Par Shmuel Benbaron
Rosh Hodesh Eloul 5782

 

ÂME vs PSYCHÉ

Quant au rapport du judaïsme vis-à- vis de la psychanalyse.

L’inconscient que Freud fait découvrir au grand monde au début du 20ème siècle est déjà monnaie courante dans les ouvrages de Rabbi Shneur Zalman, auteur du Tanya, qui datent de presque 150 ans plus tôt.

En effet dès le début du Tanya se dépeint une structure à plusieurs niveaux de conscience allant du niveau le plus basique nommé « animal » car il est axé autour de la survie et de l’auto-préservation, jusqu’à son opposé; l’âme Divine qui est totalement altruiste et ne cherche que la vérité peu importe ce que cela lui coûte et combien cela rapporte, elle est dénuée d’ego. Dans les mots du Baal HaTanya, l’âme Divine ne cherche qu’à retourner et se perdre dans Sa Source, D-ieu.

Dans la psychologie moderne, le mot âme a été remplacé par le mot psyché par un Freud évidemment fort mal à l’aise avec tout ce qui a trait au spirituel.

FREUD TRAHIT PAR SON SUCCESSEUR.

Le seul élève de Freud qui n’était pas juif était le célèbre Carl JUNG, et c’est justement lui que le maître choisit comme successeur. Certains disent qu’il avait peur que la psychanalyse devienne une affaire juive1, on retrouve ce mal aise névrotique (le cordonnier mal chaussé) vis à vis de son judaïsme qu’il s’efforcera toute sa vie d’ignorer.

Un jour, Freud fait jurer Jung de ne jamais abandonner l’idée que le moteur le plus enfoui chez l’homme est la libido. Jung voit cela comme une campagne plutôt qu’une quête de vérité et commence à se détacher de son maître.

Lors d’un voyage vers les États Unis en bateau Jung et son maître Freud s’amusent à s’analyser les rêves l’un l’autre. Jung raconte qu’il rêve qu’il entre dans une maison à la décoration moderne puis qu’il descend d’un niveau et cette fois la décoration est antique et ainsi de suite jusqu’à arriver à un sous-sol à l’ambiance préhistorique où il y trouve un crâne humain. A l’écoute de ce rêve Freud fait une syncope. Après avoir repris connaissance Freud expliquera à Jung qu’il a réagi de la sorte car de ce rêve il a compris que son élève souhaitait inconsciemment la mort du maître, qu’il voulait « tuer le père spirituel ». Jung est désemparé, il pense que Freud a tout faux et demande à analyser à son tour le maître mais ce dernier refuse par peur de perdre la distance qu’il avait imposé en tant que maître. Jung comprend que l’intégrité intellectuelle de Freud a ses limites. Le divorce est consommé. Jung trace son chemin, il est désormais plus libre de penser et révolutionne à son tour le monde de la psychanalyse.

Tel le cerf aspire à la source d’eau, Ainsi mon âme aspire à Toi, Dieu!

Là où Freud n’avait trouvé que désir sexuel et libido, Jung va trouver des archétypes dans l’âme, des sortes de symboles ainsi qu’une aspiration à la spiritualité. Il explique qu’il ne l’a pas cherché mais qu’à chaque fois qu’il plonge dans le psyché d’un patient il retrouve une espèce de similitude, une sorte de point commun, comme une structure de l’âme.

Un jour, un patient du nom de Roland H. consulte Carl Jung pour un sérieux problème d’addiction à l’alcool. Le psychiatre ne peut pas trop lui en dire mais explique néanmoins qu’en réalité ce qui le motive à boire de l’alcool est une manifestation bas de gamme d’une recherche bien plus profonde qu’il a en lui. Il s’agit d’une quête spirituelle.

20 ans plus tard Bill Wilson, le co-fondateur du célèbre club AA, les alcooliques anonymes, écrit à Carl Jung car il a rencontré cet ancien alcoolique qui dit s’être totalement remis de cette addiction en la remplaçant par ce qu’il cherchait vraiment au fond des verres de spiritueux: le spirituel…

Bill Wilson étant à la recherche d’une méthode pour aider les alcooliques voulait en savoir plus et écrit une lettre à Jung.

Carl Jung répond et ce sera une de ses dernières lettres (il a plus de 80 ans):

« Son désir d’alcool était l’équivalent à un bas niveau de sa soif spirituelle de plénitude, exprimée dans un langage médiéval : l’union avec D.ieu. »

« j’avais mes raisons de ne pas tout expliquer à Roland H. Mais je prends le risque avec vous car je conclu de votre lettre honnête et honorable que vous avez acquis un point de vue au-delà des banalités trompeuses que l’on entend généralement sur l’alcoolisme. Voyez-vous, en latin alcool se dit spiritus et l’on utilise le même mot pour la plus grande expérience religieuse que pour la plus dépravante. La bonne formule serait dans notre cas « spiritus contra spiritum » »

Jung ajoute en post scriptum le fameux psaumes 42,2 en anglais
כאיל תערוג על אפיקי מים כן נפשי תערוג אליך אלוקים
Tel le cerf aspire à la source d’eau, Ainsi mon âme aspire à Toi, Dieu!

Ce que l’on prend parfois pour une forte attirance vers un vice quelconque peut n’être qu’une manifestation très basse d’une quête bien plus noble car au fond, si l’on creuse, l’âme cherche la plénitude, l’union avec D-ieu.

C’EST UN ÉLÉPHANT!

Voici une métaphore pour comprendre ou se place la pensée du Baal HaTanya par rapport à la psychanalyse. Un jour on banda les yeux de Freud en lui demandant de décrire ce qu’il touchait. Freud dit: il s’agit d’une corde.

Puis vint le tour du psychiatre Viktor Frankl, pour lui il s’agit d’un tuyau de plomberie. Ensuite Carl Jung se prêta au même exercice sauf que pour lui il s’agit d’un large tuyau d’arrosage.

Arriva enfin le Baal HaTanya et s’exclama: c’est un éléphant !

Freud n’avait touché que la queue
Frankl une des défense du pachyderme
Jung la trompe de l’animal
Le Baal HaTanya à vu l’ensemble.

On pourrait dire que dans la quête du subconscient certains se sont arrêtés en chemin.

Freud s’est arrêté à la libido et a résumé l’homme à cela.
Frankl lui a vu quelque chose de bien plus noble, l’homme cherche un sens à sa vie.
Jung a même trouvé quelque chose qui a trait au Divin, une quête spirituelle.

Le Baal HaTanya y a trouvé D-ieu.

QUEL EST NOTRE MOTEUR? QU’EST CE QUI NOUS FAIT VIBRER?

Le Baal HaTanya ne nie pas qu’il ya toutes sortes de choses qui sont le moteur de l’homme, parfois la libido, la gloire, la puissance, la connaissance, des plaisirs plus ou moins nobles en d’autres mots : la quête de l’égo. L’âme animale.

Mais il y aussi un autre moteur, une autre source de motivation : l’union avec D-ieu. La quête de vérité, quoi qu’il en coûte.

Cela ne décrit pas plusieurs types de personnes mais une seule et même personne comme le Baal HaTanya le dit dans le tout premier chapitre de son magnum opus en citant Rabbi Haïm Vital: chaque personne, peu importe son état spirituel, n’a pas une mais bien deux âmes. Traduisez deux moteurs.

L’âme en hébreu se dit aussi Nefesh et Nefesh désigne aussi la volonté. Qu’est-ce qu’une âme? Un moteur, une volonté. En anglais on dit un Drive… qu’est-ce qui motive l’homme? Qu’est-ce qui le fait se lever le matin? Tout dépend quelle profondeur on laisse s’exprimer. Des fois, le besoin de se préserver. Des fois la quête de sens. Des fois la recherche de l’union avec La Vérité Ultime: D-ieu.

TOUT ÉTAIT DANS LES ENSEIGNEMENTS DU GRAND MAGGID.

Vers la fin de sa vie, Carl Jung donne une interview2 ou il dira qu’il a étudié les enseignements d’un fameux Grand Maggid grâce à un ami qui savait traduire ses textes et que toute la pensée qu’il avait développée avec les années et les milliers de personnes qu’il avait traité, tout était résumé dans les écrits du Grand Maggid !

Il s’agit du Maggid de Mezeritch qui était le Maître du Baal HaTanya et l’élève et successeur du Baal Shem Tov.

APPRENDRE À SE CONNAÎTRE.

Imaginons que l’on puisse savoir qu’est ce qui nous pousse à penser, dire ou faire telle ou telle chose? Est-ce mes craintes? Mes névroses? Mon besoin d’auto-préservation? Ou bien est-ce la responsabilité d’une mission? Est-ce une quête de sens? Un sincère désir d’Union avec D-ieu?

En étudiant la structure de nos âmes, (traduisez nos psychismes et nos moteurs) les choses deviennent incomparablement plus claires.

Plutôt que de commencer par passer des années sur le divan d’un psychanalyste, le Tanya propose tout d’abord de connaître notre propre structure. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus besoin de psychanalyse pour personne. Le Roi Salomon dit “Le souci abat le cœur de l’homme; mais une bonne parole y ramène la joie.” Proverbes (Mishlei) 12, 25

Et le Rabbi Rashab (5eme Rabbi de Loubavitch, 1860-1920) qui avait d’ailleurs rencontré Freud explique dans son pamphlet Echaltsu que parler de ses soucis peut faire retrouver la joie, soulignant donc l’importance de parfois mettre des mots sur nos souffrances. Cependant, ce doit toujours être fait avec la ferme conscience que l’homme est composé de plusieurs strates et que la plus enfouie d’entre elle est une parcelle d’Infini. Loin des théories de Freud qui limitent l’homme à un désir de reproduction.

Pas étonnant qu’en 2019, 60 psychiatres ont lancé un appel pour bannir les théories de Freud des tribunaux français 4.

Apprendre a se connaitre, c’est justement ce à quoi servent les 12 premiers chapitres du Tanya. Ils dépeignent très clairement la structure de nôs âmes et les différents mécanismes qui les animent.

Afin d’avoir une meilleure relation avec le monde, avec ses proches et avec D-ieu (et donc avec soi-même), la meilleure solution est toujours celle d’apprendre d’abord à se connaître soi-même.

Le Lev Simha, précédent Admour de Gour disait que sans connaître les 12 premiers chapitres du Tanya, la crainte du Ciel (traduisez, la relation avec D-ieu) n’est qu’une illusion…

 

  1. Jung, voyage vers soi, Frederic Lenoir
    2. GOD of our understanding, Rabbi Shais Taub , KTAV.
    3.  C. G. JUNG speaking, interviews and encounters, Princeton University
    4. https://sante.lefigaro.fr/article/des-psychiatres-et-des-psychologues-appellent-a-exclure-la-psychanalyse-des-tribunaux/
    5.  שמן ששון מחבריך, הרב שלום דובער וולפא