Zarie Sibony, 26 ans, est une survivante du huis clos mortel de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes. Cinq ans après l’attaque et à quelques jours du procès des complices présumés d’Amedy Coulibaly, l’ancienne caissière raconte pour la première fois aujourd’hui, l’horreur de cette prise d’otages sanglante.

Elle est sortie physiquement indemne d’un long face-à-face avec le terroriste, mais ses blessures psychologiques sont indélébiles.

Cet extrait AUDIO est issu du replay de Sept à Huit, émission d’information et de reportages hebdomadaire diffusée sur TF1 et présentée par Harry Roselmack.

 

 

Le 8 janvier 2015, Amedy Coulibaly a tué une policière municipale à Montrouge et grièvement blessé un de ses collègues. Le lendemain, il attaque le magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes alors que les frères Kouachi, auteurs de l’attentat de Charlie Hebdo sont cernés dans une imprimerie de Seine-et-Marne.

 

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Il est 13h05 lorsqu’un homme noir, de petite taille, veste à capuche entourée de fourrure sur le dos et sac de sport à la main, arrive devant le magasin Hyper Cacher situé porte de Vincennes, à Paris. Sur le trottoir, Amedy Coulibaly sort une kalachnikov de son sac.

13h06 : Amedy Coulibaly entre dans le magasin
Il tire immédiatement sur un jeune homme qui lui tourne le dos sur sa gauche, Yohan Cohen, employé comme manutentionnaire du magasin, qui s’écroule. Alertés par les tirs, les clients et employés se mettent à courir. “Restez tous ici ! Personne bouge ! Personne bouge !”, hurle Amedy Coulibaly. Quelques-uns réussissent à s’enfuir par l’entrée du supermarché. C’est le cas du tout nouveau directeur, blessé au bras par plusieurs balles. Le terroriste empoigne un homme par la capuche de son sweat, l’interroge : “Tu t’appelles comment ?” “Philippe”, répond celui-ci. “Philippe comment ?” “Braham.” Amedy Coulibaly tire alors deux fois et le tue.

Pendant ce temps-là, certains clients avisent l’issue de secours située à l’arrière du magasin, mais elle est fermée par deux cadenas. “Nous donnons des coups de pieds de toutes nos forces, dix, vingt, trente coups de pieds (…) Rien à faire”, raconte l’un des clients, Yohann Dorai, dans son livre Hyper Caché (Éditions du moment). D’autres descendent l’escalier en colimaçon qui mène au sous-sol. Ils sont accueillis par Lassana Bathily, un autre employé du magasin, qui est alors en train de ranger des produits. Il débranche les chambres froides et de congélation dans lesquelles des clients et le directeur adjoint du magasin se réfugient. Une femme se cache dans les toilettes, s’assoit par terre, la tête dans les genoux.

13h11 : le rideau métallique se baisse
À l’étage, le terroriste interpelle la caissière du magasin, Zarie Sibony, 22 ans. Il lui ordonne de baisser le rideau métallique : “Hé, viens fermer la porte. Elle est où la clé ? Venez tous ici, sinon je les tue tous.” Mais un client, Michel Saada, se faufile en-dessous du rideau de fer en train de se fermer. Il veut absolument acheter du pain pour shabbat. La caissière ne parvient pas à l’en dissuader. Situé juste derrière elle, Amedy Coulibaly tire et le tue.

13h17 : Amedy Coulibaly ordonne à tout le monde de remonter
Dans l’Hyper Cacher, Amedy Coulibaly prend ses marques, enlève sa doudoune, sort un ordinateur portable. Puis se tourne une nouvelle fois vers la jeune caissière. “Va en bas”, lui ordonne-t-il. “Appelle le directeur. Un geste brusque, un truc, et je tue les deux femmes. Dis-lui qu’il a intérêt à venir. S’il veut pas que je tue des femmes.”

Au sous-sol, les otages cachés dans les chambres froides du magasin rechignent, n’osent pas quitter leur cachette. Cinq d’entre eux se laissent convaincre : un couple de 37 ans, un sexagénaire et un père accompagné de son petit garçon de 3 ans. Mais cela ne suffit pas, le terroriste se doute que d’autres sont restés dissimulés. Alors il renvoie la jeune caissière une deuxième fois : “Tout le monde monte, j’veux personne en bas !”

Au sous-sol, le ton monte un peu. Puis, Yoav Hattab, jeune Tunisien de 21 ans venu faire ses études à Paris, se décide à la suivre dans l’escalier métallique en colimaçon. Une fois à l’étage, Yoav Hattab observe attentivement le terroriste, repère une kalachnikov laissée dans un coin, parvient à s’en saisir. Il vise le preneur d’otage, mais l’arme s’enraye. Amedy Coulibaly riposte et le tue.

Vers 14 heures : monte-charge et barricades
Lassana Bathily, magasinier de l’Hyper Cacher, propose aux otages cachés au sous-sol de fuir avec lui par le monte-charge. Mais ceux-ci ont peur que l’appareil ne fasse trop de bruit. Alors le jeune homme s’enfuit seul. À la sortie, il est d’abord pris pour un terroriste. Une fois le malentendu dissipé, il aide, des heures durant, les forces de l’ordre à préparer l’assaut.

Dans le congélateur, ils sont sept désormais, dont une mère et son bébé de 11 mois. Soudain, ils entendent des bruits dans l’escalier. Amedy Coulibaly, kalachnikov à la main, vient inspecter les lieux. Mais il reste sur les marches et, après un rapide coup d’œil, décide de remonter. Au sous-sol, les otages s’autorisent à nouveau à respirer, mais décident de fermer la porte du congélateur malgré la crainte du froid. Certains prêtent leur veste à la maman du bébé pour qu’elle puisse le couvrir. Celui-ci, allaité par sa mère, reste heureusement calme. Grâce à leurs téléphones portables, les otages gardent le contact avec leurs proches et, pour l’un deux, avec les policiers du Raid à l’extérieur.

Plus tard, le monte-charge se remet en marche. Cette fois-ci, il s’agit de Jean-Luc, autre employé du magasin, envoyé par le terroriste avec un transpalette pour récupérer des sacs de farine et de sucre dans la réserve. Amedy Coulibaly se doute qu’un assaut se prépare et veut barricader les portes d’entrées du magasin.

Vers 15 heures : au téléphone avec le patron du Raid
Toujours caché dans le congélateur au sous-sol, l’un des clients, Yohann Doraï reçoit un nouvel appel du patron du Raid. “Il nous suggère de nous décontracter : “Faites de la gym, des exercices d’étirement, ne restez pas dans la même position.” Au rez-de-chaussée, Amedy Coulibaly a proposé aux otages de coucher des caddies pour qu’ils puissent s’asseoir dessus. Puis, les invite à se servir dans les rayons pour manger. Et demande même à ce qu’on lui prépare un sandwich.

17h10 : l’assaut
Amedy Coulibaly, qui avait coordonné ses attaques avec les frères Kouachi, assaillants de Charlie Hebdo, avait mis les forces de l’ordre en garde : si ses complices étaient tués, il abattrait tous les otages du magasin. Pour les forces d’élite, il n’y avait donc qu’une seule solution : lancer des assauts concomitants.

Si bien qu’un peu après 17 heures, lorsque les frères Kouachi viennent de sortir, kalachnikovs à la main, de l’imprimerie de Dammartin-en-Goële où ils sont réfugiés depuis le matin, les policiers du Raid et de la BRI lancent aussi leur opération à l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, à Paris.

Pendant l’assaut, Amedy Coulibaly tire longuement sur les forces de l’ordre. Il est finalement abattu. Vingt-six otages sont alors libérés.

L’attentat a fait quatre morts : Yohann Cohen, Philippe Braham, Michel Saada et Yoav Hattab.