Cette étude se base sur un discours du Rabbi, dans Likouteï Si’hot, tome 16, première causerie de la Parchat Vayakhel.
Les chefs des tribus ont tardé à apporter leur contribution à l’édification du Sanctuaire. Cette attitude peut sembler surprenante et conduire à se demander pourquoi la Torah fait part d’une telle histoire. Cette prise de position critique ne frôle-t-elle pas la médisance ? En fait, ce récit délivre un enseignement important sur la responsabilité communautaire, qui est également applicable au comportement de chacun.
Moché a réuni les enfants d’Israël et leur a communiqué le programme de la période à venir, à savoir l’édification du Sanctuaire avec leurs contributions. Ces contributions ont été très généreuses et, deux jours plus tard, Moché a donné l’ordre de cesser de les apporter car ce qui était nécessaire avait déjà été réuni.
Cependant, les douze chefs des tribus d’Israël sont restés en retrait. Ce n’est qu’après que tous les enfants d’Israël aient contribué, après que l’édification du Sanctuaire ait commencé, après que les femmes aient commencé à tisser les fils, qu’ils ont apporté leurs propres contributions, qui semblaient bien inutiles et, somme toute, très réduites.
Rachi explique : « Voici ce que se dirent les chefs : l’assemblée a tout donné. Que devons-nous faire ? Ils apportèrent donc des pierres de Choham ». Leur manque d’empressement a été retenu contre eux.
Ces chefs de tribu, de grands Tsaddikim, ont observé l’enthousiasme du peuple, au-delà de ce qu’ils avaient imaginé, et ont constaté qu’il avait apporté tout ce qui était nécessaire. Ils ont compris alors que leur réserve n’était pas la bonne attitude et la Torah le confirme. On peut donc se demander : pourquoi la Torah nous relate-t-elle tout cela ? Pourquoi dit-elle que les chefs de tribu ont contribué après que les femmes ont déjà commencé à tisser, alors que, d’ordinaire, « les versets ne disent pas de mal, pas même d’un animal impur » ?
Il n’y a pas que de bonnes manières, mais bien un principe général, celui de ne pas faire mention de termes négatifs. C’est ainsi que la Torah parle des « animaux qui ne sont pas purs » plutôt que de dire « impurs ». Dès lors, comment suggérer que les chefs de tribus ont manqué d’empressement et qu’ils ont été les derniers à contribuer, et qu’ils ne l’ont fait qu’avec parcimonie ?
En fait, on peut se demander comment des chefs de tribu auraient pu être empêchés de contribuer au Sanctuaire, et il faut bien en conclure que leur manière de participer était la bonne. En contribuant les derniers, ils ne fuyaient pas leurs responsabilités. Ils étaient des chefs de tribu pleinement assumés et, comme ils l’avaient observé chez Moché, notre maître, ils pensaient d’abord à leurs devoirs envers la communauté et seulement après cela à leurs besoins personnels.
Rachi avait dit au préalable que « Moché ne pensait pas à ses affaires personnelles. Descendant de la montagne, il se rendit directement auprès du peuple. » N’est-il pas évident qu’il s’est immédiatement acquitté de la mission que D.ieu lui avait confiée auprès du peuple ? En fait, il ne s’est pas consacré à sa propre préparation pour recevoir la Torah. Car, il est clair qu’une intense préparation morale était nécessaire pour vivre ce grand moment. Malgré cela, il a privilégié son action auprès du peuple, et c’est seulement ensuite qu’il s’est préparé moralement.
Au cours de la période précédant le don de la Torah, les enfants d’Israël se sont mis en condition pour la recevoir et Moché a pu constater qu’ils étaient prêts. Il ne s’est pas préoccupé de sa propre préparation, même morale, ne s’est pas enfermé dans une tente pour étudier et prier en attendant l’instant fatidique. Il a recherché uniquement le bien-être du peuple. Les chefs de tribu ont fait de même. Leur rôle était de faire en sorte que les enfants d’Israël apportent leurs contributions. C’est quand ils l’ont fait pleinement qu’ils ont pensé à ce qu’ils devaient faire eux-mêmes en tant que chefs de tribu qui s’étaient acquittés de la mission qui leur était confiée. Ils ont alors pensé à leur propre participation et ont apporté des pierres de Choham.
Ils considéraient leur mission comme un devoir, non comme un privilège. Ils ont fait passer les besoins de leur tribu avant les leurs, matériellement et spirituellement. Ils se sont employés à obtenir la participation de tous au projet grandiose qu’était l’édification du Sanctuaire, et à ce stade, ne se sont nullement préoccupés de leur propre personne. Ils l’ont fait uniquement après avoir pleinement assumé la mission qui leur était confiée. Il n’y avait donc aucune réserve de leur part. Bien au contraire, les chefs de tribu ont attendu le dernier moment parce qu’ils étaient pleinement conscients de leurs responsabilités.
Du reste, la Torah ne condamne pas leur attitude. Elle les voit comme de véritables responsables communautaires, s’employant à conduire les membres de leur communauté en s’engageant pleinement dans le service de D.ieu.
Une question subsiste, néanmoins, concernant l’attitude de ces chefs de tribu. Ils étaient persuadés d’avoir mal agi. On peut le comprendre en observant l’inauguration du Sanctuaire, quelques mois plus tard, car ils ont été ceux qui ont apporté leurs sacrifices en premier lieu. À cette occasion, ils n’ont pas cherché à compléter ce qui avait été apporté par les autres. Ils ont été les premiers à offrir leur contribution, jour après jour, pendant les douze jours de l’inauguration.
Les enfants d’Israël ont apporté de l’or, de l’argent et les autres matériaux précieux. En revanche, on ne disposait pas de pierres de Choham et les chefs de tribu ont donc complété ce qui manquait dans ce domaine. Cependant, ils ont également considéré que leurs contributions n’étaient pas déterminantes, puisque l’on disposait de suffisamment d’argent pour acheter les pierres qui manquaient. Au final, on aurait pu se passer de leur contribution. Ils ont alors tiré une leçon de cette situation et ont contribué en premier lors de l’occasion suivante.
L’attitude des chefs de tribu, bien qu’adaptée dans sa formulation générale, n’était pourtant pas appropriée dans ce cas précis. En effet, l’édification du Sanctuaire avait pour objectif de mettre en pratique les termes du verset : « Je résiderai parmi vous », afin d’établir que les enfants d’Israël avaient obtenu l’expiation pour la faute du veau d’or. Il fallait donc que chacun apporte sa propre contribution à cette édification et que le Sanctuaire soit prêt au plus vite. De ce fait, il n’était pas judicieux pour les chefs de tribu de ne pas faire preuve d’empressement et d’être les derniers à apporter une contribution. Les chefs de tribu auraient dû, au contraire, l’apporter rapidement afin de hâter l’édification du Sanctuaire.
Comment est-il concevable que des chefs de tribu aient commis une telle erreur, alors qu’ils privilégiaient les besoins de leur tribu ? Il faut bien conclure que leur soumission n’était pas totale, qu’ils conservaient la conscience de leur qualité de chefs. Ils ont donc eu le sentiment que les enfants d’Israël contribuaient grâce à eux et qu’il leur suffisait donc de compléter ce qui manquait. Il y avait donc, jusqu’à un certain point, une forme d’égoïsme. Les chefs de tribu se sont préoccupés des besoins communautaires, ce qui était leur rôle, mais ils n’ont pas fait en sorte que le Sanctuaire soit bâti au plus vite.
On peut tirer de cette analyse une conclusion paradoxale. Parfois, se considérer comme un chef, faire passer les besoins de la communauté avant les siens propres peut avoir pour effet de mettre en avant son ego. De ce fait, les chefs de tribu ont été punis en l’occurrence et ont dû convenir que les enfants d’Israël avaient apporté tout ce qui était nécessaire. De plus, ceci a été consigné dans la Torah afin de souligner l’importance de la pudeur et de l’humilité. Car s’ils possédaient réellement ces qualités, ils auraient eu à cœur de faire en sorte que le Sanctuaire soit achevé au plus vite.
Il découle de ce qui vient d’être dit, comme de chaque idée de la Torah, un enseignement pour chacun et chacune. Un Juif doit exercer une influence sur son entourage, sur ses amis, sur sa famille, en être le «chef». S’il veut le faire de manière parfaite, sans remettre en cause son Sanctuaire personnel, il doit pour cela être profondément soumis à D.ieu, ne pas ressentir qu’il est celui qui accorde l’influence, le chef, que les autres servent D.ieu grâce à lui. Un véritable chef doit être humble et discret, guidé par sa soumission à D.ieu dans l’exercice de sa fonction. Il doit délivrer son influence aux autres tout en se considérant comme faisant partie intégrante de la communauté. Il doit toujours se demander s’il a apporté sa contribution personnelle de la manière qui convient, en étudiant la Torah et en pratiquant les Mitsvot de la meilleure façon possible. En résumé, l’histoire de la contribution tardive des chefs de tribu à l’édification du Sanctuaire nous enseigne l’importance de la responsabilité communautaire et de l’humilité dans le leadership, ainsi que l’importance de ne pas laisser l’ego entraver notre service de D.ieu et notre influence positive sur les autres.