Amir avait plus de trente ans, mais il avait un visage d’enfant. Il avait des tonnes de questions, des doutes par-dessus la tête mais, contrairement à la colombe du déluge, il n’avait pas encore trouvé de branche d’olivier, il n’avait pas encore trouvé le repos et la sérénité pour son âme tourmentée.

Il y a sept ans, il a perdu ses parents après de longues et pénibles maladies. Sur un coup de tête, il avait quitté son Kibboutz natal etait est parti «à la recherche de la vérité» en extrême Orient.

Durant des années, il s’initia aux diverses formes de spiritualité, d’une secte à l’autre ; il apprit les différentes formes de bouddhisme et d’hindouisme dans tous les détails. Grâce à ses connaissances, il devint même l’aide de camp attitré d’un des gourous, un médecin doué de pouvoirs magiques ainsi qu’il le définit. C’est alors qu’il a fini par arriver chez nous, dans notre Beth ‘Habad de Katmandou, au pied de l’Himalaya.
 Au début, il semblait déstabilisé. Complètement perdu. Il ne nous connaissait pas et craignait notre réaction quand il parlerait de son gourou.

Bien vite, il comprit que, en ce qui nous concerne et comme tous les émissaires du Rabbi, nous l’accueillons comme un fils, sans conditions. Nos enfants l’entouraient et le considéraient comme un grand frère.

Amir a fêté, dans notre Beth ‘Habad, sa Bar Mitsva en grande pompe. Dans le Kibboutz où il avait passé son enfance, on n’avait même pas pris la peine de lui expliquer que les jeunes garçons juifs célèbrent leur Bar Mitsva à l’âge de treize ans. Nous avions tout préparé et nous étions aussi émus que des parents biologiques. Amir avait mis les Téfiline avec une ferveur qui nous réchauffa le cœur.

Au fur et à mesure, Amir se joignait à la vie du Beth ‘Habad : aux prières, aux cours de Torah aide à l’organisation des repas et surtout il aimait réciter le «Kaddich» à la mémoire de ses parents. Il assistait avec joie et intérêt aux réunions ‘hassidiques, nous demandait souvent des conseils. Il me considérait presque comme sa mère…

Il visitait de temps en temps son gourou et se sentait encore attiré par son charisme. Amir avait du mal à se libérer des liens qui l’enchaînaient à ces sectes idolâtres.


 »Vous comprenez ? » tente-t-il de nous expliquer après le Kiddouch un vendredi soir, « demain, Chabbat, ce sera le septième anniversaire du décès de ma mère. D’après le gourou, ce septième anniversaire marque la mort définitive de l’âme du défunt. C’est pourquoi cette cérémonie est si importante pour moi : je dois envoyer l’âme qui va mourir vers le Gange, le fleuve sacré selon la tradition hindoue. Je dois me concentrer sur les meilleurs souvenirs de ma maman chérie, les enfermer dans un sac et les jeter dans le fleuve. Demain, je m’habillerai donc en blanc en l’honneur de la cérémonie. Donc je ne pourrai pas passer la journée de Chabbat avec vous »

Mon mari, Rav Chezky Lifshitz, lui jetta un regard pénétrant. Il ne lui répondit pas et se mit à lui raconter, en présence des autres convives qui partageaient notre repas de Chabbat, le récit des derniers instants de Yaacov Avinou dans ce monde.

«Yaakov, notre père, est étendu sur son lit. Les douleurs sont intenses, il sait que l’heure approche mais il savoure encore la voix de ses petits enfants qui étudient la Torah à son chevet. Toutes les souffrances qu’il a subies dans sa vie ne sont rien comparées au bonheur de voir ses petits. Il reconnaît les pas de Yossef, son fils dont il a été privé si longtemps. Yossef qui était devenu vice roi d’Egypte, l’homme le plus puissant de la terre mais qui, pour rien au monde, ne laisserait à d’autres le privilège de servir son père, de le nourrir, de l’aider…

Osnat, l’épouse de Yossef, observe la scène de loin, admire le lien si étroit entre Yaacov et son fils. Combien elle aurait voulu, elle aussi, entretenir d’aussi bonnes relations avec ses parents!
 Yaakov se souvient encore de son angoisse quand il a dû quitter la terre d’Israël pour se rendre en Egypte, ce pays idolâtre. Mais il a envoyé son fils Yehouda, qui s’est chargé d’établir des Yechivot pour l’accueillir. Oui, ses enfants et leurs enfants continuent la tradition de son grand-père Avraham.


Yaakov fait appeler tous ses enfants : «Non, ne pleurez pas ! L’âme ne meurt jamais ! Vous avez la capacité, vous, vos enfants et vos descendants tout au long des générations, de continuer la tradition. Ainsi ma vie sera éternelle. Toutes vos actions positives dans ce monde permettront à mon âme de monter de niveau en niveau, dans le monde à venir !


Et Yaakov se redresse malgré la douleur : «L’heure est arrivée de vous parler de ce qui me préoccupe depuis que je suis arrivé en Egypte. Yossef mon fils ! Avant que je ne rende l’âme à mon Créateur, jure-moi de faire monter mes ossements en Erets Israël. Ne laissez personne faire de mon corps ou du souvenir de mon âme un objet de culte idolâtre ! Ne laissez pas les sorciers et les magiciens s’emparer de moi ! ».


Chabbat matin, alors que la prière de Cha’harit venait tout juste de commencer, Amir entra dans la synagogue du Beth ‘Habad avec un grand sourire. Habillé d’un pantalon bleu et d’une belle chemise blanche, il prit un Talit, le posa sur ses épaules. Ses yeux brillaient d’un éclat pur tandis qu’il récitait le Kaddich avec une voix sanglotante  :
 «Yitgadal Veyitkadach… Que Son Grand Nom soit loué et sanctifié…»

 



‘Hannie Lifshitz – Katmandou (Népal)

‘Hadachot ‘Habad n°1219

traduite par Feiga Lubecki