Il y avait un lien particulier entre le Rabbi et son «double oncle» (en effet, le frère de Rabbi Lévi Yits’hak avait épousé Myriam-Guittel, la sœur de la Rabbanit ‘Hanna : c’est le cas un peu particulier de deux frères qui épousent deux sœurs).

Les parents du Rabbi n’avaient pas reçu la permission de voyager pour assister au mariage de leur fils à Varsovie (Pologne). Ils avaient cependant organisé une grande réception à leur domicile à Yékatronislav (aujourd’hui Dniépopétrovsk) pour célébrer l’événement – même sans les mariés.

Le Rabbi avait écrit à son oncle, Rabbi Chmouël pour que celui-ci lui décrive les événements. Voici sa réponse :

« Tu me demandes par exemple de résumer les discours. D’abord ce n’est pas très intéressant. Si j’avais su que tu en as besoin pour préparer un discours, je t’en aurais peut-être rapporté le contenu mais, autant que je le sache, tu n’es pas intéressé à cela pour le moment et tu n’en as donc pas besoin – à mon avis.
Les paroles de Torah, les versets et paroles talmudiques cités ne constituent certainement pas des ‘Hidouchim (nouveautés) pour toi. Il est aussi inutile de répéter les paroles flatteuses (ou moins agréables) qui ont été prononcées.
 De plus, les discours étaient trop nombreux pour que je les cite tous. Ce qui a été dit oralement, on ne peut pas le mettre par écrit…. »

Ces quelques lignes suffisent à prouver le lien profond qui existait entre Rabbi Chmouël Schneerson et son neveu.

Les parents du Rabbi avaient quitté la ville de Nikolaïev en 1909, quand Rabbi Lévi Yits’hak avait été nommé Rav de la ville de Yékatronislav. Son frère, Rabbi Chmouël n’était pas encore marié et il vint vivre quelques temps à leur domicile car il travaillait comme professeur d’hébreu.

Nous avons retrouvé une lettre écrite par Rabbi Chmouël au Rabbi en 1928 alors que celui- ci habitait en Allemagne et avait apparemment besoin d’un document officiel pour ses études à l’université de Berlin :
« J’atteste – au mieux de mes connaissances et de celles d’autres personnes dignes de foi – que le jeune Mena’hem Mendel, fils de Rabbi Lévi Yits’hak Schneerson a réussi les examens à l’école de Yékatronislav en 1919 et a obtenu de très bonnes notes dans toutes les matières. Il a obtenu un diplôme qui a été perdu ».

Voici deux épisodes – rapporté par Rav Pin’has Althaus, Rav de la ville de ‘Holone en Israël, qui attestent de la proximité du Rabbi avec son oncle : durant la fête de Chavouot 1991, il se trouvait dans la synagogue du Rabbi à New York et transmit au secrétaire, Rav Binyamine Klein l’acte de naissance de sa tante, Mme Batchéva Althaus, la fille du ‘Hassid (et ami de la famille du Rabbi), Rav Éliahou ‘Haïm Althaus qui était née elle aussi à Nikolaïev.

Cet acte de naissance était écrit sur le papier à lettres de Rabbi Chmouël et signé de sa main. Voici ce que raconta ensuite Rav Klein :

« le Rabbi avait contemplé longtemps le papier en question et on voyait qu’il était heureux. Effectivement, Rav Althaus mérita une réponse de remerciement du Rabbi : « Il m’a occasionné une grande satisfaction pendant un long moment» ».

Dans la marge d’une lettre envoyée en 1978 au professeur Flaxsman qui habitait à Kiriat Gat, le Rabbi écrivit :

« Puisqu’il rappelle qu’il a séjourné en prison avec mon oncle le (défunt) Rav de Nikolaïev, je lui serais infiniment reconnaissant s’il pouvait m’envoyer des détails à ce propos. Je suggère, afin de ne pas trop le fatiguer, qu’il puisse facilement contacter des jeunes ‘Hassidim Habad de la ville de Kiriat Mala’hi qui seraient prêts à l’écouter raconter des détails et à me les rapporter par la suite. En effet, chaque détail m’est très, très précieux. D’avance je le remercie infiniment».

Rav de la ville

En 1930, Rabbi Chmouël retourna s’installer à Nikolaïev. L’année suivante, Roch ‘Hodech Eloul 1931, il épousa Myriam-Guittel, la fille du Rav de la ville, Rabbi Méir Chlomo Yanovsky et son épouse la Rabbanit Ra’hel – donc la sœur de la Rabbanit ‘Hanna qui était mariée avec son frère Rabbi Lévi Yits’hak.

Au début il fut seulement nommé Rav de la communauté ‘Habad et, en 1937, il devint le Grand Rabbin officiel de la ville. De par sa fonction à cette époque troublée, alors que régnait un gouvernement antireligieux, il dut faire preuve d’énormément de détermination malgré les nombreuses difficultés.

Dans une lettre adressée avant la fête de Pessa’h 1939 à son frère, il s’intéressa quant au moyen de cachériser des fours communautaires pour la cuisson des Matsot :

« Mon frère, je te demande de me répondre de toute urgence : comment cuit- on chez vous le « pain de misère » ? Y a-t-il un seul four ou plusieurs? Comment se procure-t-on de « l’eau qui a dormi » ? Avez-vous des machines réservées pour les Matsot ou d’autres machines ? Quel est le poids de la pâte pour chaque équipe de pétrisseurs ? Combien de surveillants ? Vas-tu surveiller toi aussi ? Comment vend-on les Matsots ? Ici, sur place ou dans des magasins spécialisés, enveloppées dans un papier ? Tous les ustensiles ont-ils été cachérisés ? Bref j’ai besoin de connaitre tous les détails et je te demande instamment de me répondre immédiatement. Voici ce qui se passe ici : après beaucoup d’efforts, j’ai discuté avec le responsable de la cuisson du pain mais il ne m’a pas répondu clairement pour les matsot. Seulement à Chouchane Pourim il me donnera sa réponse… ».

Rabbi Chmouël ne s’occupait pas uniquement des besoins religieux des Juifs de la ville mais aussi de leurs problèmes matériels. A cause de la très mauvaise gestion économique des communistes et, surtout quand avait éclaté la seconde Guerre mondiale, la situation sur place était désastreuse.

D’après les documents de son interrogatoire, on comprend qu’il se porta au secours de Juifs indigents, distribua des sommes que lui faisaient parvenir des organisations juives de l’étranger pour ce qui était sans doute une maison de retraite ou des hospices pour personnes handicapées. Il organisa aussi des distributions de repas cachères pour des familles pauvres.

Mais il ne s’occupa pas uniquement de sa communauté : il s’impliqua aussi pour le reste de la population.

Dernièrement, un livre intitulé « Citoyen de notre pays » a été publié par la municipalité de Nikolaïev: Mme Lavtchinsky et le chercheur M. Kouchine ont dépouillé de nombreux documents sur les familles Lavout, Yanovsky et Schneerson.  En effet, la ville de Nikolaiëv s’enorgueillit qu’un personnage né dans cette ville – le Rabbi – ait tellement influencé notre génération.

Pour cela, ces chercheurs ont fait appel au Rav de la ville, le Chalia’h Rav Chalom Gottlieb ainsi qu’à l’équipe de JEM à New York. « En 1921 et 1922, alors que la population souffrait de la famine, Rav Chmouël Schneerson fit construire une cuisine populaire qui put nourrir plus de 500 personnes, y compris des non-Juifs, grâce à des fonds que lui faisaient parvenir des organisations humanitaires juives de l’étranger, en particulier le JOINT avec lequel il entretenait des relations étroites.

Des centaines de gens ont pu survivre durant ces années terribles grâce à Rav Chmouël qui entretenait une correspondance suivie avec les directeurs de ces agences étrangères.

Grâce à lui, la ville put ouvrir un hôpital en 1929 : le matériel et l’argent pour entretenir cet hôpital venaient de l’étranger.

Lors de l’inauguration officielle, Rav Chmouël déclara :

« La clinique a effectivement été construite grâce à de l’argent de la communauté juive mais servira tous les citoyens, quelle que soit leur religion ».

Selon Rav Gottlieb, cet hôpital fonctionne encore aujourd’hui.

Un érudit hors-pair

Rabbi Chmouël Schneerson était un érudit dans tous les domaines de la Torah : Niglé, Kabala et ‘hassidout. C’est ce qu’on comprend quand on lit le chef d’accusation à son encontre. En effet, il fut arrêté par les autorités en 1941 et voici ce qu’on lui reprochait :

« Puisqu’il est le rabbin de la ville, il a entretenu des contacts avec des organisations juives à l’étranger et avait des liens familiaux avec des gens qui habitent en France, en Palestine et dans ce qui était la Pologne. A cause de sa religion, il dirige des activités antisoviétiques nationalistes parmi la population juive. Il tient chez lui des réunions illégales ».

Un autre document atteste qu’il possède une importante bibliothèque de livres de Torah désignés comme « la plupart sont des livres sur la Bible et la religion écrits dans la langue de la Bible ».

Les enquêteurs chargés de perquisitionner chez lui restèrent abasourdis devant l’importance de sa bibliothèque « qui comportait plus de 1500 volumes et qu’il était impossible d’emporter ». Ils décidèrent donc de stocker tous ses livres dans une pièce de sa maison qu’ils placèrent sous scellés. Sa belle-mère, la Rabbanit Ra’hel Yanovsky fut nommée responsable des scellés.

L’arrestation et l’emprisonnement

Ces activités et le respect que lui manifestait la population déplaisaient fortement aux autorités.

Le dimanche 4 Tamouz 1941, il fut arrêté à Nikolaiëv. Au bout de quelques jours, comme la guerre se rapprochait de la ville, il fut déporté dans un grand mouvement d’exode de toute la population vers l’intérieur de la Russie.

Il fut transféré dans la prison numéro 4, à Tomsk en Sibérie où on continua de l’interroger pendant plus d’une année. Finalement il fut condamné à trois ans de travaux forcés.

Cette terrible année le marqua profondément, il était devenu très faible. Son dossier médical atteste de sa très mauvaise condition physique mais cela n’empêcha pas ses bourreaux de le déclarer apte aux travaux « légers ».

Son dossier carcéral indique : « Après tous ces interrogatoire, il n’y a pas de preuves formelles contre lui » et tout le verdict repose sur une phrase prononcée par deux témoins qui auraient entendu le Rav dire ceci ou cela. « Il faut envoyer le citoyen Schneerson Chmouël Zalmanovitch dans un camp de travail pour dix ans ».

Cependant, du fait de sa santé chancelante, un second verdict diminua la peine de cinq années, peine commuée finalement à trois ans pour « agitation antisoviétique ».

Le verdict fut signé en Sivan 1942 et il fut envoyé aux travaux forcés. Mais déjà en Adar Aleph 1943, il fut libéré à cause de sa santé défaillante. Sa faiblesse était extrême ainsi que son état cardiaque.

Après sa libération, Rabbi Chmouël arriva dans la maison de son fils Mena’hem Mendel qui habitait alors à Tchedzov, à l’est du Turkménistan. Il y vécut un an et décéda le 10 Kislev 1943. Il fut enterré dans le cimetière juif.