Photo : Edouard Philippe, Premier ministre barbu
« Le sujet du poil n’est pas qu’une question de style ou d’esthétique, mais touche à des aspects sociologiques », lance le Bic Shave Club, club de l’incontournable marque française de rasoirs, ce mercredi 6 juin, en introduction d’une grande enquête sur la pilosité faciale des Français.
Et, effectivement, cette étude s’avère riche d’enseignements sur la prédominance des barbus dans l’Hexagone. D’abord chez les plus jeunes, où 78% des moins de 35 ans et 92% des 25-34 ans arborent une barbe. A l’inverse, les plus de 35 ans privilégient le rasage de près à 53%, chiffre qui grimpe à 60% pour les plus de 50 ans.
« C’est devenu un nouveau rite de passage à l’âge adulte », nous confirme Christian Bromberger, ethnologue enseignant à l’université d’Aix-Marseille, qualifié d’anthropologue de la barbe depuis son ouvrage « Le sens du poil » (éd. Créaphis). Il poursuit :
« Il y a eu un véritable inversement générationnel. Naguère, la barbe était un signe de relâchement, de retrait de la vie professionnelle – elle était souvent portée à la retraite. Aujourd’hui, c’est devenu l’emblème de l’entrée dans la vie adulte. »
Ce changement de paradigme s’observe d’ailleurs dans la perception des hommes : 20% des 25-34 ans y voient un signe de maturité, alors que ce n’est le cas que pour 12% des plus de 50 ans. La barbe n’est plus l’apanage de la vieillesse, de la sagesse, mais bien de l’élan d’entreprendre. La faute aux startuppeurs-hipsters?
« Ce renversement générationnel s’observe sur ce que l’on qualifie de ‘barbe' », souligne encore Christian Bromberger. « Quand on parle de ‘barbe’, on pense désormais plus à la barbe de trois jours des startuppeurs qu’à la barbe broussailleuse des révolutionnaires. »
En effet, les Français plébiscitent surtout la dite barbe de trois jours (adoptée par 18% des hommes interrogés), suivi par la barbe courte bien taillée (avec 7% d’adeptes). Deux styles perçus comme « tendances », « propres » et « lookés », à l’opposé de la barbe fournie vue comme « ringarde ». [On s’interroge toutefois sur les goûts de certains sondés qui pensent le collier de barbe « tendance ».]
La France a succombé à la barbe façon start-up nation, telle qu’incarnée par Edouard Philippe, plutôt qu’à l’embroussaillé Robert Hue. Illustration à « L’Obs » où, en conférence de rédaction ce mercredi matin, plus de la moitié des journalistes effleuraient leurs barbes de trois jours.
Il serait toutefois illusoire de croire à une homogénéité qui ferait de la barbe cause nationale. Si plus d’un Français sur deux arbore des poils, l’étude de Bic met aussi en relief les différences géographiques, avec une scission : les visages glabres au Nord (hors Paris) contre les poilus au Sud. Plus que la région, le glabre Christian Bromberger note :
« Le plus étonnant est que cette carte des barbes se superpose à la carte des catégories socio-professionnelles. On retrouve beaucoup de barbus en Rhône-Alpes [56%, NDLR] où il y a un grand nombre de CSP+, et beaucoup moins dans le Grand Est [49%] où il y a plus de catégories socio-professionnelles faibles… »
Notons toutefois que les contraintes liées à des professions sont toutefois en voie d’évolution. En témoigne la récente note de la direction de la police nationale qui autorise très officiellement les policiers à porter la barbe, du moins tant qu’elle demeure « courte, soignée et entretenue ».
Parce que la barbe n’est pas une passade, une « mode », l’étude de Bic souligne qu’elle est devenue une véritable « modalité de l’expression de sa personnalité ». Si bien qu’une vaste majorité ne compte pas changer sa pilosité faciale (83% n’en a pas changé ces 12 derniers mois).
L’ethnologue confirme : « Bien souvent, les hommes conservent jusqu’à la fin de leur vie la pilosité adoptée par leur génération à l’entrée dans la vie adulte. » Barbu, à la vie, à la mort !