L’épouse du Rabbi, la Rabbanit ‘Haya Mouchka eut plusieurs fois l’occasion d’accomplir de dangereuses missions.

 

Avant le mariage de la Rabbanit, son père, le précédent Rabbi de Loubavitch, Rabbi Yossef Its’hak l’envoya plusieurs fois à la Yechiva Novardok qui fonctionnait clandestinement à Rostov, afin d’y apporter de la nourriture cachère et des bougies. C’était juste après la Révolution d’Octobre, quand de féroces combats déchiraient la population civile et que les gens étaient abattus dans les rues sans autre forme de procès. Confiante dans la nécessité absolue de ravitailler des jeunes gens désireux d’étudier la Torah, la Rabbanit ‘Haya Mouchka n’hésita pas à mettre sa vie en danger et à acheminer la nourriture et les bougies à cette Yechiva.

Après son mariage (en 1927), la Rabbanit s’installa avec le Rabbi à Berlin où il poursuivait ses études. Avec l’ascension des Nazis au pouvoir, tous deux s’enfuirent en France. Le frère du Rabbi, Rabbi Israël Arié Leib vivait également en France à cette époque et désirait s’établir en Terre Sainte, en Erets Israël qu’on appelait la Palestine. Pour cela, il avait besoin de certificats que seul le gouvernement allemand pouvait lui procurer. Le Rabbi voulut d’abord se rendre en Allemagne pour son frère mais sachant que les Nazis emprisonnaient à tour de bras tous les rabbins et notables juifs importants, la Rabbanit proposa de s’y rendre elle-même. Cela signifiait se jeter dans la gueule du lion mais elle n’hésita pas.
Quand elle arriva en Allemagne, les officiers nazis lui demandèrent de décliner son identité et celle des membres de sa famille. Quelle ne fut pas leur surprise quand elle déclara s’appeler Schneersohn, que son père aussi s’appelait Schneersohn (de fait, elle était une lointaine cousine de son mari) et même le nom de jeune fille de sa mère était Schneersohn. On la soupçonna de mentir (or, bien plus tard, la Rabbanit remarquait qu’elle n’avait jamais dit quelque chose qui ne soit pas vrai…). Les officiers nazis enregistrèrent sa déposition dans leurs dossiers tout en promettant que, dès qu’ils prendraient Paris (!), ils se mettraient à sa recherche ! Mais malgré leurs soupçons, elle réussit à obtenir les précieux documents…

Après la Histalkout (le décès) de son père, Rabbi Yossef Its’hak, ce fut elle qui persuada le Rabbi son époux de prendre sa succession, sachant fort bien ce que cela impliquerait pour elle. Elle restait éveillée jusqu’à ce que le Rabbi rentre, le soir, tard, à la maison. Et elle se levait tôt le matin pour prendre avec lui une tasse de café. Par tous les moyens possibles, elle assurait au Rabbi un maximum de sérénité, en évitant de lui causer souci et peine.

Quand elle faisait des courses, elle demandait à son secrétaire de l’emmener dans un centre commercial où personne ne la reconnaîtrait. C’est ainsi qu’un jour, elle se rendit dans un certain magasin pour acheter un manteau : or la Rabbanit de Satmar s’y trouvait justement elle aussi ! La dame accompagnant la Rabbanit de Satmar reconnut la Rabbanit ‘Haya Mouchka et en informa à voix basse la Rabbanit de Satmar. Aussitôt, celle-ci se précipita à la rencontre de l’illustre cliente, lui serra chaleureusement la main et entama avec elle une conversation animée et cordiale.
En quittant le magasin, la Rabbanit ‘Haya Mouchka déclara qu’elle ne se rendrait plus dans ce magasin où elle était maintenant reconnue.
Une autre fois elle affirma : « Je ne peux pas faire mes courses dans des magasins où on me connaît parce que les gens se croiraient obligés de m’accorder une attention particulière, ce que je ne souhaite absolument pas ! »
De fait, nombreux étaient les gens qui habitaient durant des années dans son quartier et qui ne l’avaient jamais vue. Nombreux sont ceux qui n’ont connu son visage qu’après son départ de ce monde, quand on publia de rares photos d’elle.
Telle était la Rabbanit ‘Haya Mouchka : l’exemple même de la dignité, de l’humilité et de la royauté véritable.
Malka Schwartz – N’shei Chabad Newsletter

Un jour, la Rabbanit tomba et se brisa une côte. Elle aurait dû être opérée immédiatement mais cela n’était pas possible, à cause d’un autre problème de santé. Hospitalisée, elle souffrait énormément et était très pâle. J’organisais pour elle un roulement de trois infirmières privées qui s’occupaient uniquement d’elle, huit heures par jour.
A la fin du jeûne du 9 Av, nous avons appris que le Rabbi allait se rendre à l’hôpital. Je dois préciser que, durant toutes ses hospitalisations, je n’ai jamais pénétré dans la chambre de la Rabbanit afin de respecter son besoin d’intimité. Je restais dans le couloir afin d’être disponible pour les infirmières.
Après avoir entendu que le Rabbi allait arriver, je vis l’infirmière sortir bouleversée de la chambre. Des larmes coulaient même sur ses joues tandis qu’elle m’expliqua : « Jamais je n’ai vu une femme aussi extraordinaire. Quand elle a appris que son mari – le Rabbi – allait arriver, elle m’a demandé de l’aider à mieux s’habiller et à se maquiller afin de masquer sa pâleur et ne pas lui causer de peine ! »
Même après qu’elle eut quitté l’hôpital, nous avons continué avec des infirmières privées qui se succédaient à son chevet toutes les huit heures. Ceci dura environ un an. C’est moi qui m’occupais de tout et je demandai à la présidente de cet organisme privé de ne proposer que des infirmières particulièrement courtoises et discrètes.

Je dois préciser que jamais la Rabbanit ne m’avait demandé quoi que ce soit. Elle ne supportait pas d’importuner les autres bien que tous se seraient fait une joie et un honneur de lui rendre service.
Cependant un dimanche particulièrement froid et pluvieux, elle me téléphona : « J’ai un très grand service à te demander, s’excusa-t-elle, mais il m’est pénible de te déranger ! »
– Rabbanit, m’empressais-je d’affirmer, c’est avec joie que je ferai pour vous tout mon possible ! C’est un grand privilège !
– Voilà ! Je me sens beaucoup mieux mais il est déjà huit heures vingt et l’infirmière suivante n’est pas encore arrivée. En ce qui me concerne, cela ne me dérange pas mais mon mari refuse de quitter la maison pour se rendre au « 770 » tant que je serai seule. Pourrais-tu téléphoner au bureau des infirmières pour t’informer de la raison de ce retard ?
Tout en l’écoutant, je me disais qu’à l’étage, le Rabbi disposait d’une pièce dans laquelle il pouvait travailler, avec des dizaines, des centaines de livres à sa disposition. Mais la Rabbanit savait que du travail important l’attendait au « 770 », qu’il avait peut-être besoin de ses secrétaires, que des gens cherchaient probablement à lui parler… Pour éviter de faire perdre son temps au Rabbi, la Rabbanit avait fait une entorse à ses principes et, contrairement à son habitude, elle m’avait demandé un service…
Bien sûr, j’ai immédiatement téléphoné à la compagnie afin d’obtenir qu’une infirmière se déplace dans les plus brefs délais : nous lui avons payé le taxi et l’avons généreusement rémunérée afin de rassurer le Rabbi et la Rabbanit.

Un jour, un docteur arriva de Floride et sonna à la porte de la maison du Rabbi. Il apportait une corbeille de fruits et de fleurs pour le Rabbi, de son propre jardin.
Une femme lui ouvrit. Il lui tendit le panier en précisant : « C’est un panier pour le Rabbi en l’honneur de la fête de Pourim de la part de Docteur P. ». La femme le remercia et, pensant que c’était un livreur, partit chercher un billet de cinq dollars pour lui donner un pourboire.
– Non ! Je suis moi-même le Docteur P. et je n’ai pas besoin de pourboire ! s’écria-t-il.
– Alors venez ! Entrez !
– Qui êtes-vous ? demanda-t-il, curieux.
– Je suis la personne qui s’occupe de la maison, répondit-elle ; par ailleurs, je suis aussi la cousine du Rabbi.
Le Docteur se dit que c’était vraiment une très bonne idée que le Rabbi et la Rabbanit disposent d’une aide aussi agréable et d’aussi noble caractère, sans doute une femme d’origine russe à en juger par son accent…
Il lui raconta qu’il possédait un très beau jardin derrière sa maison et qu’il aurait tant voulu inviter le Rabbi et la Rabbanit chez lui. Ils jouiraient de tout le confort et d’une discrétion parfaite puisque le jardin était entouré d’arbres très serrés. De plus, en Floride, il fait chaud même en hiver etc… « Pourriez-vous transmettre cette proposition au Rabbi et à la Rabbanit ? »
Elle répondit avec beaucoup de naturel : « Je transmettrai vos paroles exactement. »
Ce docteur sortit, émerveillé : « Quelle femme remarquable. Quelle bénédiction que le Rabbi et la Rabbanit aient à leur disposition une femme aussi distinguée ! »
Il en parla à ses amis, les ‘Hassidim. Ceux-ci, suspicieux, l’écoutèrent et lui demandèrent plus de détails. Finalement l’un d’eux remarqua : « Ce devait être la Rabbanit elle-même ! »
– Pourquoi ne me l’a-t-elle pas dit ? protesta le Docteur P. Puis il réfléchit : « Elle m’a dit qu’elle s’occupe de la maison, et c’est vrai ; qu’elle était la cousine du Rabbi et c’est vrai aussi… »

Nous ne connaissons pas grand-chose de la Rabbanit ‘Haya Mouchka Schneerson, la défunte épouse du Rabbi de Loubavitch. Elle tenait par dessus tout à ne pas se faire remarquer : quand elle allait au 770 Eastern Parkway, le quartier général du mouvement Loubavitch à Brooklyn, pour rendre visite à sa mère et sa sœur, elle veillait à ce que ce soit un moment où nul ne se trouvait alentour.
Pour elle, la discrétion était innée. C’est le propre de la fondation d’une maison : peu importe les apparences (d’ailleurs on ne les voit pas) mais sur elle repose tout le bâtiment…

En 1950, à la mort du précédent Rabbi de Loubavitch, les ‘Hassidim supplièrent Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, son gendre, de lui succéder. Mais il refusa de prendre la tête du mouvement. Ce fut son épouse, la Rabbanit ‘Haya Mouchka qui le persuada d’accepter cette charge écrasante quand elle déclara : « Je ne peux permettre au sacrifice personnel de mon père durant trente ans de s’arrêter ainsi ! » Elle savait mieux que quiconque ce que cela signifiait pour sa vie privée mais elle fit don de son mari et de sa propre vie au peuple juif.

La Rabbanit se rendait souvent dans une bibliothèque à Manhattan. Un jour, alors qu’elle présentait sa carte de membre, l’employée remarqua son nom et lui demanda :
– Êtes-vous de la famille du célèbre Rabbi, à Brooklyn ? »
– Oui.
– De quelle façon ? insista la jeune femme.
– C’est mon mari, avoua la Rabbanit.
L’employée se mit alors à se plaindre du Rabbi. Elle expliqua que, mariée depuis plusieurs années, elle n’avait pas d’enfant : « Sur le conseil de mes amis, j’ai fait l’effort d’aller voir le Rabbi ; il m’a bénie et m’a conseillé de m’engager à accomplir une Mitsva supplémentaire. En effet, me dit-il, la bénédiction agit comme la pluie qui peut rendre fertile un champ préparé et labouré. Je m’engageai à allumer les bougies de Chabbat le vendredi soir. Cela fait deux ans et nous n’avons toujours pas d’enfant !
La Rabbanit tenta de la calmer : « Moi non plus… »
Mais la bibliothécaire éclata en sanglots : « Je suis désolée pour vous mais moi, je suis une rescapée de la Shoa. J’ai survécu aux camps d’extermination et je suis la seule survivante de toute ma famille. C’est pourquoi il est si important pour moi d’avoir des enfants, afin que notre famille ne soit pas effacée ! »
La Rabbanit demanda : « Qu’est-ce que mon mari vous a dit, exactement ? »
– Il m’a dit d’allumer les bougies de Chabbat !
– C’est bien ce que vous faites ?
– Mais oui !
– Et comment le faites-vous ? continua la Rabbanit.
– Chaque vendredi, quand mon mari revient du travail, j’allume les bougies vers 19h ou 20h.
Patiemment, la Rabbanit expliqua qu’il fallait allumer les bougies avant le coucher du soleil, en accord avec les horaires imprimés sur les calendriers hébraïques.
La bibliothécaire avait écouté attentivement : elle s’engagea à allumer les bougies à l’heure voulue.
Dix mois plus tard, elle serrait son fils dans ses bras… Elle garda contact avec la Rabbanit et lui rendit même visite plusieurs fois.

Un jeune couple de Chlou’him (émissaires du Rabbi) eut le privilège de rendre visite à la Rabbanit avant son mariage.
Elle demanda au fiancé : « Êtes-vous le petit-fils du ‘Hassid, Reb… ? »
Il répondit par l’affirmative. Elle hocha la tête, joyeusement : « Dans ce cas, je suis sûre que vos enfants parleront le yiddish ! »
De nombreuses années passèrent. Le jeune couple n’avait toujours pas d’enfants mais ne désespérait pas : « Nous n’étions pas inquiets puisque la Rabbanit nous avait dit de parler yiddish à nos enfants : pour cela, il fallait bien que nous ayons des enfants ! Et nous étions sûrs que nous aurions plus qu’un enfant puisqu’elle avait parlé au pluriel : « Vos enfants ». Pas un instant nous n’avons perdu espoir puisque nous avions la bénédiction de la Rabbanit ! »
Après 14 ans de mariage, ce couple de Chlou’him mit au monde des jumeaux, un garçon et une fille. Ils les nommèrent Mena’hem Mendel et ‘Haya Mouchka.