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Témoigner, c’est avant tout faire revivre, ressusciter un événement, un être cher aussi… pour soi-même et pour d’autres. C’est une expérience fascinante que de recréer, de faire surgir du passé des souvenirs, des gestes, des mots, des attitudes d’une personne que l’on aime, qui est proche ou loin de nous.

 

Mais quelle douloureuse expérience que d’évoquer un être disparu. Il est regrettable, injuste même d’attendre qu’il y ait passage dans l’autre monde pour en parler. On devrait dire du bien de ceux qui le méritent, de leur vivant. En matière de témoignage le rapport subjectivité-objectivité est certes inégal. Car un homme peut plaire à certains, déplaire à d’autres. Et il est bien rare de réunir l’unanimité d’opinions sur un même individu. Les Pirké Avot déclarent: «Celui qui est agréable aux hommes est agréable à D-ieu.»

Reb Hillel Azimov-Zyslin, ce serrurier de métier, rescapé de derrière le Rideau de Fer, plaisait à tout le monde. Et c’est là un fait exceptionnel, tenter de cerner son caractère. sa personnalité peut paraître vain, car c’était un homme qui parlait peu.

Tableau incomplet procédant par clichés, par petites scènes, le témoignage inexhaustif qui suit est une description modeste d’un ‘hassid non moins modeste, vénéré respecté et aimé de tous.

Paris, 1970

Le mouvement Loubavitch était alors naissant. Rue des Francs-Bourgeois, son domicile, fut le havre accueillant, chaleureux de certains Juifs qui faisaient un retour aux sources.

A la sortie du Chabbat, nous avions l’habitude d’aller écouter la Havdalah chez Reb Hillel. C’était aussi l’occasion pour lui de nous donner des Talit  Katan (vêtements avec franges) pour les enfants du Talmud Torah, de nous rappeler la vertu cardinale d’un professeur, la ponctualité, d’emporter aussi des «Mavo Lakriah» (livres de lecture pour enfants) ou des «Michloa’h Manot» (cadeaux de Pourim), etc.., l’occasion également de nous raconter des histoires ‘hassidiques. Et avec quelle chaleur et quelle sincérité il nous remettait dans le contexte de l’histoire. Chaque mot, chaque parole étaient choisis, pesés, réfléchis. On en ressortait que plus transformé, rempli d’inspiration pour la nouvelle semaine.

Les Talmud Torah

Les Lilas, 10 heures Les professeurs sont à leur place. Ils enseignent le `Houmach ou l’instruction religieuse. Dans certaines classes, le chahut, dans d’autres, le jeune auditoire est captivé.

Reb Hillel, directeur des Talmudé Torah Loubavitch, arrive, son cartable à la main. Les enfants se lèvent. Ils avaient un profond respect pour ce directeur. Et pourtant, il ne parlait pas un mot de français (du moins à l’époque!). Sa seule expression favorite, qui m’avait fait forte impression était: «Assis la place!» adressée à un élève quelque peu turbulent.

Reb Hillel se mettait alors à faire son tour d’inspection. Ce qu’il se plaisait à demander aux enfants, c’était: «Quelle bénédiction fait-on sur un fruit de l’arbre? De la terre?». Il faisait déjà comprendre aux jeunes enfants qu’il n’y avait pas deux Juifs en eux: le juif du Talmud Torah et le Juif de la maison! C’était là le sens de sa question: «Et à la maison, tu récites tes bénédictions, tu portes ton Talit Katan?».

L’inspection consistait à faire lire quelques versets dans le `Houmach, avec leur traduction. Inlassablement, chaque dimanche ou mercredi matin, il vérifiait que chaque enfant portait son Talit Katan, sa Kipah. Prodigue aussi en conseils au professeur, Reb Hillel! Il tenait à ce que les enfants prononcent correctement les mots de la Tefilah.

Qu’il est bon de se rappeler avec quel amour, quel Ahavat Israël, Reb Hillel posait son doux regard sur un enfant Juif! Tantôt une caresse sur la tête, tantôt une exclamation de satisfaction. De temps à autres. des «gros yeux», mais toujours remplis d’affection et de délection pour une jeune âme juive à propos de laquelle il se plaisait à répéter la sentence du Talmud: «On n’interrompt pas l’étude de jeunes enfants, même pour la construction du Temple! ».

Le dimanche matin. C’était souvent la tournée des Talmudé Torah. Aux Lilas, à Alfortville, ou encore à Montreuil, la marche, les longues distances ne lui faisaient pas peur!
Sa seule présence au Talmud Torah, son intérêt, sans cesse renouvelé, son amour infini pour les enfants, son caractère pointilleux pour chaque détail qui touche au judaïsme et à l’avenir des futures générations, suffisaient à nous stimuler et nous revigorer d’une énergie nouvelle constante.

Reb Hillel raconte: «C’était après la guerre, lorsque je réussis à réunir pour la première fois quelques enfants au 17 rue des Rosiers, mon coeur fut tellement empli de joie que je me dispensai de réciter «Ta’hanoune» (supplications quotidiennes que l’on ne récite pas le Chabbat et les jours de fête). « Un véritable Yom Tov pour moi, ce jour-là! ».

On avait entrepris des travaux au Talmud Torah de Montreuil. Les portes étaient donc closes. Mais les enfants étaient quand même venus. Reb Hillel était là. Par son entêtement à vouloir entrer, malgré les travaux, il obtint la permission de faire cours normalement. Et Reb Hillel d’évoquer: «En Russie, on étudiait, on priait en cachette. Les synagogues étaient fermées. Un jour, à nos risques et périls, nous décidâmes de prier à la synagogue et l’on réussit à en obtenir les clés. On risquait gros. Ici, en France, pour des «bêtises» de travaux, on veut empêcher des enfants Juifs d’étudier la Torah!»

Yom Kippour au 17, rue des Rosiers

Imaginez-vous un petit «Chtibele», un petit lieu de culte, rempli d’hommes, de femmes et d’enfants vêtus de blanc. L’atmosphère est lourde, solennelle. Les derniers venus se hâtent de mettre leur Talit, ou de finir les Tehilim. D’autres récitent le «Al ‘Het» de Min’ha.

Le Kol Nidré commence… La voix de Reb Hillel fend le silence religieux de la petite Choule. Reb Hillel pouvait, par l’accent sincère de ses prières, briser le coeur le plus insensible. Nous étions convaincus que Reb Hillel à l’Amoud, toutes nos fautes seraient pardonnées. Le gage de notre pardon? Ses larmes, son appel à D.ieu lancé du tréfonds de son âme, de son coeur.

Reb Hillel, le Baal Koré

Ah! Reb Hillel, Baal Koré (lecteur de la Torah), encore une scène inoubliable! Que ce soit le sacrifice de Yits’hak, la prière de `Hannah ou la Meguilah de Pourim, Reb Hillel et la Torah, au moment de la lecture, ne faisaient qu’un seul corps. On eût dit que Yits’hak, Morde’haï ou Esther revivaient devant nous. Car c’est toute son âme qu’il mettait dans cette lecture. Il lisait avec circonspection, émotion et inspiration. Le Sefer Torah était l’autel sur lequel les larmes de Reb Hillel se déversaient comme des perles, à l’instar des larmes des anges tombant sur l’autel du sacrifice de Yits’hak. Reb Hillel en prière, Reb Hillel Baal Koré, Reb Hillel lui tout seul était une incitation à la Techouvah, à l’introspection, à l’humilité, à la Hitbonenout: la réflexion sur Dieu, et enfin aux bonnes actions.

La douceur de Reb Hillel

Ses remarques étaient comme un baume pour le coeur et l’esprit de celui qui savait en tenir compte. Pendant le Kaddich, il veillait scrupuleusement à ce que chacun et en particulier les enfants répondent «Amen — Yéhé Chmé Raba… », et autant de fois que c’était nécessaire. A l’un, il recommandait de faire suivre ses enfants sur le `Houmache pendant la lecture de la Torah. A l’autre, de ne pas parler pendant la répétition de la Amidah.

Il fallait voir comment il récitait une bénédiction. On voyait qu’il avait compris, ressenti, fait sienne la parole que le Tséma’h Tsédeh adressa un jour au ‘hassid Rabbi David Tsvi ‘Hein, alors âgé de 11 ans: «Écoute-moi et commence à savoir dès ton jeune âge que lorsque tu dois réciter une bénédiction avant de manger ou de boire, sache à Qui tu adresses ton « Barou’h Ata »».

Reb Hillel savait prier et donnait envie de prier. L’observer en prière, les yeux fermés, suffisait amplement à nous remplir d’ardeur, de joie et de zèle dans le service divin pour toute la journée.

A de rares occasions nous réussîmes à le faire asseoir parmi nous et à le faire parler. Il ne faisait pas de grands discours interminables. Son principe était d’enseigner, de transmettre un message par l’histoire, l’anecdote ‘hassidique de l’époque d’antan. Il nous faisait découvrir et, de surcroît, revivre le temps des bons vieux ‘hassidim. Il aimait évoquer son maître Reb David Horodoker. C’était de lui qu’il tenait ses histoires.

Si on voulait définir qui était Reb Hillel, on dirait: le Messirout Nefech, l’abnégation et le sacrifice de soi-même incarnés.

Reb Hillel, le soldat

Reb Hillel est parti de ce monde dans le feu de l’action, en pleine activité, en «plein travail» pour l’amour et la propagation de la Torah et des Mitsvot. On comprend dès lors pourquoi le Rabbi lui a conféré le titre de «soldat», soldat de Dieu. Le jour où il nous a quitté (le 29 lyar 1981), Reb Hillel partait collecter des fonds, aux Pays-Bas. De l’argent pour la Yechivah Tom’hé Tmimim. Oui, il partait à l’étranger pour subvenir aux besoins de la Yechivah et du Talmud Torah. Ce jour-là, les siens tentèrent de le dissuader de partir, car il était fatigué. Il répliqua: «Je ne pars pas pour moi. Je pars pour Tom’hé Tmimim! »