Le Rav Binyamin ע »ה Klein a quitté ce monde le 18 Sivan 5775-2015 à l’âge de 79 ans.
Témoignage du Rav Binyamin ע »ה Klein secrétaire du Rabbi :
«J’ai été le secrétaire du Rabbi durant près de trente-six ans, mais tout ce que vous savez sur le Rabbi ne représente qu’une petite idée de ce qu’il est réellement. Nous avons entendu de très belles histoires et assisté à des moments très forts, mais ce n’est pas ainsi que s’exprime réellement la personnalité du Rabbi. Tout ce que l’on dira sur lui ne le rendra pas plus grand, bien au contraire, cela limite sa grandeur. Toutefois, tout ce que l’on dit sur lui est authentique.»
Voici quelques histoires exceptionnelles dont Rav Binyamin Klein a été témoin.
Les secrets
Lorsque le Rabbi m’a proposé de travailler au secrétariat, il m’a dirigé vers le Rav ‘Hadakov, responsable principal, qui devait m’expliquer ce que l’on attendait de moi.
Il me signala qu’en tant que secrétaire, je serais nécessairement le témoin de certains événements et que j’entendrais les diverses réponses du Rabbi aux problèmes qui lui étaient soumis. Une condition s’imposait : «Ne rien divulguer autour de moi».
Les gens racontaient au Rabbi leur histoires les plus intimes, touchant parfois des questions fatidiques. Cette injonction, de ne rien laisser transpirer de tous ces secrets contenus dans le bureau du Rabbi, a été respectée durant trente-six ans. Aujourd’hui, je ressens qu’il est temps de lever le voile sur quelques anecdotes, malgré toutes les difficultés que cela implique.
«Vous ne le connaissez pas»
Lorsque j’étais étudiant à la Yechiva au 770, je me suis rendu avec un autre étudiant en mission dans les pays d’Amérique du Sud. En Uruguay, nous avons rencontré un Juif qui avait étudié à la Sorbonne avec le Rabbi (à Paris). Il était assis dans la synagogue près de l’oratoire réservé aux femmes. Nous nous sommes présentés à lui en tant que jeunes Loubavitch. Il nous a demandé si nous connaissions le Rabbi. Je lui répondis que nous voyions le Rabbi à chaque prière, tous les jours.
«Vous voyez le Rabbi, c’est un fait, mais vous ne le connaissez pas. J’ai étudié avec lui à la Sorbonne durant deux ans et je n’ai jamais pu le connaître : il se cachait de nous».
Le Rabbi et les étudiants de la Yechiva
A l’époque où j’étudiais à la Yechiva au 770, un lien très fort unissait le Rabbi et les étudiants. Il n’y avait alors pas beaucoup d’étudiants et le Rabbi connaissait chacun individuellement.
Lorsqu’il arrivait tôt le matin au 770, il se rendait à l’entrée de la grande salle d’étude et observait les jeunes gens présents. Le dernier jeudi de chaque mois, la direction de la Yechiva, les conseillers et les recteurs s’entretenaient avec le Rabbi. Celui-ci tenait en effet un compte-rendu précis de la présence et de l’étude des élèves quotidiennement et était très impliqué dans la vie de la Yechiva.
Les jeunes étudiants de la Yechiva sont les enfants du Rabbi : un père désire que ses enfants se conduisent comme il faut… J’insiste lorsque je dis que c’était la chose la plus importante pour le Rabbi : avoir beaucoup de satisfaction des élèves de la Yechiva.
Une crainte mêlée de proximité
Il est difficile de décrire ma relation avec le Rabbi. Il y a toujours eu une certaine distance, liée à un profond respect. Dans les relations humaines, on sait que l’habitude s’installe lorsque l’on côtoie régulièrement une personne et l’enthousiasme des premiers jours peut alors disparaître. Mais le Rabbi n’a jamais laissé ses secrétaires sombrer dans la routine.
J’entrais dans le bureau du Rabbi tous les jours. Je n’ai jamais omis de frapper à sa porte et d’attendre son autorisation pour entrer.
Le Rabbi consacrait beaucoup de temps à sa correspondance, il lisait tout son courrier puis y répondait. De temps à autre, il me parlait et continuait à répondre aux différentes lettres. Les gens nous donnaient les lettres du secrétariat, nous entrions rapidement les déposer sur un endroit précis de sa table de travail et prenions le courrier à envoyer. Le Rabbi nous remerciait à chaque fois que nous faisions quelque chose pour lui et nous disait toujours : «Si cela ne vous dérange pas…»
Il m’appelait en général par mon nom de famille «Klein», mais durant l’hiver 5738 – 1977, alors que nous étions jour et nuit dans sa chambre, il m’appelait par mon prénom «Binyamin».
Dans une certaine mesure, le Rabbi était très proche de nous. Il demandait régulièrement des nouvelles des familles de ses secrétaires, particulièrement lors des fêtes familiales.
Tout ce que le Rabbi a dit s’est toujours accompli !
Le Rabbi répondait aux diverses questions sur les marges de chaque lettre. J’étais celui qui transmettait, oralement ou par écrit, la réponse aux personnes concernées. D’après mon expérience longue de plusieurs dizaines d’années, je sais que jamais le Rabbi n’a jamais dit quelque chose qui ne se soit pas réalisé, à un moment ou à un autre.
Lors de la distribution du dollar qui avait lieu le dimanche matin, je me plaçais auprès de lui.
Un jour, une femme lui demanda une bénédiction pour avoir des enfants.
Ce à quoi le Rabbi répondit :
«Très prochainement !»
Avec courage, elle dit au Rabbi : «Que signifie très prochainement ?»
Le Rabbi la considéra en souriant :
«Il faut au moins neuf mois !»
Effectivement, un petit garçon naquit neuf mois plus tard !
Un de mes amis, vivant en Angleterre et avec qui j’ai étudié à la Yechiva en Israël, me demanda un jour de lui obtenir une entrevue avec le Rabbi.
Il avait en effet une fille qui, après onze ans de mariage, n’avait toujours pas d’enfant. À l’époque, il n’y avait plus d’entretien privé, je lui ai ainsi conseillé de venir un dimanche lors de la distribution du dollar.
Il expliqua le problème au Rabbi et lui demanda une bénédiction afin que sa fille ait un enfant. Le Rabbi lui répondit : «Pourquoi un seul enfant ?» Il lui donna trois dollars. On apprit par la suite qu’elle avait eu des triplés…
Le Rabbi le dirigea vers son oncle
Un homme d’affaires juif se retrouva dans une situation financière désastreuse. Il avait perdu tout son argent et était désemparé. Il n’avait jamais vu le Rabbi auparavant, mais se présenta devant lui un dimanche, lors du dollar.
Tandis qu’il demanda une bénédiction, le Rabbi lui conseilla de se rendre chez son oncle et de lui demander de l’aide.
L’oncle de cet homme non plus, n’avait jamais vu le Rabbi. L’homme fut particulièrement étonné : d’où le Rabbi connaissait-il son oncle ? D’autre part, son contact avec son oncle n’était pas des plus chaleureux… Mais après tout, il avait réellement besoin d’argent ! A sa grande surprise, l’oncle le reçut avec beaucoup de gentillesse et lui prêta la somme nécessaire pour remonter son entreprise. Peu de temps après, il put même le rembourser et éponger toutes ses dettes.
Une histoire presque similaire se produisit avec le directeur d’une Yechiva non ‘hassidique en Israël, qui vint aux Etats-Unis pour collecter de l’argent pour son institution qui se trouvait dans une condition financière très délicate. Au bout de trois mois, la situation ne s’étant guère améliorée, il s’apprêta à retourner en Israël, lorsqu’il rencontra un de ses amis Loubavitch, qui lui conseilla de se rendre auprès du Rabbi afin de recevoir sa bénédiction. Il prit donc un rendez-vous en urgence pour une audience privée.
Lorsqu’il exposa au Rabbi la situation financière de sa Yechiva, le Rabbi lui demanda quand il comptait rentrer en Israël. Ce devait être le lendemain… Le Rabbi lui conseilla de faire escale à Toronto au Canada. L’homme était interloqué : cela faisait déjà trois mois qu’il parcourait le continent nord-américain sans succès, et il n’avait par ailleurs pas de quoi payer un billet d’avion!
Cependant, son ami l’encouragea à refaire le voyage et lui proposa même de payer la somme nécessaire au changement d’itinéraire.
Dans l’avion pour Toronto, le directeur rencontra un jeune Juif avec qui il sympathisa ; il lui fit même part de ses soucis. Le jeune garçon fut touché par ses problèmes et lui proposa de rencontrer son patron, qui dirigeait une grande compagnie d’assurance. Même s’il n’était pas dans ses habitudes de donner de grandes sommes à la charité, il organisa la rencontre entre les deux hommes. Le directeur de la Yechiva présenta son institution et en dressa le bilan financier.
«De quelle somme avez-vous besoin ?» questionna le patron. Le déficit s’élevait à 22.000 dollars. Sur ce, le directeur de la compagnie sortit son chéquier et rédigea un chèque du montant en question.
S’agissait-il là d’une plaisanterie ? Après cinq minutes de discussion et sans connaître la personne, offrir une telle somme !? Le donateur expliqua la raison de son geste :
«Cette nuit, j’ai rêvé de mon père (de mémoire bénie). Il me disait : «Tu dois faire quelque chose pour moi, donne de l’argent à la charité !»
J’ai promis à mon père d’accomplir sa volonté… Vous voilà, demandant une aide de 22.000 dollars, or cela fait aujourd’hui vingt-deux ans que mon père a quitté ce monde ! J’ai alors immédiatement compris que je devais vous aider».
Comment le Rabbi savait-il ?
J’ai souvent eu l’occasion d’avoir pour invité un médecin israélien spécialiste en gynécologie, lorsqu’il était de passage aux Etats-Unis. Il me raconta que nombre de ses patientes écrivaient régulièrement au Rabbi, qui leur prodiguait, d’après lui, des conseils médicaux judicieux, dignes des plus grands experts.
Ce gynécologue pensait en fait que le Rabbi était entouré de médecins spécialistes qui répondaient aux questions médicales soulevées dans les différentes lettres qu’il recevait du monde entier, le Rabbi ne faisant que transmettre les réponses.
Je lui répondis en lui racontant l’épisode suivant :
«Il y a quelques semaines de cela, une de vos patientes m’appela un vendredi matin. Elle revenait d’une consultation avec vous. Vous lui aviez conseillé de subir une césarienne en urgence, car il s’agissait d’une question de vie ou de mort et que toute attente pouvait aggraver la situation, D-ieu préserve. Chabbat n’allait pas tarder à entrer en Israël et il fallait prendre impérativement une décision.
Je l’ai laissé en attente quelques minutes, essayant de joindre le Rabbi au plus vite ; il me dit de lui transmettre d’attendre jusqu’à la fin du Chabbat. Après Chabbat, on apprit qu’elle avait accouché normalement. J’ai dévoilé le nom de la malade au médecin, qui se souvenait clairement de cet événement. Je lui dis : «Vous comprenez sans doute que, lorsque je me suis rendu au bureau du Rabbi vendredi, il n’y avait ni médecin, ni assemblée médicale auprès de lui ! Le médecin stupéfait voulut savoir comment le Rabbi savait répondre à chaque cas. Je lui répondis : «Parce que c’est le Rabbi !»
Un Rav qui n’était pas d’obédience hassidique se rendit chez le Rabbi pour recevoir sa bénédiction. Le Rabbi lui demanda d’essayer d’influencer les Juifs de sa ville à acheter de la viande cachère. Le Rav s’exclama alors: «A quoi cela sert-il d’acheter de la viande cachère, sachant que les ustensiles de cuisine chez ces familles ne sont pas cachers !» Le Rabbi lui répondit : «Il faut absolument rompre un tant soit peu avec la psychologie des gens qui se méprennent, pensant que la nourriture cachère n’est pas bonne ; lorsqu’ils mangeront de la viande cachère et se rendront compte qu’elle a bon goût, ils accepteront de manger vraiment cachère et l’on pourra donc plus facilement les inciter à cachériser leur cuisine».
L’organisation de la journée du Rabbi
Les journées du Rabbi étaient consacrées à la communauté. Les dernières années, il arrivait au 770 à dix heures du matin et restait dans son bureau jusqu’à une ou deux heures du matin.
Dans les années précédentes, il arrivait un peu plus tard vers onze heures, car il restait au bureau jusque très tard la nuit, lors des soirées où il accordait des audiences privées. Certaines personnes restaient de longues heures en entretien.
De plus, des centaines de lettres parvenaient au Rabbi chaque jour : personne d’autre que lui n’ouvrait ces courriers et il veillait à répondre à chacun personnellement. Lorsqu’il rentrait chez lui au petit matin, il prenait avec lui du travail à finir ; il ramenait le lendemain au 770 le courrier auquel il avait répondu.
Le Rabbi précédent disait de lui qu’il ne dormait jamais à quatre heures du matin : ou bien il n’avait pas encore dormi, ou bien il était déjà levé. Je ne sais pas combien d’heures par nuit le Rabbi dormait.
En revanche, après l’événement de Sim’hat Torah 1977 où il eut une crise cardiaque, il était tout le temps dans son bureau, et nous étions vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec lui, là je puis vous dire qu’il n’a jamais dormi longtemps. Avant de s’assoupir, il organisait déjà son planning pour plus tard.
S’il dormait à 22 heures, il se levait vers 23h 30 puis continuait à travailler. Lorsqu’il était fatigué, il se reposait un petit moment, mais il n’a jamais dormi plus de quelques heures à la suite.
Une patience sans limites
Il y a une qualité particulière que le Rabbi nous enseigna : la patience.
La patience du Rabbi envers chacun était exceptionnelle. Des milliers de personnes venaient le voir pour recevoir un dollar. Le Rabbi ne coupa jamais la parole à qui que ce soit, il attendait toujours que son interlocuteur conclut ses propos, et donnait ensuite son avis.
Certaines personnes se répétaient plusieurs fois, pensant que le Rabbi ne les avait pas comprises. Le Rabbi les écoutait avec attention. Le temps du Rabbi était précieux, mais il était attentif avec tout le monde, et n’a jamais renvoyé qui que ce soit de son bureau.
A l’époque où il recevait en entretien privé, une dame prit son tour tard dans la nuit.
Elle laissa passer de nombreuses personnes avant elle, voulant être la dernière à être reçue. Elle parla avec le Rabbi, et il semblait qu’elle ne voulait pas finir. Il était très tard, et le Rabbi n’avait d’autre choix que de l’écouter.
Nous sommes rentrés, et lui avons dit qu’il se faisait vraiment tard. Le Rabbi devait rentrer chez lui, mais elle continua de discuter, même après la fin de l’entretien. Le Rabbi se leva et continua à lui parler tout en prenant son manteau. Il se préparait à sortir, mais elle poursuivait la conversation tout en marchant, jusqu’à ce que le Rabbi sorte du 770.
L’histoire ne s’arrête pas là : lorsque le Rabbi arriva chez lui, il appela le secrétariat et demanda que deux jeunes gens l’accompagnent chez elle en taxi, prenant les frais de déplacement à sa charge…
Traduit par Sonia Abrahami et Feiga Lubecki «Kfar Chabad»