Le Rav Nissan Pinson vécut à l’ombre de la peur, accompagné par les instructions et les directives du Rabbi, qui apportèrent la délivrance et le salut aux Juifs de Tunis. Lui et sa famille furent des « soldats joyeux ». C’est par l’intermédiaire de cet homme pénétré d’abnégation que le Rabbi insuffla le courage aux Juifs de Tunisie, pendant des dizaines d’années.

« Face aux arabes hostiles, face aux difficultés qui en auraient découragé plus d’un, le Rav a tenu bon et il est impossible de rapporter, par écrit, tous les récits qui en font la preuve. A l’époque en laquelle les Juifs de Tunisie, craignant des émeutes, se réfugiaient en Erets Israël ou en Europe, le Rav développait l’ardeur à la Torah. Il fut le père spirituel, qui nous préserva des vents étrangers, menaçant de nous faire disparaître.
Ce n’est pas par hasard qu’il a quitté ce monde à la veille de ‘Hanouka. Il était le continuateur des ‘Hachmonaïm et il a lutté, par toutes ses forces, avec courage et détermination, il a fait tout ce qui était possible pour renforcer la pureté des fils d’Israël, de même que celle des filles d’Israël, avec l’appui de la Rabbanit.
Je considère maintenant le Rav Pinson comme un miracle évident que D.ieu, dans Sa grande miséricorde, nous a envoyé, en ces quarante dernières années, afin d’assurer le maintien de notre héritage prestigieux. Par son mérite, et uniquement par son mérite, le Judaïsme de Tunisie est resté vivace. Désormais, nous sommes orphelins et nous n’avons plus de père ».

Ces propos émus, qui résument bien la conception des Juifs de Tunisie des activités du Rav Pinson dans ce pays, ont été prononcés par le Rav Gabriel Seroussi, directeur du Collel Beth Aharon et Dayan, à Bneï Brak et à Elad, lors de l’enterrement du Rav Nissan Pinson, émissaire du Rabbi en Tunisie, à Kfar ‘Habad.

Il est impossible de résumer, dans ce cadre limité, les actions initiées par le Rabbi pour les Juifs de Tunisie. Et, ces actions se poursuivent encore, jusqu’à ce jour, par l’intermédiaire de son épouse, la Rabbanit. Tout au long de ces années, un principe a été établi. Le mouvement Loubavitch est l’adresse de tout ce qui est juif, en Tunisie.

Pendant des dizaines d’années, les Juifs ont su que, s’ils se posent une question, ils doivent consulter l’émissaire du Rabbi, le Rav Pinson. Lui-même et son épouse ont bâti cet empire à partir du néant.

On peut donc comprendre l’affirmation, mentionnée ci-dessus, selon laquelle, s’il existe encore, de nos jours, un Judaïsme de Tunisie, c’est grâce au Rabbi. On donnera ici un bref aperçu de ces activités florissantes et des interventions du Rabbi, jusque dans le moindre détail de chaque action, d’après les récits qui furent faits par le Rav Pinson, lui-même, à différentes occasions.

Pendant des dizaines d’années, l’émissaire du Rabbi a fait don de sa propre personne pour diffuser la Torah, maintenir la flamme juive en Terre d’Islam, former des milliers de disciples qui se trouvent maintenant en Terre sainte et dans

d’autres pays. Tel est l’héritage glorieux qui a été laissé par ce ‘Hassid discret, ayant propagé la Torah et la foi juive dans des conditions auxquelles aucun Rav, aucun recteur de Yechiva n’a été confronté, en cette génération.

Dernièrement, les Juifs de Tunisie, y compris ceux de la célèbre communauté de Djerba, l’île des Cohanim, sont montés en Erets Israël ou bien se sont répandus dans le reste du monde, à cause des conditions matérielles devenues très difficiles, dans leur pays d’origine.

Pendant de nombreuses années, le Rav Pinson a assuré le fonctionnement de la Yechiva Ohaleï Yossef Its’hak Loubavitch, à Tunis, qui disposait d’un internat et qui a pu, de cette façon, former, des centaines d’élèves. Le premier recteur de cette Yechiva fut le grand rabbin de Tunisie, Rabbi Matslia’h Mazouz. Par la suite, son fils, Rabbi Meïr Mazouz, lui succéda à la tête de cette institution, jusqu’à ce qu’il monte en Erets Israël.

A Djerba, fut créée la Yechiva Or Torah, qui avait deux cents élèves. Il y avait aussi un réseau de cours du soir, organisé pour ceux qui poursuivaient leurs études dans les écoles publiques, une école Beth Rivka pour les filles, dirigée par la Rabbanit, une grille de cours pour les femmes et une organisation des femmes et jeunes filles ‘Habad de Tunisie, grâce à laquelle de nombreuses femmes commencèrent à respecter les Lois de la pureté familiale, de la meilleure façon.

De nombreuses jeunes filles furent envoyées poursuivre leurs études dans de bonnes écoles et elles fondèrent, par la suite, des familles respectant la Torah et les Mitsvot. Et, il n’y a là qu’une énumération très rapide.

Une fois, au cours d’une audience que le Rabbi lui accordait, la Rabbanit Pinson lui dit, avec émotion : « Nous sommes les soldats du Rabbi. »
Le Rabbi lui répondit, avec un large sourire : « Mais vous devez être des soldats joyeux ! ».

Ce n’est pas par hasard que le Rabbi encouragea son émissaire en Tunisie et s’employa à le réjouir. Le pays dans lequel il l’avait envoyé exigeait, de sa part, un investissement moral important pour y mener à bien la mission qui lui était confiée.

Il y eut des jours en lesquels le Rav Pinson, chaque fois qu’il quittait sa maison et sortait dans la rue, risquait sa vie, d’une manière effective. La tension était permanente et, pendant les nuits, on craignait des massacres. Le Rav Pinson déclare : « Nous fermions les persiennes et nous nous efforcions de contrôler notre peur. Nous habitons une maison individuelle et il était donc plus aisé de réagir aux attaques. Très souvent, on nous a jeté des pierres et l’on nous a insultés, mais je n’en ai jamais été affecté. Le Chabbat, je marchais dans la rue en portant mon Talith. Je n’ai jamais eu peur ».

Pendant la période de la guerre des six jours, certains voulurent s’en prendre aux Juifs. Tout d’abord, ils brûlèrent la grande synagogue, dans laquelle il y avait cent Séfers Torah. Le Rav Pinson se rappelle : « Nous avons aussitôt demandé la bénédiction du Rabbi et il nous a affirmé que tout irait bien. Lorsque les émeutiers sont arrivés à la Yechiva, ils se sont rassemblés devant le bâtiment, puis, ils sont repartis, comme ils étaient venus ».

Un fait merveilleux se produisit alors. Dans une ancienne synagogue de Tunis, il y avait un Séfer Torah qui est considéré comme ayant appartenu à Rabbi Avraham Ibn Ezra. Pendant des siècles, les Juifs ont eu peur de le toucher. Lors de la guerre des six jours, quand les cent Séfers Torah ont été brûlés, celui-ci était l’un des rares qui étaient restés entier. Le feu ne l’avait pas touché.

Une fois, les autorités voulurent détruire cette synagogue en prétextant que le bâtiment était devenu insalubre. Les Juifs s’inquiétaient pour ce Séfer Torah si particulier. Là encore, comme dans d’autres cas, la solution fut apportée par le Rav Pinson : « Nous avons organisé une procession et nous avons conduit le Séfer Torah dans une autre synagogue ».
C’est à la suite de cela que le Rav Pinson fut considéré par tous comme un homme saint.

Le Rav Pinson se rendit en Tunisie après avoir été, pendant sept ans, l’émissaire du Rabbi au Maroc. Il explique : « Lorsque la Tunisie obtint son indépendance, le fondé de pouvoir du Rabbi, le ‘Hassid, Rav Binyamin Gorodetski visita ce pays, à plusieurs reprises et il étudia toutes les possibilités d’y mener une action. Il rendit compte au Rabbi de ce qu’il avait vu et entendu.

Le Rabbi décida que l’on pouvait effectivement mener une action dans ce pays et il fallut alors trouver une personne qui s’y installe d’une manière fixe. C’est ainsi que nous sommes devenus les émissaires du Rabbi en Tinisie.

Nous sommes arrivés à Tunis un mercredi, le jour de Pessa’h Chéni 5720 (1960), dans un but clairement affirmé et avec une véritable détermination. Nous voulions diffuser l’éducation juive, basée sur les valeurs sacrées. L’action pour créer des écoles a commencé à l’instant précis de notre arrivée. Nous n’avions pas encore trouvé une maison pour nous y installer. Nous nous sommes installés dans un hôtel de Tunis, pendant plusieurs semaines. Après cela, nous avons loué une maison provisoire. Nous dormions à même le sol, jusqu’à ce que nos affaires arrivent du Maroc. »

Quarante ans plus tard, tous disaient au Rav Pinson, avec un sourire : « De la manière dont vous vous exprimez, on peut effectivement penser que vous êtes né à Tunis ».

De fait, avec le temps, le Rav Pinson comprit et parla un peu d’arabe, de même que, bien entendu, le français, qui est la langue usuelle des Juifs tunisiens. Il explique : « J’ai effectivement appris ces langues, quand j’étais à Tunis, mais cela n’a pas été facile, pour quelqu’un qui est originaire de Russie, de s’habituer à un pays arabe. Peut-être le Rabbi confie-t-il de telles missions à ceux qui, par nature, s’adaptent à toutes les situations.

Il est vrai que nous ne nous sommes pas du tout préparés à cela, au préalable, si ce n’est pour quelques actes formels. Je n’ai pas peur de dire que la Tunisie est un pays dans lequel il est difficile d’habiter. Une fois, le Rabbi nous a dit, au cours d’une audience qu’il nous a accordée : « Pour vous, c’est comme la Russie ».

Dans un premier temps, les responsables des communautés auprès desquelles nous devions agir et les représentants du Joint américain qui nous soutenait financièrement ne nous ont pas particulièrement encouragés. Lorsque nous nous sommes rencontrés, ils nous ont dit, avec une mine réprobatrice : « Le directeur d’Otsar Ha Torah, du Maroc, a essayé de faire quelque chose ici, avant votre arrivée. Six mois plus tard, il a dû convenir qu’il ne parviendrait pas à créer une école ».

Je me souviens jusqu’à ce jour de la réponse que D.ieu m’a inspirée : « Nous autres, ‘Hassidim de Loubavitch, nous allons toujours de l’avant et nous ne reculons jamais !’ »

Dans un premier temps, le Rav Pinson a entretenu des relations difficiles avec les autorités. Il relate : « Mon installation à Tunis n’a pas été aisée. Après de multiples interventions, j’ai obtenu de rester là-bas avec un statut de touriste. Trente-cinq ans plus tard, j’étais toujours un résident temporaire. En permanence, ils venaient vérifier que nous n’avions pas de contact avec l’état d’Israël. Nous n’avions pas le droit de recevoir des livres de Terre sainte. Je ne pouvais même pas imaginer d’aller, en visite, en Erets Israël.

De fait, à plusieurs reprises, les membres de la communauté m’ont demandé pourquoi le Rabbi ne s’installait pas en Erets Israël. Je leur ai répondu que, si le Rabbi et le centre de Loubavitch se trouvaient là-bas, il aurait été inimaginable d’avoir une branche du mouvement Loubavitch implantée à Tunis.

Lorsque nous nous sommes installés dans ce pays, les autorités nous ont considérés avec beaucoup de suspicion. Officiellement, nous étions venus diffuser la Torah et le Judaïsme. Mais, ils nous ont toujours suspectés d’être en relation avec l’ennemi sioniste. Nos conversations téléphoniques ont toujours été placées sur écoute. A un certain moment, on observait ceux qui entraient chez nous et ceux qui sortaient.

Je me suis toujours efforcé de faire en sorte que nos actions soient légales. Par nature, je ne recherche pas les contacts avec les autorités. Dans notre jeunesse, en Russie, nous avons été habitués à prendre nos distances avec elles et, à Tunis, nous avons adopté la même attitude. Lorsque mon fils, Yossef Its’hak, est arrivé, pour la première fois, à New York, il a vu des enfants juifs parler avec des policiers et il en a été profondément surpris. A la maison, il avait été habitué à craindre les policiers et à les éviter.

Je me rappelle qu’à l’époque du président Bourguiba, le gouvernement tendait vers le communisme. Nos activités sont alors devenues beaucoup plus difficiles. Pendant cette âpre période, nous avons été reçus par le Rabbi et mon épouse lui a dit : « Nous avons l’habitude d’être suivis, d’être écoutés, mais il semble que nos conversations, chez nous, dans notre maison, leur soient connues également ».
Le Rabbi lui répondit : « C’est donc pire qu’en Russie ! ».

De fait, nous recevions, à l’époque, de nombreuses visites, chez nous et il y avait beaucoup de passages. Les autorités ne m’ont même pas autorisé à assister au mariage de ma fille, qui a été célébré à New York. On m’a dit, à l’époque : « Vous avez le droit de quitter la Tunisie, mais sachez que vous ne pourrez plus y revenir ».

Une fois, je devais prendre part à une joie familiale, mais j’ai pris du retard et je n’ai pas pu arriver à temps. J’ai atterri à New York le 12 Tamouz et le Rabbi m’a dit : « Pour vous, c’est donc réellement la fête de la libération ! ».

Et, le Rabbi tentait de me ‘consoler’ de ces multiples inconvénients. Une fois, il y avait deux mariages séparés par seulement quelques jours, celui de ma fille, tout d’abord, puis celui d’un proche parent. Je suis arrivé en retard, précisément le dernier des sept jours suivant le mariage. Le Rabbi a alors demandé que l’on récite les sept bénédictions, en mon honneur, pendant la réunion ‘hassidique du Chabbat ».

L’édition du Tanya imprimée en Tunisie a été réalisée, à la demande du Rabbi, de nombreuses années avant son impression dans le monde entier. Le Rav Pinson rapporte, à son propos, le récit suivant : « C’était lorsque je me suis rendu chez le Rabbi pour la troisième fois, en 5727 (1967). Le Rabbi m’a demandé d’imprimer le Tanya en Tunisie, plus précisément à Djerba, là où étaient publiés les livres juifs, dans ce pays et il a précisé que la publication du Tanya à Djerba et dans un autre endroit hâterait la venue du Machia’h.

Le problème était qu’à Djerba, on imprimait à l’ancienne, avec des plaques sur lesquelles les lettres étaient insérées à la main, lettre par lettre, ce qui était un travail considérable. Je l’ai précisé au Rabbi, mais il a insisté pour que l’impression soit faite à Djerba, même s’il en résultait de grandes complications.

Il y avait également un autre problème. Les caractères hébraïques que l’on utilisait dans les imprimeries de Djerba n’étaient pas beaux. Certains d’entre eux étaient très anciens ou même cassés. L’imprimeur me proposa de faire venir des lettres nouvelles, plus belles et j’ai fait part au Rabbi de sa proposition, mais il a répondu que l’impression devait être faite avec les vieilles lettres, celles dont on se servait couramment à Djerba et qui avaient été utilisées, pendant des siècles, pour publier des livres sacrés.

C’est donc ce que nous avons fait et c’est de cette façon que le Tanya a été édité en Tunisie. Il y a eu encore d’autres instructions du Rabbi pour cette première publication du Tanya, à Djerba, que l’on présentera à une autre occasion.

A plusieurs reprises, quand je me suis rendu chez le Rabbi, j’ai vu les épreuves de correction du Tanya de Djerba posées sur sa table. Puis, de nombreuses années plus tard, le Rav Yehouda Leïb Groner, le secrétaire du Rabbi, m’a dit : « Aujourd’hui, j’ai ôté les épreuves de correction du Tanya de Djerba de la table du Rabbi ». »

Le Rav Pinson se rappelle des multiples efforts qui furent nécessaires pour édifier les institutions du Rabbi, à Tunis : « Dès le jour de notre arrivée, nous savions que nous devions nous mettre à l’œuvre et la première action fut un programme d’été pour les jeunes. Je me suis moi-même occupé des jeunes gens. J’ai donné de nombreux cours de Torah et j’en organisé d’autres, de même que des rencontres. Ceci s’ajoutait aux cours pour les adultes, qui avaient également été mis en place.

Simultanément, mon épouse, Ra’hel a commencé à donner des cours aux femmes et aux jeunes filles. Elle a organisé, en outre, des réunions pour les petites filles. En été 5720 (1960), ces cours étaient déjà nombreux et plusieurs familles nous ont fait savoir qu’elles enverraient leurs enfants à l’école que nous devions ouvrir.

A la rentrée des classes 5721 (1961), nous avons loué un grand bâtiment et nous avons ouvert une école Beth Rivka pour les filles. Nous l’avons fait savoir au Rabbi, qui nous a répondu ceci : « Il est bon qu’il y ait une école de filles. Il faut ouvrir aussi une Yechiva pour les garçons, qui se consacreront aux études sacrées ».

De grandes difficultés se dressèrent alors devant nous jusqu’à ce qu’au final, nous sommes parvenus à trouver un bâtiment convenable pour la Yechiva. A l’époque, les Juifs de Tunis, pour la plupart, avaient du mal à admettre le principe d’une Yechiva dans laquelle on se consacre à l’étude de la Torah et il nous a fallu faire venir des élèves de régions se trouvant au sud de Tunis, Djerba, Zarzit, Ben Gordion et d’autres villes encore. Néanmoins, nous avons eu également quelques élèves de Tunis, la capitale.

D.ieu merci, la Yechiva est parvenue à former des élèves qui étaient animés de la crainte de D.ieu, qui ont réussi leurs études et qui ont adopté un bon comportement. Nombre d’entre eux occupent maintenant des fonctions communautaires, Rabbanim, Cho’hatim ou même recteurs et enseignants de Yechiva.

Pour le Beth Rivka, dans un premier temps, il nous a fallu faire venir des professeurs de France, surtout pour les études sacrées, mais, par la suite, D.ieu merci, il y avait, dans la communauté locale, suffisamment d’hommes et de femmes, appartenant à la nouvelle génération et formés dans nos écoles, qui étaient en mesure d’enseigner.

Nos institutions présentaient un projet éducatif qui allait du jardin d’enfants jusqu’au mariage et je rapporterai un point intéressant, à ce propos. Mon fils, le Rav Yossef Its’hak a poursuivi ses études à Tunis jusqu’à l’âge de seize ans. Après sa Bar Mitsva, il a voulu aller poursuivre ses études à la Yechiva de Brunoy, dans la région parisienne, mais le Rabbi ne le lui a pas permis. Sa réponse, édifiante, était la suivante : « S’il quitte Tunis que diront les autres ? »

Comme je l’ai dit, la communauté juive s’était considérablement réduite, au fil des années. Cela est arrivé également à d’autres émissaires du Rabbi. Nous ‘plantons dans les larmes’, mais nous n’obtenons pas toujours les fruits de ce que nous avons planté. Pour différentes raisons, les familles jeunes voulaient immigrer en France.

C’est ainsi que la communauté de Tunis est devenue très petite. Néanmoins, ce qui a été obtenu dans cet endroit ne doit pas être évalué en fonction de la taille de la communauté. Pendant de nombreuses années, les élèves de nos écoles ont attiré avec eux tous les membres de leur famille vers une existence de Torah et de Mitsvot. Il en a été ainsi pour de très nombreuses familles. Elles ne sont pas toutes devenues totalement ‘hassidiques, mais le Rabbi m’a dit, une fois, au cours d’une entrevue qu’il m’a accordée, que c’est le respect de la Torah et des Mitsvot qui prime.

En tout état de cause, il est clair que tous doivent leur vie spirituelle au Rabbi et ils ont ainsi développé un véritable enthousiasme envers les ‘Hassidim ‘Habad. Il est significatif qu’un groupe d’élèves de la Yechiva de Djerba se soit rendu chez le Rabbi, de sa propre initiative. Et, le Rabbi leur a manifesté de nombreuses marques de proximité.

En dehors de nos écoles, nous avons aussi rapproché de nombreuses personnes de la pratique juive, par différents moyens. Il est bien clair que, dans les rues de Tunis, on n’a pas vu de « tank » répandant les campagnes de Mitsvot lancées par le Rabbi, mais la diffusion du Judaïsme était effective, grâce, notamment, à des rencontres dans les maisons, des réunions, des Melavé Malka à l’issue du Chabbat.

Il y avait aussi de véritables réunions ‘hassidiques, auxquelles participaient, notamment, ceux qui s’étaient rapprochés du mouvement Loubavitch grâce à nos écoles. Bien entendu, les cours de Torah ont été déterminants.

Et, il y avait les actions spécifiques de l’été, lorsque les habitants de Tunis se rendaient dans leur maison secondaire, au bord de la mer. Nous visitions donc ces villes estivales avec les membres de la communauté. Là, nous avons aménagé des synagogues, dans lesquelles on priait et l’on étudiait la Torah, chaque jour.

De multiples familles juives de Tunisie qui se sont rapprochées de la pratique de la Torah et des Mitsvot par notre intermédiaire habitent maintenant en France, mais elles continuent à fréquenter ces villes estivales, pendant les vacances et c’est alors l’occasion de renforcer leur pratique juive, dans une ambiance agréable qui leur rappelle ‘le bon temps’. »

Officiellement, les autorités de Tunisie ne s’opposaient pas aux activités des émissaires du Rabbi. Néanmoins, elles estimaient qu’il était de leur devoir de vérifier que ses activités n’étaient pas hostiles à leur pays d’accueil.

A plusieurs reprises, des représentants des autorités se sont présentés avec l’intention de fermer les écoles qui étaient dirigées par le Rav Pinson. De fait, celui-ci explique qu’il a reçu une lettre du Rabbi, lui expliquant comment il devait réagir en pareil cas. Il conclut : « D.ieu merci, malgré toutes les difficultés que nous avons dû affronter, le Saint béni soit-Il a accompli pour nous de grands miracles, dans ce pays. Nous sommes parvenus non seulement à maintenir toutes nos institutions, mais même à les développer bien au-delà de tout ce qui était prévisible ».

Le Rav Menaché Haddad est le directeur de la Yechiva centrale Tom’heï Temimim Loubavitch, à Kfar ‘Habad et à Lod. Il est né dans l’île de Djerba, près de Tunis. En 5718 (1958), il est monté en Erets Israël, avec toute sa famille. Il était alors âgé de sept ans. Il se souvient : « Nous nous sommes installés à Kiryat Gat, qui était, lors de sa fondation, une Maabara, un camp de transit pour les nouveaux immigrants. Il y avait, dans cet endroit, une seule école religieuse, à laquelle on m’a envoyé. Puis, un peu plus tard, une école ‘Habad a été ouverte. Mes parents ont aussitôt décidé de m’y inscrire.

L’équipe pédagogique de cette école était très dévouée et elle s’occupait individuellement de chaque enfant, non seulement pendant les classes, mais même après celles-ci, dans l’après-midi. Des activités étaient alors organisées pour nous et les enseignants les animaient de tout leur cœur. C’était la mission qui leur avait été confiée, à proprement parler.

Nous restions donc à l’école, de nombreuses heures après les cours, parfois même jusqu’à la nuit. Il y avait de multiples discussions, un programme d’activités. Les enseignants organisaient tout cela à titre bénévole.

On nous expliquait souvent à quel point il est important d’écrire au Rabbi. C’est de cette manière que l’école était dirigée. Nous n’étions, somme toute, que des enfants, mais l’on faisait de nous des émissaires du Rabbi auprès des autres personnes.

Nous avions une ‘association des élèves de l’école’, comme cela existe maintenant dans les Yechivot et nous organisions, notamment, des après-midis récréatives du Chabbat dans toute la ville. Après chaque activité, nous adressions un compte-rendu au Rabbi, en lui détaillant tout ce qui avait été fait.

A la fin de l’école primaire, j’ai écrit au Rabbi et je lui ai dit que je ne savais pas où poursuivre mes études. Le Rabbi m’a répondu : « Il faut suivre l’avis de la direction de l’école dont tu es l’élève ».

J’ai consulté le directeur et il m’a dit que l’endroit naturel, pour poursuivre mes études, était la Yechiva Tom’heï Temimim Loubavitch, à Lod. J’ai donc suivi son conseil. Par la suite, je n’ai plus jamais quitté cette Yechiva, tout au long de ma vie ».

Les émissaires du Rabbi en Tunisie ont vécu des moments très difficiles, mais ils n’en ont jamais été affectés. Le Rav Pinson souligne : « Bien entendu, l’idée de quitter le pays ne nous a jamais traversé l’esprit, d’autant que le Rabbi m’a adressé, une fois, des mots d’encouragement très particuliers, desquels j’ai déduit que je passerai le reste de ma vie à Tunis. Le Rabbi m’a dit : « Vous resterez là-bas et vous aurez le mérite d’aller, avec vos enfants, à la rencontre du Machia’h. Et, vous lui direz : voici les fruits que nous avons fait pousser ».

Dans l’une des audiences que le Rabbi m’a accordées, j’ai soulevé la question de l’éducation des enfants et le Rabbi m’a dit ceci : « L’éducation des enfants est sur mes épaules ».

Il en a pris personnellement la responsabilité et, de fait, nos enfants ont fait leurs études dans les écoles que nous avons créées, à Tunis. Ils ont toujours su qu’ils sont des émissaires du Rabbi, qu’ils sont chargés de créer une atmosphère ‘hassidique, dans l’école. Il est certain qu’ils ont souffert de la solitude, du manque d’amis.

Au lieu de jouer dehors, nos enfants restaient à la maison et ils entendaient de leurs parents des récits sur la manière dont on faisait don de sa propre personne, en Russie. Ces récits nous ont insufflé à tous la force du don de notre propre personne, à Tunis.

Les membres de la famille qui venaient nous voir avaient peine à croire que nous parvenions à vivre dans des conditions aussi précaires. En tout cas, nos enfants ont grandi et ils ont reçu leur éducation dans un foyer qui était pénétré de conscience de la mission confiée. Il était inutile de leur expliquer pourquoi nous vivions à Tunis. Ils savaient parfaitement que nous assumions la mission que le Rabbi nous avait confiée, dans cet endroit.

Le Rav Pinson était en contact permanent avec le Rabbi. Il a reçu ses bénédictions et ses directives, pratiquement à chaque pas. Il raconte ceci : « Comme, on le sait, l’Organisation de Libération de la Palestine s’est installé à Tunis après la guerre du Liban, à l’issue de laquelle elle fut contrainte d’abandonner le Liban. Et, de fait, la vision de ces terroristes, portant Keffieh et armés jusqu’aux dents, qui passaient dans les rues, terrifiaient les milliers de Juifs qui constituaient encore la communauté de Tunis. Nous nous enfermions dans les maisons et nous ne sortions dans la rue qu’en cas de nécessité absolue.

Il semble également que le gouvernement de Tunisie n’était pas satisfait du lien étroit qui existait alors entre les Juifs de Tunisie et le Rabbi. En l’occurrence, si le Rabbi de Loubavitch donnait l’assurance qu’il ne se passerait rien et demandait au Rav Pinson de rester sur place, ils savaient qu’ils pouvaient être rassurés.

Peu après, il y eut l’épisode de Sabra et Chatila, à la suite duquel les Juifs qui passaient dans la rue, à Tunis, risquaient leur vie, à proprement parler. Au mieux, on se contentait de leur jeter des pierres. A l’époque, le Rabbi m’a envoyé trois Matsot Chemourot, qui m’ont réconforté et qui ont encouragé également les membres de la communauté.

Il faut comprendre que cette peur était parfaitement fondée. Le grand-rabbin de Tunisie, Rabbi Matslia’h Mazouz, avait été assassiné par un membre de l’O.L.P., tout de suite après la guerre de Kippour. De ce fait, les Juifs avaient très peur et ils ne savaient que faire. Seul le Rabbi parvenait à les tranquilliser.

Il y eut un moment difficile après le bombardement des bases de l’O.L.P. par l’armée de l’air israélienne. C’était au début de l’année 5745 (1984). L’attaque était réellement impressionnante et plusieurs dirigeants de l’O.L.P. qui se trouvaient alors à Tunis furent tués. De nombreux Juifs du monde éprouvèrent de la fierté, en constatant ce succès. Le Rabbi fut, à l’époque, le seul à critiquer cette opération dangereuse, qui n’eut aucun autre résultat que de rétablir le moral d’Israël. Pour les Juifs de Tunis, en revanche, ce fut une catastrophe.

Du jour au lendemain, leur situation devint très difficile et, là encore, le Rabbi fut le seul à les réconforter. Il a dit, clairement et d’une manière tranchée : « N’ayez pas peur. Il ne vous arrivera rien. »

Concrètement, on peut dire que les Juifs qui sont restés à Tunis, pendant les dernières années, l’ont fait avec l’encouragement et la bénédiction du Rabbi, qu’il leur a donné l’assurance, à de multiples reprises, qu’il ne leur arriverait rien et qu’ils ne devaient pas avoir peur. Et, cette assurance s’est pleinement réalisée, bien souvent avec de grands miracles.

Une fois, des Juifs de Djerba ont tué un policier. Je me trouvais chez le Rabbi, durant cette période. Quand il distribua du gâteau au miel, le Rabbi m’en donna une part supplémentaire et il me dit : « Pour toute la Tunisie, afin que l’on n’ait pas peur et que l’on y reste. »

Pour résumer, les autorités tunisiennes ont toujours protégé les Juifs et elles leur sont bien souvent venues en aide. Ceci me rappelle aussi que, lors d’une de mes visites chez le Rabbi, pendant le mois de Tichri, j’ai reçu un appel téléphonique urgent de la communauté de Tunis, m’apprenant que le gouvernement avait obligé le grand rabbin à condamner l’état d’Israël, sur les ondes de la radio nationale.

C’était la première fois que pareille chose se produisait et les Juifs craignaient que ceci présage des jours difficiles pour la communauté. Ils me demandaient donc de solliciter la bénédiction du Rabbi, à ce propos. La réponse du Rabbi fut la suivante : « Bien au contraire, le gouvernement a pris cette initiative pour faire la preuve au peuple tunisien que les Juifs de leur pays ne soutenaient pas un état ennemi. Il sera ainsi légitime de le protéger. »

En la matière également, le Rabbi nous a enseignés ce qu’il fallait penser et comment l’on devait agir, gérer les contacts avec les autorités.

A plusieurs reprises, le Rabbi m’a donné un dollar ‘pour toute la Tunisie’ et il a accordé sa bénédiction pour que tout aille bien.

Je révèlerai aussi un point personnel. Une fois, la situation était très inquiétante, à Tunis. Quelques Juifs tunisiens se trouvaient alors chez le Rabbi et ils lui confièrent qu’ils avaient peur pour moi. La réponse du Rabbi fut la suivante : « N’ayez crainte. Je pense à lui. »

Rav Yossef Its’hak Pinson, le fils de Rav Nissan, raconte : « Comme on le sait, le Rav Binyamin Gorodetski, fondé de pouvoir du Rabbi en Europe et en Afrique du nord, recevait, chaque année, avant la fête de Soukkot, les quatre espèces de la main du Rabbi également pour l’Afrique du nord. Une fois, le Rabbi lui a tendu ces quatre espèces et il a expliqué :
« Pour Tunis. »

Ces quatre espèces devaient être transmises à mon père, mais il ne restait plus que deux jours avant la fête. Le Rav Binyamin Gorodetski a appelé mon frère, Rav Chmouel, qui était alors un élève de la Yechiva centrale du 770, Eastern Parkway et il lui a demandé de se charger de leur expédition, au plus vite.

Ces quatre espèces ont donc été envoyées par l’intermédiaire d’une compagnie spécialisée, qui s’appelait L.H.D. Cependant, cette compagnie ne possédait pas de succursale à Tunis et elle les a donc envoyées à leur branche la plus proche, celle de Nice, dans le sud de la France, précisément la ville dans laquelle je suis l’émissaire du Rabbi, à une heure d’avion de Tunis.

Conformément à ce que nous avions convenu par téléphone, les quatre espèces devaient nous parvenir le lendemain, à la veille de la fête et mon fils devait aussitôt prendre l’avion pour se rendre à Tunis.

Cependant, à l’aéroport de Nice, les préposés ne sont pas parvenus à localiser un envoi émanant de L.H.D. qui me soit destiné. Malgré leurs recherches, ils n’ont rien trouvé et, à New York, la fête avait déjà commencé !

On m’a demandé de revenir le premier jour de ‘Hol Ha Moéd, mais, là encore, l’envoi n’a pas été retrouvé. Chmouel m’a indiqué qu’il y avait préparé deux colis, l’un contenant l’Ethrog et l’autre, le Loulav. J’ai vérifié ce qui avait été livré par L.H.D, mais sans succès et une journée de plus s’est écoulée ainsi.

J’ai ensuite appelé la direction de la compagnie, à New York. On m’a indiqué que leur siège pour l’Europe était en Belgique. En l’occurrence, les deux colis étaient restés en Belgique à cause d’une grève des douaniers français.

Au final, je me suis préparé à me rendre moi-même en Belgique, à Bruxelles. Entretemps, on m’a prévenu que le colis contenant l’Ethrog se trouvait à Lille, dans le nord de la France, siège de la compagnie en France. C’était déjà le troisième jour de ‘Hol Ha Moéd et l’on m’a répondu que le colis me parviendrait le lendemain.

Je leur ai dit que je ne leur faisais plus confiance, que je prenais l’avion pour Lille et que je reviendrais ensuite, aussitôt, à Nice, soit mille deux cents kilomètres à l’aller et mille-deuxcents kilomètres au retour. J’ai demandé que le paquet soit prêt à mon arrivée. C’est ainsi que j’ai trouvé l’Ethrog, mais je n’avais toujours pas le Loulav.

Je savais que mon père attendait avec impatience ce Loulav et que toute la ville de Tunis l’attendait également. Je recevais, en permanence, des appels téléphoniques me demandant où l’on en était.

Après quelques efforts, on a retrouvé le colis du Loulav, qui avait été envoyé à Paris. J’ai décidé d’annuler tous mes engagements et de me rendre personnellement à Paris. Le directeur de la compagnie, constatant à quel point ce colis était important pour moi, m’a proposé de l’envoyer à Nice, par vol particulier, pour un prix de cent dollars.

L’avion pour Nice devait décoller cinq minutes plus tard. On m’a envoyé à l’aéroport en taxi et je m’y suis rendu avec l’Ethrog. Je suis arrivé une minute avant le décollage, à une heure du matin. Je suis ensuite parvenu à Nice à dix-huit heures, heure à laquelle le Loulav devait être livré. Concrètement, il est arrivé à vingt-deux heures, le mercredi soir et jeudi était Hochaana Rabba, le dernier jour en lequel est récitée la bénédiction des quatre espèces. Ce jeudi-là, il n’y avait aucun vol de Nice vers Tunis. En revanche, il y en avait un de Marseille, à deux heures et demie de voiture de Nice.

Hochaana Rabba est aussi la veille du dernier jour de la fête. J’ai demandé à mon père, par téléphone, d’attendre à l’aéroport, à Tunis. A cinq heures du matin, je suis parti avec mon fils Mendel, qui avait onze ans et nous sommes parvenus à envoyer les quatre espèces de Marseille à Tunis. D.ieu merci, je suis parvenu à rentrer chez moi. Les quatre espèces sont arrivées à Tunis à treize heures et tous les membres de la communauté ont récité la bénédiction sur elles.

Mais cette histoire ne s’arrête pas là. A quatorze heures, alors que tous les Juifs avaient récité la bénédiction sur les quatre espèces, l’une des familles, au grand complet, hommes, femmes et enfants, est arrivée chez mes parents.

Ces personnes ont relaté à mon père le récit suivant. Pendant qu’ils se rendaient chez lui pour réciter la bénédiction sur les quatre espèces, un important conduit de gaz avait explosé, près de leur maison, qui avait été brûlée et totalement détruite. Nul n’ose imaginer ce qui se serait passé s’ils avaient récité cette bénédiction, le matin. Ils auraient alors, à cette heure-là, partagé le repas de Hochaana Rabba.

En entendant tout cela, j’ai compris pourquoi, cette année-là, le Rabbi avait envoyé les quatre espèces spécifiquement à Tunis, pourquoi l’acheminement avait duré une semaine entière, au lieu de deux jours et pourquoi j’avais moi-même parcouru deux mille cinq cents kilomètres, en cette journée. »

Extrait du livre « L’action du Rabbi de Loubavitch en terre d’Islam », édité par le Beth Loubavitch