A l’occasion du Yortsaït de Rav Binyamin Gorodetsky, fondé de pouvoir (Ba-Koa’h) du Rabbi en Europe, Israël et Afrique du nord, le Bureau Loubavitch Européen présente un article inédit rappelant son action désintéressée au service du judaïsme d’après-guerre et saluant son dévouement et son efficacité au service de l’éducation juive. 

Cet article (en anglais) avait été distribué par le secrétariat du Rabbi.

Établir un pont entre l’Est et l’Ouest – Une mission internationale : «’Habad-Loubavitch » – Combler le fossé
De retour d’un voyage de deux mois en Europe, le célèbre éditeur et éditorialiste livre son reportage sur une expérience intéressante dans les milieux juifs traditionalistes à l’étranger.

Par Charles Raddock

C’est une initiative pratiquement unique dans l’histoire juive : un groupe étrange d’âmes humbles et dévouées – celles que j’ai découvertes à l’étranger – un groupe calme et discret de missionnaires juifs, sont engagés sans fanfare dans un projet social unique, global avec Paris comme centre d’activités. Ce projet s’étend en longueur et en largeur en France, Espagne, Afrique du nord et Australie.

C’est absolument sans précédent – à l’exception peut-être de ces premières missions qui étaient engagées – en-dehors des heures de travail si on peut s’exprimer ainsi – par les disciples de Rabbi Israël Baal Chem Tov il y a près de trois siècles et, en particulier, par le courageux Rabbi Chnéour Zalman de Liadi, fondateur du mouvement ‘Habad-Loubavitch.

A cette époque, nous raconte l’Histoire Juive, l’infatigable apôtre de Liadi interrompit ses activités érudites, quitta soudain sa tour d’ivoire pour sillonner les steppes de Russie et contacter des centaines de réfugiés venus de la terrible Pologne. Il leur donna vêtements et logement, éduqua leurs enfants et alluma la flamme brillante du ‘Hassidisme dans leurs cœurs troublés. Cette scène, comme j’en ai été témoin à l’étranger, se joue à nouveau à Paris, Madrid, Barcelone, Casablanca et Melbourne ; cette fois-ci par les partisans du successeur du Rabbi de Liadi – sept générations plus tard. Leurs succès sont si extraordinaires qu’à mon retour en Amérique, j’ai été choqué de n’en trouver aucune mention dans la presse juive !

Presqu’inconnus du public juif américain, ces missionnaires volontaires accomplissent leur travail social sacré depuis 1946 – comme je devais le découvrir plus tard. Quand j’ai visité leur petit « bureau » qui ne paie pas de mine à Paris puis que j’ai grimpé les escaliers mal éclairés dans le quartier juif là-bas, quand je les ai entendus évoquer calmement leurs futures conquêtes géographiques, mon imagination a été éveillée. Ils accomplissent tellement avec si peu de moyens ! Je me suis demandé : imaginez ce que ces « travailleurs sociaux » si dévoués pouvaient accomplir s’ils disposaient de toutes les facilités dont regorgent les agences américaines.

Des entreprises humanitaires de cette nature ne sont pas nouvelles dans la vie juive, surtout depuis le début de la catastrophe européenne qui a submergé notre peuple. Sauf que ce qui rend leur dévouement si unique, c’est le but éducatif qui guide leur mission sociale.

Comme vous le savez, les Juifs n’ont jamais cherché à faire du prosélytisme parmi les non-Juifs. De fait, nous avons toujours découragé les candidats non-juifs à entrer dans l’Alliance d’Abraham. Contrairement aux Chrétiens ou aux Mahométans du Moyen-Age par exemple, nous n’avons jamais imposé nos opinions religieuses sur les masses et n’avons certainement jamais tenté, même à des époques où nous jouissions de l’autorité ou de la liberté de mouvement, d’agir ainsi, de convaincre des non-croyants à adopter le judaïsme volontairement ou à l’aide de missionnaires. Mais, bien sûr, cette interdiction ne s’est jamais appliquée aux tactiques missionnaires envers notre propre peuple quand celui-ci se dissipait au fil des siècles cruels. De fait, nous avons toujours considéré comme notre responsabilité individuelle et collective le fait de ramener au bercail les brebis égarées. Aucune loi dans notre religion n’interdit les activités missionnaires parmi les nôtres.

Cependant, nul ne peut nier que, s’il a jamais existé une période dans notre histoire qui ait eu besoin de zèle missionnaire à l’échelle mondiale, c’est bien la nôtre. Notre peuple s’est éloigné du droit chemin comme jamais auparavant car le judaïsme est devenu le pantin inarticulé, victime de la mauvaise interprétation, de la distorsion et du commercialisme. De plus, le judaïsme de bon sens est pratiquement absent sinon éteint parmi les Juifs de bonne foi, mal guidés et innocents. L’enseignement que nous avons tenté de transmettre de temps en temps a, apparemment, été infructueux. Il semble que nous avons élevé une génération d’intellectuels (aux États-Unis) qui considèrent un roman de Cholom Alé’hem, Péretz ou Mendele Mo’her Sforim comme les œuvres par excellence du judaïsme ; ou « les Histoires de la Bible » rédigées par un non-Juif comme la quintessence de la « culture juive ». Ou encore les considérations pseudo-christiques de Martin Buber comme « la philosophie juive ». Telles étaient mes réflexions quand j’ai observé ces volontaires alertes, non-payés, bénévoles, en action depuis l’Europe jusqu’au Maroc.

Leur esprit spontané de dévouement est contagieux. Leurs succès sont indéniables à l’échelle globale et leurs initiatives vont d’un programme européen à un projet en Afrique du nord ; d’une académie talmudique à Brunoy (France) à une école agricole en Catalogne ; d’un centre à vocation éducative d’enfants de tisseurs de tapis juifs à Marrakech à une école juive élémentaire pour filles sur la Rive Gauche de Paris. Encore plus remarquables sont les réalisations des partisans du mouvement ‘Habad-Loubavitch parmi les jeunes universitaires de la Sorbonne, de l’Université de Madrid, de l’Université de Barcelone, de l’Université de Kairouan de Fez et d’autres endroits.

Sous la direction de Rav Binyamine E. Gorodetsky – directeur ‘Habad de ce programme européen et africain – le judaïsme a gagné un nouveau pari sur l’avenir dans ces endroits du monde jusqu’ici négligés. S’il existe une trace de judaïsme créatif actuellement en France par exemple, ce peut être attribué à l’activité – loin des projecteurs – du Rabbin à la barbe rousse, Rav Gorodetsky qui est guidé par Rabbi Mena’hem M. Schneersohn, le « Rabbi de Loubavitch ». Comme me l’a précisé Dr Nissan Mindel (éditeur des publications en anglais du mouvement Loubavitch), ce programme à l’échelle internationale a été initié à la fin de la Seconde Guerre Mondiale par le regretté Rabbi Yossef-Yits’hak, prédécesseur de l’actuel chef spirituel du mouvement ‘Habad international qui, déjà de son vivant, était devenu une légende.

Quand j’ai posé des questions à propos de « l’argent », Rav Gorodetsky et Dr Mindel m’ont appris que le travail spirituel et humanitaire des travailleurs sociaux de ‘Habad aurait été pratiquement impossible sans l’aide accordée à Loubavitch par l’American Joint Distribution Comittee. Ceci m’a été confirmé par des amis travaillant au Siège Européen de l’AJDC à Paris. L’aide de ce Comité consiste à fournir depuis des abris pour les indigents jusqu’à des aides financières qui, même si elles ne couvrent pas – apparemment – l’ensemble du budget de ‘Habad, permet néanmoins aux volontaires missionnaires de continuer leur travail social. Voici donc pour le côté pratique. Qu’en est-il de la méthode et de la philosophie sous-jacente ?

Naturellement, j’étais curieux de savoir comment Rav Gorodetsky (et ses partisans) s’y prennent pour établir une « tête de pont » dans des domaines jusqu’ici impénétrables – particulièrement parmi les Juifs sefarad qui ont toujours considéré les Israélites achkenaz avec des préjugés. « Très simple ! » a-t-il répondu avec l’humilité caractéristique des Loubavitch : il s’intéresse à une ville – sans publicité antérieure, bien sûr – loue une chambre dans un hôtel de seconde ou troisième classe (son budget ne lui permet pas un hôtel de première classe !) et ses bagages suivent. Quand on parle de bagages, cela consiste en un chargement généreux de médicaments, de livres de prières, de Tefilines, d’Arba Kannfot (Talétim) et autres objets de culte ou de soins. Il les distribue gratuitement aux nécessiteux.

A partir de là commence une série de visites exploratoires dans des maisons juives, bien sûr avec la coopération du rabbin local ou du représentant officiel de l’Alliance Israélite, l’équivalent français du Joint. Bien que sceptique au début, l’Alliance a vite fait de réaliser que ce « missionnaire » ne représente aucun « groupe politique » et, progressivement, adhère à l’initiative de ce courageux et entreprenant ‘Hassid. C’est ainsi qu’un «’héder (école juive) est progressivement établi, puis une cuisine cachère gratuite et une clinique en kit. Puis les parents – souvent d’humbles artisans juifs – apprennent à accorder leur confiance à cet étrange visiteur du monde ‘Habad Loubavitch – qui ne leur demande rien si ce n’est de prendre de lui le peu qu’il a à offrir de biens « matériels ». C’est ainsi qu’il agit pratiquement partout, depuis la Baie de Biscaye jusqu’à l’Afrique du nord. Et c’est ainsi qu’il a agi en Espagne il y a deux ans, quand le Généralissime Franco a décidé pour la première fois de permettre l’exercice public du culte juif (Bien que d’autres, au fait, ont depuis prétendu que c’était grâce à leurs efforts que la situation avait évolué par exemple en Espagne, j’ai de bonnes raisons de savoir que c’était ‘Habad -Loubavitch – grâce aux efforts de Rav Gorodetsky – qui a « réouvert » l’Espagne au judaïsme traditionnel après tous ces siècles. J’en veux pour preuve ce que j’ai moi-même constaté il y a deux ans quand j’ai fait escale à Barcelone sur ma route vers Israël).

Si de tels safaris spirituels vous semblent romantiques, essayez de vous imaginer à 4000 kilomètres de la maison – à Madrid ou à Alger – marchant dans les « rues » assommées de soleil de l’après-midi sub-tropical, tandis que des tisseurs de laine musulmans vous observent d’un côté de la rue, se demandant si vous êtes un « Sioniste » et que des tanneurs juifs sefarad vous considèrent d’un air soupçonneux de l’autre côté. Remarquez que Rav Gorodetsky revient de loin, ayant déjà purgé des sentences plus graves, année après année, depuis 1946, quand le précédent Rabbi de Loubavitch, de mémoire bénie, l’a désigné comme « pionnier » pour cette importante mission de renaissance spirituelle dans ces endroits reculés, si loin de toute civilisation juive. (Je pourrais ajouter que Rav Gorodetsky, comme le « Juif errant » proverbial, ne voit sa famille qu’une fois par an – sa femme et ses enfants vivant à New-York, dans des conditions modestes.)

Je pourrais continuer à raconter quelques épisodes dramatiques qu’il m’a décrits. Peut-être plus tard. Sans se mettre en avant cependant, ce pionnier voyageur attribue le mérite à son chef, l’actuel Rabbi de Loubavitch qui valide effectivement toute activité future et délimite les itinéraires et les stratégies à mettre en œuvre pour tous les projets dans les territoires européens et sefarad.

Le Rabbi de Loubavitch mériterait bien sûr un article à part. Mais, pour le moment, je ne fais que citer ce qu’il m’a confié par rapport à la philosophie derrière les programmes sociaux de ‘Habad. C’est un homme remarquable, extraordinairement organisé dans tous les sens modernes du mot. Diplômé de la Sorbonne, connaissant plusieurs langues, profondément impliqué dans les connaissances des sciences physiques et de la philosophie profane, voici ce qu’il a dit – et en anglais ! – et je le cite mot-à-mot :
« L’essentiel de l’attitude et de la façon d’agir de Loubavitch, m’a-t-il déclaré, n’est pas de se contenter d’une tactique de défense. Ceci implique qu’il ne faut pas attendre qu’une position juive soit attaquée pour voler à sa défense. Telle a été l’attitude erronée du judaïsme orthodoxe américain ainsi que des Juifs de certains pays européens, dit-il. Mais l’attitude correcte est d’employer des méthodes offensives et préventives en disséminant le plus largement possible les idéaux de l’orthodoxie classique, souligna-t-il. Et la conséquence logique de cette attitude est que nous ne pouvons pas nous contenter de nous occuper des nôtres et de notre cercle immédiat. La publicité pour un judaïsme véritablement orthodoxe doit cibler toutes les strates du peuple juif.

« De plus, continua le Rabbi, c’est un fait bien connu empiriquement qu’en ce qui concerne la Torah et les Mitsvot, tous les Juifs – aussi éloignés soient-ils – répondent en général de façon positive. Il peut arriver qu’un Juif soit plus attiré par telle Mitsva ou telle idée et un autre par telle autre. Tout est dans la façon de présenter ou d’expliquer. Mais quand l’approche est juste, aucun Juif ne reste sans réaction ! Car aucun Juif n’est complètement vidé de toute trace de judaïsme ».
Après avoir développé sa théorie en la basant sur les lignes idéologiques de la philosophie ‘Habad, le Rabbi continua sur un ton un peu plus léger :
« Même quand un Juif ne réagit pas vraiment à ce « traitement » et que le succès n’est que partiel, chaque effort est amplement justifié. Cette doctrine a été formulée par le Baal Chem Tov (et souvent répétée par mon beau-père de mémoire bénie) : « Une Nechama (âme) descend ici-bas sur terre pendant 70 ou 80 ans – parfois uniquement dans le but de rendre un seul service à un Juif – dans le domaine matériel ou spirituel… »

Pour résumer, bien que ‘Habad soit essentiellement un mouvement ‘hassidique, son programme social insiste sur le judaïsme dans son ensemble. Loubavitch ne sort pas uniquement pour faire du « prosélytisme » en faveur de Loubavitch. Son intention est de présenter le judaïsme de base à chacun, particulièrement ceux qui n’ont pas été initiés au judaïsme, qui ont été privés des formes les plus élémentaires de la connaissance. Nul ne peut contester le bien-fondé d’une telle approche et on n’a pas besoin d’être un ‘Hassid pour l’approuver sans réserve. C’est pourquoi Loubavitch a capturé les cœurs des illettrés aussi bien que des intellectuels – depuis Paris jusqu’au Maroc. Elle n’a pas confiné sa mission historique à une élite ‘hassidique si on peut s’exprimer ainsi. Alors que d’autres dynasties ‘hassidiques hibernent dans un environnement hermétiquement fermé, à l’abri de tout si c’est possible – le Rabbi de Satmar par exemple ! – ‘Habad n’a jamais rejeté de nouveaux arrivés qui avaient été affectés par les idées et les mœurs modernes. Aucun Juif n’est étranger à ‘Habad, aussi loin qu’il ait pu évoluer. Même les Juifs sefarad de Meknès, de Barcelone et de Zaviat-Sidi-Rahal – bien qu’ils considèrent les Juifs achkenaz avec suspicion – se trouvent en rapport avec Loubavitch. Ceci explique d’ailleurs le succès de ses « missionnaires », où qu’ils s’aventurent dans des territoires vierges, envoyés qu’ils sont par le Rabbi de Loubavitch.

Il n’y a aucun doute à ce propos : ‘Habad est en train de bâtir une nouvelle génération de Juifs, hommes et femmes, dynamiques, bardés de connaissances, inspirés par la Torah. Ils combleront le fossé entre l’Est et l’Ouest et, peut-être comme jamais auparavant – uniront sur un plan spirituel les restes éparpillés d’Israël.
Donc, quand vous vous trouverez à l’étranger, quelque part entre la rivière Yerres, dans la banlieue parisienne, ou aux abords du Sahara ou encore dans la mélancolique Catalogne et que vous remarquerez un Juif barbu se dépêchant vers quelque mission mystérieuse – vous pourrez être sûr qu’il s’agit d’un émissaire du Rabbi de Loubavitch, apportant du réconfort aux enfants éloignés d’Israël.

The Jewish Forum – Décembre 1953

 
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Une vidéo très rare qui montre comment se déroulait une Ye’hidout avec Rav Benyamin E. Gorodetsky.



Alors que les entrevues se passaient d’ordinaire dans le bureau du Rabbi, la caméra captura cet instant particulier dans la grande synagogue du 770.

Après avoir reçu de nombreux visiteurs en Ye’hidout Klalit (entrevue générale), le Rabbi s’entretint avec le Rav Gorodetsky durant 45 minutes !

La conversation portait sur les très nombreuses tâches dont s’acquittait Rav Gorodetsky au nom du Rabbi. On remarquera les gestes des mains, particuliers, rares qu’on n’avait pas l’habitude de voir de la part du Rabbi quand il s’exprimait en public.