Le Rav Sheldon Rudoff (1933-2011) était un avocat qui a occupé des postes de direction dans plusieurs organisations juives, notamment l’OU (Union orthodoxe), l’UJA-Federation (Fédération philanthropique juive), l’Université Yeshiva et d’autres. Il a été interviewé en janvier 2010.

L’histoire que je m’apprête à raconter s’est déroulée au début des années 1950, peu de temps après que le Rabbi ait pris la tête du mouvement ‘Habad Loubavitch. À l’époque, j’avais 18 ou 19 ans et j’étudiais dans une école secondaire. Je vivais dans le quartier de Crown Heights, sur Carol Street, non loin de la maison du Rabbi sur President Street.

Je le rencontrais les matins de Chabbat, lorsqu’il se rendait de sa maison au siège de ‘Habad au 770 Eastern Parkway. Il n’était pas encore si célèbre alors, et était très accessible, car il avait l’habitude de marcher seul, sans une suite l’accompagnant.

Il me saluait d’un « Chabbat Chalom » et nous marchions ensemble, pendant qu’il s’intéressait à mes études de Torah et à mes professeurs. Lorsque nous arrivions à Eastern Parkway, nos chemins se séparaient – il tournait à droite vers le 770, et je tournais à gauche vers la synagogue « Young Israel », où je servais de conseiller à un groupe de jeunes.

Nous étions juste deux personnes ordinaires se rendant à la synagogue – un adolescent et le Rabbi. J’étais trop jeune pour réaliser l’importance de ces rencontres. Ce n’est que plus tard que j’ai appris à les apprécier.

Une fois, mon groupe de jeunes de « Young Israel » a été invité à une Yé’hidout (audience privée) avec le Rabbi. Nous étions tous des garçons pratiquants qui étudiaient dans différentes institutions religieuses, comme la Brooklyn Talmudic Academy, la Yechiva Chaim Berlin et la Yechiva Isaac Elchanan – qui avait à l’époque une branche à Brooklyn.

Nous appartenions au courant de l’orthodoxie moderne, et de notre point de vue, ‘Habad était considéré comme marginal dans le paysage ‘Haredi-‘Hassidique. La plupart des groupes ‘hassidiques que nous connaissions se caractérisaient par une grande fermeture, mais chez ‘Habad il y avait plus d’ouverture, et ses ‘hassidim s’engageaient beaucoup dans des activités de diffusion du judaïsme. Par exemple, à Souccot, les ‘hassidim de ‘Habad avaient l’habitude de se tenir aux entrées des stations de métro et d’offrir aux Juifs d’accomplir la mitsva des quatre espèces. Cela nous semblait étrange, mais cela nous impressionnait quand même. Je me souviens qu’en conséquence, plusieurs garçons étaient fascinés par ‘Habad.

Compte tenu de tout cela, nous étions excités par l’occasion de parler avec le Rabbi, et une douzaine d’entre nous se sont rendus à la réunion qui s’est tenue au 770 et a duré environ une demi-heure. On nous a invités à nous asseoir autour du bureau, et le Rabbi nous a chaleureusement souhaité la bienvenue. Il s’est adressé personnellement à chacun des participants et leur a demandé de parler d’eux-mêmes, puis il nous a encouragés à poser des questions.

D’après mes souvenirs, une conversation s’est développée sur l’État d’Israël, qui en était alors à ses balbutiements, quelques années seulement après sa création en 1948. Comme il fonctionnait comme un État laïc, les opinions au sein du public orthodoxe étaient très partagées – certains étaient pour, d’autres contre et d’autres adoptaient une position neutre. De nombreux Admourim ‘hassidiques refusaient de reconnaître l’État, et les membres de mon groupe voulaient donc connaître la position du Rabbi de Loubavitch. L’un des garçons a pris son courage à deux mains et lui a posé directement la question.

En réponse, le Rabbi a dit que son point de vue sur l’État d’Israël était similaire à son point de vue sur toute entreprise juive. Par exemple, si des Juifs créaient une compagnie d’assurance, il voudrait que la compagnie fonctionne de manière légale et éthique conformément aux lois de la Torah. Il en allait de même pour l’État d’Israël, son point de vue était similaire – qu’il serve de lieu où la Torah puisse prospérer et se développer, et qu’il soit géré dans le respect de la Halakha (loi juive).

Il n’est pas entré dans les détails de la question de savoir s’il reconnaissait « l’État », et n’a pas non plus dit qu’il ne le faisait pas. Il s’est abstenu de prendre une position politique. Je pense que c’était une excellente réponse. C’est ainsi qu’il a expliqué sa position à ce stade précoce, et au fil des années, il a répété cette position avec plus de force.

Un autre souvenir du Rabbi qui vit en moi s’est déroulé un Roch Hachana. Comme le veut la coutume, les Juifs se rendent ce jour-là près d’un plan d’eau, où ils récitent la prière de « Tachli’h », dans laquelle ils demandent à D.ieu de « jeter dans les profondeurs de la mer tous leurs péchés » (Michée 7:19). Dans le Jardin botanique de Brooklyn se trouve un magnifique étang – l’endroit idéal pour accomplir la coutume du « Tachli’h ».

Je me souviens avoir vu le Rabbi marcher le long d’Eastern Parkway en direction du Jardin botanique. Il marchait seul, mais à quelques dizaines de mètres derrière lui, une troupe de ‘hassidim lui emboîtait le pas. Ils marchaient tous en rang, avec deux policiers à cheval escortant le Rabbi et la procession du Tachli’h.

Là encore, le caractère atypique de ‘Habad se manifestait – dans l’accomplissement de la mitsva de manière si publique. C’était très caractéristique du Rabbi.

Il était arrivé aux États-Unis en 1941, muni d’un diplôme universitaire, et pendant un certain temps, il avait même travaillé comme ingénieur dans les chantiers navals de la marine américaine à Brooklyn. Personne n’aurait pu prédire alors comment sa vie allait évoluer. Mais lorsqu’il a été nommé Rabbi, il s’est révélé être un leader spirituel exceptionnel et a mis ‘Habad sur la carte – au sens propre comme au figuré.

Aujourd’hui, où que vous alliez, il y a un Beth ‘Habad qui sert de refuge aux voyageurs juifs. Ce que le Rabbi a accompli pour conduire à cet essor du mouvement ‘Habad est rien de moins qu’une réalisation à l’échelle historique, et j’espère que le public juif sait l’apprécier à sa juste valeur.