Le Rav Yechouah Hadad (1936-2017) a servi de Rav communautaire à Milan pendant plus de cinquante ans. Il se souvient de son enfance et de son entrevue avec le Rabbi qui lui a révélé son anniversaire.
Je suis né au Maroc en 1936. Quand j’avais onze ans, je suis parti en calèche à Casablanca pour y étudier à la Yechiva Loubavitch pendant deux ans. Mais je n’étais pas satisfait. Je cherchais quelque chose de plus rigoureux. J’ai appris que le Rabbi avait envoyé le premier de Chalia’h au Maroc, le Rav Michael Lipsker à Meknès et y a ouvert une Yechiva. À Meknès, j’ai trouvé ce que je cherchais: un programme plus intensif d’étude du Talmud et des enseignements Hassidiques. Le Rav Lipsker nous a aussi enseigné comment rapprocher les Juifs de Dieu par l’amour.
Un jour, des représentants de l’Agence juive pour Israël se sont rendus à la Yechiva. Le Rav Lipsker a commencé une conversation avec eux au cours de laquelle des questions sur l’existence de D.ieu ont été soulevées. Le Rav Barou’h Toledano, Grand Rabbin de Meknès et l’un des plus grands Rav du Maroc, était également présent. Et quand il entendit ces Juifs donner leurs arguments, il s’est mis les mains sur les oreilles, choqué, déclarant: « Ce sont des paroles d’hérésie! »
Le Rav Lipsker lui répondit: « Rabbi Barou’h, pourquoi êtes-vous si contrarié? Ces gens sont comme des enfants qui ont été volés à leur propre peuple – ils n’ont pas reçu d’éducation juive et ils ne savent pas. »
Le Rav Lipsker a continué à discuter avec eux pendant une heure, puis ils ont accepté de mettre du Tefilines et même réciter la prière de l’après-midi. Lorsque Rabbi Barou’h a vu cela, il a loué Rabbi Lipsker en levant les mains au ciel. Le Rav Lipsker lui a alots répondu: « L’essence de chaque juif est pure: il vous suffit de savoir trouver le chemin qui conduit à son cœur. »
En 1952, après deux années d’études à la Yechiva de Meknès, j’ai poursuivi mes études à la Yechiva Tomchei Temimim de Brunoy, en France. Cette Yechiva a été fondée après la Seconde Guerre mondiale avec l’arrivée de nombreux réfugiés de Habad en provenance de Russie. En plus de fouiller dans les textes avancés du Hassidique, nous allions tous les dimanches à Paris pour y enseigner aux enfants juifs. Ces enfants étudiaient dans les écoles publiques laïques dans tout Paris mais, le dimanche, le Rav Hillel Azimov, le directeur des Talmud Torah Loubavitch dans la ville, les rassemblait et les étudiants de la Yechiva apprenaient avec eux.
Une année, dans le cadre de la célébration de Lag Baomer, nous avions loué des bus et amené environ 200 de ces enfants à une journée entière dans la Yechiva de Brunoy. Les enfants ont prié avec nous, mangé avec nous et absorbé l’esprit de la Yechiva.
Une semaine plus tard, le directeur de la Yechiva, le Rav Nissan Nemanov, a rapporté cet événement au Rabbi. Il partagea avec moi la réponse du Rabbi. Si je me souviens bien, le Rabbi a laissé entendre que les gens lui écrivaient constamment au sujet de problèmes de famille, de santé ou de moyens de subsistance – et qu’il avait soif de recevoir de bonnes nouvelles. Et il a reproché au Rav Nissan d’avoir attendu une semaine pour lui décrire cette journée avec les enfants: « C’est dommage que vous ayez tant retardé votre lettre annonçant de bonnes nouvelles … »
Lorsque le Rav Nissan a fini de lire la lettre du Rabbi, il me dit: « Un jour vous serez certainement un émissaire du Rabbi et vous devrez l’informer de divers événements. Ne vous méprenez pas. Lorsque vous avez quelque chose de bon à informer, vous devez écrire immédiatement. «
Je n’ai pas pris son instruction suffisamment à cœur. À un moment donné, quand j’étais le Chalia’h du Rabbi à Milan, j’ai assemblé un album spécial sur mes programmes de la Torah dans cinq lieux différents de la communauté séfarade. J’ai écrit le nom de tous les enfants – 193 en tout – avec le nom de leur mère, le nom de l’enseignant et le programme d’études.
Lorsque j’ai présenté cet album au Rabbi, il l’a examiné pendant un long moment, en lisant chaque nom. Pendant qu’il lisait, j’ai jeté un coup d’œil sur le visage du Rabbi et j’ai vu une joie pure briller sur son visage. Quand il eut fini, il me demanda: « De quoi suis-je coupable pour ne pas avoir été informé de cela jusqu’à aujourd’hui? »
J’ai essayé de corriger mon erreur et d’envoyer un rapport mensuel au Rabbi sur mes activités, mais parfois il m’arrivait de retarder. J’ai alors reçu une lettre du Rabbi: « Votre lettre a été reçue après une longue pause… et si votre excuse est que vous n’avez pas écrit parce qu’il n’y avait rien à écrire, alors cela devrait vous suggérer que… vous devez travailler plus pour avoir quelque chose à écrire. «
Après sept années d’études à la Yechiva de Brunoy, je suis venu étudier à New York. À cette époque, chaque élève de la Yechiva avait une audience privée avec le Rabbi le jour de son anniversaire. Mais au Maroc, personne n’attribuant d’importance aux anniversaires, je ne connaissais même pas ma date de naissance exacte – je savais seulement que c’était quelque part autour de Pourim; néanmoins, j’ai profité de l’occasion pour voir le Rabbi.
Dès que je suis entré dans son bureau, le Rabbi m’a demandé le jour de ma naissance. Je ne savais pas comment répondre, alors le Rabbi m’a dit: « Puisque tu ne le connais pas, et que Chabbat est plus saint que les autres jours de la semaine, fixons ce Chabbat comme jour anniversaire. Étudie extra Torah comme on en a la coutume le jour de son anniversaire, et en ce qui concerne la coutume de donner une charité supplémentaire, vous devriez la donner vendredi avant le début du Chabbat. » Et puis le Rabbi m’a béni avec succès dans mes études de la Torah.
Ensuite, j’ai écrit à la maison pour demander à mes parents de me donner la date exacte de ma naissance. Il s’est avéré que, effectivement, ce Chabbat était bien le jour mon anniversaire!
Après quelques années d’études supplémentaires dans la Yechiva Habad, j’ai été envoyé en tant que Chalia’h du Rabbi pour servir de Rav de la communauté séfarade de Milan. Le Rabbi m’a choisi pour ce poste parce que je n’avais pas abandonné les coutumes séfarades de ma famille marocaine. Le fait qu’il en soit ainsi avait beaucoup à voir avec les instructions du Rabbi au Rav Lipsker, de nombreuses années auparavant, de ne pas tenter de modifier les coutumes des juifs marocains, mais simplement de leur enseigner la Torah.
Pendant mon séjour à Milan, je me suis fiancé. Un homme d’affaires du nom de M. Carlo Zippel, partisan des causes Habad, a mentionné cela dans son audience avec le Rabbi, qui lui a répondu: « Il m’a informé qu’il se marierait bientôt. Mais j’ai besoin de vous pour me dire s’il pourra ou non couvrir les frais de son mariage. »
De retour à Milan, M. Zippel m’a demandé de passer par son bureau et m’a remis une enveloppe contenant une somme d’argent substantielle. Et puis il m’a dit ce que le Rabbi avait dit. J’ai compris que le Rabbi s’était préoccupé de tous les détails comme un vrai père.