La parole est un don d’une puissance inouïe. Nos Sages nous enseignent que par elle, nous pouvons atteindre les plus hauts sommets spirituels ou nous complaire dans les plus creux abîmes. Loin d’être anodine, chaque parole que nous prononçons laisse une empreinte indélébile sur notre âme…

La maîtrise de la parole est au cœur des enseignements de la Torah et des Sages. Bien que bavarder puisse sembler inoffensif, nos sources mettent en garde contre les implications spirituelles profondes des paroles vaines et futiles. Car la faculté d’émettre des sons articulés n’est pas anodine – la parole recèle un pouvoir quasi mystique pour l’élévation comme pour la dégradation de l’âme.

Ce lien essentiel entre parole et spiritualité est souligné de manière récurrente dans le cycle annuel des lectures hebdomadaires et des fêtes. En particulier, la fête de Pessa’h est intimement liée à la sanctification du pouvoir de la parole, « libéré de son exil » antérieur à la sortie d’Égypte, comme l’illustre le fait que Moïse était alors « lourd de bouche ». Les mitsvot pascales comme raconter l’Exode ou consommer certains aliments par la bouche visent à sanctifier cette faculté retrouvée.

Pourtant, les conséquences tragiques d’un usage pernicieux de la parole sont exposées crûment dans les lois de la « Tsaraat », cette mystérieuse affection cutanée envoyée par D.ieu en punition notamment de la médisance et des ragots. L’obligation d’isoler et exclure le « metsora » atteint illustre l’impact dévastateur que peuvent avoir les paroles négatives sur la pureté de l’âme.

Mais il ne s’agit pas seulement de paroles malveillantes ou nuisibles envers autrui. Même les simples bavardages, aussi anodins soient-ils en apparence, laissent une empreinte indélébile sur notre être intérieur. Comme l’expliquent nos sources, de tels « discours futiles » imprègnent notre âme de vacuité et nous font insensiblement sombrer dans la trivialité. Le fait que la « Tsaraat » se manifeste d’abord sur la maison, puis les vêtements, avant d’atteindre le corps, symbolise métaphoriquement cette dégradation graduelle de l’individu par l’effet corrosif des paroles vaines.

Car lorsque nous prononçons des mots, notre âme s’en imbibe totalement. La parole a ce pouvoir unique d’attiser nos passions et nos ressentis les plus profonds, comme l’explique le Rabbi Rashab. C’est pourquoi l’aveu verbal et détaillé des fautes commises est une composante essentielle du processus de teshouva (repentir) à Yom Kippour – pour permettre cette intériorisation par la puissance de la parole.

Nos sources rapportent comment même Miryam la prophétesse fut punie de la manière la plus sévère pour ses simples ragots sans intention malveillante. Illustration frappante du pouvoir extraordinaire de la parole, qui transcende les notions conventionnelles de bien et de mal.

Mais ce pouvoir quasi-mystique peut aussi être utilisé pour nous élever aux plus hautes cimes spirituelles. En consacrant nos temps libres à l’étude de la Torah, à la prière ou à des discussionsédifiantes, nous permettons à la parole de sanctifier notre être dans sa totalité.

La Torah et ses commentateurs insistent ainsi sur la responsabilité immense qui accompagne ce don divin. Comme le montre la faute des explorateurs de Canaan rapportée peu après l’incident de Miryam, quelques paroles négatives et pleines d’amertume ont suffi à les faire basculer dans la rébellion ouverte contre D.ieu et Son dessein. Discipliner notre bouche, maîtriser notre langue et combler notre temps de paroles sacrées devient dès lors la clé pour accéder aux niveaux les plus sublimes de l’âme et de la Divinité.

Au-delà des mots, c’est l’essence même du pouvoir de la Parole créatrice qui est mise en lumière – celle qui insuffle la vie à l’univers entier. Un pouvoir immense à la portée de chacun, pour la construction ou la destruction. À nous d’en être les fidèles dépositaires en maîtrisant nos paroles vaines pour les consacrer à l’essentiel.