplie dans ce monde qu’il y a un vrai lien avec Atsmout. C’est ici, dans un monde qui n’est pas un réceptacle pour la Divinité révélée, que l’on révèle la véritable essence de D.ieu.

Nous apprenons aussi de ce concept que la demeure de D.ieu doit être faite par Ses créatures. L’intention de D.ieu n’est pas que ce soit Lui qui crée cette demeure au moyen d’une révélation d’En-haut, mais que ce soit nous qui la créions malgré le fait que nous sommes des créatures matérielles, limitées par le corps.

Nous pouvons maintenant comprendre les paroles des Sages dans l’Éthique des Pères. La Michna dit : « Mieux vaut une heure de félicité céleste dans le Monde Futur que tous les plaisirs de ce monde » (Avot 4:17). En ce sens, notre monde n’est qu’un tremplin temporaire où l’on peut gagner une place dans le Monde Futur. Cela vaut bien l’effort de renoncer aux plaisirs éphémères de ce monde devant les glorieuses révélations des mondes supérieurs. Pourtant, quelle que soit la grandeur de la récompense du Monde Futur, celle-ci ne constitue pas le but ultime de la création, car nous ne vivons pas pour l’au-delà. C’est dans cet esprit que la Michna déclare : « Mieux vaut une heure de repentance et de bonnes actions dans ce monde que tout le Monde Futur. » Bien que les révélations des mondes supérieurs spirituels soient magnifiques et constituent une véritable récompense pour les efforts de l’âme, le désir ultime de D.ieu réside dans la Techouva et les bonnes actions de ce monde-ci. En vérité, lorsqu’une âme accomplit sa mission ici dans ce monde en faisant une Dirah BeTa’htonim, elle provoque une élévation dans tous les mondes supérieurs. Le ‘Hassidisme tire une analogie d’un levier. Pour soulever une lourde charge, il faut utiliser un levier et soulever par le bas.

Bien que le levier soit placé tout en bas de la charge, il provoque l’élévation des parties les plus élevées de celle-ci.

De même, lorsque les « domaines inférieurs » (Ta’htonim) créent la « demeure » (Dirah), ils révèlent Atsmout dans celle-ci, ce qui provoque une élévation au sein de tous les domaines supérieurs. Nous pouvons maintenant comprendre comment les anges et les âmes résidant dans les mondes supérieurs sont profondément touchés par nos actions dans ce monde. L’émoi suscité par l’accomplissement de Mitsvot dans un monde rempli de Kelipot et de Sitra A’hara se répercute dans ces domaines supérieurs, provoquant une grande joie. C’est pour cette raison que le Kaddish récité à la mémoire d’une âme défunte provoque l’élévation de celle-ci. En effet, l’âme défunte ne peut plus accomplir de mitsvot matérielles dans ce monde, mais lorsque le nom de D.ieu est glorifié et magnifié par un parent vivant dans ce monde, l’âme est extrêmement élevée dans le Monde Futur.

Le Midrash raconte l’histoire d’un roi qui arriva dans une certaine région accompagné d’une suite de ministres, de gardes royaux et de serviteurs.

De nombreux observateurs furent éblouis par la splendeur des ministres et des soldats. Cependant, une personne intelligente dans l’assistance dit : « Je veux seulement le Roi. » Dans ce monde, nous ne devons pas nous laisser distraire ou éblouir par l’attrait d’honneurs ou de récompenses secondaires, fut-ce de nature spirituelle. Notre seule intention devrait être : « Je veux seulement le Roi. » C’est un sentiment très exaltant de parcourir ce monde et de voir tout ce qu’il a à offrir, tout en sachant dans son cœur que l’on est dans le monde de D.ieu. Pénétré d’un tel sentiment, on dédaigne toute distraction superficielle, et la Torah, qui est le manuel d’instruction de D.ieu, est notre guide.

L’objectif primordial de l’étude de la Kabbale et du ‘Hassidisme est qu’elle place face à D.ieu l’esprit, le cœur, l’intellect et les émotions. Nous devenons parfaitement conscients qu’Il se tient au-dessus de nous, remplissant le monde entier, et sondant notre cœur pour voir si nous le servons comme il convient. La plus grande expérience possible pour un être humain est cette connexion. C’est quelque chose d’éternel et de véritablement vitalisant.